De l’invisibilité au déni de l’intersectionnalité : les plaintes pour discrimination liée au VIH en Belgique

Invisibility and denial of intersectionality: complaints of HIV-related discrimination in Belgium

Charlotte Pezeril11. Docteure en an (…)

[Résumé] Malgré les progrès thérapeutiques dans la lutte contre le VIH/sida, les discriminations à l’égard des personnes séropositives semblent perdurer. Afin de les objectiver dans le contexte de la Belgique, nous avons mené une enquête sur les plaintes déposées à Unia, le Centre belge pour l’égalité des chances et la lutte contre les discriminations. Dans un premier temps, nous montrons comment les effets de ces discriminations sont largement sous-estimés, y compris sur la santé et par les victimes elles-mêmes. Nous analysons, dans un second temps, la tension entre l’importance de l’intersectionnalité de la sérophobie avec l’homophobie, le racisme et le sexisme et les difficultés, voire les incapacités, à la saisir du point de vue des requérant#·e·s et encore davantage du point de vue des institutions. Enfin, nous soulignons à quel point l’intersectionnalité permet d’identifier les groupes les plus vulnérables et comment la sérophobie en arrive à concerner les membres de ces groupes qui ne vivent pas avec le VIH, tout en étant identifiés comme tels.

Mots-clés : intersectionnalité, VIH/sida, santé, discrimination, stigmatisation.

[Abstract] Despite therapeutic progress in the fight against HIV/AIDS, discrimination against HIV-positive people seems to persist. In order to show the evidence, we have carried out an investigation into complaints filed with Unia, the Belgian Centre for Equal Opportunities and the Fight against Discrimination. First, we show how such discriminations are largely underestimated, including their effects on health and by the victims themselves. We then analyse the tension between the importance of the intersection of serophobia with homophobia, racism and sexism and the difficulties, or even the inability, of the applicants and even more of the institutions to perceive it. Finally, we show how intersectionality allows to identify the most vulnerable groups and how serophobia reaches beyond HIV itself.

Keywords: intersectionality, HIV/AIDS, health, discrimination, stigma.

L’épidémie de VIH/sida a, dès son émergence au début des années 1980, suscité des réactions d’exclusion, de discrimination et une forte stigmatisation des personnes atteintes (Parker, Aggelton, 2003). Afin de les contrer, la politique de « lutte contre le sida », reconnue comme exceptionnelle dans le champ de la santé, va s’orienter vers une gestion « moderne-libérale » (Dodier, 2003) articulant objectif de santé publique et objectif de respect des droits humains à partir du principe de non-discrimination des malades. Près de 40 ans plus tard, cette gestion politique inédite s’est « normalisée » (Setbon, 2000), notamment après la découverte et la disponibilité d’antirétroviraux efficaces à la fin des années 1990. Les évolutions politiques et thérapeutiques laisseraient supposer une normalisation sociale, une moindre stigmatisation des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) et une baisse ou une transformation des discriminations à leur égard. Les résultats de la recherche présentée dans cet article, qui repose sur une analyse des plaintes pour discrimination liée au VIH en Belgique, montrent qu’il n’en est rien.

Impulsée par l’Observatoire du sida et des sexualités (centre de recherche de l’Université Saint-Louis – Bruxelles), cette étude a fait l’objet d’une collaboration avec Unia, le Service public interfédéral de promotion de l’égalité des chances et de lutte contre les discriminations habilité à recevoir les plaintes en Belgique (tel le Défenseur des droits en France). Cette collaboration nous a permis d’avoir accès à la base de données d’Unia, soit l’ensemble des plaintes pour discrimination reçues (par mail, téléphone ou contact direct) depuis 2003, date de la première loi anti-discrimination. Le corpus final de 141 cas de plainte pour discrimination liée au VIH a été constitué à partir des résumés des dossiers papier de 2003 à 2008, puis, suite à l’informatisation de la base de données, à partir d’une recherche par mots-clés (« VIH, sida, séropositivité, AIDS, HIV ») de 2008 à 2014. Dans un second temps, nous avons proposé des entretiens aux PVVIH ayant contacté Unia, avec au final 18 entretiens effectués, la plupart en 201522. La procédure f (…) .

Notre objectif est de constater et de préciser les évènements discriminatoires tels qu’ils sont vécus et rapportés par les plaignant·e·s et de saisir à travers eux les processus d’inégalité ainsi que les moyens mis en place pour les combattre. La discrimination a ainsi été envisagée à partir d’une acception sociologique et non juridique, afin d’analyser plus largement l’expérience et le sentiment de discrimination tout autant que l’itinéraire institutionnel des « victimes »33. Les guillemets (…) . Ce qui nous intéresse est de saisir la sérophobie, à savoir l’ensemble des processus de stigmatisation et de discrimination des personnes vivant avec le VIH ou identifiées comme telles44. La discriminat (…) , et ses effets notamment sur la santé.

