Diabète des « immigrés » en France
Politique de lutte contre les inégalités sociales de santé ou discrimination ?
Rosane Braud11. Chercheure ass (…)
[Résumé] Depuis les années 2010 en France, une politique ciblée sur une catégorie d’« immigré » est organisée dans le cadre de la lutte contre les inégalités sociales face au diabète. À l’appui d’un terrain ethnographique en milieu hospitalier et d’une enquête par questionnaire, cet article interroge la manière dont ces actions ciblées interfèrent avec les mécanismes contribuant aux inégalités de santé. Après avoir analysé les contours et le sens donné à cette catégorie par les acteurs, l’article revient sur différentes formes de traitements différentiels observées. Le point de vue des malades concernés permet finalement de mieux saisir comment ces orientations politiques actuelles participent paradoxalement le plus souvent de la fabrique et du renforcement des inégalités.
Mots-clés : inégalités sociales de santé, discrimination, diabète de type 2, éducation thérapeutique du patient, relations interethniques.
[Abstract] Since 2010 in France, public health defined a target of “immigrants” to reduce social inequalities in diabetes mellitus. Based on an ethnographic work in hospital setting and a questionnaire survey, this article examines how these targeted actions interfere with the mechanisms leading to health inequalities. After analyzing the contours and meaning given to this category by the actors, the article returns to different forms of differential treatments observed. The patient’s point of view highlights how these current policies paradoxically participate in manufacturing and reinforcing these inequalities.
Keywords: social inequalities in health, discrimination, type 2 diabetes, therapeutic patient education, ethnic relations.
Introduction↑
En France, la thématique des inégalités sociales de santé émergea à partir des années 2000, sous l’impulsion de travaux scientifiques (Aïach, Fassin, 2004 ; Leclerc et al., 2000), et de la mise à l’agenda des organisations internationales (OMS, 2008 ; UE, 2009). En réponse à leur accroissement (HCSP, 2009), depuis les années 2010, elles sont devenues partie intégrante des préoccupations et de la rhétorique des politiques publiques nationales (Moleux, Schaetzel, Scotton, 2011 ; Potvin, Moquet, Jones, 2010). Notons cependant que la littérature désormais dense sur les déterminants sociaux de la santé porte principalement sur les écarts de santé entre les groupes socioprofessionnels et/ou selon les niveaux de revenus, en France. Les travaux portant sur les écarts de santé entre les groupes socialement différenciés par une ethnicité y sont beaucoup moins fréquents22. « L’ethnicité (…) . Par ailleurs, le sentiment de faire l’objet de préjugés ou de discrimination est particulièrement moins ressenti dans le champ de la santé que dans d’autres, comme les espaces publics, l’école, le travail ou les commissariats (Hamel, Lesné, Primon, 2014). D’autant que le système d’accès aux soins dit égalitariste en France (Carricaburu, Ménoret, 2004) et l’organisation ethnicisée du travail au sein des services de santé participent à cette invisibilisation (Braud, 2012 ; 2019)33. Terme faisant (…) . Pourtant, comme le soulignent les résultats de l’enquête « Trajectoires et Origines » (TeO), ces travaux sont l’occasion d’interroger les liens entre inégalités sociales et discriminations, et leurs enjeux sur les états de santé (Cognet, Hamel, Moisy, 2012).
Parmi ces traitements différenciés défavorables dans le champ de la santé, le refus de soin commence à être bien documenté par des travaux d’envergure nationale (Chareyron, L’Horty, Petit, 2019 ; Défenseur des droits, 2014). C’est moins le cas des autres formes de discriminations liées à l’origine pourtant repérées par Didier Fassin et ses coauteures dès 2001 : le retard aux soins, l’abaissement des normes de prise en charge, l’instauration de modalités culturellement spécifiques et l’expression ordinaire de sentiments racistes ou xénophobes (Fassin et al., 2001). Les travaux plus récents en la matière sont non seulement de type ethnographique, mais aussi essentiellement menés dans le champ du VIH-sida (Crenn, Kotobi, 2012 ; Gelly, 2018) et de la santé périnatale (Nacu, 2011 ; Prud’Homme, 2016 ; Sauvegrain et al., 2017). Si ces recherches réactualisent l’analyse des représentations et logiques d’actions des professionnels de santé dans la production des discriminations, l’influence des décisions politiques n’y apparaît, le plus souvent, que sous le prisme de la maîtrise des dépenses.
Or, depuis 2008, il est inscrit dans le droit que des actions dites « préférentielles44. L’article 1er (…) » peuvent être mises en place si elles permettent de réduire les inégalités sociales. C’est précisément ce que recommandent les autorités publiques depuis une dizaine d’années pour les maladies chroniques. En effet, en 2009, la loi Hôpital Patient Santé Territoire (HPST) introduit et généralise la pratique de l’éducation thérapeutique du patient (ETP55. L’ETP consiste (…) ) à tous. Mais face à l’augmentation du nombre de malades et à l’offre d’ETP hétérogène sur le territoire (Danet, Grémy, 2009), les agences régionales de santé (ARS), en charge d’en surveiller la qualité et l’efficacité, mènent depuis 2011 une politique ciblée sur des publics à la fois « précaires », mais aussi, de façon plus originale en France, sur des publics dits « immigrés » (Projet régional de santé, 2011). Ainsi, depuis le glissement du référentiel politique allant d’une question d’égalité de traitement et de lutte contre les discriminations (Fassin, 2002) vers une question d’égalité des chances et de promotion de la diversité (Noël, 2008 ; Simon, 2009), la définition des discriminations se complexifie : les traitements différentiels en santé sont-ils un moyen de lutte contre les inégalités ou une discrimination ?
