Évaluer la communication interne.
Une approche critique
Thomas Heller, enseignant-chercheur
Université de Lille, ULR 4073 - GERiiCO
thomas.heller@univ-lille.fr
24 Mesurer la communication ? Ce que les outils de mesure font à la professionnalisation...
Résumé
Ce texte porte sur l’évaluation de la communication interne. Partant de l’impératif
d’évaluation professé par certains professionnels, et en nous appuyant sur une
description de l’étendue du domaine de l’évaluation, nous mettons en évidence deux
limites à l’évaluation de la communication interne : une limite de type gestionnaire,
centrée sur les rapports de causalité entre communication et efficacité, et une limite
de type idéologico-politique, centrée sur le rôle affiché de la communication interne
dans la littérature professionnelle. Nous concluons en soulignant qu’une approche
politique de l’évaluation de la communication interne mériterait de prendre en
considération d’autres pratiques que celles qui concernent l’action des professionnels
de la communication, et notamment l’évaluation des comportements relationnels, et
celle de la dynamique interactionnelle dans les organisations grâce aux technologies
numériques.
Mots-clés
: Communication interne, évaluation, efficacité, enjeux politiques,
approche critique.
Abstract
This text deals with internal communication assessment. The starting point is the
imperative of evaluation formulated by some professionals, and the description of its
scope in books and articles about communication. Two limitations for evaluation will be
evidenced: a managerial limitation focused on the casual link between communication
actions and efficiency, and an ideological-political limitation, focused on the role of
communication developed in professional literature. We conclude by stressing that a
political analysis of internal communication evaluation could be enriched by taking
into account other practices than those provided by professionals of communication :
especially the assessment of the relational behaviors of employees, and the evaluation
of the organization’s interactive dynamic through digital technologies.
Keywords : internal communication, evaluation, efficiency, political issues, critical
approach
Évaluer la communication interne. Une approche critique 25
Dans le contexte néolibéral de notre modernité tardive, caractérisé par une
« quantophrénie » (de Gaulejac, 2005) gestionnaire au service de la rationalisation
et de l’efficacité des activités humaines, on ne s’étonnera guère que l’évaluation de
la communication des organisations soit un objet de préoccupation et d’attention des
professionnels du secteur. Des ouvrages de méthodes ou des chapitres d’ouvrage, des
articles, ou encore des blogs lui sont consacrés, des formations sont dispensées, des
journées d’études ou des rencontres sont organisées1, des référentiels d’indicateurs
et de mesures sont élaborés et diffusés2, une association internationale en a fait sa
raison d’être3. Sans doute peut-on également imputer aux évolutions des technologies
numériques une certaine frénésie évaluative (tant au niveau des discours que des
pratiques), dans la mesure où d’une part elles renvoient à des nouveaux objets à évaluer
(sites internet, applications) et d’autre part, elles ouvrent le champ des possibles en
matière d’évaluation de nos activités et comportements (recueil et traitements de
données via des applications).
Il y a aussi des signes qui ne trompent pas : en 2015, pour la première fois, le
Communicator, référence de la littérature professionnelle en matière de communication
depuis 1989, dédiait un chapitre à l’évaluation (Adary, Libaert, Mas et Westphalen,
2015). Mais plus encore qu’un accent porté sur une activité considérée par ses auteurs
comme insuffisamment développée ou rigoureuse, c’est l’orientation même de
l’évaluation qui semblait prendre un tour particulier, avec certains propos où se mêlent
constat d’un mouvement de transformations en cours, mise en demeure, ralliement
à un impératif incontournable, et apologie au nom d’un bien commun corporatiste.
Ainsi ces quelques saillies puisées dans la huitième édition de 2018 : « Aujourd’hui, la
question du ROI (Return on investment) est cruciale et les communicants découvrent
les concepts de KPI (key performance indicator ou indicateur clef de performance) et
de tableau de bord de la performance. La culture des moyens fait place à la culture du
résultat » (Adary, Mas et Westphalen, 2018, 81). Ou encore : « … depuis une dizaine
d’années, la “fonction communication” dans son ensemble est confrontée à une crise
de défiance qui la contraint à trouver des réponses à cette question cruciale : “Je sais
combien tu coûtes à l’entreprise, mais combien rapportes-tu ?” Cette interrogation
est légitime et doit être prise en compte par les différents représentants de la fonction
communication… » (ibid., 83) ; « La communication, à l’instar des autres fonctions,
doit de plus en plus rendre des comptes et c’est une bonne chose. Loin d’être perçue
1 Par exemple, l’Association Française de Communication Interne (AFCI) organisait une rencontre
en 2012 sur le thème : « Comment les neurosciences peuvent-elles rendre la communication plus
efficace
?
». URL : https://www.afci.asso.fr/publications/toutes-les-publications/dejeuner-debat-
comment-les-neurosciences-peuvent-elles-rendre-la-communication-plus-efficace-22-mai-2012/
2 Comme celui publié en 2017 par l’association Entreprise & Média.
3 Comme l’AMEC - l’international association for the measurement and the evaluation of
communication - qui a par ailleurs édité en 2010 une charte qui pose les principes de l’évaluation et
de la mesure dans le secteur.
26 Mesurer la communication ? Ce que les outils de mesure font à la professionnalisation...
comme une menace pour la fonction communication, l’impérieuse nécessité de rendre
des comptes aux décideurs […] est en réalité une opportunité. Il apparaît crucial
aujourd’hui de démontrer la contribution de la fonction communication (et de son
budget) à la réussite de l’organisation » (ibid., 83) ; et de façon plus radicale : « le
dogme managérial actuel peut être résumé par cette citation empruntée au célèbre
physicien danois, spécialiste de la physique nucléaire, Niels Bohr : ce qui ne se mesure
pas n’existe pas » (idem, 83-84). Certes, ce que propose le chapitre en question sur le
sujet ne répond que très imparfaitement à cette radicalité ; une certaine modestie est
de mise4. Il n’empêche. Ces propos reconduisent un idéal de maîtrise au service de la
performance.
