Thomas C. Schelling et l’École française de sociologie de l’action collective
Thomas C. Schelling and the French Sociology School of Collective Action (Crozier, Friedberg, and Reynaud)
Erhard Friedberg11. Sciences Po, C (…)
[Résumé] Cet article est fondé sur une série d’entretiens menés par l’auteur avec Thomas Schelling en 1998, 2004 et 2009. Dans la première partie, l’auteur caractérise ce qu’il considère comme les traits saillants (un mode de raisonnement, un style de théorisation, un mode de recherche empirique…) de ce qu’il propose d’appeler « l’École française de sociologie de l’action collective ». Dans la deuxième partie, il utilise les extraits des entretiens menés avec Schelling pour documenter la proximité du cadre théorique et méthodologique de cette École avec nombre d’éléments qui caractérisent aussi l’approche de Schelling comme spécialiste de la négociation et analyste des dynamiques sociales, approche que Schelling lui-même a appelé « vicarious problem-solving ».
Mots clés : action collective, règles du jeu, négociation, régulation, individualisme méthodologique.
[Abstract] This article is based on a series of interviews that the author conducted with Thomas Schelling in 1998, 2004 and 2009. In the first part, the author presents what he considers to be the salient features of what he proposes to call the “French Sociology School of Collective Action (a mode of reasoning, a style of theorizing, an approach to empirical research). In the second part, the author uses excerpts from his interviews with Schelling to document the proximity of the theoretical and methodological framework of this school with a number of elements which also characterize Schelling’s approach to the study of negotiation and of social dynamics more generally, an approach which Schelling himself has labeled as “vicarious problem-solving”.
Keywords: collective action, rules of the game, negotiation, regulation, methodological individualism.
Introduction↑
La demande qui m’a été adressée d’écrire un article sur Thomas Schelling et le Centre de sociologie des organisations (CSO) m’a fait prendre conscience de ma familiarité ancienne avec l’œuvre de Schelling, familiarité qui me venait de mes années de formation dans ce centre. Rétrospectivement, je me suis rendu compte aussi à quel point cette familiarité était atypique dans le paysage sociologique français des années 1970 à 1990. Je l’ai d’abord et spontanément reliée à la nature de la réflexion qui s’est développée au CSO dans les années 1960 à 1975 sur l’organisation comme phénomène social, réflexion qui a accouché de ce que j’ai appelé l’École française de sociologie des organisations. Mais en approfondissant cette piste, il m’a semblé qu’il fallait élargir la perspective et parler d’une École française de sociologie de l’action collective, qui s’était peu à peu constituée dans les enseignements conjoints de Jean-Daniel Reynaud, d’une part, et de Michel Crozier et de moi-même, d’autre part, au sein de l’Association pour le développement des sciences sociales appliquées (ADSSA), devenue ensuite, en 1978, le DEA de sociologie de Sciences Po Paris22. En 1971, Reyna (…) .
Dans cet article, je voudrais dans une première partie décrire et documenter les caractéristiques qui à mon sens justifient le terme École française de sociologie de l’action collective et, dans une deuxième partie, montrer le parallélisme entre ces caractéristiques et les éléments centraux de la réflexion de Schelling, en utilisant, à cette fin, des extraits des entretiens que j’ai menés avec lui en 1998, 2001 et 2009.
1. La constitution d’une sociologie de l’action collective en France↑
Au milieu des années 1990, j’ai commencé à activement préparer le projet appelé « Les pères fondateurs de la théorie des organisations » dont l’objectif était de recueillir et filmer les témoignages des penseurs qui, par leurs contributions remarquées, avaient contribué au développement de ce champ. Ayant pu assurer les financements nécessaires grâce à un don important d’un grand cabinet de conseil33. Je voudrais ic (…) , j’ai entamé la réalisation du projet en 1998 avec une première liste de onze personnalités comprenant, le fait mérite d’être souligné, quatre économistes – Albert Hirschman, Charles Lindblom, Schelling et Herbert Simon –, dont deux prix Nobel d’économie44. Herbert A. Sim (…) .
L’inclusion dans cette liste55. Outre ces troi (…) de James March et de Herbert Simon, les deux auteurs de Organizations (March, Simon, 195#8), un classique de la littérature organisationnelle, n’est nullement surprenante. Quant à Hirschman (2014 [1957] ; 1965 ; 197#0), s’il était surtout connu pour ses travaux en économie du développement, sur l’apprentissage et le paradoxe de la main cachante ou sur les liens complexes entre l’exit, la prise de parole et la loyauté, ceux-ci semblent encore facilement transposables dans une réflexion élargie sur les organisations66. À mon grand re (…) . La présence de Schelling et de Lindblom, quant à elle, peut davantage étonner car ni Schelling ni Lindblom n’étaient ni ne sont particulièrement connus pour leur réflexion dans le champ de la théorie des organisations. Schelling (1960) s’est fait connaître pour ses analyses des conflits dans les relations internationales qui lui ont valu le prix Nobel. Lindblom (1959 ; 1965 ; 197#9), quant à lui, s’est fait remarquer par ses analyses des mécanismes de la décision et des processus de mise en œuvre des politiques publiques.