Cet article analyse la manière dont les actions ciblées sur cette catégorie d’« immigrés66. Comme nous le (…) » interfèrent sur les mécanismes menant aux écarts de santé constatés dans le cas du diabète de type 2, pathologie pionnière en ETP en France dont la prévalence et les inégalités ne cessent de s’accentuer depuis les années 2000 (Morel, Lecoq, Jourdain-Menninger, 2012). Pour ce faire, nous nous appuyons sur une enquête de terrain menée auprès de deux équipes hospitalières parisiennes de diabétologie, dans le cadre d’une recherche doctorale (Braud, 2017). Des observations ethnographiques, à raison de 3 jours par semaine durant respectivement 8 et 12 mois, y ont été réalisées. Une attention particulière a été portée aux choix opérés par les professionnels de santé lors de la distribution des soins, tant médicamenteux avec les médecins, qu’éducatifs auprès des infirmières, aides-soignantes et des diététiciennes. En complément, 20 entretiens semi-directifs ont été réalisés, auprès de professionnels de santé afin d’explorer leur point de vue sur les catégories de malades et les formes d’adaptation du soin et leurs justifications77. Dont 8 avec de (…) . Vingt-sept personnes atteintes de diabète ont également été interrogées tant sur leur rapport à la maladie, à la thérapie et aux soins reçus, que sur les difficultés et solutions trouvées au quotidien de la vie avec un diabète88. Dont 21 sont n (…) . Afin de mieux situer ce matériau dans le paysage des pratiques réellement mises en place en France, une enquête par questionnaire a été menée dans différentes régions françaises (Paris, Val-d’Oise, Seine-Saint-Denis, Hauts-de-France, Doubs, Isère, Haute-Garonne) auprès des 11 structures de soins publiant ou communiquant sur le diabète des « immigrés ». Ce questionnaire a permis d’interroger 57 autres professionnels de santé sur les contours de cette cible de l’action publique et les pratiques leur étant dédiées99. Parmi les 57 p (…) .
L’article revient dans un premier temps sur la manière dont cette catégorie d’« immigrés » se présente dans l’action publique et prend sens chez les professionnels de santé enquêtés. Dans un second temps, nous décrivons certaines modalités du traitement différentiel – dont les incidences pour la santé peuvent aller de l’embarras au risque vital. Enfin, au-delà des risques pour la santé psychosociale et biologique, l’analyse du point de vue des malades concernés donne à voir la manière dont les inégalités sociales et discriminations s’articulent et se renforcent dans la production des écarts de santé.
1. Les contours de la catégorie cible : des orientations politiques aux pratiques des professionnels de santé↑
Les données épidémiologiques issues de l’étude ENTRED (Échantillon national témoin représentatif des personnes diabétiques) indiquent qu’après ajustement sur les critères médicaux et socioéconomiques, la prévalence du diabète traité pharmacologiquement ou non en France est estimée à 7,5 % chez les personnes âgées de 45 ans ou plus nées « en France », à 10 % chez celles nées dans un pays d’« Europe des 15 hormis la France » et 14 % chez celles nées dans « un pays du Maghreb » (Fosse, Fagot-Campagna, 2012)1010. Le modèle de r (…) . Cette surreprésentation des personnes nées hors de France souligne que les inégalités socioéconomiques n’épuisent pas tous les facteurs explicatifs des écarts de santé entre ces groupes sociaux. En ce qui concerne l’état de santé une fois le diabète diagnostiqué, les données sont plus rares, mais indiquent que les personnes nées à l’étranger ont un moins bon état de santé – notamment un moins bon niveau de contrôle de la glycémie, et une fréquence plus élevée de certaines complications du diabète – que celles nées en France (Fosse, Fagot-Campagna, 2011 ; Romon et al., 2006).
Si ces écarts sont connus en France depuis la fin des années 1990 (Varroud-Vial et al., 1999), ce n’est qu’à partir des années 2010 qu’ils vont être qualifiés d’inégalités sociales de santé par les autorités sanitaires, au moment de la préconisation d’actions ciblées sur une catégorie que nous avons nommée « immigrés-étrangers » pour résumer les différentes dénominations présentes dans les textes de santé publique, et souligner le caractère flou des contours de cette catégorie. Car leur analyse révèle qu’il s’agit, en pratique, de chercher à perfectionner le dépistage ciblé des « migrants/non-Caucasiens », de mettre en place des actions de promotion de la santé auprès des « personnes d’origine étrangère » pour éviter que le diabète ne se développe, et de proposer une prise en charge thérapeutique spécifique, une fois la maladie diagnostiquée, aux « personnes présentant des spécificités culturelles » pour éviter les complications du diabète1111. Les termes mis (…) . Contrairement aux données épidémiologiques qui s’appuient sur la définition de l’INSEE, il s’agit moins ici de personnes ayant connu une situation de migration vers la France, que de cibler des individus selon une identité ethnicisée (voire racisée). Les autorités publiques préconisent donc la mise en place d’un traitement différencié, sur un critère pourtant prohibé par la loi de lutte contre les discriminations, mais légitimé par l’objectif de lutte contre les inégalités sociales de santé.