Cet article porte sur l’évaluation de la communication et plus particulièrement de
la communication interne. Nous entendons par communication interne l’activité info-
communicationnelle des professionnels de la communication ou encore des managers
impliquant les employés d’une organisation comme destinataires ou encore acteurs
de la communication. De façon secondaire, la communication interne renvoie à
l’ensemble des échanges et relations entre les membres de l’organisation dans le cadre
de l’activité de travail. Dans notre propos, l’évaluation de la communication réfère
principalement à l’activité des professionnels de la communication.
Il s’agit, d’abord, de rendre compte de l’étendue du domaine de l’évaluation et
porter ainsi, de façon implicite du moins, la question de ce qu’il y a lieu effectivement
d’évaluer, de ce qui mérite de l’être, tant le champ des possibles est immense et peut
conduire à la démesure.
Ensuite, nous proposons une analyse critique de l’évaluation de la communication
interne, d’une part, contre ces discours « musclés » évoqués précédemment et pro­
pices à une gestionnarisation de la communication interne, mais aussi contre une
certaine conception « humaniste » du rôle de la communication qui fonde également
l’approche évaluative dans la littérature professionnelle. Cette approche critique
repose sur la mise en évidence de ce que nous considérons comme deux limites à la
démarche d’évaluation de la communication entendue comme tentative de tenir un
discours vrai sur la communication et son efficacité : une limite de type gestionnaire
et une limite de type politique. La première limite pourrait s’énoncer avec la question
suivante : l’efficacité de la communication interne est-elle évaluable ? La deuxième
limite pourrait se dire avec la question suivante : est-ce que ce qui est évalué est ce pour
quoi des actions en matière de communication sont menées ? Il s’agit enfin de tirer
de ces limites quelques hypothèses sur les enjeux de l’évaluation érigée en impératif.
Nous ne prétendons pas que l’efficacité de la communication ne peut se mesurer (en
4 Cette modestie s’imposait déjà en 2008 quand l’un des auteurs de la huitième édition du Commu­
nicator, Assaël Adary, écrivait avec Benoît Volatier : « C’est bien là l’enjeu de cet ouvrage : proposer
un regard théorique mais également pratique (un manuel) pour évaluer le retour sur investissement de
ces 32,5 milliards d’euros. À défaut d’une impossible équation financière qui vaudra à son éventuel
inventeur le prix Nobel d’économie, la définition du retour sur objectifs constituera déjà une solution
parfaitement satisfaisante » (2008, 10).
Évaluer la communication interne. Une approche critique 27
tout cas quelque chose est mesuré), ni même que la communication n’aurait aucune
efficacité, ni même qu’elle ne puisse servir des desseins humanistes ; seulement que
l’évaluation, par rapport à ces prétentions, pose problème.
1.
Étendue et logiques de l’évaluation
de la communication interne
Nous entendons par évaluation de la communication la démarche qui consiste à porter
une appréciation sur des actions, des usages, des politiques, des stratégies, relevant
du domaine de la communication et initiés par des professionnels. Mais l’évaluation
c’est un peu plus que cela aussi, si on veut la distinguer de l’expérience ordinaire de
la mise en mouvement d’une compétence cognitive à laquelle s’adonne volontiers
tout à chacun (Martuccelli, 2010). Dans les organisations, en effet, la communication
ne manque pas d’être prise comme objet d’une telle démarche ordinaire par les
employés (Augendre, 1998) ; c’est un aspect d’ailleurs qui intéresse les communicants
lorsqu’ils enquêtent à son propos (ce que les employés pensent des actions conduites
par les professionnels). Il convient d’ajouter à notre définition d’abord que c’est une
démarche qui s’inscrit dans une volonté d’objectivation de la communication, et donc
qui s’appuie sur des méthodes et implique des repères (des critères, des indicateurs,
des référentiels, des normes…) à l’aune de quoi confronter l’objet de communication ;
et ensuite, que cette démarche est assurée par des professionnels reconnus légitimes
pour assurer cet exercice (qu’ils soient professionnels de la communication et/ou
professionnels de l’évaluation) ; enfin, l’évaluation a vocation à nourrir une prise de
décision.
1.1.
Évaluer la communication. Un puits sans fonds ?
Ce qui frappe à la lecture de la littérature professionnelle ou encore de travaux
universitaires dédiés à l’évaluation de la communication5, c’est l’étendue du domaine
qu’elle recouvre. On peut envisager celle-ci selon trois niveaux :
À un niveau très général, ce qui est objet d’évaluation renvoie aux catégories et
spécialités du champ de la communication. Dans son analyse des outils de mesure
de la communication, Maud Tixier (1996), par exemple, définit dix domaines de
spécialités qui ont chacun leurs spécificités en matière d’outils d’évaluation :
1) la publicité institutionnelle,
2) le lobbying et la communication d’opinion,
3) la communication de crise,
5 Dans le domaine des SIC, il y a relativement peu de travaux universitaires sur ce sujet ; en France,
il n’y a guère aujourd’hui que Valérie Lépine qui y a consacré quelques articles. Et il faut remonter
aux années 1990 pour trouver des articles qui, dans une optique assez générale, proposent d’en saisir
les contours.
28 Mesurer la communication ? Ce que les outils de mesure font à la professionnalisation...
4) le design ou l’identité visuelle,
5) la communication interne,
6) la communication financière,
7) la publicité produit,
8) la communication de recrutement,
9) le mécénat et le sponsoring, et
10) les relations presse (Tixier, 1996).