Nos résultats soulignent que la sérophobie s’imbrique presque toujours avec les inégalités socioéconomiques, l’homophobie, le racisme ou le sexisme et nous amène à mobiliser le concept d’intersectionnalité qui permet de rendre compte des effets conjoints de différents types de discrimination et d’identifier des situations spécifiques et les groupes les plus vulnérables (Crenshaw, 2005 [1991] ; Davis, 2015 ; Fassa, Lépinard, Roca i Escoda, 201655. L’intersection (…) ). Comment et pourquoi l’intersectionnalité est-elle invisibilisée, voire déniée par les institutions et les personnes concernées ?

1. Effets sur la santé et compréhension des discriminations liées au VIH

Selon notre enquête (Pezeril, 2017), les effets des discriminations sur la santé des personnes qui en sont la cible sont à la fois délétères et sous-estimés, que ce soit par les auteur·e·s des discriminations ou par les victimes, leur entourage, les institutions susceptibles d’intervenir et enfin les chercheur·e·s. La discrimination n’est pas seulement une atteinte émotionnelle (Dubet et al., 2013), mais crée des effets de rupture dans un parcours de vie, de par le non-accès à des ressources ou positions, des inégalités et des dénis de droits, qui peuvent se cumuler et présider à une perte de statut et de confiance en soi.

J’ai pris contact avec le Centre [Unia] en 2010 car j’ai subi un harcèlement moral et sexuel de mon employeur, qui m’a licencié après la révélation de ma séropositivité, pour faute grave en plus. […] Ça m’a valu beaucoup, beaucoup, beaucoup d’ennuis. Je me suis retrouvé SDF. Je ne pouvais plus payer mon loyer, donc j’ai dû rendre mon appart. Je suis retourné chez ma mère, j’ai fait une dépression. Ça m’a touché pendant deux ans, le chômage, la dépression. Depuis, je prends des antidépresseurs et je continue aujourd’hui. Au niveau du travail, j’ai été dégoûté. Je n’ai pas pu travailler pendant deux ans. (Homme belge né en 1981)

Cet entretien a lieu quatre ans après l’évènement discriminatoire et illustre le temps long nécessaire à la « récupération ». Cet ensemble de ruptures constitue une « crise » (au sens de Grossetti, Bessin, Bidart, 2009) dans la trajectoire, à savoir une bifurcation dont l’ampleur est imprévisible et dont l’issue l’est également.

Les discriminations suscitent différents sentiments (colère, injustice, honte, etc.), mais laissent aussi les personnes discriminées dans une incertitude sur la compréhension de leur vécu, sur la caractérisation de leur expérience. Les entretiens révèlent la difficulté de comprendre l’acte discriminatoire tel qu’il est inscrit dans la loi et interdit par elle. « Pourquoi moi ? » (Dubet et al., 2013) est l’une des questions essentielles. Est-ce une discrimination ? Est-ce une discrimination du fait de ma séropositivité ou d’une autre caractéristique ? Les discriminations s’expriment rarement directement en face à face. Peu de personnes se revendiquent ouvertement sérophobes, homophobes, sexistes ou racistes, du moins dans les propos relatés par les « victimes ». Les discriminations ne relèvent pas nécessairement de la « mauvaise intention » ou d’un défaut moral du discriminant, mais s’inscrivent davantage dans des structures sociales. L’exception notable concerne le domaine « médias » chez Unia, et la « cyberhaine » en particulier, à savoir des propos incitant à la haine, la violence ou la discrimination sur Internet. Par exemple, la diatribe suivante circulait sur le Net, avant d’être supprimée par Unia66. La suppression (…)  :

Il y en a marre de ces putains de Moulouds hideux qui veulent nous imposer leur foutu mode de vie médiéval. […] Il y en a marre de ces putains de tapettes qui propagent le SIDA et pervertissent les mœurs des plus jeunes. On en a marre ! (Dossier de 2009)

Des déclarations de personnalités publiques peuvent entrer dans ce cadre et susciter des plaintes, telle celle de Monseigneur Léonard, archevêque de l’Église catholique en Belgique, qui avait affirmé en 2010 : « Le sida est une sorte de justice immanente pour les homosexuels77. Voir Minten D. (…) . » Si ces dossiers suscitent de l’indignation et de la colère de la part des personnes concernées et des associations LGBT, leur caractère discriminant est en revanche difficile à établir et Unia n’en a pas conclu à une réelle intention d’inciter à la discrimination.

Une autre catégorie de plaintes ayant des conséquences directes sur la santé concerne bien évidemment celles ayant lieu dans le domaine médical. Nous avons relevé des refus ou reports d’opération chirurgicale (de la cheville, de l’appendicite ou encore pour un recollement d’oreille), et d’intervention dentaire. Dans ces derniers cas, les dentistes ne refusent souvent pas explicitement le soin à cause du VIH, mais renvoient leur patient·e vers un collègue estimé·e plus « compétent·e » ou reportent l’intervention (notamment en fin de journée, alors que l’application des règles d’hygiène universelles ne le justifie pas)88. Voir également (…) .

