De la nécessité de Désordre dans la Démocratie
DOI:
https://doi.org/10.14428/aes.v6i1.56803Keywords:
liberté, désordre, adaptation, institution, associationAbstract
Dans cet article, je propose dem'appuyer sur une évaluation de dysfonctionnement démocratique partagée par de nombreux citoyens. Pour ce faire, je propose d'appliquer la conjecture de Heinz Von Foerster à la société contemporaine. Laconjecturede von Foerster décrit le rapport de causalité circulaire entre une totalité (par exemple, une collectivité humaine) et ses éléments (les individus qui la composent). Elle établit que plus les relations inter-individuelles sont "rigides"plus le comportement de la totalité apparaîtra aux élémentsindividuels qui la composentcomme doté d'une dynamique propre qui échappe à leur maîtrise alors qu'elle sera d'autant plus prédictible par un observateur extérieur.C'est ainsi que je montrerai comment les relations entre les acteurs de nos sociétés sontdominées par le paradigme de l'échange marchand basé sur la quantification, l'équivalence et la liberté des acteurs. D'un point de vue éthique, on ne peut que se féliciter de la liberté ainsi permise. Au-delà du contenu de ce type de relation, je fais l'hypothèse qu'elles ont par nature un caractère rigide et prédictible dans la forme, rencontrant ainsi les conditions d'application de la conjecture de H. von Foerster. Ceci se manifeste par un sentiment régulièrement partagé que la totalité est guidée ou manipulée par un "pouvoir obscur" ou "main invisible". A la recherche de sens, cette perception alimente et justifie les discours populistes et les théories du complot. Cependant, on ne peut se satisfaire de cette explication en invitant les acteurs de l'intérieur à adopter le point de vue de l'observateur extérieur. Les deux objectivités –de l'intérieur et de l'extérieur -se valent selon le point de vue. Il est donc utile de rester au niveau du monde-vécu et d'explorer un angle de vue alternatif. C'est ainsi que l'on peut mettre en rapport la liberté individuelle permise par le marché vis-à-vis de la liberté d'engagement dans la vie sociale. Cette dernière est rencontrée au sein d'une communauté animée par le paradigme du don-contredon au sens de Marcel Mauss. Le paradigme du don se manifeste aujourd'hui dans les formes d'associations informelles: associations de voisins, réseaux d'échanges, mouvements de militance morale... La relation qui s'établi par le don a un caractère imprédictible et incertain qui tranche avec la "simplicité" et univocité de la relation marchande. Ce caractère incertain du don-contredon introduit dans la société de l'inattendu, ce qui d'un point de vue systémique est favorable à l'innovation et l'adaptation. On ne peut alors que s'inquiéter de la tendance actuelle à la marchandisation du service public, la professionnalisation du service aux personnes, à l'application des critères du marché au fonctionnement des associations du secteur non-marchand... Cette tendance représente une réduction de la complexité sociale favorable à la rigidification des relations. Il ne s'agit pas ici de faire le procès du paradigme de l'échange marchand car il assure l'indépendance et l'accès à l'étranger au réseau d'échange. Il s'agit de suggérer une multiplicité des typologies de relations. C'est ainsi que d'un point de vue systémique, on ne peut que se féliciter d'une certaine forme de désordre social. Le régime démocratique accueille par définition conflit, débat et diversité de comportements.