Pourtant, je me souviens bien que, au moment d’établir cette liste, je n’ai pas hésité une seconde tant il me paraissait évident que ces auteurs avaient contribué de manière décisive à la compréhension du phénomène « organisation » que je m’étais progressivement construite depuis mon recrutement au Centre de sociologie des organisations (CSO) en 1967. Rétrospectivement, j’aurais tendance à interpréter la composition de cette première liste (il y en a eu d’autres depuis) comme une expression de la socialisation professionnelle que j’avais reçue au CSO, socialisation plus interdisciplinaire que strictement sociologique, et ouverte notamment aux travaux américains en sciences politiques et en économie politique, ou Public Policy, domaine en développement rapide aux États-Unis dans les années 1960 et dont Schelling fait de toute évidence partie. Cette socialisation est elle-même représentative du climat intellectuel qui, dans les années 1960 et la première moitié des années 1970, caractérisait ce que Pierre #Grémion (2016) a appelé l’atelier Saint-Hilaire.
C’est au sein de cet atelier, devenu entre 1961 et 1974 le point de ralliement d'un groupe de jeunes chercheurs rassemblés autour de Crozier77. Catherine Ball (…) , qu’a été lancée une série d’études empiriques dans des organisations industrielles et des administrations publiques, ainsi que sur des processus de décision et de mise en œuvre des politiques publiques. Ces études, qui se sont étendues sur une dizaine d’années88. La majeure par (…) , tout autant que les échanges intellectuels et le développement conceptuel qu’elles ont induits, seront la matrice d’où sortira ce qui en France est connue comme l’analyse stratégique des organisations. Celle-ci constitue le noyau dur, mais pas unique, de ce que je propose ici d’appeler l’École française de sociologie de l’action collective.
L’adjectif « française » ne désigne pas les racines intellectuelles de cette approche pour l’analyse des organisations. À ses débuts, « l’analyse stratégique des organisations » a même été considérée comme une importation des États-Unis, et a été fortement critiquée pour cette raison même. Mais il est vrai que son développement est inséparable de la rencontre de Crozier avec les sciences sociales empiriques américaines des années 1950 et du début des années 1960, rencontre qui, à travers lui, a irrigué les recherches empiriques menées au CSO. « L’analyse stratégique des organisations » a emprunté à ces travaux plusieurs concepts clefs, pour les intégrer dans des traditions et un style de réflexion plus européens autour de la phénoménologie. Parler d’une École française de sociologie des organisations désigne en fait une manière très distinctive de conceptualiser et d’analyser les organisations, laquelle diverge clairement de l’évolution plus large que la discipline a connue aux États-Unis et en Europe occidentale pendant les années 1960 et 197099. Notamment lors (…) .
Cette manière est intimement liée à la perspective analytique initiale développée par #Crozier (1963) dans son œuvre fondatrice, Le phénomène bureaucratique. Celle-ci est elle-même une synthèse originale, et innovatrice à l’époque, de l’approche cognitive et behavioriste des organisations (initiée par Herbert Simon et son groupe au Carnegie Institute of Technology), de la sociologie des dysfonctions bureaucratiques de type mertonien (#Blau, 1955 ; Selznick, 1949 ; Gouldner, 1954 ; 1955), et de la conceptualisation du pouvoir comme relation développée à l’époque par Robert A. #Dahl (1957), Richard M. Emerson (1962) et Peter M. Blau (1964). Présentée dans la troisième partie du Phénomène bureaucratique, cette synthèse a pour l’essentiel fourni la matrice intellectuelle et le cadre analytique de la plupart des recherches empiriques réalisées au CSO pendant les années 1960 et au début des années 1970 dans des bureaucraties publiques et privées confrontées aux changements de leurs environnements et à la transformation de leurs missions.
Constamment questionnée et enrichie par les activités de recherche et d’enseignement conduites au sein du laboratoire1010. Sans souci d’e (…) , cette matrice a constitué le fondement d’une nouvelle synthèse qui a été présentée dans L’acteur et le système (Crozier, Friedberg, 197#7a ; 1977b). Mais c’est là l’histoire de « l’analyse stratégique des organisations » telle qu’elle s’est développée à partir du travail fondateur de Crozier sur la bureaucratie, se muant, du milieu des années 1960 au milieu des années 1970, en un paradigme de recherche pour étudier l’action collective. Ce paradigme, qui est inséparable des échanges intellectuels avec les sciences sociales américaines à travers les liens très étroits tissés entre Crozier et la côte est des États-Unis, et notamment l’Université Harvard1111. Il n’est pas i (…) , est ensuite devenu la marque du Centre de sociologie des organisations. Il constitue ce qu’on pourrait appeler le noyau dur de l’École française de sociologie de l’action collective. Cependant, celle-ci ne se résume pas aux travaux du CSO : pour en rendre compte réellement, il faut mentionner deux perspectives supplémentaires.
