Du « matheux » bourgeois au « Quant » corporate
Les héritiers des classes supérieures scientifiques à l’épreuve de la finance londonienne
DOI :
https://doi.org/10.14428/emulations.025.02Mots-clés :
dispositions, finance, bourgeoisie, ingénieur, élites, capital culturel scientifiqueRésumé
Comment des héritiers des classes supérieures scientifiques, animés par l’amour désintéressé des mathématiques, se muent-ils en agents financiers acquis à l’esprit « corporate » ? Cet article propose l’examen minutieux des métamorphoses du « capital culturel scientifique » des Quants, ingénieurs-mathématiciens à la City de Londres. Une enquête de six mois, élaborée à partir de neuf entretiens semi-dirigés et d’un corpus de lettres de motivation et grilles de salaire, met au jour la fabrique des dispositions contradictoires qui façonnent leur ethos professionnel. Porteurs de puissantes dispositions ascétique et scholastique, chevillées à une appétence forcenée pour les sciences, ils sont cependant tenus d’acquérir des manières d’être inédites. Disqualifiant un élitisme fondé sur la distinction intellectuelle, la culture d’entreprise sollicite une disposition distante, une disposition rationnelle-stratégique et une disposition vénale qui font violence au « sérieux ludique » présidant jusque-là à l’exercice de leurs facultés. Ils s’initient alors, non sans peine, à des compétences pédagogique et mondaine qui rompent avec leur habitus de domination par l’excellence scolaire, et tentent littéralement de mettre à profit leurs compétences techniques. Si elle dépend de la durée d’exposition à la culture d’entreprise, l’attitude des Quants face à l’adversité s’avère fortement contrastée : leurs adaptations différenciées réfractent le capital culturel hétérogène des diverses fractions de la bourgeoisie française. Si la stylisation des dispositions professionnelles enrichit la sociologie d’un groupe professionnel, celui des agents financiers, elle permet également de capturer les récentes transformations de la culture des élites.