Quelle place pour la recherche
dans l’apprentissage des métiers
de la communication ?
Patrice de La Broise, Professeur,
Sciences de l’Information et de la Communication,
Université de Lille, GERiiCO,
patrice.de-la-broise@univ-lille.fr
Olivia Foli, Maîtresse de conférences,
Sciences de l’Information et de la Communication,
Sorbonne Université CELSA, GRIPIC,
olivia.foli@sorbonne-universite.fr
Erika Léonard, doctorante,
Sciences de l’Éducation,
Université de Lille, CIREL,
erika.leonard.etu@univ-lille.fr
Céline Matuszak, Maîtresse de conférences,
Sciences de l’Information et de la Communication,
Université de Lille, GERiiCO,
celine.matuszak@univ-lille.fr
Marie-Ève Saint-Georges, docteure,
Sciences de l’Information et de la Communication,
Université de Lille, GERiiCO,
marie-eve.saint-georges@univ-lille.fr
Quelle place pour la recherche dans l’apprentissage des métiers de la communication ? 15
Résumé
Sur la base d’une étude conduite en collaboration avec le CFA Formasup en région
Hauts-de-France, il s’agit d’observer ce que « la recherche fait à l’apprentissage »
et, réciproquement, ce que « l’apprentissage fait à la recherche » dans la diversité
des projets pédagogiques en Sciences de l’Information et de la Communication et
des besoins en recherche exprimés par les structures d’accueil. En bref, il s’agit
d’apprécier les formes et la valeur ajoutée de la recherche dans les dispositifs de
formation à la communication par voie d’apprentissage.
Mots-clés : professionnalisation, apprentissage, recherche, formation, communi-
cation.
Abstract
On the basis of a study conducted in collaboration with Formasup in the Hauts-de-
France region, the aim is to observe what “research does to learning” and, conversely,
what “learning does to research” in the diversity of educational projects in the eld
of information and communication sciences. In short, it is a question of appreciating
the forms and the added value of the research in the devices of training to the
communication by way of learning.
Keywords: professionalization, learning, research, training, communication
16 Inuences croisées entre pratiques et recherches en communication des organisations
Notre étude vise à interroger l’opportunité d’une professionnalisation par la
recherche en communication plus certainement que les tensions épistémologiques entre
chercheurs et praticiens. De même, la propension des communicateurs à mobiliser les
acquis scientiques dans l’accomplissement de leur(s) métier(s) est ici appréciée à
travers le prisme de formations universitaires par voie d’apprentissage où alternent les
séquences professionnelles et académiques. Cette alternance n’est pas rare dans une
université où les incursions, ponctuelles ou prolongées, des étudiants dans la sphère
professionnelle sont au programme de leur cursus. Cela étant, une immersion durable,
assortie de missions opérationnelles ou stratégiques, aecte nécessairement les
modalités d’une professionnalisation dont les cadres d’accomplissement sont réputés
complémentaires mais, ce faisant, distincts.
Inspiré par une étude conduite en région Hauts-de-France sur la place de la
recherche dans les formations par voie d’apprentissage de l’Enseignement Supérieur
1
,
notre propos vise à discuter la réciprocité des apports entre l’entreprise et l’université
dans des cursus où la professionnalisation des apprentis ne se départit pas de la
recherche, fût-ce à titre initiatique. Dans ces cursus, le choix et la construction d’un
objet de recherche sont motivés par le cadre d’exercice, l’activité, les dispositifs et
processus de communication observables en situation d’apprentissage. La question
de recherche est d’inspiration professionnelle ; sa problématisation est universitaire.
Or, cette dialectique est aussi l’objet d’une confusion fréquente entre les attendus de
la recherche et ceux de l’action ; confusion d’autant plus probable que la recherche-
action (ou recherche-accompagnement) s’est progressivement imposée comme un
modèle de compromis entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Mais plus
encore, les écrits de recherche produits en complément, substitut ou prolongement de
« rapports d’apprentissage » ou encore de « mémoires professionnels », dont il con-
viendra d’analyser la nature, contribuent-ils à éprouver une posture singulière de
professionnel ? Plus largement, se peut-il que la recherche, en tant que mission cardinale
des universités, constitue encore une valeur ajoutée de la professionnalisation ?
Notre propos analyse la place de la recherche pour l’étudiant-apprenti placé dans un
système d’action, et donc de représentations et d’objectifs, au conuent de l’entreprise
et de l’université. À travers diérentes expériences, il s’agit d’apprécier la dynamique
et les enjeux d’une professionnalisation par la recherche. L’hypothèse d’une valeur
ajoutée de la recherche dans l’apprentissage et, réciproquement, de l’apprentissage
pour des formations universitaires nous conduit ainsi à rendre compte des points de
vue exprimés, respectivement, par les apprentis, leurs tuteurs pédagogiques et leurs
maîtres d’apprentissage.
Sur le plan méthodologique, les douze entretiens semi-directifs menés avec les
responsables de formation, le corpus de « mémoires », à l’échelle d’une promotion
d’apprentis par formation, comme aussi les prescriptions et formats pédagogiques
qui accompagnent leur réalisation servent notre analyse. Un examen des maquettes,
référentiels (che RNCP) et autres documents d’accréditation nous permet d’identier
les modules de formation dédiés à la recherche à des ns d’initiation (épistémologie,
Quelle place pour la recherche dans l’apprentissage des métiers de la communication ? 17
méthodologie), d’accomplissement et d’écriture d’une production académique
connectée, ou non, aux missions de l’apprenti dans sa structure d’accueil. Soulevant
l’hypothèse que la « recherche en communication » peut être investie autrement, et
selon d’autres grilles de lecture, en vertu d’une « observation participante » stimulante
et, néanmoins, complexe, nous questionnons non seulement la posture (ou im-posture
2
)
de l’apprenti-chercheur évoluant alternativement – mais tout à la fois – en qualité de
salarié dans une organisation et d’étudiant aux prises avec des « missions », mais aussi
les temporalités de cette professionnalisation alternée. Si, de fait, l’apprenti semble
devoir composer avec plusieurs échelles de temps
3
(Lesourd, 2009), qu’en est-il du
temps de la recherche ? Il se pourrait que la recherche opère comme une parenthèse
nécessaire (pour l’apprenti et/ou l’organisation qui l’accueille), comme une étape, un
rite de passage pour celles et ceux qui feront métier de communiquer.