La première que nous ne mentionnerons qu’en passant, dans la mesure où elle est plutôt périphérique au sujet de cet article, est celle développée dans les travaux de Renaud Sainsaulieu, d’abord au CSO, ensuite avec son équipe au sein du LSCI (Laboratoire de sociologie du changement des institutions) dont il a été le fondateur1212. Cf. notamment (…) . La seconde perspective d’analyse était complètement indépendante du Centre de sociologie des organisations. Elle est attachée au nom de Reynaud et à son projet de développer une théorie de l’action sociale et du changement sur la base d’analyses empiriques du conflit social et de la négociation collective.
Reynaud est le fondateur de l’étude empirique du conflit social et de la négociation collective en France. Ses nombreuses recherches empiriques sur les conflits de travail lui ont permis de travailler très finement le thème de la négociation. Souvent appelé comme expert par les syndicats ouvriers tout autant que par les fédérations patronales, il a formé, dans son style quasi anthropologique, des générations d’étudiants à analyser les conflits sociaux, les grèves et les processus de négociation collective (#Adam, Reynaud, 1978).
Mais il a fait beaucoup plus : il a travaillé le concept de négociation, a affiné et approfondi notre compréhension conceptuelle et théorique du phénomène et l’a, en quelque sorte, transformé en un paradigme de recherche pour analyser et comprendre l’action collective et sa « régulation ». Une démarche qui n’est pas sans rappeler la manière dont l’analyse stratégique des organisations a fait de « l’organisation » un paradigme de recherche pour l’analyse de l’action collective et la structure sociale plus large.
En affinant son analyse de la négociation et du conflit social, ainsi qu’en approfondissant ses implications théoriques, Reynaud a progressivement formulé une « théorie de la régulation sociale ». D’abord esquissée dans une série d’articles, cette théorie a été ensuite pleinement formulée dans le livre Les règles du jeu, lequel a eu un impact important dans la communauté sociologique de langue française (#Reynaud, 1993 [1989]).
Certes, l’analyse stratégique des organisations (ASO) et la théorie de la régulation sociale (TRS) viennent d’horizons différents, explorent des objets de recherche différents, du moins en première approximation, et ont construit des synthèses théoriques séparées. Toutefois, elles ont constamment été en dialogue. Avec le recul, il semble parfaitement approprié de les associer car elles partagent nombre de traits dans leurs méthodes de recherche et dans leur compréhension des enjeux majeurs de la sociologie (des organisations, du conflit social et de la négociation collective, du changement organisationnel et social1313. Une mise au po (…) ).
En premier lieu, elles partagent un intérêt pour l’action collective entre individus interdépendants certes, mais dont on reconnaît aussi l’irréductible autonomie. Elles approchent le problème de la coopération à travers un paradigme de l’interdépendance incarnée par l’organisation ou par la négociation collective, l’une et l’autre conceptualisées comme des processus ouverts de construction, de maintien et de changement des « règles » du jeu social. D’une certaine manière, leurs champs d’exploration empirique respectifs n’étaient que des points d’entrée pour essayer de comprendre les processus de la construction, du maintien et du changement de l’ordre social ou de ce qu’on appellerait aujourd’hui les modes de gouvernance de l’action collective.
En deuxième lieu, on peut les rapprocher par leur style de recherche et leur mode de théorisation de moyenne portée à partir de la comparaison systématique d’études de cas qualitatives et approfondies portant sur des monographies organisationnelles ou de conflits sociaux. La comparaison systématique de ces monographies et la théorisation inductive des régularités repérées permettaient ensuite une montée progressive en généralité fondée empiriquement, un peu à la manière de Barney G. #Glaser et Anselm L. Strauss (1967) dans The Discovery of Grounded Theory, livre dans lequel la recherche empirique qualitative est présentée comme le moyen non pas de confirmer des hypothèses, mais d’explorer et de découvrir des structures et des régularités et d’en chercher des explications non pas dans des lois générales, mais dans des mécanismes et dynamiques de moyenne portée. Il ne s’agit pas de grande théorie, mais d’hypothèses interprétatives1414. Ce que Robert (…) ancrées dans un grand nombre d’investigations empiriques réalisées en profondeur, cherchant à expliciter et à approfondir les implications théoriques et pratiques des régularités empiriques observées.
Ce style de recherche renvoie à un engagement partagé pour l’importance et le caractère fécond d’une recherche empirique soutenue par une réelle ambition théorique, et à une préférence donnée à une méthodologie qualitative à base d’entretiens en profondeur, afin de rester proche du sens et des interprétations que les acteurs fournissent de leurs actions. Car, pour l’analyse stratégique comme pour la théorie de la régulation sociale, la théorie sociale doit être en résonance avec la signification que les acteurs donnent à leurs actions, et elle doit rester compréhensible pour eux.
Un troisième trait partagé par ces deux perspectives est leur vision, plus ou moins explicite, de la société comme une juxtaposition d’ordres locaux (de régulations sociales), partiellement contradictoires ou en tout cas imparfaitement intégrés, ce qui, de fait, introduit des incohérences dans l’ordre social, laissant ainsi une belle marge de manœuvre pour le changement, qu’il soit voulu ou non1515. J’ai toujours (…) .