En ce qui concerne plus particulièrement la communication interne, le domaine
apparaît tout aussi vaste. Dans un article lui aussi ancien, Valérie Carayol interroge
l’audit de communication interne à partir des pratiques concrètes de communication
et repère cinq dimensions qui ont vocation à cadrer la démarche de diagnostic et
d’évaluation :
1) la dimension de gestion relationnelle qui renvoie la communication à la
question de la confiance, de l’éthique, de la vérité et de l’authenticité,
2) la dimension d’intégration qui renvoie à la socialisation, l’éducation,
3) la dimension patrimoniale qui renvoie à la production identitaire de l’orga­
nisation : mémoire, archivage, commémoration, gestion de l’identité,
4) la dimension maïeutique qui renvoie à des pratiques de concertation, de
développement de la créativité, et de l’initiative, de coopération et de
participation et
5) la dimension logistique qui renvoie la communication à une prestation de
services liés à la communication, et à la production et la diffusion d’infor­
mations, en réponses aux besoins des acteurs de l’organisation. Une
particularité de la démarche de l’auteure est d’être sous-tendue par une
conception humaniste de la communication interne et de son rôle, qui définit,
en partie du moins, le sens de l’efficacité que l’évaluation justement a vocation
à éprouver.
À ce niveau, la communication dont il est question à travers ces différents domaines,
et soumise à évaluation, oscille entre deux acceptions : soit la communication interne
relève des attributions des communicants, soit la communication interne relève de
processus qui se déploient dans l’organisation et sur lesquels les professionnels de la
communication interviennent plus ou moins.
On retrouve cette oscillation entre ces deux façons de penser la communication
interne et son évaluation dans le manuel Les Tableaux de bord de la communication
écrit par Thierry Libaert et André de Marco (2006). Ainsi, les auteurs préconisent-
ils à propos de la mise en œuvre d’un bilan de la communication que soit pris en
considération « le rôle des différents acteurs : direction de l’entreprise, direction de
la communication, direction des ressources humaines, encadrement aux différents
niveaux (divisions, branches, départements, filiales, sites, unités…), syndicats et
organes de représentation du personnel (comité d’entreprise, délégués du personnel,
CHSCT), comités et groupes de travail interne, chaque membre du personnel »
(p. 135). Et les auteurs d’ajouter qu’« il convient également d’analyser les réseaux
Évaluer la communication interne. Une approche critique 29
de communication informelle et d’en évaluer leur poids6 ». On peine à imaginer
l’étendue de la tâche.
À ce premier niveau qui renvoie aux catégories, domaines ou fonctions de
la communication à évaluer s’en ajoute un deuxième, qui relève des activités qui
nourrissent ces domaines et qu’il s’agit d’évaluer : soit tout le registre des actions
particulières, des outils, des stratégies, des campagnes, des événements, des usages.
À ce niveau, la moindre action de communication interne, la moindre publication, le
moindre audiovisuel, site internet, journal, la moindre opération sur les réseaux sociaux,
la moindre journée portes-ouvertes, séance de team building, le moindre événement,
salons, pris en charge par les communicants est un objet potentiel d’évaluation ; mais
aussi la moindre action de communication, publication, réalisation, événement, etc.,
pris en charge par les employés (manager ou non) est tout autant susceptible d’être un
objet à évaluer tant il est vrai qu’aujourd’hui, les employés, qu’ils soient managers ou
non, sont sollicités pour assurer des actions de communication.
Enfin, à un troisième niveau, l’évaluation de la communication concerne ce qui
en est attendu, ce qu’elle cherche à mettre en évidence, son sens. Sur ce point, une
première distinction peut être faite entre une évaluation qui précède l’action et qui
vise à en orienter la mise en œuvre (pré-tests, étude d’opinions et de représentations)
et une évaluation qui vise à saisir l’impact de l’action. Maud Tixier distingue à ce
propos outils de pilotage et outils de validation.
Une deuxième distinction concerne les rapports entre les différentes dimensions
de l’action à évaluer, à savoir les objectifs, les moyens et les résultats. Celle-ci
est au principe de toute démarche rationnelle d’évaluation d’une action en finalité
et se retrouve fréquemment dans la littérature professionnelle. Les actions de
communication interne peuvent ainsi être évaluées du point de vue de leur pertinence
(adéquation des moyens aux objectifs), du point de vue de leur efficience (adéquation
des moyens aux résultats), ou encore du point de vue de leur efficacité (adéquation des
objectifs aux résultats)7.
La communication interne, en regard de la diversité des dimensions et des actions
qu’elle recouvre, des techniques et des supports qui lui sont associés, offre un terrain
particulièrement fertile pour une activité d’évaluation, et ce d’autant plus que ce terrain
est évolutif, qu’il se nourrit des développements, des transformations, des événements
qui touchent l’organisation : l’attention portée sur certaines situations ou certains
phénomènes problématiques au nom de la responsabilité morale, de la citoyenneté, ou
encore sous la pression de la législation, définissent de nouveaux sujets et appellent
6 L’ampleur d’un tel travail laisse quelque peu songeur… C’est à se demander si ce genre de manuel
ne vise pas à décourager le communicant interne désireux de mener une telle tâche, et à l’inciter à
s’en remettre à des agences spécialisées dans l’évaluation.
7 Dans l’article mentionné précédemment sur l’audit de communication interne, Valérie Carayol
mentionne un quatrième type, la conformité, soit l’adéquation de l’action avec les normes, les règles,
les procédures ou encore la stratégie.