Après avoir rappelé brièvement le contexte réformateur de l’apprentissage (loi du 5
septembre 2018) et de l’enseignement supérieur en France, puis dressé, à la lumière
des mots de la recherche, une cartographie des formations françaises en sciences de
l’information et de la communication accessibles par voie d’apprentissage, nous en
interrogeons les projets et modalités pédagogiques à l’articulation des connaissances
et des compétences.
1. Éléments contextuels
La réforme de la formation introduite par la loi « pour la liberté de choisir son avenir
professionnel » (du 5 septembre 2018) entend renforcer l’attractivité de l’appren-
tissage pour le développer à tous les niveaux de qualication. Ce faisant, elle prévoit
aussi une implication accrue des branches professionnelles dans la détermination de
l’ore de formation (identication des besoins en compétences des entreprises en
vue d’adapter l’appareil de formation, élaboration et rénovation des certications
professionnelles). Dicile, pour l’heure, d’en apprécier les conséquences dans
l’ensei gnement supérieur. Nous partons toutefois du postulat fondateur selon
lequel l’alternance, entre enseignements fondamentaux et pratique professionnelle,
contribue à forger les postures professionnelles de futurs diplômés. Si la recherche,
dans ses formes, ses objets et ses modalités, semble jouer un rôle déterminant dans la
professionnalisation des apprentis en communication, il n’en reste pas moins que la
détermination de sa nature n’est pas sans diculté, au regard de la diversité de l’ore
de formation proposée aux apprentis.
2 Par im-posture, nous renvoyons non seulement à une posture im-pliquante de l’apprenti mais aussi
à la diculté pour lui de tenir cette double posture durant son cursus.
3 Le temps académique, le temps pédagogique, le temps de travail collectif, le temps de travail
individuel, le temps personnel, social et familial, le temps professionnel etc.
18 Inuences croisées entre pratiques et recherches en communication des organisations
1.1. Un recensement complexe
D’après les sources de l’Oce National d’Information sur les Enseignements et les
Professions (ONISEP)
4
, il y aurait en France quelque trente-deux masters
5
préparant
aux métiers de l’information et de la communication. En réalité, il apparaît très dicile
de procéder à un recensement exhaustif de telles formation. À l’image d’une discipline
plurielle, les cursus universitaires en information et communication s’appuient sur des
Unités de Formation et de Recherche (UFR) de natures variées, lesquelles relèvent
diversement des sciences humaines et sociales ou des sciences de gestion. Les
responsables de formation eux-mêmes sont issus de disciplines multiples : si, pour la
majorité d’entre eux, les enseignants-chercheurs responsables des parcours concernés
sont qualiés en Sciences de l’Information et de la Communication (71
e
section du
Conseil National des Universités), il n’est pas rare de trouver à cette responsabilité
des historiens, des linguistes, des sociologues ou encore des politologues. Parmi ces
formations, certaines sont proposées par voie d’apprentissage
6
. Pour les besoins de
notre étude, nous nous focalisons sur vingt-quatre parcours de Master proposés par
voie d’apprentissage dans treize universités an de comparer, au sein de ces parcours,
non seulement la place réservée à la recherche, mais aussi les modalités d’approches
de ladite recherche.
1.2. Quid de l’alternance ?
L’alternance achée dans les plaquettes et maquettes de formations peut prêter à
confusion. Pour rappel, est appelé « alternance » tout système de formation proposant,
sous la forme d’un contrat de travail à durée limitée, un rythme alterné entre deux
lieux et modalités de formation, le lieu académique et le lieu d’exercice professionnel
en organisation. Deux types de contrats de travail sont proposés pour réaliser cette
alternance : le contrat d’apprentissage et le contrat de professionnalisation. Si le
premier relève, en France, de la formation initiale, le second, en revanche, ressortit
4 Résultat de requête « master en information et communication » sur le site de l’Onisep : http://www.
onisep.fr/Ressources/Univers-Formation/Formations/Post-bac/Master-information-communication
5 D’après la nouvelle nomenclature des diplômes. Le master 2 demeure pour quelques mois un
titre certié de niveau I avant de devenir un titre de niveau 7, en janvier 2020, conformément à la
nomenclature européenne.
6 En France, l’apprentissage désigne une formation en alternance relevant de la « formation
initiale » (FI), alternant des séquences pédagogiques en centre de formation et des périodes d’activité
professionnelle en organisation. L’alternance comprend aussi les contrats de professionnalisation,
lesquels relèvent de la formation dite « continue » (FC).
Quelle place pour la recherche dans l’apprentissage des métiers de la communication ? 19
de la formation continue. Les modes de nancement
7
et de rémunération des jeunes,
ainsi que la limite d’âge sont par ailleurs distincts. L’apprentissage constitue à ce titre
l’une des deux modalités d’alternance. S’ajoute à ces deux modalités contractuelles
une troisième voie, appelée abusivement « alternance », qui consiste à larder les temps
de formation de périodes de stage, plus ou moins longues, qui ne sont pas rémunérées
et peuvent s’eectuer dans diérentes organisations tout au long du cursus. S’il y
a bien une alternance de rythme de formation, cette modalité ne constitue pas,
contractuellement parlant, une formation en alternance.
Parmi les cursus (mentions et parcours) en Information et Communication, certains
proposent les trois modalités
8
de formation. Or la confusion introduite par le législateur
est telle que les usages langagiers confèrent, par contraste, un caractère innovant aux
formations « par voie d’apprentissage ». Par opposition, on parlera volontiers de
« formation par voie classique » voire de « formation initiale » – ce qui constitue
bien un abus de langage – pour désigner un système de formation qui ne comprend
pas d’alternance. Ce glissement lexical et sémantique, porte avec lui un implicite : il
y aurait toujours déjà une dimension « impliquante » dans le choix de se former « par
voie d’apprentissage », la voie classique apparaissant comme celle par défaut.
1.3. L’apprentissage en master
Sur les vingt-quatre parcours considérés, dix-sept ne proposent le format de
l’appren tissage qu’à partir de la deuxième année de Master. Six autres parcours sont
accessibles intégralement en apprentissage, sur un contrat de vingt-quatre mois. Une
seule formation propose la signature d’un contrat indiéremment en Master 1 (M1)
pour les deux ans ou en Master 2 (M2) sur douze mois.