Enfin, les deux perspectives partagent une vision commune du rôle de la sociologie comme instrument du changement. La sociologie doit être utile pour les acteurs dans la société, certainement pas en proposant directement des solutions, mais en proposant un « mode de raisonnement » (une manière de poser les problèmes), en fournissant de l’information sur le « comment sont/se font les choses » et en confrontant les acteurs intéressés avec leurs pratiques et avec les conséquences qui en découlent. Avant de théoriser, la sociologie, répètent ces deux perspectives, devrait toujours s’assurer qu’elle garde les pieds dans la réalité et qu’elle reste en phase avec la compréhension que les acteurs peuvent développer de leur action1616. On pourrait aj (…) .
2. Schelling et l’École française de sociologie de l’action collective↑
Cette description à grands traits des éléments constitutifs d’un paradigme de recherche qui me semble caractériser ce que j’appelle l’École française de sociologie de l’action collective permet de comprendre comment quelqu’un qui – comme moi – se situe dans ce paradigme se sente en terrain familier dans l’univers intellectuel de Schelling, tant semblent nombreuses les résonances, ou les « harmoniques » – terme utilisé par #Crozier (1963) dans un autre contexte. C’est ce que je voudrais maintenant illustrer dans la deuxième partie de cet article, en me servant notamment des entretiens que j’ai eu l’occasion de mener avec Schelling en 1998, en 2001 et en 2009 dans le cadre du projet mentionné plus haut.
Une première passerelle serait à chercher dans la notion de rationalité telle qu’elle est utilisée par Schelling :
Si une personne a un choix à faire et si elle en comprend les conséquences, si elle a un système de valeurs bien développé, si elle sait ce qu’elle veut et si elle est capable d’évaluer les conséquences probables de ses actes, alors on peut supposer que, dans l’ensemble, elle finira par choisir l’option qui maximisera la réalisation de ce qu’elle valorise. […] Si c’est ce qu’elle fait – c’est là que la théorie entre en scène – si c’est ce qu’elle fait, alors je dis que, si je connais ses alternatives et ses valeurs, je peux me demander ce que je ferais à sa place. Et cela nous amène à la prédiction de ce qu’elle ferait. Il ne s’agit de rien d’autre ici1717. Entretien avec (…) .
Schelling se situe clairement dans une perspective de choix rationnel1818. Cela ressort c (…) . Mais il entretient avec cette perspective un rapport décontracté et pragmatique – pour ne pas dire franchement utilitaire, voire heuristique. On pourrait dire qu’il l’utilise faute de mieux, parce que c’est pratique. On pourrait parler chez lui d’un rationalisme méthodologique sans aucune emphase philosophique et ouvert à tous les doutes justifiés par les difficultés et risques inhérents à une telle définition.
[…] L’idée d’une mémoire parfaite est une idée avec laquelle il est facile de travailler. […] Et il en va de même avec la rationalité parfaite. Si vous dites que les gens sont irrationnels, alors vous devez dire ce qu’il en est : sont-ils superstitieux, ou ne comprennent-ils pas la logique, ou ne connaissent-ils pas les mathématiques ? Vous comprenez ! Donc, la rationalité parfaite, l’information complète, c’est facile à utiliser. Et cela signifie que vous pouvez développer de nombreuses théories, vous obtenez beaucoup de résultats théoriques, sur la base d’un modèle très simple de choix humain, ou disons de comportement humain, parce qu’on peut sans doute relâcher l’idée qu’il s’agit de choix conscients, et ne parler que de comportements. Mais alors il est aussi important de reconnaître que l’intérêt de ce type de raisonnement, c’est qu’il vous donne beaucoup de résultats pour pas cher. C’est un mécanisme très puissant, qui vous permet d’aller loin, très loin, mais qui peut aussi vous faire dévier de la bonne route, qui peut vous faire commettre des erreurs grossières1919. Entretien avec (…) .
Schelling était conscient que l’action humaine est pleine d’irrationalités, au point que ses réflexions durant la dernière période de sa vie ont cherché à explorer ce qu’on pourrait appeler les « pièges de la rationalité », à mieux cerner les récurrences dans les biais de raisonnements des acteurs et à comprendre comment ceux-ci tentaient de se prémunir contre leur propre irrationalité2020. C’est là l’obj (…) .
Et à présent je passe plus de temps dans mes propres recherches à réfléchir sur des situations où il n’y a pas de choix rationnel et comment on peut prévoir des choix irrationnels, et comment on pourrait systématiser des formes d’irrationalité qu’on pourrait alors intégrer dans la théorie. […] Et ce qui m’a tout particulièrement intéressé ces vingt dernières années, c’est le fait que les gens sont capables d’anticiper leur propre irrationalité et se prémunir contre elle 2121. Entretien avec (…) .