30 Mesurer la communication ? Ce que les outils de mesure font à la professionnalisation...
des actions de communication (tout ce qui tourne autour de la responsabilité sociale
et environnementale, de la QVT8, par exemple) ; les transformations managériales
fondées sur la responsabilisation, l’engagement, les logiques projet, impliquent de
nouveaux régimes de partage d’information, d’échanges et de coopération, auxquels
les professionnels de la communication sont associés, en intervenant comme
« expert des relations entre les acteurs de l’organisation9 » ; enfin, le développement
des technologies numériques contribue à redéfinir les modalités de production et
de diffusion d’informations ou encore les formes d’échanges dans l’organisation
(intranet, réseaux sociaux internes, serious game, communautés virtuelles,
applications diverses…), et redessine les contours de l’activité des communicants, et
de leur domaine de compétence. Par ailleurs, ces technologies définissent un nouveau
territoire évaluatif (leurs usages : temps de login, temps de consultation d’une page
web, cheminement sur un site, nombre de visites, nombre de clics, de like, etc.), de
nouvelles modalités d’évaluation (quasi automatisée), et de nouvelles fréquences (en
temps réel).
Ainsi, on peut envisager l’évaluation selon trois niveaux : les catégories ou dimen­
sions, les actions et outils de communication et le sens. Ces trois niveaux sont
articulés les uns aux autres, ils définissent le domaine de l’évaluable, un domaine
particulièrement étendu, riche de possibilités, et fortement exposé au risque de
quantophrénie.
1.2.
Pertinence et efficacité : logique professionnelle
et logique gestionnaire
Nous faisions remarquer précédemment que l’édition 2015 du Communicator avait
dédié un chapitre à l’évaluation et la mesure, ce qui témoignait d’une certaine adaptation
avec un air du temps gestionnaire. Pour autant, cette introduction ne signifie pas que
l’évaluation fut absente des autres éditions. Elle est abordée de façon ponctuelle à
propos d’un domaine ou l’autre de la communication. Par exemple, dans l’édition
de 1998, le chapitre sur la communication interne consacre cinq pages à « l’audit
interne » dont une sur « l’audit de communication interne » ; celui sur les relations
avec la presse consacre deux pages à « l’analyse des retombées presse ». Mais surtout,
de façon implicite, en creux, elle parcourt l’ensemble des différentes éditions ; elle est
inhérente au principe même de ce genre d’ouvrages, qui est de proposer une pédagogie
de l’expertise en communication. Il s’agit en effet non seulement de décrire le vaste
champ de la communication des organisations, ses techniques, ses outils, ses enjeux,
mais aussi de caractériser ce qui constitue une intelligence communicationnelle et
8 Qualité de Vie au Travail.
9 Selon l’expression utilisé par l’AFCI dans son référentiel de compétences des responsables
communication interne (repéré à https://www.afci.asso.fr/wp-content/uploads/2014/09/referentiel_
afci.pdf).
Évaluer la communication interne. Une approche critique 31
un art de communiquer, c’est-à-dire en définitive les ficelles du/des métiers. Le
Communicator fournit des repères normatifs, théoriques et pratiques, pour mener des
actions pertinentes et à partir de quoi le professionnel peut espérer tirer des effets
d’efficacité. En cela, il est un cadre de référence (parmi d’autres) pour l’évaluation,
dont l’appropriation par le professionnel permet à celui-ci non seulement d’exercer
son travail mais aussi d’avoir sur celui-ci un regard critique. Ce type d’ouvrage
renvoie la communication à une logique professionnelle et l’évaluation à une
logique de moyens. L’ajout d’un chapitre consacré spécifiquement à l’évaluation,
avec son discours introductif, déplace un peu les lignes ; il renvoie davantage la
communication à une logique gestionnaire et l’évaluation à une logique de résultats.
En cela, il coïncide avec ce mouvement qui a affecté ces dernières années le sens de
bien des professions. Ceci ne signifie pas que dans les faits cette logique s’impose,
se généralise et transforme fondamentalement l’activité du communicant. Cependant,
un constat est fait, que les professionnels de la communication en entreprise subissent
une pression gestionnaire qui les conduit à mettre en place des indicateurs (retombées
presse, enquêtes et baromètres d’image, fréquentations d’événements, taux de clic,
désabonnement d’une newsletter…), à mettre en place des tableaux de bord, à faire
du reporting, bref à entrer dans l’univers normatif de la gestion (Lépine, 2014, 2015).
La reconnaissance de la fonction en interne, comme fonction de management, serait
d’ailleurs à ce prix (Lépine, 2014), ce qui en définitive n’a rien d’étonnant (c’est
même une tautologie) si l’on considère la définition du management.
Ceci étant, l’évaluation de la communication interne n’est pas sans limite, et pas
seulement parce qu’elle est une activité qui demande du temps et des moyens (ce qui
est déjà un frein à la démesure évaluative).
2.
L’évaluation de l’efficacité de la communication,
entre indétermination de l’efficacité et évitement
du politique
Quel que soit le rôle que l’on attribue à la communication interne, un aspect
fondamental de celle-ci est d’être une activité fonctionnelle dans une organisation qui
a vocation à agir sur les représentations, les dispositions à agir, les comportements,
les orientations d’actions, ou encore les relations10. Dans cette perspective, l’efficacité
de la communication (écarts entre les objectifs et les résultats) concerne l’impact des
actions menées sur les représentations, dispositions, etc., leurs liens avec les objectifs
de la communication, d’une part, et avec la mission dévolue à la communication
10 Assaël Adary et Benoît Volatier (2008) proposent une liste des objectifs de ces actions : ou encore
de manière plus étendue, cette vocation est de : « faire savoir, informer, faire déplacer, faire venir ;
faire proposer des idées ; émettre des suggestions ; faire participer ; rendre actif ; faire lire ; faire
connaître en détail ; faire comprendre ; sensibiliser ; préparer psychologiquement ; rassurer ; faire
apprécier ; faire plaisir ; impliquer ; faire adhérer » (Adary et Volatier, 2008, 35).
32 Mesurer la communication ? Ce que les outils de mesure font à la professionnalisation...
interne, d’autre part. De cette distinction entre le rapport communication/objectifs,
et le rapport communication/missions ou rôle, nous tirons deux limites auxquelles se
heurte l’évaluation de la communication interne comme pratique fondée à produire
une vérité sur l’efficacité de la communication : une limite concernant les rapports
de causalité entre communication et résultats ; et une limite concernant le rôle de la
communication interne et la fonction de l’évaluation.