Si l’objectif de cette stratégie ciblée apparaît légitime depuis l’évolution de la loi sur les actions préférentielles, encore faut-il qu’elle soit réellement bénéfique aux personnes concernées. Sans quoi cette politique de lutte contre les inégalités de santé se transformerait paradoxalement en politique discriminatoire. Ainsi, face au caractère flou des contours de la cible de l’action publique, l’analyse des discours et des pratiques des professionnels de santé est nécessaire, afin de savoir ce qui est concrètement mis en place.
Dans les deux services ethnographiés, les professionnels enquêtés mobilisent cette catégorie d’« immigré ». Elle renvoie de manière préférentielle à des personnes perçues comme originaires d’un pays en dehors de l’Europe des 25. Corroborant ce constat, l’enquête par questionnaire menée dans onze structures indique que plus de 75 % des soignants interrogés définissent et perçoivent les contours de cette catégorie de patients en mobilisant des ethnonymes (ou du vocabulaire s’y référant), tandis que seulement 12 % mobilisent des critères de statut sociopolitique, socioéconomique et/ou d’illettrisme. D’ailleurs, parmi les ethnonymes recensés, 42 % renvoient à celui de « Maghrébins », 29 % à « Africains » et 19 % à celui d’« Asiatiques », soulignant ainsi que ces professionnels de santé ne nous parlent pas de n’importe quels « immigrés ».
Ces ethnonymes sont associés à des pratiques socioculturelles spécifiques – tant en termes de religion, d’alimentation, de rapport au temps, de rapport à la santé, etc. – qui expliqueraient, selon les soignants enquêtés, les difficultés qu’ont ces malades à suivre la thérapie, et donc à maintenir un état de santé correct. On retrouve ces éléments dans de nombreux entretiens :
Nos patients étrangers, c’est différent. C’est plus dur avec eux. Ils vivent vraiment dans le présent, donc leur dire que la thérapie c’est pour éviter les complications dans l’avenir, ça n’a pas trop de sens pour eux. Donc ils ont plus de mal à faire ce qu’il faut. (Hakima, diététicienne, 5 ans d’expérience1212. Tous les noms (…) )
Bien que la langue, le niveau économique ou d’éducation émergent parfois des discours des soignants pour évoquer les barrières à leur intervention auprès de ces patients, ces critères restent largement sous-employés. C’est l’interprétation « culturaliste » (Fassin, 2001) qui domine, faisant de ces « immigrés-étrangers » des patients moins enclins à suivre la thérapie, en raison d’une culture appréhendée comme trop éloignée de la thérapie et de la médecine biomédicalisée. Et ce, quel que soit le parcours de chacun des individus inclus dans cette catégorie.
Notons que ces préjugés sont largement confortés et alimentés par le « récit différentialiste » (Braud, 2017) véhiculé par les autorités publiques qui, contrairement aux pionniers en ETP, justifient l’action ciblée en postulant que leurs pratiques socioculturelles les éloignent non seulement des dispositifs de soins biomédicalisés, mais aussi des « bons » comportements de santé (Morel, Lecoq, Jourdain-Menninger, 2012)1313. Pour ces pionn (…) . Face à cette interprétation, et dans le contexte hospitalier actuel de manque de temps et de moyens, les professionnels enquêtés ont ainsi tendance à devancer ce « problème » en triant les patients, et en « adaptant » la distribution des soins en conséquence (Gelly, 2018 ; Izambert, 2016 ; Prud’Homme, 2016).
