Appel à contribution - Cohabitations auprès des publics dits vulnérables Modalités pratiques et tensions politiques

Un numéro d’Émulations, revue de sciences sociales, à paraître à l’automne 2024 aux Presses universitaires de Louvain, sera consacré au thème « Cohabitations auprès des publics dits vulnérables Modalités pratiques et tensions politiques », sous la direction de Céline Bergeon (Université de Poitiers, Migrinter, France), Évangeline Masson Diez (Lirtes, Université de Paris Est, France) et d’Océane Uzureau (Université de Gand, Belgique).

Argumentaire

La crise de l’accueil institutionnel à destination des étrangers vulnérables qui traverse l’Europe a laissé place, depuis 2015, à une multiplication d’initiatives privées relevant de l’accueil et de l’accompagnement (Agier 2018 ; Agier et Le Courant 2022 ; Vertongen, Lendaro et Rodier, 2019). Au cœur de ces expériences de solidarité, individuelles et collectives, les pratiques d’habitat partagé ou d’hébergement alternatif, non-institutionnel, domestique, privé ou collectif, par des collectifs, des associations ou des personnes indépendantes se sont alors largement développées pour pallier le manque de réponses institutionnelles à la situation des personnes exilées (Salinaro et Ilardo, 2022 ; Luccioni, 2022 ; Mayblin et Poppy, 2019). Inscrites au carrefour de la suppléance sociale (Cristofol 2012), de l’aide caritative et de l’engagement militant, elles ne sont pas sans rappeler des formes de cohabitations plus anciennes et s’adressant à d’autres publics dits vulnérables (de Saint Ours et de Saint Sernin, 2018) : l’habitat intergénérationnel, les cohabitations de personnes en situation handicap et de personnes valides, les habitats partagés par des personnes « sans domicile fixe » et des personnes « avec domicile fixe », etc. Ces situations résidentielles questionnent de manière plus large la notion d’hospitalité qui recouvre celle de l’accueil et de l’accompagnement de l’Autre dans différents domaines (Boudou, 2017 ; Brugère et Le Blanc, 2018 ; Fassin, Quiminal et Morice, 1997). C’est bien celui de l’habitat et du logement qui nous intéresse ici, dans ses formes partagées (Perrier, 2021 ; Beurthey et Costes, 2018, 2019 ; Béguin et Lévy-Vroelant, 2012 ; Breviglieri, 2006, Bresson et Denèfle, 2015) ; cette cohabitation qui implique de vivre et d’habiter ensemble, d’associer des quotidiens, souvent dans des rapports et des positionnements sociaux dont les dynamiques échappent aux co-habitants eux-mêmes.

Actuellement, le discours de l’urgence et de la crise s’impose au temps politique et au temps du travail social. Cela a une double conséquence. D’abord, cela accentue le caractère exceptionnel d’une situation, justifiant ainsi l’absence d’une réponse politique dans les cadres habituels (Stavo-Debauge, 2018 ;Maestri et Montforte, 2020 ; Gardesse, Masson Diez et Le Courant, 2022). Ensuite, les réponses proposées sont souvent de courte durée et mobilisent des ressources limitées, réduisant ainsi la qualité et la portée des interventions sociales. Les cohabitations alternatives comptant parmi les initiatives d’acteurs de la société civile, se nourrissent elles aussi de ces discours et imaginaires de l'urgence pour catégoriser les publics autour de notions de vulnérabilité(s), de compassion ou de solidarité. Cette réappropriation des pratiques et des discours de l’urgence humanitaire produit de nouvelles formes d’inégalités et de précarisation mais également une réflexion génératrice d'expérimentation sociale.

 

L’objectif de ce dossier est d’interroger ces pratiques de cohabitation mêlant personnes dites vulnérables et personnes non vulnérables, d’habitat partagé ou encore d’hébergement non-institutionnel en sortant d’une lecture par le public seulement exilé ou migrant. Si la dimension positive de ces expérimentations sociales est largement mise en avant par les acteurs, les politiques et les bénéficiaires eux-mêmes, qu’il s’agisse des qualités des conditions d’habitat, de l’accompagnement sur mesure mis en œuvre ou encore des économies financières que représentent ces dispositifs, ces pratiques soulèvent un ensemble d’enjeux institutionnels, politiques et sociaux que nous espérons interroger par ce dossier.