2.1.
Efficacité et indétermination causale
Un exemple permettra de rendre compte des limites d’une évaluation de l’efficacité.
Il nous vient d’un lointain passé mais résonne avec les préoccupations actuelles
relatives à l’évaluation. C’est son intérêt. Il porte sur des activités de recherche
et sur un objet particulier de la communication, le film. En 1956, Germaine de
Montmollin, attachée de recherche au CNRS, publie un article dans la revue
Travail Humain intitulé : « Recherches expérimentales sur l’efficacité du film dans
la formation professionnelle ». Dans ce texte, l’auteure présente un ensemble de
recherches françaises et anglo-saxonnes expérimentales en psychologie sur la mesure
de l’efficacité du film cinématographique comme moyen d’apprentissage. Ces
recherches, qui renvoient à une bibliographie dense d’une centaine de titres depuis les
années 1930, portent sur les conditions favorisant la compréhension, la mémorisation
des informations ou encore l’acquisition d’un savoir pratique mis à l’épreuve dans
le cadre d’expérimentations. L’efficacité de la communication dans ces recherches
est envisagée à partir d’approches comparatives entre groupes exposés à des films et
sur lesquels sont testées certaines variables. Ce qui est mesuré est l’impact du film
en matière d’apprentissage cognitif ou pratique selon certaines caractéristiques du
matériau filmique ou de ses conditions de diffusion, sur des publics relativement
homogènes au plan cognitif. Autrement dit, dans la terminologie utilisée jusque-là,
ce qui est évalué ici est à la fois l’efficience (rapports moyens/résultats) et l’efficacité
(rapports objectifs/résultats). Ce que met en évidence cette synthèse c’est d’abord
l’étendue des facteurs étudiés intervenant dans cette efficience/efficacité : couleur/noir
et blanc ; muet/sonore ; accompagnement musical ou non ; image en rapport avec le
sujet/image divertissante ; angle de prise de vue ; type de montage ; place du spectateur
par rapport à l’écran (de face, de côté) ; projection précédée d’une présentation orale
ou non, etc. Ensuite, ce que souligne l’article, ce sont les contradictions concernant
les résultats de ces recherches et l’impossibilité de stabiliser un rapport film/diffusion/
impact.
Il apparaît d’abord, à travers cet article, que l’intérêt pour l’évaluation de la
communication n’est pas récent, et n’est pas seulement professionnel, mais aussi
scientifique. Ces recherches s’inscrivent dans une visée de mieux saisir les apports d’un
film dans les processus d’apprentissage et portent aussi un enjeu de rationalisation de
l’acte de communication (contenu, forme, diffusion). De cet ancrage de l’évaluation
et de ses objectifs dans un passé relativement lointain, on peut en déduire que le
Évaluer la communication interne. Une approche critique 33
mouvement actuel de gestionnarisation de la communication n’est pas un pur produit
du néolibéralisme ; il est plutôt, et les expériences rapportées ci-dessus nous invitent à
l’envisager ainsi, un produit de la raison instrumentale, telle qu’elle s’est développée
au début du xxe siècle, avec le management scientifique, et sa quête effrénée de
rationalisation des activités de travail à des fins d’efficacité (Le Texier, 2016). Il s’agit
bien à travers ces recherches de tenter de faire entrer la communication (et ici l’usage
des outils de communication) dans le giron de la rationalité taylorienne (pour le plus
grand profit de l’apprentissage).
Mais la leçon qu’il est aussi possible de tirer de ce texte est la difficulté à fixer
les conditions optimums de l’efficacité, non seulement parce que les variables sont
nombreuses et ne produisent pas les mêmes effets selon les expérimentations (résultats
contradictoires) mais aussi et surtout parce que - c’est une banalité de le dire - la
cause de l’efficacité ne se réduit pas à l’action du film, mais implique également le
spectateur. Cela signifie que l’on ne peut imputer l’efficacité de la communication
à l’action de communication, et donc a fortiori à l’action des communicants.
L’adéquation des objectifs aux résultats qui définit l’efficacité relève d’une rencontre
particulière ici entre film et spectateur, mais cette rencontre échappe en grande
partie au communicant dans ses implications. Et si cela vaut pour des changements
représentationnels ou cognitifs, l’efficacité est plus incertaine encore quand il s’agit
d’obtenir des changements de comportements, comme peut en témoigner l’abondance
des travaux en psychologie sociale qui vont en ce sens (même si le film peut agir sur
les chances que ce changement ait lieu, et qu’il y a des techniques qui donnent de
meilleurs résultats que d’autres11).
Dans le prolongement de ces remarques et d’une manière générale, lorsqu’une
action de communication est suivie d’effets escomptés, cela ne signifie pas qu’il faille
imputer cette efficacité uniquement à cette action. D’autres facteurs, contextuels,
qui échappent aux initiateurs peuvent intervenir et exercer aussi une influence,
positivement ou non ; en matière de comportements, d’autres « instruments » que
ceux relevant de l’information et de la communication peuvent être déployés, pour les
favoriser ou les prohiber (Lascoumes, 2004).
Aussi, l’expression même d’évaluation de l’efficacité de la communication pose
problème. Concernant les supports, elle reconduit l’idée d’une efficacité inhérente à
l’outil et reconduit en même temps la figure d’un destinataire passif. La conséquence,
également, est de conforter l’imputabilité de l’efficacité au communicant. On retrouve
ce raisonnement dans l’ouvrage d’Assaël Adary et Benoît Volatier sur l’évaluation
des actions de communication (2008). Les auteurs proposent une pyramide des
objectifs de la communication qu’ils associent à un degré de responsabilité de la
communication. Ainsi, pour les trois premiers niveaux d’objectifs - faire connaître,
faire comprendre, faire adhérer - la responsabilité incomberait à la communication,
11 On pense ici plus précisément à la distinction entre communication argumentative et persuasive
et communication engageante.