Deux logiques argumentatives s’opposent : les tenants d’un apprentissage limité au
M2 estiment que les étudiants accédant au M1 ne sauraient intégrer immédiatement
une organisation ; de sorte qu’une première année par voie « classique » confère au
futur apprenti un bagage théorique plus solide, mais aussi, à travers des opportunités
de stages ou de rencontres professionnelles, une vision plus claire de son orientation
professionnelle future et du type d’organisation souhaité pour y faire, ensuite, son
apprentissage. Cette première année serait également l’occasion pour l’étudiant
7 C’est en eet un fonds de formation, un OPérateur de COmpétences (OPCO), reposant sur une
branche professionnelle, qui nance la formation continue du contrat de professionnalisation. Les
aides perçues par les employeurs à l’embauche ne sont pas de même nature pour les deux types de
contrats, non plus que la limite d’âge pour souscrire ce type de contrat. Enn, la rémunération de
l’alternant est calculée selon un barème propre.
8 Formation initiale « classique » comprenant des stages, formation initiale « par voie d’apprentissage »,
et formation continue sous « contrat de professionnalisation ».
20 Inuences croisées entre pratiques et recherches en communication des organisations
de gagner en maturité pour mieux construire son projet de formation et son projet
professionnel.
Les tenants d’un apprentissage s’accomplissant sur la totalité du parcours estiment,
quant à eux, que les apprentis ont besoin d’une immersion en organisation dès le
début de leur formation an de monter en compétences sur deux années consécutives,
arguant du fait que le temps long d’un continuum M1-M2 permettrait une acculturation
progressive de l’apprenti au monde du travail et favoriserait sa montée en compétence,
à la faveur d’une plus grande autonomie en deuxième année dans l’accomplissement
de ses missions.
Au demeurant, le temps de formation à l’université est en moyenne moins important
que celui passé en entreprise : un tiers, voire un quart, de la formation est dispensé à
l’université (25 % minimum) ; l’essentiel étant dédié à un apprentissage de terrain. Les
modalités d’alternance sont également très disparates : selon les parcours, l’apprenti
doit composer avec une alternance hebdomadaire ou mensuelle (à raison de plusieurs
semaines consécutives en entreprise) avant, ou après, des regroupements programmés
en formation. Les rythmes peuvent d’ailleurs diérer au sein d’un même parcours en
fonction de l’année de référence (M1 ou M2).
Par ailleurs, les formations à la communication par apprentissage portent sur des
objets très diérents : si certaines revendiquent de former à la communication – dans
la globalité et la diversité de ses formes, axes, fonctions et métiers d’autres (plus
nombreuses), optent pour une spécialisation relative (numérique, management des
ressources humaines, conseil, communication publique, etc.). Ces parcours « orientés »
couvrent un large spectre de fonctions et de métiers dont le degré de spécialisation ne
dépend pas nécessairement d’un secteur ou d’une branche professionnelle d’exercice.
S’il importe de tisser des liens avec des entreprises ou des collectivités, toutes les
formations recensées s’obligent néanmoins à diversier les structures d’accueil de
leurs apprentis : entreprises privées, fonctions publiques, associations, cabinets-
con seil ou encore organisation non gouvernementale. Et c’est encore la force de la
discipline que de n’être strictement dépendante d’aucune branche professionnelle
et de n’être dédiée à aucune enseigne
9
. Cela étant, les regroupements (ou fusions)
d’universités ont sensiblement modié la cartographie des formations et interrogent,
plus encore en contexte de réforme
10
, sur la soutenabilité d’une ore de formation
croissante et concurrentielle à l’échelle d’un même bassin d’emplois.
9 Il existe en eet, inspirées du modèle allemand d’apprentissage, des formations entièrement
dédiées à certaines entreprises : celles-ci sont alors de fait non seulement à l’origine de l’ouverture
des formations mais aussi les prescripteurs des contenus pédagogiques de ces dernières.
10 Initiée par la loi ESR 2013, article 718-2-1.
Quelle place pour la recherche dans l’apprentissage des métiers de la communication ? 21
2. Les mots de la recherche
Les maquettes de formation, telles qu’elles se donnent à voir et à lire sur Internet,
détaillent les unités d’enseignement (UE) imposées ou proposées aux étudiants, parmi
lesquelles il convient de distinguer la formation à la recherche d’une formation par la
recherche. Mais, quel que soit le sens de cette relation, de quelle recherche s’agit-il ?
2.1. Quelle recherche ?
De la recherche dite « fondamentale » à la « recherche-action », en passant par
la « recherche-intervention », la « recherche appliquée » ou encore la recherche-
développement (R&D), les postures comme les objectifs dièrent. Pourtant, toutes
ces formes sont potentiellement mobilisables par les apprentis en formation comme
par les futurs professionnels. Si la formation à la recherche implique la connaissance
des méthodes de recueil et d’analyse des données et la maîtrise d’un cadre de
référence théorique
11
, la formation par la recherche n’est assurément pas réductible à
la programmation de séminaires ou à l’évaluation d’écrits y aérant.
Interroger les apprentis d’Information-communication sur ce qu’ils attendent d’une
formation à la recherche, c’est déjà être confronté au prisme disciplinaire. Dans
leurs représentations de la recherche, les nouveaux apprentis, interrogés, en début
de parcours, dans le cadre d’un séminaire, sur l’importance et la signication de
la recherche
12
dans leur discipline, insistent sur les aspects déontologiques de son
accomplissement et de son écriture : « s’assurer de la vérité d’une information »,
« protéger ses sources » et « respecter la condentialité », vérier « la pertinence
de sa recherche par rapport à l’état de l’art » ; ils soulignent aussi la maîtrise métho-
dologique qu’exige, notamment, l’approche du terrain. Les bénéces déclarés d’une
formation à la recherche sont pour eux de deux ordres : le recul (ou regard critique) et
l’enrichissement (ou l’ouverture d’esprit). La réalisation du mémoire d’apprentissage
est, à cet égard, formatrice aux yeux des apprentis, en ce qu’elle suppose de mobiliser
des concepts, de mettre en œuvre une méthodologie et ore l’occasion de poser un
regard critique sur l’organisation d’accueil
13
. Finalement, cette réalisation permettrait
11 Certains parcours de formation proposent par exemple de gérer les données qualitatives par la
théorisation ancrée adaptée de la Grounded Theory de Glaser et Strauss (Paillé, 1996). C’est le cas
des parcours CNO et CPO de l’université Paul Valéry de Montpellier.