Plusieurs cas concernent les institutions fermées, que ce soit dans les prisons ou les centres de détention pour étrangers. Dans ces lieux se conjuguent des problèmes d’accès aux soins médicaux et au traitement antirétroviral99. En décembre 20 (…) , de rupture de la confidentialité et de violence verbale ou physique. Un détenu envoie deux lettres à Unia en 2014 pour dénoncer le manque d’intimité et la divulgation de son statut positif au VIH et au VHC (hépatite C). Suite à cela, il n’ose plus sortir de sa cellule et subit des insultes sérophobes, homophobes et racistes qu’il détaille dans une lettre envoyée à Unia :

Les autres me disent : « Tu as le sida » ; « Tu es contagieux » ; « Tu vas mourir » ; « Tes manières, t’es pas homo, toi ? On t’a opéré du ventre suite à une éventration ou t’as fait une césarienne » ; « T’as accouché grande folle ? Non tu peux pas travailler, t’as le sida et l’hépatite. Non pas de préau, non pas d’activité, non pas de sport […]. » ; « T’as le sida, dégueulasse, ne m’approches pas et ne me serre pas la main. […] » ; « Tu es né ici, toi ? – Oui, pourquoi ? – Va rejoindre ta famille au Maroc mais en cercueil. Et encore des frais pour la Belgique ! […] » Ils veulent me tuer à pouvoir vivre. (Homme originaire du Maroc, lettre de 2014)

Sa santé se dégrade. Sa charge virale, indétectable depuis sa mise sous traitement, monte à 13 000 copies/ml1010. Plus la charge (…) à cause, écrit-il, du manque de traitement et des discriminations journalières. Malgré ses appels à l’aide, Unia ne pourra rien entreprendre, suite au refus des autorités pénitentiaires de permettre un contact avec lui.

Globalement, les dossiers classés dans le domaine « migrations » ne sont pas considérés comme relevant de la loi anti-discrimination. Leur nombre augmente à partir de 2013, suite au durcissement des politiques migratoires et notamment l’instauration, en 2012, d’un « filtre médical » pour toute demande de régularisation sur la base de l’état de santé. Dans la pratique, la demande de séjour est refusée dès qu’il y a (officiellement) une disponibilité des traitements anti-VIH dans le pays d’origine1111. En 2013, seule (…) . Un requérant (depuis plus de 10 ans sur le territoire, mais « sans-papier » depuis quelques mois) signale :

En plus [de la non-disponibilité des traitements], chez nous, il n’y a pas de respect. Pour moi la gentillesse, le respect, le soutien des médecins, c’est mieux que les médicaments. […] C’est pas possible d’être sans revenu en plus d’être malade. On reçoit les médicaments dans une main et dans l’autre, on a une assiette vide. Comment on fait alors que les médicaments font mal au ventre ? […] Quand on a peur, on fait des choses bizarres. J’ai fait tous mes efforts pour chercher une autre maladie, l’hépatite ou autre. Pour alourdir mon dossier pour avoir mes papiers. Mais je veux finir ma vie ici. Je ne peux pas retourner là-bas. C’est comme si j’étais au Paradis et on te dit que tu dois retourner en Enfer. (Homme marocain né en 1968)

Son homosexualité, évoquée à demi-mot, accentue la peur d’affronter sa famille et donc le souhait de rester en Belgique. Les autres dossiers consultés, qui concernent principalement des femmes issues d’Afrique subsaharienne, montrent à quel point le VIH peut devenir secondaire quand les difficultés se cumulent, entre non-accès au travail et au logement, dépendance à l’égard d’un homme ou de connaissances pour la survie quotidienne et difficultés psychologiques (dépression, psychoses, etc.). En outre, plusieurs requérant·e·s se disent démuni·e·s face à la complexité des règles, des droits et des recours auxquels ils·elles peuvent (ou non) prétendre. Selon l’une d’elles :

Le problème, c’est que chaque fois que je veux quelque chose, j’ai pas le droit. J’ai pas le droit de travailler. Je veux faire une formation pour les crèches et les enfants, j’ai pas le droit. Je peux rien faire. Je veux apprendre le néerlandais et l’anglais, j’ai pas le droit. À chaque fois, c’est la même réponse. Donc j’ai pas le choix. Être sans papier, c’est avoir le droit de rien. (Femme algérienne née en 1968)

2. Invisibilité institutionnelle de l’intersectionnalité

La grande majorité des dossiers reçus à Unia pour discriminations liées au VIH traite clairement de plusieurs discriminations (où la sérophobie se mêle à l’homophobie et au racisme principalement). Pourtant, toutes les discriminations ne sont pas visibles ou conscientisées par celles et ceux qui les vivent et toutes ne font pas l’objet d’une même indignation. « Le processus de qualification des discriminations et leur verbalisation dépendent fortement de la sensibilisation des acteurs sociaux en général et des personnes exposées en particulier » (Lesné, Simon, 2012 : 3). Ils dépendent aussi des capacités d’intelligibilité (et de dicibilité) de la situation, au-delà de la certitude que « quelque chose ne va pas ».