Il me semble que le même rapport instrumental et pragmatique mêlé de scepticisme à l’égard du choix rationnel a caractérisé les enseignements au DEA de sociologie de Sciences Po, même si la notion de « rationalité limitée » telle que proposée par March et Simon (1958) restait le point de référence central et le point de départ du raisonnement. Cette notion est transformée ici en un outil méthodologique de recherche qui exige du chercheur qu’il se mette à la place des acteurs afin de reconstruire le sens de leurs comportements apparemment irrationnels, pour remonter, par ce biais, aux contraintes particulières des contextes immédiats d’action auxquelles renvoyaient les apparentes « irrationalités » observées2222. Pour plus de d (…) . La proximité avec ce que Schelling appelait « vicarious problem-solving » saute aux yeux.
Je pense que, dans les sciences politiques et même dans la sociologie, il existe la crainte que le [paradigme du] choix rationnel est une nouvelle méthodologie trans-courants [interdisciplinaire] envahissante, destinée à tout dominer. Et je pense qu’une fois que cette méthodologie a pu s’installer, le temps est venu pour redevenir critique et pour reconnaître que ce n’est pas toute la solution. Mais je pense aussi que pour l’essentiel, cela représente simplement le sens commun, que, pour l’essentiel, cela consiste juste à se demander comment je choisirais parmi les alternatives si j’avais une décision à prendre et si j’avais les objectifs que je perçois comme ceux de la personne considérée. J’appelle cela « vicarious problem solving »2323. Entretien avec (…) .
Une deuxième passerelle avec l’École de sociologie de l’action collective réside dans l’attitude de Schelling à l’égard de la théorie des jeux. Dès la fin des années 1950, ce dernier s’est intéressé à la théorie des jeux et l’a utilisée pour réfléchir notamment sur la question des négociations internationales : « […] L’essentiel de ma compréhension de la théorie des jeux ne venait pas du livre de John von Neumann et Oskar Morgenstern, mais de celui de R. Duncan Luce et Howard Raiffa2424. R. Duncan Luce (…) . »
Mais, de son propre aveu, Schelling ne se voyait pas comme un théoricien de la théorie des jeux, mais plutôt comme un simple utilisateur. On pourrait dire qu’il l’a utilisée comme un paradigme, comme un mode de raisonnement ou comme une hypothèse de recherche.
Plus tard, certains ont commencé à penser que j’étais un théoricien des jeux, mais j’étais un consommateur de théorie des jeux plutôt qu’un producteur. J’ai peut-être produit de la théorie, peut-être même un peu de théorie des jeux, mais pour l’essentiel je dirais que j’étais un théoricien du social et j’ai trouvé la théorie des jeux très utile. Mais je ne me suis jamais pensé comme un théoricien des jeux2525. Entretien avec (…) .
[…]
Il y a une définition dure et une définition molle de la théorie des jeux. La définition molle comprend la théorie des jeux comme l’étude de comportements interactifs, tout particulièrement dans des situations où les individus interagissent de manière consciente, anticipent les mouvements des autres et ainsi de suite. La définition dure se trouve aussi dans la première phrase d’un manuel de théorie des jeux d’un bon ami à moi de l’Université de Chicago : « La théorie des jeux est l’étude de modèles mathématiques de comportements interactifs. » […] Je pense que le monde est rempli de gens qui utilisent une théorie des jeux élémentaire, et qui ne considèrent pas que cela implique beaucoup de mathématiques2626. Entretien avec (…) .
Dès le milieu des années 1970, #Crozier (1976) avait abandonné le concept de « rôle » et l’avait remplacé par le concept de « jeu ». Celui-ci était également central dans les analyses des conflits menées par Reynaud. Mais, plus fondamentalement, la place centrale du paradigme du jeu dans la sociologie de l’action collective trouve son explication dans l’adoption de deux orientations théoriques et méthodologiques qui caractérisent tant les analyses de L’acteur et le système que celles de Reynaud, à savoir le paradigme interactionniste et l’individualisme méthodologique. Ce sont ces perspectives qui forment aussi le fond commun avec les analyses de Schelling.
Cette référence à la théorie des jeux est étroitement liée à une autre caractéristique de l’œuvre de Schelling : le caractère générique de son cadre d’analyse. Les concepts qu’il propose (la négociation tacite ou implicite, le point focal et d’autres) ne sont que des portes d’entrée pour réfléchir sur la coopération conflictuelle. Ils forment essentiellement un guide pour raisonner, une « manière de réfléchir » permettant de poser les bonnes questions et d’arriver à ses propres conclusions.
En 1961, j’ai publié un livre avec un collègue, Marc Halpern. C’était un petit livre avec pour titre Strategy on Arms Control. Il a eu une grande influence et il est encore abondamment cité aujourd’hui. Il ne se passe pas un mois sans que je ne voie une citation de ce livre quelque part. On l’appelle souvent « la bible du contrôle moderne des armements ». Ce qu’on a vraiment essayé de dire, c’était : « Voilà la manière de réfléchir sur le sujet. » Il n’avait aucune intention d’endoctriner ou de proposer une conclusion particulière. Son intention était de montrer la manière de réfléchir à la question2727. Entretien avec (…) .