12 La collecte des données est issue d’un travail de groupe avec les apprentis entrants (12) du Master
« Information Communication » de l’Université de Lille (promotion 2019-2021). Les apprentis
sollicités ont eu à répondre par petit groupe, à l’écrit, à cinq questions sur la nature de la recherche,
son importance, ses pré-requis et les opportunités qu’elle ore. Les réponses ont ensuite été analysées.
13 « Analyse réexive et distanciée » mais aussi « esprit critique » sont, par exemple, au cœur des
compétences visées par la formation en master Infocom de l’Université de Franche-Comté.
22 Inuences croisées entre pratiques et recherches en communication des organisations
de « ne pas être de simples exécutants, mais d’être amenés à rééchir », de « sortir
de son apprentissage ». L’expression « apprenti-chercheur », entendue lors d’une
soutenance de mémoire
14
est, à cet égard, intéressante : elle traduit cette double posture
de l’apprenti, acteur de son organisation, et du chercheur, interrogeant à l’université
une pratique, une notion, ou encore une situation de travail.
2.2. Ce que véhiculent les maquettes
L’étude des maquettes de formation des masters composant le corpus à l’étude
permet d’apprécier la diversité des formats proposés pour aborder la recherche.
Globalement, les fondements théoriques et le cadrage de la recherche se manifestent
plus formellement en première année de master. Ainsi, le master en « communication
des organisations » de l’université de Poitiers propose une UE entièrement dédiée
à la recherche dès le premier semestre du M1, complétée en M2 par une UE titrée
« recherche-action en communication ». Des enseignements complémentaires en
méthodologie jalonnent les deux années de formation et portent plus spéciquement
sur les modalités de réalisation du mémoire de n d’année. À Lille, une initiation à
la recherche est incluse dès le M1 dans une UE généraliste et se voit isolée l’année
suivante dans une UE dédiée ; de sorte que l’évaluation du travail de recherche
ne puisse être « compensée » par des résultats enregistrés dans d’autres modules
d’enseignement, à l’instar des méthodes d’enquête et autres pratiques d’analyse (ex :
analyse de discours) repérables également dans la maquette. Le tronc commun à tous
les parcours en information-communication à l’université de Corse initie d’abord
aux méthodes d’enquête, tandis que les « outils et [la] méthodologie », à l’appui du
« mémoire », complètent la formation des apprentis de deuxième année. Le programme
proposé par l’université d’Alsace, dans le cadre des deux parcours accessibles par voie
d’apprentissage, fait état d’une « approche des dispositifs, des discours, des données
et des usages à travers les recherches en information-communication ». Dans cette
optique, les acquis de la recherche en Sciences de l’information et de la communication
(SIC) servent de socle théorique et méthodologique qu’il reviendra à l’apprenti de
mobiliser et d’éprouver. Les méthodes sont également parfois au cœur du programme
de deuxième année, comme c’est le cas à l’université de Franche-Comté ; nulle trace,
en revanche, d’une « recherche » sanctuarisée, à la diérence des cours dispensés par
l’université de Cergy-Pontoise où un séminaire « littérature et édition » dit aussi la
spécialisation du parcours quand d’autres séminaires méthodologiques de « rédaction
du mémoire » et des cours pratiques dédiés à la « veille » et à la « recherche »
serviront l’accomplissement de la recherche et sa restitution. À charge pour les
apprentis de rédiger, en deuxième année, un mémoire présenté comme « l’occasion
14 Soutenance publique de mémoire d’apprentissage d’un apprenti de M2, Infocom Roubaix,
septembre 2019.
Quelle place pour la recherche dans l’apprentissage des métiers de la communication ? 23
de mener un travail de recherche et de réexion personnelle ». À Villetaneuse, dans
le master « communication et ressources humaines », l’accent est mis sur la méthode
en première comme en deuxième année –, tandis qu’à la Sorbonne (Celsa), le M2
« Communication des entreprises et des institutions » fait exclusivement mention du
« mémoire ». Comprenons qu’au Celsa, les apports méthodologiques et théoriques
en lien avec la recherche sont réputés acquis depuis le M1, lequel n’est d’ailleurs
pas accessible par voie d’apprentissage. À l’université de Versailles-Saint-Quentin,
la plaquette mentionne un « mémoire de recherche appliquée » : quelque cinquante
heures sont ici consacrées en deuxième année à un travail encadré titré « mémoire et
recherche d’apprentissage » dont le « rapport de recherche » constitue le produit et, ce
faisant, l’objet d’évaluation. Le socle acquis en première année de master, souvent en
formation par voie classique, est ensuite mis à l’épreuve des réalisations et mobilisé
voire conforté en deuxième année.
Les situations professionnelles du parcours « Communication publique, associative
et culturelle » de l’université Montpellier 3 inspirent ainsi la recherche. Parmi les
savoir-faire et compétences à acquérir, il est fait mention « d’aptitudes » à mener,
notamment, des « enquêtes qualitatives » auxquelles un « séminaire transversal »
et un enseignement de « méthodologie de mémoire » consacrent respectivement
25 heures et 30 heures en deuxième année et renforcent encore la méthodologie
de recherche qualitative et l’écriture scientique, initiées en première année à
l’approche du « Dispositif et [de l’] organisation d’une recherche ». Le Celsa, dont
sept parcours de formation sont accessibles par voie d’apprentissage, forme de façon
optionnelle ses apprentis à la « méthodologie de la recherche » dans le parcours
« Conseil, management et organisations » et consacre une UE au « mémoire de
recherche appliquée » largement instruit et accompagné en séminaire. De son côté,
le master “Icones” de l’Université Côte d’Azur propose au dernier semestre du M2
des « ateliers combinatoires de professionnalisation et méthodologie de recherche
appliquée » dont vingt heures sont consacrées à la méthodologie du mémoire. Enn
l’Université Paul-Valéry Montpellier (UPMV) programme, en deuxième année de
son parcours « Communication des entreprises et médias sociaux », des séminaires de
méthode (dont certains sont dits « renforcés ») à l’accompagnement du mémoire et au
traitement quantitatif du corpus numérique.
