[AAA] Fabrique des vulnérabilités et communication organisationnelle

2024-03-06

[AAA] Fabrique des vulnérabilités et communication organisationnelle

  • Envoi des intentions à soumettre : la date de remise des propositions de résumés est reportée au 27 mai
  • Envoi textes complets :  28 octobre 2024
  • Parution du numéro :  Premier trimestre 2025

Dossier piloté par Aurélie Laborde, Valérie Carayol, Isabelle Cousserand-Blin

En 2016, l’historienne Axelle Brodiez-Dolino montrait, en s’appuyant sur l’analyse des occurrences de Google et Google Scholar, que le terme de vulnérabilité poursuivait sa diffusion dans la société et devenait omniprésent dans les médias, les rapports et les communiqués du monde associatif, mais aussi dans le monde universitaire (Brodiez-Dolino, 2016). Les multiples crises géopolitiques, sanitaires, socio-économiques et environnementales traversées depuis cette période n’ont fait qu’accentuer ce phénomène, et le terme de vulnérabilité rencontre aujourd’hui un vif succès aussi bien dans les sphères publiques qu’académiques.

Les approches du social en termes de vulnérabilité ont permis de considérer ensemble une série de problèmes sociétaux très différents : on parle de vulnérabilité environnementale, sociale, sanitaire, de publics et minorités vulnérables, de vulnérabilité territoriale, etc. La notion de vulnérabilité est mobilisée à la fois par les politiques publiques actuelles d’action sociale, privilégiant l’empowerment des populations les plus « fragiles », mais aussi par les politiques d’organisation qui visent l’accompagnement ou le coaching des salariés pour faire face aux nombreuses transitions socio-économiques en cours et notamment à la transition numérique. Hélène Thomas (2008, 2010) souligne la dimension politique des usages de ce terme. En pointant du doigt l’inadaptation de publics spécifiques aux évolutions socio-économiques en cours, on fait de la nécessaire adaptation au milieu un élément structurant de formes de domination auxquelles échapperaient les populations qualifiées de vulnérables.

L’intérêt pour la notion de « vulnérabilité », au périmètre extrêmement flou, s’est développé dans la sphère académique depuis les années 80. Si le terme apparait initialement en physique, dans le domaine des sciences humaines et sociales la vulnérabilité est d’abord mobilisée en psychologie, notamment aux États-Unis, avec son envers le terme de « résilience » (Thomas, 2018) puis en sociologie où elle tend à remplacer les concepts d’exclusion et de précarité (Brodiez-Dolino, 2017) et côtoie les concepts de disqualification (Paugam & Schnapper, 1991) et de désaffiliation (Castel, 1994) sur fond de « société du risque » (Beck, 2008) et de « montée des incertitudes » (Castel, 2013). La vulnérabilité est aussi associée aux notions de « risque » et de « facteurs de stress » : management des catastrophes, économie du développement, sciences environnementales, de la santé et de la nutrition…

Dans la littérature en sciences du travail et des organisations[1], on peut relever deux types d’approches opposées pour traiter des questions de vulnérabilités.

D’un côté, un point de vue catégoriel, essentialiste et fonctionnaliste : des approches managériales qui catégorisent les plus « faibles », les individus dits vulnérables (seniors, handicapés, mère célibataire, etc.) pour les accompagner, dans l’optique de définir, mesurer et prévenir les risques en produisant des attributions identitaires stigmatisantes. La vulnérabilité apparaît alors comme une notion utilisée pour catégoriser, définir une altérité, figer une assignation identitaire. Elle devient « un critère distinctif (on est vulnérable ou on est résilient) et un principe explicatif (parce que vulnérable, on est tombé malade, devenu dépendant, non performant, inemployable…) » (Lhuilier, 2017).

En contrepoint de ces approches, des perspectives critiques, essentiellement en clinique du travail, en sociologie et en psychodynamique du travail, mais également en philosophie morale et politique, dénoncent cette construction sociale de la vulnérabilité au travail et son accompagnement centré sur l’individu. Les chercheurs s’opposent alors à une représentation duale du monde du travail (d’un côté les sains, les robustes, les battants, de l’autre les fragiles, les déficitaires, les inaptes) ainsi qu’à ce que Lhuilier appelle « l’imputation causale aux victimes » (la responsabilité des individus face aux disfonctionnements organisationnels).

Dans ces perspectives, la vulnérabilité en contexte de travail peut être définie, à la suite de Brodiez-Dolino, Lhuilier et Soulet (Soulet, 2005; Lhuilier et al., 2013; Lhuilier, 2015; Brodiez-Dolino, 2016; Lhuilier, 2017) selon quatre principales dimensions :

  • Comme une potentialité à être blessé (propre à la condition humaine et à nos sociétés du risque). La vulnérabilité est alors ontologique, universelle, anthropologique, partagée par tout et tous, humains, animaux, plantes, écosystèmes, etc.
  • Comme un processus de fragilisation et non comme un attribut ou un état figé. De la même façon que la santé au travail est une quête, un mouvement permanent, la vulnérabilité est une trajectoire, une potentialité.
  • Comme un processus relationnel et contextuel. La vulnérabilité advient dans un contexte donné en fonction de la protection des autres. La vulnérabilité professionnelle dépend des contextes organisationnels d’exercice et de la plus ou moins grande qualité des relations de coopération des collectifs dans lesquels le travailleur s’insère.
  • Enfin comme un phénomène potentiel et réversible. Il s’agit donc d’interroger les conditions de possibilité de cette potentialité et les facteurs qui favorisent la vulnérabilité pour anticiper, accompagner, intervenir.