Concernant les critères de discrimination, les employé·e·s d’Unia ont la possibilité de cocher plusieurs cases depuis 2009. Sans surprise, plus de 63 % des signalements de notre corpus concernent une discrimination liée à l’état de santé. Toutefois, il est intéressant de noter que près de 18 % ont trait à l’orientation sexuelle sans mentionner l’état de santé et que seuls 3,5 % articulent deux critères, que sont l’état de santé avec l’orientation sexuelle ou avec le handicap. Cependant, quand l’on recode a posteriori les dossiers, près des deux tiers pourraient mêler divers critères de discrimination, notamment l’orientation sexuelle, la race1212. La race est ic (…) (à partir de proxies tels l’origine nationale ou la couleur de peau) et le sexe/genre.

Au niveau institutionnel, légal et judiciaire, rien n’est fait pour prendre en compte et traiter les discriminations multiples. D’une part, les lois elles-mêmes sont distinctes, la loi anti-discrimination de 2003 (revue en 2007) s’ajoutant à la loi dite genre (2007) et à celle dite antiracisme (1981, modifiée à plusieurs reprises), pionnière dans le domaine et couvrant davantage de comportements (notamment les crimes de haine raciste). D’autre part, la Belgique a cette spécificité d’avoir deux institutions : Unia d’un côté et, de l’autre, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, lequel est compétent pour les critères de sexe et, depuis 2014, l’identité de genre et l’expression de genre. Une partition qui devrait être supprimée (selon Ammer et al., 2010) car, concrètement, même si les institutions communiquent entre elles, une personne pensant avoir été victime de discrimination sera renvoyée vers l’une ou l’autre en fonction de son récit et de son appréhension par la personne qui traite son dossier.

Le traitement juridique ne prend jusqu’ici en compte qu’un seul critère de discrimination : « Une tension fondamentale existe entre la conception moderne du droit antidiscriminatoire, qui contraint les plaignants à fixer leurs expériences dans des catégories isolées et prédéterminées, et la perspective intersectionnelle, qui demande une prise en considération des interactions entre ces catégories multiples qu’elle considère comme mutuellement constitutives » (Bilge, Roy, 2010 : 57). Même dans les cas où le cumul des discriminations semble évident, Unia incite à ne se baser que sur un seul critère, notamment quand les avocat·e·s peuvent s’appuyer sur une jurisprudence existante. Depuis peu, Unia a conscience de cet enjeu et l’a inclus dans son Mémorandum pour les élections 20191313. En ligne : htt (…) .

Voir et combattre les discriminations intersectionnelles, dans leur dimension structurelle ou systémique, est rendu d’autant plus difficile en l’absence d’objectivation sous la modalité de statistiques (Simon, Stavo-Debauge, 2004). Or cette dimension est essentielle, car elle « aide à mettre au jour le processus discriminatoire, c’est-à-dire l’ensemble du contexte qui a conduit à une telle situation » (Benthouami, Khadhraoui, 2018 : 19). Au niveau juridique, cette dimension structurelle a été intégrée par le biais de la notion de discrimination indirecte, qui vise des mesures neutres en apparence mais en réalité productrices de discrimination. Dans notre corpus, aucun signalement ne fait référence à la discrimination indirecte. Pourtant, des situations s’en approchent. Ainsi, l’utilisation de questionnaires médicaux pour accéder à une formation professionnelle ou à un emploi pourrait être considérée comme une discrimination indirecte, dans la mesure où ils peuvent être utilisés pour exclure des personnes ayant certaines pathologies1414. Une décision r (…) . La principale difficulté reste donc bien l’absence de données pour objectiver ces discriminations. Dans le champ du VIH, les tensions entre stigmatisation et défense des droits, entre révélation et invisibilité de la séropositivité sont toujours palpables (Pezeril, 2011).

Des formes de discrimination institutionnelle (qui découlent des habitudes, des normes ou des routines administratives quotidiennes des institutions) existent, mais ne font pas non plus l’objet de plainte. Certaines ambassades belges exigent un test de dépistage du VIH pour l’obtention d’un visa (la pratique est reconnue par les postes diplomatiques du Brésil, d’Argentine, de Thaïlande, du Congo et du Rwanda en 2000 suite à une interpellation parlementaire1515. Georges Dallem (…) , et ce malgré les directives officielles, qui seront réitérées en 20071616. Suite à une in (…) ), et des CPAS (Centre public d’action sociale) peuvent refuser ou compliquer l’accès à des aides, particulièrement à l’emploi1717. Par exemple, d (…) .