Mais au-delà des contraintes liées aux restrictions budgétaires, de par cette politique ciblée, les professionnels enquêtés se voient également contraints d’adopter une lecture ethnicisée. Pour ne prendre qu’un exemple, comme d’autres, l’un des services enquêtés propose des groupes d’ETP ethniquement différenciés : un groupe dit « Maghreb », un autre nommé « Afrique », et un dernier dit « Mixte ». Ainsi, pour savoir s’il va orienter son patient dans l’un ou l’autre de ces groupes, le soignant se voit contraint d’opérer un processus de catégorisation ethnique de ses patients, qu’il adhère ou non individuellement à ces préjugés. L’organisation ciblée des soins encourage dès lors les soignants à penser en termes d’ethnicité et donc de différences ethniques. Ces mécanismes sont d’autant plus difficiles à contourner par les professionnels préférant « ne pas faire de différences » (Valérie, diététicienne, 15 ans d’expérience) ou « respecter une démarche éducative centrée sur l’écoute de la personne » (Q8Province, diabétologue, 25 ans d’expérience) que les programmes d’ETP doivent dorénavant remplir un cahier des charges strict incluant des critères spécifiques, notamment en termes de public cible, pour être autorisés par l’ARS1414. Le décret n° 2 (…) . Autrement dit, depuis les directives politiques ciblées, les représentations ethnicisées préexistantes des soignants qu’elles alimentent (face mentale) sont désormais légitimées et activées, y compris chez ceux qui ne les mobilisaient pas avant pour orienter le soin (face pratique) ou ceux qui s’y opposaient1515. Contrairement (…) . Cependant, une certaine latitude est laissée aux soignants puisque ces directives politiques ne précisent pas les modalités concrètes du traitement différentiel. L’analyse des pratiques des soignants, potentiellement variables d’une équipe à une autre, est donc nécessaire pour saisir les enjeux de ce ciblage sur les états de santé.
2. Les pratiques différenciées qu’implique l’interprétation culturaliste↑
Nos matériaux mettent en évidence deux grands types de traitement différencié dont les patients catégorisés comme « immigrés » sont le plus souvent destinataires : 1) des traitements différenciés qui modifient leur trajectoire de soins, avec des pratiques visant à les faire revenir plus souvent que les autres (rendez-vous de suivi supplémentaires, prescription médicamenteuse à 1 mois au lieu de 6, groupes d’éducation en santé alimentaire leur étant dédiés). Le format de cet article ne nous permet pas de développer l’ensemble des formes et pratiques de traitements différentiels observés au cours des investigations de terrain. Mais notons, concernant les groupes d’ETP, que la « cible » diffère d’un dispositif à un autre (« Maghrébins », « Africains », « Populations musulmanes », « Asiatiques », « Tamouls [Sri Lanka, Inde] » ou encore « Vietnamiens »), et participe à chaque fois d’une ethnicisation des pratiques alimentaires et potentielles difficultés de ces malades1616. Une partie de (…) ; 2) des traitements différenciés qui modifient la qualité des soins dispensés. Nous ne détaillons ensuite que les formes les plus fréquemment observées au cours de la relation soignant-soigné.
Ce second type de traitement différencié porte tout autant sur le choix du traitement médicamenteux opéré par les médecins que sur l’éducation thérapeutique mise en place par les infirmières et les diététiciennes. À l’instar de l’extrait d’entretien suivant, il est fréquent que les médecins n’exposent pas toutes les options médicamenteuses possibles, voire imposent une insulinothérapie au motif que le malade serait incapable de modifier certains comportements d’hygiène de vie, du fait d’« une culture trop ancrée » (Q9province, diététicienne, 1 an d’expérience). Ainsi, une diabétologue nous explique :
Tu sais, quand tu dis au patient « c’est soit vous changez votre alimentation, soit on passe à l’insuline », le calcul est vite fait ! Ils te disent tous qu’ils vont changer ! Mais est-ce qu’ils vont le faire ? […] C’est le cas de Mr Bendaoud cette semaine. Je doute vraiment qu’il suive un régime drastique […], parce que bon, on sait bien que certaines populations ont du mal à changer leurs pratiques alimentaires. Les diététiciennes te le diront mieux que moi, elles galèrent parce que y’a quand même des habitudes culturelles difficiles à changer. (Dominique, diabétologue, 2 ans d’expérience)
D’après le raisonnement poursuivi par cette soignante, contrairement à Monsieur Bendaoud, un autre patient catégorisé comme appartenant au groupe majoritaire, dans la même situation clinique et biologique que ce dernier, aurait pu ressortir de son hospitalisation sans insuline. Ainsi, le classement du malade dans un groupe social spécifique (processus de catégorisation) et les représentations associées à ce groupe (processus d’ethnicisation) conduisent à des a priori sur les capacités du patient à suivre la thérapie. Ces processus mènent non seulement à configurer les possibilités de négociation du patient de la thérapie proposée – le soignant présente ou non des options alternatives –, mais aussi à faire un choix différent de prescription médicamenteuse (insuline par injections plutôt qu’antidiabétiques oraux).
Les recommandations de bonnes pratiques (HAS, 2014) qui, dans une logique de prise en charge « globale », encouragent les professionnels de santé à explorer la « situation » biologique, psychologique et socioculturelle de la personne pour adapter la thérapie à chacun, rendent difficiles à percevoir ces pratiques fondées sur les représentations de ce que font ces malades plutôt que sur leurs besoins, préférences et réalités d’existence exprimés. Et ce, d’autant plus que les formes du traitement différencié varient d’un individu à un autre, et qu’il peut s’appuyer sur d’autres critères que l’ethnicité supposée. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons mené des analyses quantitatives complémentaires, qui confirment néanmoins que bien que tous les patients inclus dans cette catégorie d’« immigré » n’aient pas nécessairement accès à toutes ces formes de traitements différenciés, ils en restent les destinataires privilégiés1717. À partir d’un (…) .