Dans cette approche, la vulnérabilité est donc indissociable des liens sociaux, modes d’organisation et rapports sociaux qui fragilisent et/ou qui maintiennent dans la fragilité. De ce point de vue, les recherches en sociologie et en science du travail peuvent être rapprochées des travaux en philosophie morale sur le care et la résonnance(Gilligan, 1982; Tronto et al., 2009; Rosa et al., 2021).

En sciences de l’information et de la communication, et notamment en communication organisationnelle, si plusieurs chercheurs s’intéressent aux questions d’inégalités, de prévention des risques ou encore de diversité, les travaux portant sur les vulnérabilités sont encore assez peu nombreux. L’équipe de recherche Communication, organisation et société (COS) du laboratoire MICA s’intéresse toutefois à ces questions depuis plusieurs années et a produit plusieurs journées d’études[2] et publications[3] sur ce sujet.

Dans la revue Communication et professionnalisation, on ne trouve pas ce terme dans les mots clés utilisés par les auteurs. Du côté de la revue Communication & organisation, 43 articles évoquent la notion de vulnérabilité et seulement 6 articles dans le titre ou le résumé. Les auteurs évoquent généralement les publics vulnérables et la façon dont ils sont représentés (Vigouroux-Zugasti, 2014; Vigouroux-Zugasti & Bourret, 2023). Ils s’intéressent également aux pratiques de communication qui vulnérabilisent en contexte organisationnel (Dumas, 2018) et aux nouvelles vulnérabilités liées aux technologies numériques (Carayol & Laborde, 2019; Dupré, 2018). La vulnérabilité est associée à la confiance (Ely, 2015; Camin, 2018), aux crises (Sicard, 1999) et plus largement aux politiques de prévention des risques (Rasse & Rasse, 2014). Le colloque Org & Co de 2019 sur « La face obscure de la communication des organisations » (Carayol et al., 2020) explore largement cette thématique sans toutefois épuiser les analyses qui restent à développer en communication organisationnelle.

Que peuvent dire les sciences de l’information et de la communication et la communication organisationnelle des vulnérabilités ? En quoi peuvent-elles décrypter et aider à concevoir, à la fois ce qui se trame dans la sémantique qui accompagne l’usage même de ce terme, ce qui contribue à la fabrique des vulnérabilités, mais aussi ce qui se joue dans les dispositifs mis en place, mobilisant des dispositifs de communication et des artefacts techniques, pour leur capacité à « remédier » à ces situations ?

Comment les professionnels de la communication contribuent-ils à accompagner les transformations organisationnelles pour soutenir sinon atténuer les processus de vulnérabilisation ? À l’inverse, comment participent-ils à véhiculer, voire maintenir les vulnérabilités ? Comment, dans les cursus de formation institutionnels en SIC comme ceux tout au long de la vie, intègrent-ils les questions de vulnérabilité afin de préparer les futurs professionnels à ces enjeux ?

Ce numéro souhaite réunir des propositions sur la question des vulnérabilités en milieu organisé et en contexte de travail. Il appelle à des travaux originaux, études de terrain, méta-analyse de type théorique ou à caractère méthodologique, sur la façon dont on peut envisager les vulnérabilités en communication organisationnelle et dans la pratique des métiers de communication.

Il pourra s’agir d’analyses des facteurs organisationnels et communicationnels qui vulnérabilisent, comme de l’exploration des vulnérabilités liées aux pratiques professionnelles de communication, ou à la vulnérabilisation des professionnels de la communication.

Les propositions pourront interroger la participation des pratiques de communication organisationnelles à la fabrique des vulnérabilités ou au contraire les pratiques de communication qui permettent de résister, prévenir et remédier aux processus de vulnérabilisation aujourd’hui à l’œuvre.

Calendrier et consignes aux auteurs
  • Envoi des intentions à soumettre : 15 mai 2024
  • Envoi textes complets : 28 octobre 2024
  • Parution du numéro :  Premier trimestre 2025

Les auteurs sont invités, dans un premier temps, à proposer une intention à soumettre d’ici le 15 mai 2024, via le site internet de la revue, en français ou en anglais. Les intentions feront entre 1200 et 1500 mots (bibliographie non comprise). Elles présenteront le titre, la problématique, la méthodologie adoptée, le cas échéant, et les principaux constats qui seront développés.

Sous réserve d’un retour favorable sur ces intentions, les auteurs devront par la suite soumettre une première version de leur article complet au plus tard le 28 octobre 2024, en français ou en anglais, en suivant les normes de la revue sur son site : https://ojs.uclouvain.be/index.php/comprof/about/submissions.