34 Mesurer la communication ? Ce que les outils de mesure font à la professionnalisation...
tandis que pour le quatrième niveau - faire changer de comportement ou d’attitude -
la communication ne jouerait qu’un rôle de contribution.
On comprendra alors ce qu’il pourrait y avoir d’incongru, d’arbitraire voire
d’injuste, par exemple, à indexer le salaire des communicants sur l’efficacité de la
communication12. Parce qu’ils ne peuvent maîtriser les conséquences de leurs actions
sur les individus ; parce que la mise en œuvre de leurs actions peut être contrariée
par des impératifs, des exigences, des contraintes, qui vont à l’encontre de l’idée
qu’ils se font de la manière de répondre au mieux aux objectifs fixés ; et parce
que si l’évaluation de l’efficacité repose sur un recueil de données fournies par les
destinataires des actions (sondage, entretiens, questionnaires), une multitude de biais
dans les réponses peuvent bien évidemment aussi fausser les résultats.
En cela, ce que peut apporter une évaluation de l’efficacité de la communication
relève moins du registre de la vérité que de celui du sens. Sens érigé en vérité, à partir
duquel des décisions seront prises, des lignes d’actions définies, et sens nourrissant
ces décisions de ses insuffisances.
2.2.
Rôle de la communication interne et évaluation.
L’évitement du politique ?
Venons-en maintenant à la deuxième limite, laquelle dérive du rôle que l’on
assigne à la communication interne, au fondement d’une conception réductrice
- pensons-nous - de ce que serait une communication efficace. Quel est ce rôle ?
Pour Thierry Libaert et André de Marco (2006), par exemple, il est de contribuer au
bon fonctionnement de l’entreprise, et de répondre aux attentes du personnel - ce bon
fonctionnement est tributaire de la diffusion d’une information diversifiée destinée
à favoriser l’intégration, la coopération, la bonne réalisation du travail, et permettre
aussi à l’encadrement de « prendre les bonnes décisions et de réagir aux événements »
(p. 135). Pour ce qui est du rôle de la communication comme réponse aux attentes
du personnel, celles-ci renvoient à trois domaines, posés comme des besoins (que
la communication a alors vocation à satisfaire) : besoin de repères sur sa place, sur
l’entreprise, sur ce qu’on attend de lui ; besoin d’être consulté ; et besoin d’être
reconnu.
Dans le Communicator de 2018, l’introduction du chapitre sur la communication
interne attribue à celle-ci les fonctions d’exposer, de transmettre, d’expliquer, de
motiver, de préparer et d’accompagner le changement (p. 150). Elle précise également
qu’« à l’heure où les risques psychosociaux sont aigus dans les entreprises privées
ou publiques, la célèbre maxime de Jean Bodin, « il n’y a richesse, ni force que
12 L’édition de 2018 du Communicator évoque « l’apparition d’un système de rémunération
indexé sur des indicateurs d’efficacité » (p. 84), qui concerne les communicants internes et aussi les
prestataires. Mais nous ne savons pas si les pratiques auxquelles il est fait allusion dans cet ouvrage
correspondent effectivement à ce dont nous parlons ici.
Évaluer la communication interne. Une approche critique 35
d’hommes » est plus que jamais essentielle à rappeler en amont d’un chapitre sur la
communication interne » (p. 150).
Dans l’enquête quantitative déjà évoquée menée par Pierre Chavonnet (Occurrence)
pour l’Association française de communication interne (AFCI) en 2018 sur le métier
de communicant interne, les réponses à la question des objectifs ont fait l’objet
d’un regroupement en trois catégories : le développement et le renforcement de la
culture d’entreprise (« fédérer les collaborateurs », «valoriser l’action des salariés
et renforcer la cohésion », « donner du sens », « créer des liens », « contribuer à
l’émergence d’une culture d’entreprise », « valoriser l’engagement et le travail
des collaborateurs
»,
« renforcer le sentiment d’appartenance et de fierté
»)
;
l’accompagnement du changement et de la stratégie ; la diffusion de l’information
(« diffuser les informations », « transmettre les informations », « mieux informer »,
« améliorer la circulation de l’information ») ; à quoi il convient d’ajouter un rôle
d’« accompagnement des managers dans leur communication de proximité » (qui fait
dans le questionnaire l’objet d’une question à part). Quant à l’enquête qualitative,
menée parallèlement par Florence Giust-Deprairie et Corine Cauvin Renault13 auprès
d’un échantillon de 10 professionnels, elle souligne que les communicants internes
considèrent que leur rôle est de faire du sens, d’assurer la cohérence, de faire du lien
entre les différentes parties constitutives de l’organisation et de donner la parole à
ceux qui ne l’ont pas.
Ce qui ressort de ces quelques fragments de discours professionnels, c’est d’abord
que le rôle de la communication s’envisage comme un service, et un service vertueux.
La communication est au service de l’entreprise, de sa réussite, mais aussi au service
des hommes, à qui elle fournit des informations nécessaires à la réalisation de
leur travail, et qu’elle vise à rassembler, fédérer, lier, accompagner, valoriser, et à
intégrer dans une communauté de sens. En cela, le rôle de la communication semble
véritablement sous-tendu par un projet humaniste, constitutif même d’une certaine
identité professionnelle, et catalyseur aussi de performance. Dans ce cadre, on peut
alors envisager le rôle de l’évaluation comme un instrument de vérification d’un
tel projet. La manière dont Valérie Carayol appréhende l’audit de communication
interne, évoqué en première partie dans l’article, va en ce sens. Il manque cependant
à cette conception du rôle de la communication un ancrage dans une certaine réalité
organisationnelle faite de conflictualité, de rapports de pouvoir et de domination, de
subordination, de contraintes indiscutables, d’intérêts divergents et irréconciliables,
de bullshit jobs, de prédation financière, de précarité, de New Public Management, etc.