La notion de discrimination structurelle ou systémique se veut encore plus large et relève des « rouages de la (re)production des rapports de pouvoir structurels qui engendrent des groupes sociaux majoritaires et minoritaires » (Bereni, Chappe, 2011 : 16). Or l’approche juridique, en employant des critères neutres (tels le sexe ou l’état de santé), symétrise les discriminations, euphémise, voire nie les rapports de force entre groupes et dé-historicise les phénomènes sociaux qui président à ces discriminations (Tandé, 2013). Le seul cas où la justice belge s’est d’ailleurs emparée de la notion de discrimination multiple a été au profit d’un homme blanc (Benthouami, Khadhraoui, 2018). Ce « blanchiment de l’intersectionnalité » (Bilge, 2015) accentue ainsi la dépolitisation de la lutte contre les discriminations.

3. Où sont passés la classe, le sexe et la race ?

Pour mieux appréhender l’impact de l’intersectionnalité dans nos cas liés au VIH, il faut analyser de plus près les dossiers « emploi ». La majorité concerne un licenciement ou un non-renouvellement du contrat de travail, après une période de mise à l’écart, voire de harcèlement par un supérieur hiérarchique ou des collègues suite à la divulgation de la séropositivité. Or deux secteurs d’activité, racisés et genrés, ressortent clairement : celui de l’Horeca (Hôtellerie, Restauration et Cafés) touchant principalement les hommes (surtout cuisiniers) et celui des soins impliquant des femmes (souvent infirmières) ; toutes et tous étant d’origine ou de nationalité étrangère, essentiellement africaine. Notre enquête ne permet pas de généraliser, mais peut être mise en lien avec d’autres études. Hourya Benthouami et Rym Khadhraoui (2018) précisent que les travailleurs d’origine maghrébine, turque et subsaharienne se retrouvent plus souvent que les autres dans certains secteurs (services aux entreprises, intérim, nettoyage, bâtiment, Horeca, soins de santé) et dans des emplois peu reconnus et généralement hiérarchiquement bas. Selon Sarah Demart et al. (2017), les femmes afrodescendantes sont plus susceptibles d’être touchées par le chômage, l’ethnostratification du marché du travail, le cantonnement à des emplois précaires et peu rémunérateurs et la non-reconnaissance de leur diplôme, ce qui les rend particulièrement vulnérables au risque de déclassement professionnel. Ce « plancher collant » qui précarise certains travailleur·euse·s peut favoriser une rupture ou la fin d’un contrat intérimaire ou à durée déterminée à l’annonce du VIH. Il est frappant de constater qu’aucun·e requérant·e de notre corpus ne mentionne son sexe et son origine comme facteurs potentiels de discrimination dans l’emploi.

Il apparaît que les discriminations sexistes restent particulièrement dans l’ombre. Comme l’avait montré notre enquête précédente sur les conditions de vie des PVVIH en Belgique francophone (Pezeril, 2012), les discriminations sur base du sexe ou du genre sont les moins citées par les répondant·e·s (0,7 % de l’ensemble), loin derrière l’origine nationale ou ethnique ou la couleur de peau (22,7 %) et l’orientation sexuelle (12,1 %). Ce constat se retrouve dans l’enquête française ANRS-VESPA (Marsicano et al., 2014) selon laquelle les femmes séropositives témoignent de 4 à 10 fois plus de discriminations que les hommes séropositifs, bien que le sexe soit très rarement cité comme motif. Dans notre corpus, cette absence peut s’expliquer prosaïquement par l’existence de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, vers lequel sont renvoyé·e·s les requérant·e·s s’il est estimé que la discrimination a un caractère sexiste. Toutefois, la tendance à la sous-déclaration des discriminations sexistes est plus profonde et renvoie au « déficit de sensibilisation des femmes vis-à-vis des discriminations sexistes, renforcé par le discrédit qui pèse sur le féminisme » (Lesné, 2015 : 4). Ce phénomène de sous-déclaration témoigne d’une naturalisation des inégalités de genre qui les rend évidentes, compréhensibles et invisibles.

L’inégalité socioéconomique ou l’appartenance de classe est également peu mise en avant alors qu’elle alimente les discriminations (Crenshaw, 2005 [1991] ; Dubet et al., 2013). Notre enquête montre également que la probabilité d’être discriminé·e est beaucoup plus forte quand le rapport de force est institué (d’un employeur à l’égard de son employé par exemple) et quand la personne discriminée est dans une situation de précarité ou de pauvreté. Le contact avec Unia prend dans certains cas la forme d’un appel à l’aide, comme un dernier recours avant la « faillite » ou même la « mort » de la part de personnes en situation d’invalidité ou d’incapacité de travail, et donc de dépendance vis-à-vis de leur entourage, notamment en ce qui concerne le logement, la nourriture, les frais médicaux, etc. La capacité de résistance à la discrimination est aussi fonction des ressources (économiques, sociales, symboliques, etc.). Un homme, dont le compagnon a menacé de révéler sa séropositivité sur son lieu de travail, explique ainsi comment il a réussi à contrer la discrimination :