Les analyses de Schelling comme celles de l’École française de sociologie de l’action collective n’ont pas cherché à établir des théories substantives de tel ou tel domaine de la vie sociale. Partant de la négociation, de l’organisation ou du conflit social, elles ont cherché à comprendre les dynamiques qui naissent dans un contexte d’action qui est générique, parce que simplement caractérisé par de l’interdépendance et de l’action collective. La question revient dès lors à comprendre comment les acteurs (les individus) s’arrangent avec leurs interdépendances et comment ils construisent les mécanismes (les modes de gouvernance) pour les gérer. Les théories n’énoncent pas le vrai ou le bon : elles permettent de poser des questions au terrain, à la pratique, en même temps qu’elles facilitent les rapports à la pratique et aux praticiens.
Quand j’étais à la Rand [Corporation2828. La Rand Corpor (…) ], j’ai réfléchi principalement sur la dissuasion, le contrôle des armements, la conduite de guerres limitées, la trêve, l’armistice, la négociation d’une reddition. Mais la raison essentielle pour laquelle j’étais invité et pour laquelle on m’appréciait était que mon intérêt pour la négociation pouvait atteindre une sorte de valeur générique pour tout ce qui touchait la politique des armes nucléaires.
[…]
« Supposez qu’une guerre nucléaire soit déclenchée, comment pourriez-vous réussir à l’arrêter ? », c’est une question de négociation. De quelles connaissances avez-vous besoin sur ce qui se passe, de quel type de communication avez-vous besoin avec l’autre côté (si vous savez qui est l’autre côté) et comment faire des propositions qui seront crédibles si vous arrivez à une entente, et comment piloter cela, comment contrôler cela, etc. […] Naturellement, cette réflexion se fait à propos de choses catastrophiques comme la conduite d’une guerre nucléaire. Mais, au plan conceptuel, ce n’est pas fondamentalement différent de la question de savoir comment sortir d’une dispute destructive et qui s’intensifie, spécialement si les événements arrivent trop vite pour être bien analysés, ce n’est pas différent de la question de savoir comment, dans une crise, trouver un moyen pour négocier. Comment proposer des choses qui ne soient pas obsolètes au moment où elles parviennent à l’autre côté ? Vous savez, dans une prise d’otages, le négociateur que la police envoie est aussi dans ce type de négociation. […]
Très vite j’ai réalisé que mon intérêt pour le marchandage et la négociation était une manière tout à fait appropriée pour réfléchir sur la guerre nucléaire… ou sur la manière de négocier des compromis d’armements qui rendent la guerre nucléaire moins probable2929. Entretien avec (…) .#
De telles analyses ne peuvent se bâtir sans une connaissance concrète et incarnée des contextes particuliers dans lesquels se déroulent l’action ou, mieux, les interactions. Il y a, chez Schelling tout autant que dans la sociologie de l’action collective, une volonté d’ancrer les analyses au niveau méso ou macro dans une compréhension des mécanismes qui se jouent au niveau micro dans les interactions entre individus concrets.
On comprend mieux ainsi l’aversion (pour ne pas dire le refus) de Schelling de théoriser sans avoir ce qu’il appelle « a lot of background information ». Sa théorisation se fait par un va-et-vient incessant entre le concret, le spécifique et le général, et relie intimement une variété des situations dont les régularités deviennent sources de connaissance et de théorisation. L’engagement (se rendre prévisible) est une notion centrale dans la théorie de la négociation de Schelling. Mais elle ne livre pas un mode d’emploi qui pourrait permettre l’économie de la connaissance concrète des contextes d’action.
Comme j’ai essayé de l’expliquer, si vous ne me dites pas exactement dans quelle situation on se trouve, de qui on parle précisément, s’il s’agit de diplomates ou de marchands de bestiaux ou d’autres personnes, si vous ne me donnez pas toute une série d’informations de détail sur l’arrière fond de la scène (background information), je ne peux vous répondre sur comment jouer avec l’engagement, à quel moment, et avec quelles chances de succès3030. Entretien avec (…) .
Dans les enseignements du DEA de sociologie de Sciences Po3131. Devenu après 1 (…) , l’accent a toujours été mis sur les études des terrains les plus variés – des contextes organisationnels ou inter-organisationnels, des scènes de politiques publiques, des scènes de conflits sociaux – et sur l’exigence toujours renouvelée d’ancrer la théorisation dans une connaissance intime et clinique de ces contextes dont seule la comparaison peut faire apparaître des régularités sous forme de convergences ou de divergences plus ou moins contre-intuitives, lesquelles pouvant ensuite être théorisées.
On comprend que cette théorisation, de part et d’autre, est d’un type particulier : elle cherche à comprendre (à interpréter) les régularités observées comme l’expression de structures émergentes, elles-mêmes analysées comme le résultat de processus d’agrégation, qui obéissent à des logiques multiples et hétérogènes, échappent toujours partiellement au contrôle des acteurs, et sont de ce fait vulnérables aux effets contre-intuitifs et pervers, allant à l’encontre des intentions des participants.