Violente réalité à laquelle les communicants sont confrontés, et par rapport à laquelle,
peut-être, la communication peut apporter au fonctionnement de l’organisation une
touche humaniste.
13 Ces deux chercheures en psychologie travaillent dans le laboratoire de changement social et
politique (Université Paris 7) et dans le centre ESTA.
36 Mesurer la communication ? Ce que les outils de mesure font à la professionnalisation...
Dans un article que nous citons volontiers, tant il nous semble riche pour penser la
communication des organisations, « le sujet et le pouvoir » (1982), son auteur, Michel
Foucault, opère une distinction entre trois registres de l’agir humain, et trois domaines
de relations, qui nous serviront de repères pour aborder cette limite dont il est question
ici : celui d’un agir sur les autres (relations de pouvoir), celui d’un agir sur les choses
(capacités objectives, relation aux choses) et celui d’un agir sur les signes et le sens
(rapports de communication). Ces domaines ne sont pas séparés ; il n’y a pas, écrit
Foucault,
« d’une part, le domaine des choses de la technique finalisée, du travail et de la
transformation du réel ; de l’autre, celui du sens ; enfin celui de la domination, des
moyens de contraintes, de l’inégalité et de l’action des hommes sur les hommes. Il
s’agit de trois types de relations qui, de fait, sont toujours imbriquées les unes aux
autres, se donnant un appui réciproque et se servant mutuellement d’instruments.
La mise en œuvre de capacités objectives, dans des formes les plus élémentaires,
implique des rapports de communication (qu’il s’agisse d’information préalable,
ou de travail partagé), elle est liée aussi à des relations de pouvoir (qu’il s’agisse
des tâches obligatoires, de gestes imposés par une tradition ou un apprentissage,
de subdivisions ou de répartitions plus ou moins obligatoires de travail). Les
rapports de communication impliquent des activités finalisées (ne serait-ce que la
mise en jeu « correcte » des éléments signifiants) et, sur le seul fait qu’ils modifient
le champ informatif des partenaires, ils induisent des effets de pouvoir. Quant
aux relations de pouvoir elles-mêmes, elles s’exercent pour une part extrêmement
importante à travers la production et l’échange de signes ; et elles ne sont
guère dissociables non plus des activités finalisées, qu’il s’agisse de celles qui
permettent d’exercer ce pouvoir (comme les techniques de dressage, les procédés
de domination, les manières d’obtenir l’obéissance) ou de celles qui font appel
pour se déployer à des relations de pouvoir (ainsi dans la division du travail et la
hiérarchie des tâches). » (p. 233-234).
Replacé dans le contexte de l’organisation, ce que suggère ce texte c’est que la
fonction communication se trouve être à l’articulation des activités finalisées, de la
production de sens (et de liens) et des rapports de pouvoir. Or, en regard de cette
articulation, ce qui est donné à lire concernant le rôle de la communication interne
dans la littérature professionnelle, c’est que celle-ci est envisagée principalement dans
son rapport à l’activité finalisée et dans son rapport à la production de sens (partagé)
et dans une moindre mesure seulement est-elle envisagée dans son rapport au pouvoir
(il est quand même question de management, de règles, de prescription). Mais c’est
un rapport un peu lointain, en tout cas extérieur à la communication : celle-ci informe
sur les règles et les prescriptions ou encore accompagne le management. Par cette
information ou par cet accompagnement - qui implique dialogue, écoute, conseil -
elle fait basculer le rapport de pouvoir dans un rapport de communication.
Et si le rôle de la communication interne n’était pas tout à fait ainsi, ou pas seulement
ainsi. Et si son rôle relevait aussi d’une implication dans une lutte symbolique pour
Évaluer la communication interne. Une approche critique 37
tenter d’imposer un certain rapport au monde, à soi et aux autres, selon une logique
managériale, contre d’autres logiques (professionnelles et syndicales, par exemple), et
afin d’en tirer des effets d’utilité et de docilité ; et si son rôle était aussi de contribuer
au projet de domination de l’organisation, comme le suggère David Courpasson dans
son livre L’Action contrainte (2000), un projet qui est fondé sur une surhumanisation
du travail, selon Danièle Linhart (2015), et qui renouvelle l’expérience subjective de
la domination (Martuccelli, 2004) ; et si son rôle était aussi d’agir sur les conditions
subjectives du travail, pour rendre celles-ci plus supportables, pour compenser aussi
les rigueurs de ses conditions objectives, et rendre ainsi l’obéissance joyeuse, comme
nous invite à le penser Frédéric Lordon dans La Société des affects (2013) ; et si son
rôle était aussi d’invisibiliser ces différents rôles, à travers des pratiques revendiquées
comme relevant de préoccupations économico-humanistes mais qui pourtant peuvent
prendre un tout autre sens lorsqu’on les confronte à la question du pouvoir. Il y a ainsi,
par exemple, trois façons différentes de penser l’objectif de fédérer tandis qu’une
même action ou une même suite d’actions relevant de cet objectif peut renvoyer
à trois enjeux : favoriser la coopération au travail, produire du sens commun pour
se comprendre et faire communauté, renforcer l’emprise de l’organisation sur les
individus et les groupes. C’est toute l’ambivalence de la communication interne,
laquelle surgit quand les professionnels se trouvent confrontés à des exigences
discursives qui heurtent leur principe ou le sens qu’ils donnent à leur action.