Bon, j’avais 30 ans de carrière derrière moi, j’ai chargé sur les problèmes psy de mon ami. Je n’ai pas été sanctionné. Mais si j’avais été ouvrier, ça aurait probablement changé les choses. Mais je connaissais des gens, je tutoie tout le monde au collège. (Homme belge né en 1958)

Sa position privilégiée sur son lieu de travail (due à sa position hiérarchique et son ancienneté) lui a permis d’éviter une « sanction ». De même, celles et ceux pouvant rémunérer un·e avocat·e sont plus susceptibles de négocier et d’obtenir un arrangement (sans même aller au procès).

L’invisibilisation de la classe peut être (rapidement) expliquée par divers phénomènes : 1/ elle n’est pas incluse dans les critères légaux de discrimination (même si en Belgique le critère de fortune pourrait s’y apparenter, il n’est pas utilisé dans ce sens) ; 2/ elle est souvent écartée des débats, voire opposée aux « identités » dans un faux dilemme entre égalité et diversité1818. Voir notamment (…)  ; 3/ elle n’a pas une base ontologiquement naturalisée, à la différence du sexe ou de la race qui semblent fonctionner comme des évidences biologiques pour la grande majorité (Yuval-Davis, 2006). Elle est donc moins revendiquée en tant qu’assise identitaire qui va de soi et elle tend historiquement à l’être de moins en moins du fait de la transformation des luttes sociales, comme le souligne Yuval-Davis, qui ajoute : « To be Black or a woman is not another way of being working-class, or even a particular type of working-class person » (2006 : 200). Autrement dit, les différenciations sociales n’ont pas les mêmes signification et histoire et produisent des effets différents, tant sur les subjectivations que sur les processus politiques de lutte contre les discriminations.

4. L’intersectionnalité de la sérophobie au-delà du VIH

La sérophobie touche deux groupes particulièrement vulnérables : les hommes homosexuels (sans précision de leur racialisation) et les femmes noires (sans précision de leur sexualité, même si le présupposé d’hétérosexualité domine), du moins ceux·celles désigné·e·s comme tel·le·s, car les discriminations ne sont pas liées à des caractéristiques intrinsèques des personnes mais bien à la manière dont elles sont perçues.

Il est indéniable que l’association entre sérophobie et homophobie est forte. Que ce soit à travers les représentations dans les médias, les discours de haine ou les vécus personnels, on retrouve l’équation : « homme homosexuel = séropositif ». Par exemple, un homme atteint d’un lymphome est harcelé par son voisin : « Celui-ci profère des insultes signifiant que puisqu’il est homosexuel, il doit avoir le sida et colporte ces informations dans le quartier », selon les notes d’un travailleur de Unia en 2012. Un couple d’hommes découvrira quant à lui « AIDS » tagué sur la façade de la maison, l’un d’eux étant connu dans le quartier en tant que militant LGBT. Il arrive que les personnes elles-mêmes utilisent ces inférences comme des tactiques de résistance. C’est le cas d’un homme victime de violence policière du fait de son homosexualité qui va prétexter avoir le sida pour tenter de faire cesser les coups. L’articulation séropositivité-homosexualité masculine est tellement évidente pour tout le monde qu’elle n’est à aucun moment questionnée. En ce sens, l’intersectionnalité entre sérophobie et homophobie va bien au-delà des discriminations liées au VIH et témoigne d’un imaginaire stigmatisant préjudiciable à l’ensemble des gays, qu’ils vivent ou non avec le VIH.

Le même mécanisme est à l’œuvre à l’égard des femmes noires, que la référence à la couleur de peau soit explicite ou qu’elle emprunte le détour culturel et parle de « femme d’origine africaine ». Dans ces dossiers, la question du sexisme n’est jamais posée alors qu’elle est manifestement centrale. C’est le cas d’une jeune femme qui contacte Unia pour demander une assistance en tant que victime de harcèlement suite à une rumeur au sein de son université affirmant qu’elle est séropositive, à partir d’une photo volée « de son intimité » circulant sur Internet.