J’arrêterai là l’illustration non exhaustive des résonances ou « harmoniques » entre les réflexions de Schelling et de l’École française de sociologie de l’action collective. Ces résonances ne renvoient pas à une quelconque filiation qu’on pourrait documenter par tel ou tel écrit particulier. Elles témoignent plus largement d’une rencontre de démarches intellectuelles qui, sans s’ignorer, ont chacune suivi leur propre cheminement, aboutissant chacune à des styles de raisonnement dont la proximité est visible. Ce qui me semble former leur trait commun le plus significatif, et qui explique en bonne partie leur audience et leurs rapports avec la pratique, est le caractère générique de leurs théorisations et leur rapport flou – pour ne pas dire désinvolte – aux canons disciplinaires. Ce que ces styles partagent est une commune volonté de s’intéresser à des questions normalement considérées en dehors des confins de leurs disciplines ou domaines de recherche à strictement parler, et de voir des principes similaires à l’œuvre là où le commun des mortels ne serait sensible qu’aux différences.
Le dernier livre de #Schelling (1984) illustre à merveille cette liberté prise face à sa discipline scientifique. Dans sa préface, il écrit :
[…] On m’a demandé : « Qu’est-ce que l’économie politique ? » Deux types de réponses me viennent à l’esprit. Elles mettent les accents différemment. L’une serait : l’économie politique, c’est de l’économie dans un contexte de politique publique, où la politique publique est plus que l’économie, mais où le « plus » ne peut être séparé de l’économie. […]. La seconde réponse serait : cela consiste à travailler sur un ensemble de problèmes pour lesquels un économiste peut contribuer par des idées qui, sans offrir des solutions, peuvent aider à trouver une solution ou à mieux comprendre la structure des problèmes en question, même si ces problèmes eux-mêmes ne seraient pas normalement considérés comme relevant de l’économie. […]. L’économiste qui s’engage là-dedans normalement sera davantage intéressé par le « plus » que par ce qui relève de l’économie […]. Il tire sa satisfaction du problème dans son intégralité.
[…]
Et bien que, pendant de longues années, j’étais surtout préoccupé par des questions de sécurité nationale, je me suis facilement laissé attirer vers d’autres champs qui me semblaient obéir à des principes similaires (#Schelling, 1984 : vii-viii).
Bibliographie
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Sciences Po, CSO, France.
En 1971, Reynaud était étroitement associé à Michel Crozier (et Henri Mendras) dans la création de l’ADSSA, dont l’ambition était de contribuer à la construction d’un milieu de sociologues empiriques professionnalisés. Le programme long (15 mois de formation à l’origine) est devenu en 1977 le DEA de Sociologie de Sciences Po, au sein duquel Reynaud a coopéré étroitement avec Crozier, Friedberg et d’autres chercheurs du CSO. Ce DEA, à son tour, est a été transformé en 2004 en master recherche en sociologie de Sciences Po Paris
Je voudrais ici remercier chaleureusement les dirigeants de ce cabinet dont le soutien enthousiaste et le don aussi important qu’inattendu ont donné à l’époque l’élan initial sans lequel le projet n’aurait probablement jamais pu se réaliser.
Herbert A. Simon, prix Nobel d’économie en 1978, et Schelling, prix Nobel en 2005.
Outre ces trois économistes, notre première liste d’interviewés incluait aussi Chris Argyris, Peter Blau, Peter Drucker, Hirschmann, Paul Lawrence, James G. March, Charles Perrow, Philip Selznick et William F. Whyte. En tout le projet a duré de 1998 à 2013, et a permis la réalisation d’entretiens approfondis avec 31 sociologues et économistes européens et américains ayant marqué l’évolution de ce champ par leurs contributions. Pour la liste complète des interviewés et leurs biographies ainsi que de nombreux extraits de ces entretiens, le lecteur peut se reporter à #Friedberg (2011 [1998]), Encyclopédie multimédia de la théorie des organisations. En ligne, consulté le 1er Novembre 2019.URL : http://screeningorganisation.com/site/index.
À mon grand regret, et contrairement aux deux autres, Hirschman n’a jamais donné suite à ma demande d’entretien.
Catherine Ballé, Marie-Claire Bureau, Catherine Schmidt-Grémion, Pierre Grémion, Danièle Kergoat, Renaud Sainsaulieu, Jean-Claude Thoenig, Jean-Pierre Worms, rejoints après 1967 par Friedberg, puis par Jean-Louis Peaucelle, Alain Cottereau, Dominique Desjeux et Emmanuelle Reynaud.
La majeure partie de ce programme donnera lieu à une publication collective (#Crozier, Friedberg et al., 1974).
Notamment lorsque la théorie de la contingence structurelle a submergé le champ au plan international. J’en ai personnellement fait l’expérience lors de mon passage, de 1974 à 1979, au Wissenschaftszentrum de Berlin-Ouest, où j’ai pu me rendre compte de la distance qui séparait mes intérêts dans la recherche sur les organisations des intérêts de la plupart de mes collègues. Le caractère distinctif de l’École française s’est toutefois peu à peu estompé, au fur et à mesure de l’épuisement progressif des attraits de la théorie de la contingence structurelle en parallèle avec le développement de la théorie des réseaux et des approches néo-institutionnalistes, approches avec lesquelles elle partage certains éléments théoriques et méthodologiques.
