2 Mesurer la communication ? Ce que les outils de mesure font à la professionnalisation...
Ce numéro thématique entend explorer les relations existantes entre mesures numé-
riques et processus de professionnalisation des communicateurs.
Les métiers de la communication ne cessent de se diversier et de se recomposer
sous l’eet d’une technicisation croissante. Qu’il s’agisse de publicité, de relations
presse ou publiques, de communication marketing ou managériale, ces activités
appa raissent de plus en plus équipées numériquement. Les outils mobilisés sont le
support d’un ensemble de pratiques de mesure de l’activité en ligne des internautes.
Ils accompagnent l’injonction à rendre des comptes en termes de performance et de
retour sur investissement imposée à la fonction communication (Lépine, 2013). Cette
logique s’inscrit dans un processus de reconnaissance de la communication par la
fonction managériale en termes d’ecacité et de rentabilité (Tixier, 1996). Cet idéal
gestionnaire de mesure de la communication est d’ailleurs antérieur à la massication
des technologies numériques. Diérentes recherches témoignent ainsi des pratiques
propres à l’étude des « publics » et à la mesure de « l’audience » des médias, qu’il
s’agisse de presse écrite, de la radio ou de la télévision (Jouët, 2004 ; Wolton, 2003 ;
Beaud, 1990). De même, le champ de la communication organisationnelle propose
depuis plusieurs années un regard critique de la culture de la performance, des mesures
et évaluations qui l’accompagnent (Lépine et Peyrelong, 2012 ; Gardère, 2012 ; Le
Moënne et Parrini-Alemanno, 2010) ou encore des enjeux d’évaluation et de mesure
de la réputation des entreprises (Boistel, 2014).
À travers ce numéro, il s’agit cependant d’acter une reconguration particulière
du rapport entre mesure, organisation et professionnalisation dans un contexte de
technicisation et de massication de la dimension numérique de la communication.
En tant qu’innovation technologique, celle-ci se déploie à travers un imaginaire
spécique. Ce dernier apparaît marqué par diérents discours d’accompagnement
(Rebillard, 2011), inspirés de ceux du web « 2.0 » (O’Reilly, 2005), soulignant
les vertus simplicatrices et transformatrices des dispositifs numériques. Selon les
discours experts, nous assisterions à une extension du domaine du mesurable. Le
calcul du « ROI digital » permettrait par exemple d’identier les résultats directement
imputables à une action de communication. Les dispositifs numériques de mesure
diusent ainsi la promesse d’une optimisation stratégique de la communication
à travers l’analyse systématique des signaux (explicites) et traces (implicites) de
navigation des internautes. La promesse d’ecacité des mesures numériques inter-
roge ainsi directement les processus de construction de la reconnaissance chez les
professionnel·les de la communication (Roginsky, 2018).
Les outils numériques de mesure que nous souhaitons mettre en discussion font
entrer en jeu une réexion plus générale autour du lien entre professionnalisation
et numérique. Ce rapport est au cœur du débat public, drainant avec lui diérentes
problématiques héritées des premières révolutions industrielles. Bien que des tra-
vaux récents annoncent une n possible du travail humain dans certaines sphères,
notamment à travers l’automatisation des tâches (Frey et Osborne, 2013 ; OCDE,
2016), nous préférons nous détacher d’un questionnement trop large pour insister sur