Il ne se passe pas un jour sans que je sois stigmatisée par des gens, pour certains que je connais des cours, pour d’autres que je ne connais pas du tout, qui disent « c’est elle », « la honte », « il y a une photo de sa chatte sur Internet », « une photo de son vagin, ça s’est fait », « mais quelle salope », « en plus elle a le sida », « voilà HIV », « voilà SIDA », le tout suivi de rires. […] La rumeur est-elle liée au fait que je sois d’origine africaine ? […] Je suis parfois confrontée au racisme dans ma vie de tous les jours. Et maintenant, voilà que des gens menacent mon intégrité physique, psychique, prétendent que je suis atteinte du sida et me surnomment sida ou HIV. (Lettre de 2014)

L’incertitude plane sur l’origine de cette rumeur, elle s’interroge sur son lien avec le racisme, sans l’affirmer totalement. Un autre cas signalé à Unia l’exprime plus explicitement :

Sur base de ma couleur de peau, je suis de race noire, en quelques semaines d’intervalle, deux médecins urgentistes de [tel hôpital] m’ont collé l’étiquette d’HIV positive, l’un en écrivant dans mon dossier médical et l’autre en me montrant du doigt et en le criant devant tout le personnel médical de la salle de réanimation alors qu’aucun élément dans mon dossier ou aucune prise de sang n’a été faite pour prouver ces faits. J’appelle cela une discrimination. (Courriel de 2012)

Si l’histoire de la négrophobie en lien avec le VIH (voir Pezeril, Kanyeba, 2013) n’est pas la même que celle de l’homophobie, elle produit cependant la même logique de déduction de la séropositivité à partir de l’identification de l’orientation sexuelle et/ou de la couleur de peau. Le sexisme se manifeste par des mots d’insulte, « salope », dont le harcèlement commence par du revenge porn qui circule en ligne, l’un des derniers avatars du harcèlement sexiste. Les liens entre homophobie, racisme et sexisme seraient à approfondir, tant la dévalorisation des hommes gays passe par leur féminisation, l’homme en prison étant par exemple traité de « grande folle » à qui l’on aurait fait une « césarienne », alors qu’il venait d’être opéré de l’estomac. Les processus de subjectivations et d’assignation identitaires, bien qu’ils puissent se construire de façon autonome (Trawalé, 2017), mêlent toujours in fine diverses différenciations sociales.

Conclusion

Même si elle ne constitue pas une théorie unifiée mais plutôt un champ de recherche épars et transnational, la notion d’intersectionnalité oblige à prendre en compte la multiplicité des rapports de pouvoir, même s’ils sont invisibles et déniés par les personnes qui les expérimentent elles-mêmes. Il nous reste toutefois à dépasser la mise en équivalence ou symétrisation du triptyque « race, classe, genre » pour préciser ce qui produit chaque différenciation sociale et ce qu’elle produit en retour. Il nous semble qu’il y a un intérêt à ne pas définir a priori ni à présager des rapports sociaux les plus prégnants ou des groupes vulnérables, mais à se rapporter à l’objet et à la problématique donnés en évaluant comment les différenciations sociales s’articulent dans une configuration donnée.

Il est donc nécessaire de replacer les discriminations dans leur contexte, à la fois dans leur dimension collective et historique et dans les effets très concrets qu’elles ont sur les trajectoires individuelles, et notamment sur la santé des personnes discriminées. Elles constituent une rupture dans leur trajectoire, générant parfois une période de « crise » et de détérioration de l’état de santé (augmentation de la charge virale, infections opportunistes, dépression, etc.). Beaucoup, afin d’esquiver ou d’anticiper ces discriminations, adoptent une stratégie du silence, en ne divulguant pas leur statut sérologique. Or les recommandations actuelles de la politique de lutte contre le sida mettent l’accent sur, d’une part, la nécessité d’un état de santé stable et contrôlé (à travers le maintien d’une charge virale indétectable), dans la mesure où cela conditionne la qualité et l’espérance de vie des PVVIH ainsi qu’une rupture de la chaîne de transmission du VIH, et, d’autre part, l’importance de la dicibilité du statut sérologique et d’une discussion autour de cette question puisque cela a une incidence sur la mise en œuvre de pratiques de réduction des risques de transmission du VIH. Une lutte efficace contre la sérophobie, dans sa dimension intersectionnelle, est donc aussi une politique de santé publique.#

Bibliographie

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Yuval-Davis N. (2006), « Intersectionnality and Feminist Politics », European Journal of Women’s Studies, vol. 13, n° 3, p. 193-209.

1.

Docteure en anthropologie, professeure invitée, Université Saint-Louis – Bruxelles, Observatoire du sida et des sexualités, Belgique.

2.

La procédure fut plus complexe. Tout d’abord il fallait que la personne ait laissé son contact (mail ou téléphone) dans la base de données d’Unia, que ce contact soit toujours opérant (beaucoup de numéros n’étaient plus attribués) et qu’elle ait explicitement accepté d’être recontactée par Unia. Ainsi 39 personnes ont pu être contactées et 18 entretiens ont finalement pu avoir lieu. Pour des raisons de confidentialité, l’entretien était proposé par un·e travailleur.se d’Unia et, s’il était accepté, nous pouvions les recontacter personnellement. Pour une explicitation détaillée de la méthodologie, voir Pezeril (2017).

3.

Les guillemets indiquent d’une part que ce sont de potentielles victimes de discrimination juridique et, d’autre part, que la plupart refusent une victimisation associée à une passivité (« Je ne veux pas être vue comme une victime, je veux me battre ») ou à une demande de réparation individuelle alors que la démarche est souvent faite « pour les autres », dans une optique de justice sociale.