La sensibilisation à la recherche menée, la plupart du temps en première année,
semble donc trouver sa réalisation dans l’exercice des travaux écrits, en cours ou en
n de deuxième et dernière année, appelant, au l des mois des ajustements théoriques
voire des approfondissements.
2.3. Un apprentissage contrasté de la recherche
Ce tour d’horizon des maquettes et autres référentiels de master en SIC par voie
d’apprentissage nous permet d’observer combien la recherche y est diversement
représentée et déployée.
24 Inuences croisées entre pratiques et recherches en communication des organisations
Pour en rendre compte plus sensiblement, nous nous risquons ici à comparer deux
formations par voie d’apprentissage, respectivement accessibles en deuxième année de
master au Celsa (Sorbonne Université) et dès le Master 1 à l’université de Lille
15
. D’où
il ressort que ces deux formations dièrent dans leurs projets pédagogiques et leurs
formats, tout en partageant l’exigence d’une professionnalisation scientiquement
fondée, instruite et questionnée.
Le Master 2 « Conseil, management et organisations » du Celsa alterne, sur un
rythme hebdomadaire, l’apprentissage « en cabinet » (4 jours) et « en formation »
(1 jour) du conseil en management. En cabinet, les apprentis œuvrent comme chargés
de missions à l’accompagnement de changements organisationnels (restructurations,
fusion, déménagement, déploiement de « solutions » techniques, mise en œuvre de
progiciels RH, etc.). Ils sont intégrés à des équipes-projets où ils animent des groupes
de travail et des groupes de discussion (focus groups) pour des clients, conduisent des
entretiens individuels à des ns d’audit ou d’étude qualitative, conçoivent et passent
des questionnaires pour des études quantitatives, participent à des réunions avec les
commanditaires et les salariés à l’occasion desquelles ils préparent les « livrables »
permettant de visualiser et d’évaluer l’avancement de leurs missions. S’ils ne sont pas
mobilisés dans la conception des cahiers des charges en réponse aux appels d’ores,
ils le sont en revanche dans l’accomplissement des projets et peuvent être aectés à
des missions d’appui aux consultants, comme aussi à des activités de communication
(community management, site web, développement de réseaux sociaux numériques
notamment) en cabinet.
La formation dispensée à l’Université Sorbonne se déroule, quant à elle, à temps
plein en début d’année universitaire, de septembre à novembre. Sur cette période, les
cours sont dispensés pour moitié par des enseignants-chercheurs en sciences sociales
et, pour l’autre, par des professionnels préparant les étudiants aux méthodologies
et outils à mettre en œuvre dès leur arrivée en cabinet (management de projet,
management de mission de conseil et de la relation client, stratégie de communication
et changement organisationnel, leadership, etc.). De décembre à juin, les apprentis
reviennent à l’université les vendredis pour participer à des ateliers d’analyse de
pratique, préparer leur mémoire de recherche appliquée de n de M2 et réaliser divers
projets collectifs donnant lieu à des évaluations. Les mois d’été passés à temps plein
en cabinet sont également consacrés à l’écriture des mémoires, lesquels sont soutenus
oralement en septembre.
À Lille, le master « Information Communication » (dit « Infocom ») par apprentissage
ore une voie alternative au parcours « Communication Interne et Externe » dont il
15 Si « comparaison n’est pas raison », la mise en perspective de ces deux formations a d’abord été
motivée par l’expérience des chercheurs respectivement investis dans ces cursus. Elle se justie aussi
par le repérage de diérences formelles, pour une même discipline de référence et à niveau égal de
certication, des temporalités et modalités d’accomplissement et d’encadrement de la recherche en
Master SIC par voie d’apprentissage.
Quelle place pour la recherche dans l’apprentissage des métiers de la communication ? 25
partage le projet pédagogique mais s’en diérencie par une alternance dès l’accès au
M1 et jusqu’au terme du M2. Ce master vise à former des professionnels qui – évoluant
en entreprises publiques ou privées, dans les diérentes fonctions publiques, en
agences de communication ou dans des associations – sont aptes à mettre en œuvre une
communication stratégique et contribuent au développement et à la mise en visibilité de
projets. Il s’agit donc de former des professionnels polyvalents, capables de concevoir,
d’orchestrer et de mettre en œuvre des politiques et stratégies de communication
interne et externe dans des contextes organisationnels variés. Programmée sur vingt-
quatre mois, au rythme moyen d’un retour en Centre de Formation des Apprentis
(CFA) une semaine sur trois, la formation privilégie une approche « située » de la
communication où les savoirs académiques sont mis à l’épreuve des situations vécues
en contexte de travail. Il en est ainsi du diagnostic sociologique, de l’analyse des
écrits professionnels, comme aussi des « ateliers » où les structures d’accueil des
apprentis sont autant de « cadres d’expérience » servant d’appui à l’enseignement
et à la réalisation de projets individuels ou collectifs. Un séminaire viendra, quant à
lui, discuter et éprouver les « approches communicationnelles des organisations »,
lesquelles composent un domaine de recherche susamment riche et pertinent pour
que « s’y retrouve » un public évoluant déjà en contexte professionnel.
Sur ce continuum M1-M2 lillois, la recherche (et son écriture) opère comme
« extension intellectuelle » d’un apprentissage irréductible aux seules missions de
l’apprenti. Comprenons que ce dernier doit produire deux écrits distincts (par leur
objet et leur écriture) : un rapport d’apprentissage et un mémoire de recherche. Le
« rapport » interroge et restitue, selon un l rouge thématique, les principales missions
accomplies par l’apprenti dans sa structure d’accueil ; le second tire son inspiration et
son accomplissement d’une « observation sur site » dont l’objet peut être fort éloigné
des tâches et des missions conées à l’apprenti. Le cadre, en somme, est celui de deux
expériences concomitantes l’analyse de l’activité (plus présente dans le « rapport
d’apprentissage ») le dispute à la problématisation d’un objet observable sur un terrain
que l’apprenti a déjà, professionnellement, investi.