Ce processus d’ethnicisation et d’imputation de compétences à agir sur sa thérapie et à prendre des décisions éclairées s’observe également lors de la distribution des soins éducatifs. Par exemple, une infirmière nous explique revenir aux informations « de base » avec ces patients :
C’est vrai que souvent avec eux, je leur dis : « Vous oubliez tout, on recommence au début avec de bonnes bases ! » Voilà, je répète sûrement des choses qu’ils connaissent déjà, mais ça ne leur fait pas de mal ! […] en plus, souvent ils disent savoir, mais ils ne font pas ce qu’il faut. Ils ne seraient pas là [à l’hôpital] aussi souvent sinon ! (Latifa, infirmière, 5 ans d’expérience)
Au-delà du climat de suspicion de non-observance, et du caractère infantilisant de se voir rappeler les règles de base en continu – d’autant qu’en moyenne les malades interrogés ont été diagnostiqués depuis 9 à 12 ans –, l’information transmise est trop générale pour répondre aux questionnements propres de chaque malade et à leurs difficultés réellement rencontrées au quotidien. Dans un contexte où les soignants n’ont « qu’à peine 20 minutes à consacrer à chacun » (Anne, infirmière, 7 ans d’expérience), le temps passé à revoir des informations déjà connues empêche d’aborder les sujets de préoccupations du malade.
En plus de l’inadaptation des messages transmis à leurs réalités de vie, les professionnels de santé enquêtés ont également tendance à tronquer les informations transmises. C’est souvent le cas pour les explications sur les adaptations des doses de médicaments, comme l’explique cette infirmière :
Non, avec Monsieur Traoré je ne rentre pas dans les détails des doses [de son insulinothérapie]. Ce qu’il faut c’est qu’il mange toujours la même chose, parce que sinon ça va l’embrouiller. Les chiffres tout ça, tu sais, les Africains sont moins à l’aise, plus approximatifs. Pour eux, tant qu’il y a un « 1 » virgule quelque chose, c’est que tout va bien. Mais bon, 1,8 [gr/l], c’n’est pas pareil que 1,1 [gr/l]1818. Les normes gly (…) ! (Yvette, infirmière, 25 ans d’expérience)
C’est aussi le cas en ce qui concerne les adaptations et équivalences alimentaires. Il est fréquent que les patients considérés comme « immigrés » aient accès à des messages en santé alimentaire différents des autres. Comme le souligne cette diététicienne :
Avec nos patients d’origine étrangère, y’a plein de croyances, c’est plus dur de les faire changer. Et comme ils ne cherchent pas à comprendre, non, là je vais droit au but. Je suis plus concrète. Je leur dis ce qu’il faut qu’ils mangent : « une viande, un légume, trois cuillères de riz ou pâtes, un yaourt et un fruit », point. C’est plus simple à retenir pour eux, que de leur dire : « Vous pouvez manger tant de grammes de sucre par repas, et tant de grammes de gras. » (Véronique, diététicienne, 15 ans d’expérience)
En d’autres termes, auprès de ces malades, il est fréquent que l’éducation thérapeutique se transforme en une prescription de comportements à adopter sans pour autant leur expliquer les alternatives possibles avec les doses de la thérapie, l’activité physique et l’alimentation. Ces pratiques transforment ainsi le projet d’autodétermination de l’éducation thérapeutique, auprès de ces malades, en projet d’observance (Braud, 2012).
3. L’articulation des traitements différenciés et des inégalités sociales↑
Ces traitements différenciés n’apparaissent pas toujours comme problématiques pour la santé de ces malades, d’autant qu’ils sont mis en place dans un objectif annoncé d’aide à ces patients. Pourtant, les entretiens menés avec les destinataires de ces soins dits « adaptés » révèlent leurs effets souvent délétères, et permettent de mettre en évidence deux processus par lesquels ils alimentent les mécanismes menant aux inégalités de santé constatées entre ces groupes sociaux.