4.

La discrimination est une action pratique, un différentiel de traitement dans l’accès aux ressources (biens et services), alors que la stigmatisation fait référence à des jugements hostiles, à une action symbolique de dévalorisation et de déqualification d’un groupe ou d’une identité, aboutissant à la constitution de l’opposition Nous/Eux. Les deux ne se recoupent pas toujours et la stigmatisation n’est pas toujours le préalable ou la cause de la discrimination.

5.

L’intersectionnalité est aujourd’hui tellement utilisée que nous faisons le choix (difficile) de citer uniquement l’un des articles fondateurs de Crenshaw, l’un de Davis qui met l’accent sur l’effet de mode de cette notion et, enfin, une publication récente qui réfléchit à son utilisation/actualisation dans un cadre européen francophone.

6.

La suppression de la page est généralement la seule action mise en place (sachant que la disparition définitive d’un contenu est presque impossible sur Internet) ; ces dossiers se heurtant souvent à la liberté d’expression. « De plus, les cas susceptibles de faire l’objet de poursuites pénales sont souvent classés sans suite par le parquet » (Unia, Rapport Discrimination 2011, p. 20. URL : https://www.unia.be/fr/publications-et-statistiques/publications/rapport-annuel-2011-discrimination-diversite). En effet, seuls les délits de presse racistes sont correctionnalisés, ceux liés à d’autres critères, et notamment les convictions religieuses ou l’orientation sexuelle, relèvent toujours de la Cour d’assises, ce qui, selon Unia, « conduit à une impunité de fait des discours de haine islamophobes et homophobes » (Ibid.).

7.

Voir Minten D., Mahoux L. (2010), Mgr. Léonard – Gesprekken [Monseigneur Léonard – Conversations], Leuven, Lannoo.

8.

Voir également l’enquête d’Aides en France à ce sujet, Ces praticiens qui ont une dent contre les séropos, dossier de presse du 4 juin 2015. URL : https://vih.org/20150604/ces-praticiens-qui-ont-une-dent-contre-les-seropos/.

9.

En décembre 2011, la Belgique a été condamnée pour traitements inhumains par la Cour européenne des droits de l’homme pour le cas d’une Camerounaise détenue durant quatre mois dans le centre fermé pour demandeurs d’asile 127bis à Steenokkerzeel sans avoir accès à son traitement. Voir CEDH, 2e sect. 20 décembre 2011, Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique.

10.

Plus la charge virale est haute, plus le virus est actif et donc détruit le système immunitaire.

11.

En 2013, seules 1,6 % des demandes de régularisation sur la base de l’état de santé ont été délivrées. Voir Ligue des droits humains, Livre blanc sur la situation des étrangers gravement malades, 2015, p. 13. URL : http://www.liguedh.be/images/PDF/documentation/documents_thematiques/livre_blanc_9ter.pdf.

12.

La race est ici employée sans guillemets, car elle désigne un rapport social de pouvoir et de domination produit par un processus de racialisation. Bien évidemment, la « race » en tant que désignation biologique ou caractéristique intrinsèque n’existe pas, mais les effets de la racialisation sur les personnes racisées sont bien réels.

14.

Une décision récente au Canada va dans ce sens : le 13 février 2017, le Tribunal des droits de la personne reconnaît le caractère discriminatoire du questionnaire médical de préembauche du Centre intégré de santé et de services sociaux. Voir http://www.seronet.info/breve/discriminations-lembauche-au-canada-77808.

15.

Georges Dallemagne (PSC) et Vincent Van Quickenborne (Open VLD). Question orale lors de la séance du 16/11/2000 sur « l’exigence de production de résultats d’un test de dépistage du SIDA pour l’obtention d’un visa belge » (n° 2-259). URL : http://www.senate.be/www/?MIval=/publications/viewTBlokDoc&DATUM='11/16/2000'&TYP=handeen&VOLGNR=2&LANG=fr.

16.

Suite à une interpellation d’Unia en 2007, le ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht reconnaît « que nos postes diplomatiques et consulaires ne peuvent en aucun cas demander un tel test dans le cadre du dossier soumis pour étayer une demande de visa », assure qu’il enverra une circulaire à cet égard et conclut sur la nécessité de « garder à l’esprit le problème d’une éventuelle discrimination contre les personnes vivant avec le VIH » (lettre du 04/10/2007).

17.

Par exemple, deux femmes séropositives d’origine étrangère (en 2006 et 2008) sont réorientées par des assistants sociaux de CPAS soit vers un emploi à temps partiel, soit vers un autre secteur professionnel (aide-ménagère et non plus gardienne d’enfants) du fait du VIH, malgré les demandes des intéressées.

18.

Voir notamment Benn Michaels W. (2009), La diversité contre l’égalité, Paris, Raisons d’Agir, et la polémique qui a suivi cette publication.