Ainsi, au-delà des formes que peuvent prendre ces pratiques de cohabitation dans l’organisation quotidienne que nous souhaitons questionner, les dynamiques qui les sous-tendent et ce qu’elles peuvent produire comme conséquences sociales, institutionnelles ou encore politiques sont intéressantes à étudier. Alors que certaines de ces initiatives, présentées comme innovantes, se structurent en opposition aux logiques de tri institutionnalisé de bénéficiaires, des observations empiriques et ethnographiques observent la reproduction de discours sur le mérite ou la vulnérabilité des personnes. Ces logiques in situ invitent à étudier les légitimités produites par les pratiques et leurs conséquences pour les personnes dans l’accès à l’hébergement. Les catégories institutionnelles et juridiques existantes façonnent des pratiques à contours variables - parfois restrictives - et segmentent la mise à l’abri, elles peuvent créer des inégalités d’accès au droit au logement, que ce soit dans le monde associatif, via les services de l’État ou encore dans le domaine privé. La variété des interprétations de la vulnérabilité opérées par les différents acteurs intervenant dans le secteur de l’hébergement peut elle-même fabriquer des catégories de personnes dites plus vulnérables que d’autres ou encore des urgences à pallier rapidement. La place et le rôle des associations délégataires de services publics en termes d’hébergement pourront être aussi questionnés.

 Axe 1       La dimension pratique de ces cohabitations

Dans ce premier axe, nous visons une meilleure connaissance de ces cohabitations au sens large qu’il s’agisse des pratiques d’occupation de l’habitat et du savoir-habiter, des parcours des hôtes, de l’impact sur les personnes de ces modalités d’hébergement ou encore des relations d’accompagnement qui s’y déploient. Qui sont les acteurs de ces pratiques et de ces dispositifs ? En quoi ces pratiques, largement présentées comme alternatives et innovantes, le sont-elles réellement ? Sont-elles comparables à des pratiques plus anciennes ? Comment les espaces partagés, collectifs ou privés sont construits et occupés ? Quelles sont les motivations invoquées par les particuliers pour s’engager dans ce type de cohabitation ? Comment celles-ci évoluent avec le temps et en fonction des publics concernés ? Quel type de prise en charge et de soutien social se mettent en place dans ces formes alternatives d'hébergement ? Qu’est-ce que ces nouvelles formes d’hébergement font entrer en jeu d’un point de vue social et spatial en termes d’acceptation, de mixité et d'interaction sociale ? Le volet financier de ces pratiques pourra aussi être étudié. En effet, nous remarquons que ces cohabitations reposent sur des financements souvent alternatifs et privés (évènement festif et culturel, crowdfunding participatif, participation de fonds de dotations de fondations privées ou d’entreprises…) et s’organisent souvent à la marge des subventions publiques. Qui sont précisément ces nouveaux acteurs financiers ? En quoi leurs présences jouent sur les pratiques de cohabitation et les relations aux autorités ?

Axe 2. La dimension politique de ces cohabitations

Largement présentée comme des lieux d’innovation sociale et d’expérimentation par les acteurs associatifs et politiques, ces cohabitations s'inscrivent souvent en marge ou en complémentarité des dispositifs institutionnels et des obligations d’Etat de prises en charge. Nous pouvons alors nous demander si ces pratiques sont la cause ou la conséquence d’un désengagement institutionnel. En outre, bien que ces dispositifs soient indispensables aujourd’hui pour les personnes, ils posent de nombreuses questions en termes de visibilité et d’accès aux services publics. Quels modes de partenariats s’établissent entre les services de l’Etat, les collectifs, les acteurs privés, les associations qui portent ces programmes et les réseaux bénévoles ? Ces pratiques se combinent-elles à celles de l’État ? S’y opposent-elles ? Viennent-elles combler un déficit dans la prise en charge par l’État ? La diversité des acteurs gravitant autour de l’accueil conduit à une politisation plus visible de l’hébergement et des prises de positions sont aujourd’hui clairement affichées dans le domaine politique. Que produisent ces positionnements politiques sur le terrain ?

Les contributions pourront être fondées sur des approches disciplinaires variées (géographie, urbanisme, sociologie, science politique, ethnographie, histoire…) et reposer sur des enquêtes de terrain, dont la méthodologie devra être explicitée ou sur une analyse analytique et conceptuelle autour de termes de références.

 

Modalités de soumission

Les propositions d’articles, d’un maximum de 1 000 mots, peuvent être envoyées jusqu’au 15 décembre 2023 aux adresses suivantes :

evangelinemd@gmail.com ; oceane.uzureau@gmail.com ; celine.bergeon@univ-poitiers.fr ; raphael.blanchier@revue-emulations.net ;   cedric.passard@revue-emulations.net

Il est demandé aux auteur·es d’indiquer un titre, 4-6 mots-clés, ainsi que d’ajouter une courte notice biographique incluant leur discipline et leur rattachement institutionnel. Merci de préciser la mention « AAC Cohabitations auprès des publics dits vulnérables » dans l’objet de l’e-mail lors de l’envoi de la proposition.