Le premier processus fait de ces distributions des soins une pratique discriminatoire, dans la mesure où elles influencent de manière plus ou moins directe l’état de santé (biopsychosociale) des malades. En effet, en imposant un traitement médicamenteux – en particulier une insulinothérapie –, le principal risque est que le patient n’y adhère pas et qu’il ne la mette pas en place. Ce qui provoquerait un déséquilibre des glycémies et donc un plus mauvais état de santé. Dans ces circonstances, quand bien même le soigné s’y résoudrait, cette pratique peut toutefois avoir des incidences sur sa santé biologique, dans la mesure où la prescription ne prend pas en compte ses réalités de vie. Pour ne prendre qu’un exemple, Madame Aboudharam nous confie avoir des doutes sur sa capacité à mettre en place la thérapie prescrite au regard de son rythme de vie :
Maintenant je passe à l’insuline (silence). Ils m’obligent… Je sais que c’est pour moi, pour aller mieux, mais je n’sais pas si je vais pouvoir […]. Le matin je pars au travail tôt, et je n’mange pas. Quand je prends le médicament il y a trop de transport, après je tombe [dû à une hypoglycémie]. Alors je n’prends pas. J’arrive au travail, après faut travailler, alors pas de manger et pas de médicaments. C’est pour ça que je suis trop haut après […]. Comment je vais faire avec l’insuline ? […] si je tombe le matin je n’sais pas. (Française née Marocaine, en France depuis 18 ans, femme de ménage, diabète type 2 depuis 10 ans)
D’autant qu’en ne donnant pas toutes les informations utiles sur les adaptations possibles des doses du médicament et/ou des pratiques alimentaires, ces malades n’ont d’autres alternatives que de suivre, ou ne pas suivre la thérapie telle que prescrite. Les deux options ont néanmoins des incidences sur l’état de santé, puisque même dans le cas où le malade décide de suivre la thérapie stricto sensu afin de préserver sa santé biologique, c’est souvent sa santé psychosociale qui en pâtit. Par exemple, Madame Diallo nous dira :
Moi j’n’aime pas qu’être diabétique c’est différent. Moi je n’veux pas que les gens me regardent comme une handicapée. Je n’veux pas être mise de côté. (Ivoirienne, en France depuis 9 ans, sans profession, diabète type 2 depuis 10 ans)
Certains, comme Monsieur Maggi, finissent ainsi par renoncer à bon nombre d’invitations et mettre en péril leurs liens sociaux pourtant nécessaires à l’estime de soi :
Il y a des amis qui m’invitent, mais je refuse. […] Quand je dis : « Je n’mange pas », et bien c’est mal pris. Y’en a qui comprennent pas pourquoi y’en a qui mangent et d’autres qui mangent pas. Y’en a qui se fâchent parce qu’on n’goûte pas, parce qu’on n’participe pas. Alors moi je refuse carrément. (Français né Comorien, en France depuis 20 ans, agent de nettoyage, diabète type 2 depuis 12 ans)
Ce déséquilibre de la vie psychosociale est rarement pris en compte. Pourtant, dans les entretiens menés, la famille et les proches apparaissent comme les principaux leviers de motivation à continuer à prendre soin de soi, et donc à maintenir un niveau de santé minimum pour pouvoir continuer leurs activités sociales.
Au-delà de leur santé biologique et psychosociale, le second mécanisme révélé par les entretiens menés avec ces malades porte sur les inégalités sociales qui se reproduisent « par omission » (Lombrail, Pascal, Lang, 2004). En effet, en adaptant la distribution des soins à des pratiques socioculturelles plus supposées que déclarées par les malades, ces actions ciblées ont tendance à passer sous silence les inégalités socioéconomiques, qui pourtant émergent des entretiens avec ces malades comme les principaux freins au suivi de la thérapie. Certains soulignent les difficultés économiques qu’ils rencontrent pour mettre en place les comportements alimentaires tels que recommandés, notamment Monsieur Bendaoud :
Si tu veux tout bien faire, ça coûte cher, parce que les trucs sans sucre sans gras, c’est ce qui coûte le plus cher […]. On n’a déjà pas beaucoup d’argent… entre ça et tous les appareils à acheter, mmhh… Faut pas croire 100 %, oui, mais faut payer ! Ils n’remboursent pas tout, non, c’est que certaines choses1919. Au moment de l (…) . Au final, c’est compliqué avec le portefeuille. (Marocain, en France depuis 38 ans, ouvrier retraité, diabète type 2 depuis 11 ans)
D’autres mettent en évidence l’inadaptation des conseils donnés à leurs conditions de travail qui complexifient le suivi de la thérapie, tout comme leur situation administrative et économique. Par exemple, Madame Taïeb explique :
Pour tout faire comme ils disent : le traitement à heures fixes, manger toujours la même chose, faire le pic du doigt [contrôle glycémique], faudrait que j’arrête de travailler parce que je suis cuisinière dans un restaurant […]. Mais si j’arrête de travailler, j’n’ai plus de quoi vivre, parce que je n’ai pas assez cotisé ici. Et si je retourne [au Maroc], je n’pourrais plus me soigner parce que là-bas faut tout payer. (Marocaine, en France depuis 39 ans, cuisinière, diabète type 2 depuis 6 ans)
À l’instar des rares travaux quantitatifs sur le déclassement et l’appauvrissement des personnes atteintes de diabète en France (Detournay, Robert, Gadenne, 2013 ; Dray-Spira, 2013 ; Herquelot et al., 2011), la majorité des malades enquêtés déclare rencontrer des difficultés financières depuis le diagnostic de diabète, et/ou qu’elles se sont dégradées depuis lors. Cependant, cumulant inégalités sociales, non reconnaissance de leurs diplômes et discriminations à l’embauche, les malades interrogés se retrouvent le plus souvent dans des emplois manuels et peu rémunérateurs (aide à la personne, magasiniers, routiers, cuisiniers) qui participent à la dégradation de leur état de santé puisque les glycémies varient selon l’intensité de l’activité physique et les prises alimentaires, que l’inadaptation de la thérapie prescrite ne permet pas de combler.