Le choix et la construction d’un objet de recherche sont, certes, motivés par ce
cadre d’exercice, mais l’objet de recherche et sa problématisation ne se confondent
pas avec les missions et la résolution de problème(s) ordinaires ou stratégiques y
aérant. À dire vrai, la diérenciation (et le cumul) de ces deux productions écrites
n’est pas toujours bien vécue par les apprentis. Mais leur synthèse dans un seul et
même « mémoire professionnel » a été maintes fois discutée en équipe pédagogique
lilloise sans que la possibilité de cet « objet hybride » ne soit retenue.
Dans notre corpus de plaquettes et de maquettes où les formations se donnent à lire, le
vocable « mémoire » prévaut (Seurrat, 2014). Il désigne cet « écrit long » universitaire,
produit d’un questionnement réexif sur une expérience vécue (Mackiewicz, 2004).
Ce « mémoire » dière toutefois du « rapport », dont l’appellation réfère plus volontiers
à l’exposé de missions et tâches conées à l’apprenti (même si leur problématisation
26 Inuences croisées entre pratiques et recherches en communication des organisations
n’est pas exclue)
16
. Or l’appellation « mémoire », fut-elle très largement en usage,
cache aussi des disparités de contenus et de formes qui interrogent sur l’objet et, ce
faisant, le genre de cet écrit universitaire. Ainsi est-il diversement nommé « mémoire
d’apprentissage », « mémoire de recherche », « mémoire de recherche appliquée »,
« mémoire de n d’études » ou encore « mémoire de recherche professionnel ». C’est
dire l’instabilité d’un « genre » toujours revisité et réinterprété au gré des projets
pédagogiques et selon ses prescripteurs.
3. Observation participante versus participation
engageante : une question de posture
Une formation par alternance est inévitablement un dispositif de « l’entre deux »
se vivent des écarts identitaires et des tensions subjectives (Kaddouri, 2008). Les
apprentis sont investis dans deux espaces (académique et professionnel) de socialisation
distincts – et parfois antagoniques –, dont l’inclusion génère simultanément des
opportunités et des écueils possibles pour la formation des apprentis (Kaddouri, 2012).
3.1. Les outils du positionnement
Dans la démarche de simple observation, le chercheur ne prend pas part à la vie du
groupe : il l’observe de l’extérieur à l’insu ou avec l’accord des parties prenantes. Mais
ici, en tant que salarié, membre d’une organisation, l’apprenti est plus qu’un simple
observateur. Il est en mesure de mener une démarche d’observation participante en
ce qu’il étudie une communauté en participant à sa vie même. De surcroît, et dans la
mesure où il est autant salarié qu’étudiant, l’engagement de l’apprenti peut l’amener
à inverser le sens de la relation entre observation et participation. On parlera alors
de « participation observante » (Peretz, 2004), en ce que l’action ne constitue pas
seulement la scène (ou le cadre) de l’observation, mais en deviendrait le mobile. Dans
ce glissement – parfois imperceptible ou involontaire – de posture, toute la diculté,
consiste « à ne pas être “aspiré”, voire obnubilé par l’action, ce qui bloquerait toute
possibilité d’analyse approfondie et se ferait au détriment de l’abstraction » (Soulé,
2007, 129). Hughes (1996) qualiait ainsi d’émancipation la démarche dans laquelle
le chercheur trouve « un équilibre subtil entre le détachement et la participation […] :
être participant et observateur à temps partiel, c’est-à-dire participant en public et
observateur en privé » (cité par Soulé, op. cit., 129).
En l’espèce, le parti-pris didactique du Celsa est de prévoir des espaces où les
étudiants puissent exprimer les écarts pratiques et identitaires qu’ils éprouvent dès
leurs débuts en cabinet-conseil, mais aussi de donner à ces écarts matière à réexion
16 L’appellation « rapport de recherche », repérable notamment dans l’ore de formation de
l’Université Versailles Saint-Quentin (UVSQ), fait ici exception.
Quelle place pour la recherche dans l’apprentissage des métiers de la communication ? 27
et analyse. À Lille, des rapports « d’étonnement », comme il en existe dans certaines
écoles d’ingénieurs, ouvrent déjà un espace d’écriture dans lequel les apprentis
consignent les « nouveautés » et « incongruités » d’un environnement de travail qui ne
leur est pas encore familier. De sorte que cet « étonnement » premier sera susceptible
d’ouvrir un autre espace de discussion et – pourquoi pas ? – de problématisation en
recherche.
Il s’agit aussi d’inviter les apprentis-chercheurs à questionner le fonctionnement
« réel » de l’organisation où ils exercent, c’est-à-dire les dynamiques de coopération
au-delà d’une structure et de ses règles formelles (organigrammes, prescriptions,
prévisions en amont sur les délais et budgets des missions, ches de postes, feuilles
de tâches et de temps, etc.). L’objet est l’activité en train de se faire, dans la tension
connue, mais ici éprouvée, entre « travail réel » et « travail prescrit » (Dejours et
Molinier, 1994).
À Paris (Celsa) comme à Lille (Infocom), les apprentis sont également encouragés
à appliquer cette (re)lecture à leur parcours personnel dans l’organisation. Bien que
des missions leur aient été aectées en amont préalablement à la signature de leur
contrat – et qu’un maître d’apprentissage s’en porte garant, les situations de travail
comportent cette part d’imprévu qu’il importe d’assumer. Et plutôt que de laisser
l’expérience des apprentis aux portes des salles de cours, les séances sont alimentées ou
enrichies par les apports des étudiants, tant dans les séminaires dédiés spéciquement
à la recherche que dans les enseignements et ateliers où les savoirs et savoir-faire sont
tout aussi volontiers discutés à l’aune de l’expérience vécue.
Tandis qu’à Lille, les étudiants produisent leurs premiers rapports d’étonnement et,
munis de savantes grilles d’observation, s’acquittent d’une monographie nourrie par
un diagnostic sociologique préalable, les apprentis du Celsa s’appliqueront à rédiger
leur journal de bord, conscients (peut-être) que cet « écrit pour soi » est aussi matière
à écrire « pour sa recherche ». Les observations rapportées en « ateliers d’analyse
d’activité » alimenteront également la réexion sur la thématique d’une recherche
qui, dans le fond, intéresse « vraiment » l’étudiant, qui le mobilise et lui tient à cœur.