Les consignes rédactionnelles de la revue Émulations sont téléchargeables à l’adresse suivante : https://ojs.uclouvain.be/index.php/emulations/cfp/consignes.

Émulations est une revue de sciences sociales qui publie et édite quatre numéros thématiques par an, publiés en version papier par les Presses universitaires de Louvain (Belgique) et mis en ligne en libre accès sur son site internet (https://ojs.uclouvain.be/index.php/emulations).

 

Calendrier prévisionnel du numéro 

  • 15 décembre 2023 : date limite pour l’envoi des propositions d’articles (1000 mots)
  • 30 décembre 2023 : retour aux auteurs sur la sélection des propositions
  • 1er février 2024 : envoi des manuscrits V1 (50 000 signes)
  • 15 mars 2024 : retour des évaluations aux auteur·es
  • 15 avril 2024 : envoi des manuscrits V2
  • 30 mai 2024 : retour des évaluations 2 aux auteur·es
  • 30 juin 2024 : envoi de la dernière version des manuscrits à la revue
  • Automne 2024 : finalisation et publication du numéro

Bibliographie indicative

Agier, Michel. 2018. L’Étranger qui vient, repenser l’hospitalité. Editions du Seuil. Paris.

Agier, Michel, et Stefan Le Courant. 2022. Enquêtes sur la condition migrante. Essais. Points. Paris.

Béguin, Hélène, et Claire Lévy-Vroelant. « Habiter chez autrui : pourquoi et comment ? Trajectoires et expériences de jeunes hébergés en région parisienne », Agora débats/jeunesses, vol. 61, no. 2, 2012, pp. 61-78.

Beurthey, Rolande, et Laurence Costes. 2018. « Habitat participatif, Habitat groupé. Vers une ouverture à la diversité sociale ? », L'Homme & la Société, vol. 208, no. 3, pp. 269-293.

Beurthey, Rolande, et Laurence Costes. 2019. « Vers une ville plus «convivialiste»: la voie de l’habitat participatif?». Revue du MAUSS 54.2. pp.215-228.

Boudou, Benjamin. 2017. Politique de l’hospitalité. Une généalogie conceptuelle. CNRS.

Breviglieri Marc. 2006. Le temps des cohabitations. Huynh, P.-M. Habitat et vie urbaine. Changement dans les modes de vie, Éditions du PUCA, pp.46-56.

Brugère, Fabienne, et Guillaume Le Blanc. 2018. La fin de l’hospitalité. Flammarion.

Salinaro, M., & Ilardo, M. 2022. Housing as a starting point for migrants’ integration: opportunities and obstacles in Emilia-Romagna region. Educazione interculturale, 20(1), 107-121.

Cristofol, Gisèle. 2012. « L’hébergement privé, une forme de « suppléance sociale ». Connexions n° 97 (1): 137‑51.

Bresson Sabrina, et Denèfle, Sylvette. 2015. “Diversity of self-managed co-housing initiatives in France”, Urban Research & Practice, 8:1, 5-16.

de Saint Ours, Hélène, et Martine de Saint Sernin. « Un habitat partagé autonome au service de la psychiatrie : l’expérience de la Demeure de l’Oasis », Empan, vol. 112, no. 4, 2018, pp. 82-87.

Fassin, Didier, Catherine Quiminal, et Alain Morice. 1997. Les Lois de l’inhospitalité. Cahiers libres. Paris, France: La Découverte.

Gardesse, Camille, Evangeline Masson Diez, et Stefan Le Courant. 2022. L’exil à Paris, 2015 - 2020. Expérience migratoire, action publique et engagement citoyen. L’Oeil d’Or. Paris.

Lou Vertongen, Youri, Annalisa Lendaro, et Claire Rodier. 2019. La crise de l’accueil. Recherches. La Découverte.

Luccioni, Clément. « Hébergement ou colocation ? Comparaison Paris-Berlin des modèles d’hospitalité privée pour loger les personnes exilées », Migrations Société, vol. 188, no. 2, 2022, pp. 101-113.

Mayblin Lucy et James Poppy. 2019. “Asylum and refugee support in the UK: civil society filling the gaps?”, Journal of Ethnic and Migration Studies.

Maestri, Gaja, et Pierre Monforte. 2020. «Who deserves compassion? The moral and emotional dilemmas of volunteering in the ‘refugee crisis’». Sociology 54, no. 5. 920-935.

Perrier, Marion. « Béguinages pour seniors, la renaissance d’un concept alternatif », Alternatives Économiques, vol. 416, no. 9, 2021, pp. 94-96.

Stavo-Debauge, Joan. 2018. Qu’est-ce que l’hospitalité? Recevoir l’étranger à la communauté. Liber Quebec.