Sans souci d’exhaustivité, les principaux travaux et réflexions qui ont jalonné cette période et qui ont nourri la nouvelle synthèse présentée en 1977 dans L’acteur et le système, étaient les suivants : Worms (1966) ; Grémion, Worms (1968) ; Peaucelle (1969) ; Grémion (1970) ; Friedberg (1978 [1972]) ; Thoenig (1973) ; Crozier, Thoenig (1975) ; Grémion (1976) ; Grémion (1979) ; Crozier, Friedberg (1979) ; Crozier et al. (1974).
Il n’est pas indifférent de noter que c’est aussi l’université où officiait Schelling, même si ces contacts se faisaient surtout par l’intermédiaire de Daniel Bell et de Stanley Hoffmann du Center for European Studies de Harvard.
Cf. notamment #Sainsaulieu (1973 ; 1977) et Francfort et al. (1995), un livre dans lequel sont synthétisés les résultats d’une longue série d’enquêtes empiriques.
Une mise au point est ici nécessaire. La notion d’École française de sociologie de l’action collective est une hypothèse personnelle, fondée sur ma longue collaboration avec Crozier et sur les multiples échanges avec Reynaud au sein du DEA de sociologie de Sciences Po, devenu plus tard une option du master recherche de sociologie de Sciences Po. Une telle hypothèse est une (re)construction de ma part, peut-être même ma projection. Il est possible, mais peu probable que Reynaud ne s’y reconnaîtrait pas : je n’ai pu le lui demander. Crozier, j’en suis sûr, aurait été d’accord avec cette reconstruction, comme sa longue collaboration avec Reynaud au sein du master recherche de sociologie tendrait à le suggérer. Et, de manière plus factuelle, celle-ci me semble se justifier par les résonances qu’on peut déceler dans les écrits et le style d’enseignement de l’un et de l’autre. En tout cas, j’ai personnellement fait l’expérience de cette complémentarité, et l’ai vue fonctionner concrètement au sein du 3e cycle de sociologie de Sciences Po. De 1977 à 2004, de nombreuses cohortes d’étudiants ont ainsi été formées à la sociologie de l’action collective dans les enseignements complémentaires de Reynaud d’un côté, et de Crozier et de moi-même, de l’autre.
Ce que Robert K. #Merton (1949) aurait appelé des théories de moyenne portée.
J’ai toujours été séduit par la métaphore de la machine de Tinguely utilisée par Reynaud pour caractériser la société, et je ne pense pas que Crozier y aurait vu quelque chose à redire.
On pourrait ajouter que ces deux perspectives ont partagé un engagement comparable dans et pour la construction d’un milieu de sociologues empiriques professionnalisés, qui croient en la théorie, mais tout autant en la nécessité de ne pas en rester aux opinions toutes faites et de se distancier d’options idéologiques pour pouvoir « aller voir par soi-même » comme Reynaud avait décidé de le faire dans sa jeunesse.
Entretien avec Schelling réalisé en automne 1998, à son domicile, trad. Friedberg. En ligne, consulté le 1er Novembre 2019. URL : http://screeningorganisation.com/site/index.
Cela ressort clairement de toutes ses publications, et notamment de son livre sur la négociation (Schelling, 1960) et les dynamiques interactives (Schelling, 1978), ainsi que de son dernier recueil d’articles (Schelling, 1984).
Entretien avec Schelling, 1998.
C’est là l’objet des articles réunis sous le titre Choice and Consequence (#Schelling, 1984).
Entretien avec Schelling, 1998.
Pour plus de détails, cf. plus particulièrement #Friedberg (1993 : 210-221).
Entretien avec Schelling, 1998.
R. #Duncan Luce et Howard Raiffa (1957) présentent une introduction conceptuelle sans modélisations mathématiques pour l’analyse sociale d’une série de phénomènes susceptible d’être étudiée à l’aide de la théorie des jeux.
Entretien avec Schelling, 1998.
Entretien avec Schelling réalisé en 2009, à son domicile, trad. Friedberg. URL : http://screeningorganisation.com/site/index.
Entretien avec Schelling, 1998.
La Rand Corporation est un organisme de recherche interdisciplinaire fondé et finance par l’armée de l’air américaine au début des années 1950. Il a eu une influence notable dans le développement des sciences sociales américaines. Au cours des années 1950, le département de sciences sociales de la Rand a notamment accueilli des années durant des économistes, sociologues et politistes dont les travaux ont ensuite profondément renouvelé les sciences de l’action américaines et aussi, dans leur suite, européennes. Son titre de gloire douteux est d’avoir été à l’origine de PPBS, Planning Programming Budgeting System qui a profondément transformé les modes de gestion publique au cours des années 1960.
Entretien avec Schelling, 1998.
Entretien avec Schelling, 2009.
Devenu après 1999 une option du master recherche en sociologie de Sciences Po.