C’est également l’offre alimentaire et leurs conditions de logement (souvent exigu et précaire) qui émergent des entretiens comme sources de difficultés supplémentaires à gérer leur vie avec la thérapie du diabète telle que prescrite, comme l’exprime Monsieur Boukha :
C’est que ce que dit la diététicienne, c’n’est pas si facile à faire. Ça paraît simple : pas manger le sucre, pas manger le gras, manger le légume… Facile ! Mais en fait, quand tu regardes derrière les paquets tu vois, y’a du sucre partout ! […] les trucs sans sucre, sans gras c’est trop cher. Alors faut cuisiner. Mais le problème c’est qu’il faut du temps et de l’espace. J’ai qu’une plaque [dans le foyer], donc c’n’est pas évident. (Algérien, en France depuis 39 ans, ouvrier retraité, diabète type 2 depuis 7 ans)
Ces extraits d’entretiens soulignent l’inadaptation des conseils donnés aux conditions de vie réelles de ces malades. Peu explorées par les soignants, leurs réalités d’existence sont pourtant particulièrement marquées par des inégalités socioéconomiques préexistantes à l’apparition du diabète, qu’il ne fait que renforcer.
Conclusion↑
La distribution différenciée des soins sur un critère d’ethnicité participe le plus souvent à reproduire des inégalités sociales préexistantes à l’origine des écarts de santé constatés, mais aussi à en produire, via une distribution des soins de moindre qualité. Jusque-là parfois expérimentées et discutées entre professionnels, ces pratiques sont désormais légitimées et généralisées par les directives politiques ciblées. Cependant, telles qu’observées en pratique, elles agissent moins sur les déterminants des inégalités sociales de santé qu’à enjoindre les moins favorisés à adopter les comportements du groupe majoritaire (car moins touché par la maladie), sans pour autant leur donner les moyens réels d’y parvenir. L’interprétation culturaliste légitimée par ces directives politiques participe ainsi à faire passer l’ETP d’un objectif historique d’adaptation de la thérapie aux conditions de vie de chacun (pour en garantir l’accès à tous [Assal, 2002]), à un objectif d’adaptation de la thérapie aux compétences (réelles ou supposées) du malade à suivre une thérapie type.
Au début des années 2000, Fassin (2001) appelait à une meilleure prise en compte des spécificités de la situation des immigrés en France – tant administratives, juridiques, que liées à leur parcours migratoire et aux discriminations du quotidien – pour contrer le culturalisme. Pourtant, une dizaine d’années plus tard, alors que les autorités publiques en font un public cible dans le cadre de la lutte annoncée contre les inégalités sociales de santé, l’interprétation culturaliste se maintient. Désormais portée par l’idée d’égalité des chances appliquée au champ de la santé, cette interprétation permet de transformer les inégalités objectivées en différences de santé « acceptables » puisque lues comme relevant de choix individuels de comportements. Or, prescrire une thérapie incompatible avec leurs réalités de vie revient à faire de ces malades de perpétuels « inobservants », « incompétents à la prise de décision en santé », voire des « inéducables » comme nous avons pu l’entendre sur nos terrains. La dimension politique des difficultés rencontrées au sein de la relation de soins ne doit donc pas être sous-estimée dans les mécanismes de production des inégalités et discriminations en santé.
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Chercheure associée, Université de Paris/Paris Diderot, URMIS, France.
« L’ethnicité est une forme d’organisation sociale basée sur une attribution catégorielle qui classe les personnes en fonction de leur origine supposée et qui se trouve validée dans l’interaction sociale par la mise en œuvre de signes culturels socialement différentiateurs » (Poutignat, Streiff-Fenart, 1995 : 154).
Terme faisant référence au processus d’« ethnicisation » ici entendu comme processus de mise en saillance des traits culturels, c’est-à-dire des situations où l’ensemble des autres déterminants sont minimisés, voire occultés, pour réduire la question à un problème culturel. Ce processus devient « racisation » lorsque ces traits sont naturalisés, devenant irréversibles (Guillaumin, 2002 [1972] ; de Rudder, Poiret, Vourc’h, 2000).
L’article 1er de la loi 2008-496 du 27 mai 2008 portant sur la lutte contre les discriminations prévoit une exception à l’usage des critères prohibés par la loi (25 à ce jour) : « […] à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. »
L’ETP consiste à transmettre des savoirs au malade – tant sur la maladie que sur la thérapie et/ou sur les mécanismes biologiques – pour aider le malade à développer les compétences nécessaires à faire des choix de santé par et pour lui-même, selon les situations qu’il rencontre au quotidien (Deccache, Assal, d’Ivernois, 1998 ; HAS, 2007).
Comme nous le développerons dans le premier point, les guillemets sont ici nécessaires, car la définition donnée par les enquêtés à cette catégorie d’« immigrés » ne renvoie pas à celle de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) : « Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. Les personnes nées françaises à l’étranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilisées. À l’inverse, certains immigrés ont pu devenir français, les autres restants étrangers. »
Dont 8 avec des médecins, 4 avec des diététiciennes, 7 avec des infirmières et 1 avec une cadre de santé.