Un travail de recherche engagé et investi personnellement s’amorce alors, dont la
matière empirique est invariablement inspirée par l’expérience vécue en organisation
(Foli, 2019). L’encadrement du travail des apprentis-chercheurs consiste ici à les
aider à faire des choix parmi leurs observations, à construire un objet de recherche
et à le problématiser ; y compris en regard des options méthodologiques qu’oblige
cette problématisation. Des lectures scientiques en sciences sociales, sans ostracisme
disciplinaire, leur sont parallèlement conseillées.
28 Inuences croisées entre pratiques et recherches en communication des organisations
3.2. Lieux d’aménagement des contraintes
Un retour sur expérience
17
à partir des mémoires soutenus, en n de cursus, par
les apprentis de M2, dans les formations SIC, témoigne des tensions invariablement
vécues par les apprentis pendant leur alternance. Ces tensions seront dissipées, au
moins partiellement, à partir de compromis et d’aménagement inventés par l’étudiant.
Chaque situation est assurément singulière ; il semble néanmoins que se dégagent
trois cas de gure
18
dans la façon d’aménager ou de concilier les contraintes.
Dans un premier cas, l’étudiant est adepte de l’approche compréhensive et vise,
autant que possible, à la mettre à prot dans sa démarche de recherche, comme
aussi dans le développement de ses compétences professionnelles. Ainsi en est-il du
parcours d’une apprentie qui, aectée à un rôle très délicat à assumer, aux conuents
d’un réseau d’acteurs épars aux intérêts divergents, a investi très activement les
séances de « suivi d’apprentissage » et la démarche de « recherche appliquée » pour
mieux comprendre son système d’action. Elle en tire des enseignements pour adapter
sa manière d’agir en organisation, tant sur le plan pratique que relationnel ; cette
étudiante témoigne aussi d’une aisance progressivement gagnée dans sa mission et des
signes de reconnaissance du collectif de travail quant à son habileté dans la gestion de
projet. Les visites tripartites en entreprise, en présence de son maître d’apprentissage,
le conrmeront. De surcroît, l’expérience de cette apprentie l’a précisément amenée
à choisir la coordination d’un projet comme objet de recherche. Elle a exploité
son vécu, enrichi d’entretiens semi-directifs, pour écrire un mémoire sur « les jeux
d’acteurs et les vicissitudes dans le management de projet ». Ainsi témoigne-t-elle
d’une conversion possible – et dans toute la limite d’une expérience singulière – des
dicultés professionnelles en opportunités d’étayage et de compréhension à la faveur
de sa professionnalisation.
Un deuxième cas de gure relève d’une « dé-corrélation » entre la démarche de
recherche et la réalisation des missions en organisation. Le vécu de l’apprenti, avec
son lot de tensions et de dilemmes, est bien exploité dans une optique compréhensive
de recherche appliquée. Mais l’apprenti fait ici le choix de cloisonner ses analyses
et ce qu’il met au service de ses missions en cabinet. Son aptitude à la réexivité,
réellement développée à l’aune de ses travaux universitaires, n’est en revanche pas
investie dans sa mission de consultant junior. Ici, l’apprenti choisit un sujet de mémoire
et un objet de recherche assez éloignés de ses objectifs professionnels. Son envie le
porte vers une problématique liée au fonctionnement du cabinet où il ocie, mais très
librement choisie, indépendamment des objectifs de développement de compétences
professionnelles du consultant. Ainsi, cet apprenti a-t-il travaillé sur le processus de
17 Mené par leur responsable de formation, elle-même enseignante-chercheure.
18 Ces trois cas de gure sont dégagés à partir du retour d’expérience d’apprentis du Celsa dont les
considérations sont exempliées.
Quelle place pour la recherche dans l’apprentissage des métiers de la communication ? 29
socialisation des consultants à partir de ses observations en cabinet et d’une enquête
élargie sur les trajectoires personnelles et professionnelles des salariés de sa structure.
Une autre apprentie, quant à elle, a choisi « le temps et les temporalités » comme objet
de recherche utile à la compréhension du fonctionnement interne à son organisation
d’accueil ; dans une perspective longitudinale, elle problématisera les temporalités du
changement organisationnel. Le compromis réalisé par l’apprenti réside, là encore,
dans la séparation entre sa démarche de recherche appliquée et l’accomplissement
de ses missions. On peut émettre l’hypothèse qu’une telle « dé-corrélation » est
néanmoins utile au développement d’une compétence professionnelle : l’apprenti
acquiert eectivement une compétence de réexivité potentiellement valorisable dans
l’exercice de ses missions.
Enn, une troisième conguration est celle de l’apprenti réalisant son mémoire
« à l’économie », sans investissement manifeste d’une démarche compréhensive en
situation de travail, parfois jusqu’à dénier ou réfuter « l’utilité » de la démarche et des
savoirs de recherche. En quel cas, l’apprenti mène sa recherche a minima, s’obligeant
seulement à respecter une consigne. Ce faisant, il manque par défaut de réexivité
(Schön, 1994, 1996) l’occasion de rééchir au fonctionnement réel de l’organisation
et à sa propre contribution.
La formation par la recherche s’appuie de préférence sur un triptyque pédagogique :
des outils d’approche de terrain ou d’analyse de données, des séminaires thématiques
(souvent mutualisés entre parcours de formation) et un accompagnement en
méthodologie du mémoire d’apprentissage (cadrage, conception, rédaction, soute-
nance). Nombre de formations mêlent d’ailleurs la partie méthodologique, liée à la
réalisation du mémoire, à la recherche d’emploi et, ce faisant, inscrivent l’initiation à
la recherche dans une perspective professionnalisante.