Dont 21 sont nés étranger à l’étranger (parmi lesquels 6 ont acquis la nationalité depuis leur arrivée en France). Parmi ces malades immigrés (au sens de l’INSEE), de pays de naissance divers (Ukraine, Espagne, Portugal, Comores, Maurice, Côte d’Ivoire, Mali, Algérie, Maroc, Tunisie), 14 sont des femmes, et la majorité vivent en France métropolitaine depuis au moins 5 ans (et 13 y vivent depuis plus de 30 ans).
Parmi les 57 professionnels volontaires pour répondre à ce questionnaire, 12 sont médecins, 23 des diététiciennes, 18 des infirmières, 3 des aides-soignantes et 1 cadre de santé.
Le modèle de régression inclut les facteurs liés aux comportements individuels (alimentation et sédentarité), les facteurs biologiques (âge, durée de la maladie, maladies métaboliques et cardiovasculaires concomitantes) et le niveau socioéconomique (catégorie socioprofessionnelle ou régime de sécurité sociale) (Fosse, Fagot-Campagna, 2011).
Les termes mis ici entre guillemets sont lisibles dans différents rapports d’institutions publiques, notamment celui de l’ANAES (Boulnois-Lagache et al., 2003) ; de l’ARS dans son schéma stratégique (Projet régional santé, 2011) ; de l’IGAS (Morel, Lecoq, Jourdain-Menninger, 2012), ou dans les recommandations de la HAS (2014).
Tous les noms et prénoms présents dans l’article ont été modifiés afin de garantir l’anonymat des enquêtés. Cependant, autant que possible, le caractère sociologique de ces informations, en termes d’indicateur d’âge, d’origine culturelle et sociale et de sexe (Coulmont, 2011) a été respecté dans le choix des pseudonymes.
Pour ces pionniers, la principale difficulté est une incompatibilité de la thérapie type avec les réalités d’existence, en particulier celles des plus défavorisés (y compris des immigrés) qui doivent faire face à des contraintes plus importantes (de logement, d’emploi, de ressources économiques et matérielles, de relations sociales stigmatisantes, de charges familiales, etc.) du fait des inégalités (Assal, 2002).
Le décret n° 2010-904 du 2 août 2010 relatif aux conditions d’autorisation des programmes d’ETP réglemente la prise de décision des ARS d’accorder ou non leur autorisation selon différents critères : l’offre d’ETP sur le territoire, le public cible (prioritaire ou non), les objectifs poursuivis et modalités d’organisation, les qualifications de l’équipe (composée d’au moins deux professions différentes et d’un médecin), les ressources prévisionnelles de financements.
Contrairement au discours culturaliste porté par les représentants des autorités publiques, d’autres interprétations des déterminants des inégalités face au diabète existent chez les soignants. Bien que minoritaires, certains d’entre eux estiment que les difficultés de suivi d’une thérapie type ne peuvent être réduites à une question d’habitudes socioculturelles, ni à un problème d’éducation (ou de compréhension, voire de capacités cognitives) ou d’une question de motivation du patient (Chambouleyron et al., 2013). Ils soutiennent, à l’appui des récits de leurs patients, que la thérapie type est difficilement réalisable au quotidien de la vie dans une société conçue pour les bien-portants. D’où leur insistance pour adapter la thérapie aux réalités individuelles et difficultés rencontrées par chacun (et non à un groupe social particulier), plus que de chercher à adapter les pratiques de l’individu à sa thérapie (Lacroix, Assal, 2011 [1998] ; Simon et al., 2009).
Une partie de ces éléments a déjà fait l’objet d’une publication (voir Braud, Romand, 2010).
À partir d’un échantillon empirique de 200 observations systématisées des séances d’éducation en santé alimentaire, ce travail d’analyse quantitative montre qu’après ajustement sur les critères médicaux, socioéconomiques et interactionnels, les patients catégorisés comme « immigrés » par les soignants ont plus souvent accès à des conseils alimentaires en décalage avec les pratiques alimentaires qu’ils déclarent : les « Maghrébins » ont ainsi 2,7 fois plus de probabilité (Exp(B)=2,715***), et les « Africains » 2,2 fois plus (Exp(B)=2,201*) de se voir proposer des conseils en décalage avec leurs pratiques réelles déclarées. Ils se voient également plus souvent écourter la durée de l’échange avec la diététicienne (Exp(B)=3,092***), et être destinataires de conseils alimentaires délivrés de manière prescriptive (Exp(B)=3,414***) plutôt qu’explicative (Braud, 2017).
Les normes glycémiques peuvent varier selon les cas, mais le plus souvent elles doivent être comprises entre 0,65 et 1,10 grammes/litre de sang avant les repas, et être inférieures à 1,80 grammes/litre en postprandial.
Au moment de l’enquête, la prise en charge à 100 % ne couvrait pas les dépassements d’honoraires, les pathologies concomitantes hors affection de longue durée (ALD), les lecteurs de glycémie chez les diabétiques de type 2 non insulinés, le forfait de 1 euro et la franchise de 50 centimes d’euro obligatoires, le forfait hospitalier de 18 euros et les bandelettes d’autosurveillance glycémique au-delà de 200 par an pour les non-insulinés.