3.3. Les écueils
Il faut toutefois considérer certaines limites à la démarche initiatique de
recherche et à son expérimentation en contexte professionnel d’apprentissage. Trois
principaux écueils sont ainsi repérables. Le premier tient aux conditions de recueil et
d’exploitation des données en organisation. Or ces « pépites » pour la compréhension,
sont parfois sensibles et les investigations de l’apprenti-chercheur, en écho ou en marge
des missions qui lui sont dévolues, ne sont pas toujours appréciées, ni même facilitées
par sa hiérarchie (maître d’apprentissage) ou ses collègues. Ici réside, précisément,
la diculté d’une « observation participante » où la curiosité de l’apprenti-chercheur
peut être perçue comme « déplacée » ou « incongrue ». À la méance des collègues
de travail s’ajoute parfois l’autocensure, quand certaines questions surgissent sur des
dysfonctionnements pourtant propices à l’analyse et, de fait, à la critique.
Une deuxième diculté tient aux velléités de contrôle par l’employeur du sujet
et du contenu d’une recherche dont il n’est, au demeurant, pas commanditaire. En
séances de formation, les étudiants font part de leurs craintes et expriment parfois
30 Inuences croisées entre pratiques et recherches en communication des organisations
un sentiment de culpabilité à l’égard d’une hiérarchie qui les interroge régulièrement
sur l’avancée de leur travail académique et sur la nature même de leurs « écrits ».
Le rôle de responsable de formation est alors interpellé, sachant que le mémoire est,
d’abord, un « écrit universitaire » évalué par un jury où l’employeur n’est, a priori,
pas représenté (Perrin-Joly et al., 2015).
Enn, le temps d’analyse et de maturation nécessaire à l’élaboration d’un travail
de recherche appliquée constitue une véritable diculté à surmonter. Mener une
recherche sous forte contrainte, avec la pression des délais et la charge de travail,
tant en entreprise qu’à l’université, aecte nécessairement le travail de l’étudiant et
sa restitution. Sans doute faut-il y voir le « malentendu bien compris » qui vaut aux
étudiants d’être encore « surpris » par l’imminence d’un « rendu » à échéance. Il en
résulte souvent une frustration, même si quelques-uns feront le choix de poursuivre
leur parcours de recherche en prolongeant leurs études universitaires par un autre
master (naguère labellisé « recherche ») ou par une inscription en doctorat.
Pour conclure
Au terme de notre questionnement sur la place de la recherche dans la
professionnalisation des apprentis en communication, que pouvons-nous conclure
de « ce que la recherche fait à l’apprentissage » et, réciproquement, de « ce que
l’apprentissage fait à la recherche » ? Notre intention n’étant pas de prescrire de « bonnes
pratiques » qui viendraient en disqualier de « mauvaises », nous soulignons d’abord
que l’adossement à la recherche trouve sa conrmation formelle dans l’ensemble des
masters que nous avons recensés et dont nous avons étudié les maquettes. C’est là un
principe que les formations universitaires sont, certes, tenues de respecter (Lessard et
Bourdoncle, 1994) mais qui, assurément, constitue une valeur ajoutée des formations
dispensées à l’université, notamment par voie d’apprentissage (Paivandi, 2015). Il
n’est d’ailleurs pas rare que les employeurs eux-mêmes en conviennent et arguent de
cette « disposition intellectuelle » dans le recrutement des apprentis et les missions
qu’ils leur conent. Réciproquement, il faut convenir que l’immersion prolongée
dans l’organisation qui l’emploie ore à « l’apprenti-chercheur » une opportunité
remarquable d’observation et d’analyse, lesquelles constituent les conditions, non
susantes mais nécessaires, à une recherche « située ».
Cela étant, il faut aussi considérer l’ingénierie pédagogique d’une « initiation à
la recherche » dont le syntagme, modeste, traduit très partiellement l’ambition de
contribuer, par une lecture distanciée, critique et théoriquement fondée, à une
professionnalisation nécessairement réexive en sciences de l’information et de la
communication. Or la diversité des formats pédagogiques, jusques – et y compris –
des formats d’écriture (Morisse et Lafortune, 2014) auxquels il aurait fallu consacrer
ici une analyse plus aboutie, dit aussi la diculté à concilier un projet pédagogique,
un projet de formation et un projet professionnel dans l’accomplissement universitaire
d’un apprentissage en communication.
Quelle place pour la recherche dans l’apprentissage des métiers de la communication ? 31
On doit à Howard Becker une contribution importante à l’écriture de la recherche
en sciences sociales (Becker, 2004), laquelle constitue, en l’espèce, une véritable
gageure pour les « apprentis-chercheurs ». Le temps long de la recherche, fût-elle
initiatique, n’est guère ménagé ; ni dans le calendrier des formations, ni dans l’agenda
de l’étudiant. Et les campagnes de sensibilisation auxquelles nous participons souvent
pour inciter les étudiants à programmer leur travail de recherche et à s’astreindre à un
échéancier ne sont pas toujours assez convaincantes pour que « d’autres priorités » ne
priment sur le temps de la recherche (de La Broise et Chantraine, 2012).
Du reste, l’écriture (Morisse, Cros et Lafortune, 2011) est aussi la source d’une
confusion fréquente entre les attendus de la recherche et ceux de l’action, confusion
d’autant plus probable que la recherche-action s’est progressivement imposée comme
un modèle de compromis entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Dans
le corpus de mémoires que nous avons constitué à partir des travaux d’apprentis, cette
confusion est souvent manifeste dans les objets et surtout dans les problématisations
qu’en proposent les étudiants. Nombre d’entre eux posent une question qu’ils érigent
en problème de recherche, alors même qu’il s’agit le plus souvent d’un problème
d’ecacité (mobilisation, portée, impact, rentabilité, satisfaction, paix sociale…)
que rencontre une organisation et auquel ils voudraient apporter des solutions. Là
encore, la confusion opère par conjonction des exercices d’étude et de recherche et,
surtout, par un « syndrome de la concrétude » (Winkin, 2003) la résolution de
problèmes opérationnels ou stratégiques l’emporte souvent, et jusque dans l’écriture,
sur l’exercice de compréhension et d’élucidation critique.
Mais, nalement, ces « écarts » de posture (entre recherche et action) sont aussi
des indices fertiles et heuristiques, tant pour la démarche de recherche que pour la
professionnalisation de l’étudiant (Barbier et Demailly, 1994). Les recherches en
sciences sociales le conrment : la formation par la recherche, visant la réexion
critique, la distanciation et la théorisation de la pratique (Hébrard, 1994 ; Guigue-
Durning, 1995), sert la professionnalisation tout en atténuant sa normalisation (de La
Broise, 2012).
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