Par exemple, dans l’enquête psychosociale menée par l’AFCI en 2019, ces quelques
remarques d’un des communicants internes interrogés :
« En fait c’était devenu insupportable pour moi d’arriver, enfin d’être obligé de
me faire le porteur… de messages, de véhiculer vous voyez une vision stratégique,
une vision commerciale, etc. avec laquelle moi je n’étais fondamentalement pas
d’accord, donc ce qui explique que j’ai quitté la boîte…
… Alors ce n’est pas par vertu mais je ne pouvais pas porter une parole… totale­
ment mensongère… irrespectueuse des gens… ce n’est pas possible…
je suis assez malheureux quand je vois finalement des gens qui par rapport à l’en­
treprise je dirais… c’est peut-être différent dans les récits collectifs, d’associations
ou d’ONG, il y a une part d’identification pour moi beaucoup plus importante…
…En fait je suis malheureux quand je vois des gens qui s’identifient trop au récit
de l’entreprise parce que je leur dis, les entreprises sont des monstres froids qui
n’en n’ont rien à foutre de qui que ce soit pour la plupart d’entre elles… et donc je
pense qu’ils sont…enfin dans beaucoup de cas ils vont être déçus »14.
Et si donc le rôle de la communication était aussi tout cela : rendre utile et docile,
dominer, faire diversion, tromper, aliéner. Assurément, la face de l’évaluation devrait
s’en trouver quelque peu transformée, car c’est ce rôle - et nous l’écrivons non sans
une certaine ironie - dont il faudrait aussi évaluer l’impact, c’est au travers de ce
14 Giust-Desprairies, F. et Cauvin-Renault, C. (2019). La construction de soi comme communicant,
Étude Psychosociale, AFCI/ESTA, p. 19.
38 Mesurer la communication ? Ce que les outils de mesure font à la professionnalisation...
rôle qu’il faudrait envisager aussi l’efficacité de la communication, et sur quoi la
communication devrait rendre des comptes : c’est-à-dire, par exemple, évaluer sa
contribution à l’imprégnation de l’idéologie managériale auprès des salariés, à la
mise en utilité/docilité de ceux-ci, à la solidité du projet de domination, au déclin de
l’influence syndicale, et de la formation de collectifs de contestation, etc.
Conclusion
À partir des propos tenus par les auteurs du Communicator, qui considèrent
l’évaluation de la contribution de la communication à la réussite de l’organisation
comme un impératif dorénavant incontournable et favorable à la reconnaissance de
la fonction, nous avons porté notre attention sur deux limites à la mesure de cette
contribution, et plus précisément en matière de communication interne. La première
concerne l’imputation à la communication des effets qui lui valent d’être considérée
comme efficace. Cette limite ou cette incertitude concernant cette imputation pose
dès lors la question de la fonction de l’évaluation. Notre hypothèse est que ce qui
est en jeu dans l’évaluation est peut-être moins l’efficacité de la communication que
celle du communicant et que l’évaluation, donc, a vocation à rationaliser l’activité du
communicant, à rendre possible la mesure de celle-ci, à inscrire son activité dans une
logique de productivité et à exercer ainsi un plus grand contrôle (ou auto-contrôle) sur
son travail. La deuxième limite concerne la définition du rôle de la communication
interne sur laquelle est fondée l’évaluation. Nous soulignons que la définition de ce
rôle, dans la littérature professionnelle, est réductrice en ce qu’elle évite ou euphémise
sa portée politique, ce qui a comme conséquence de couper l’évaluation d’une
fonction de mesure de l’efficacité idéologique et politique de la communication. Dans
cette logique, nous faisons l’hypothèse que la vocation de l’évaluation, en regard de
la violence du contexte, n’est pas tant d’apporter une réponse à propos de l’efficacité
de la communication interne que de conforter la vocation humaniste de celle-ci et, par
elle, la vocation humaniste de l’organisation - définie comme la quête de conciliation
entre développement de l’organisation et développement des hommes.
Dans la perspective d’une appréhension politique de la communication interne et
de son évaluation, d’autres pratiques d’évaluation renvoyant à une acception de la
communication interne non limitée à l’action des professionnels de la communication
auraient mérité d’être prises en considération. Nous pensons notamment à l’évaluation
des compétences comportementales et relationnelles des salariés, leur savoir-être, qui
placent la communication interne dans le corps et l’âme du salarié (Heller, 2015 ; Balazs
et Faguer, 1996 Guilhaume, 2010) ; nous pensons à l’activité communicationnelle
des salariés, leur implication dans la production d’outils de communication, leur
travail de réseautage, etc., activité qui est un indicateur d’engagement du salarié dans
l’organisation ou de sa contribution à la performance de l’entreprise et qui est évaluée
dans certaines entreprises (Heller, 2016). Nous pensons également aux perspectives
offertes par les technologies numériques en matière d’évaluation de la dynamique
Évaluer la communication interne. Une approche critique 39
relationnelle d’une organisation et dont une entreprise comme Humanyze15, par
exemple, s’est fait la spécialité, dans une visée d’amélioration de la productivité
(spécialité qui rejoint les préoccupations de Thierry Libaert et André de Marco
lorsqu’ils conseillent dans leur ouvrage sur les tableaux de bords de la communication
« d’analyser les réseaux de communication informelle et d’en évaluer leur poids »
(2006, 135).
Alors que l’évaluation est brandie comme un impératif incontournable et un gage
de légitimité pour la communication, il est important d’interroger le sens de cet
impératif, ses limites, afin d’éclairer ce qu’il est possible de demander à l’évaluation,
et ainsi fournir matière à réflexion sur ce qui, dans ce domaine, politiquement, relève
de l’acceptable et de l’inacceptable.
Pour finir, il importe également de ne pas négliger que l’évaluation de la commu­
nication participe d’une économie du conseil ; elle est une activité professionnelle et
commerciale, génératrice de revenus et de profits sur un marché concurrentiel. C’est
aussi en regard de cette dimension qu’il faut situer et apprécier l’impératif actuel
dont la communication fait l’objet. Ceci ne le remet pas en cause fondamentalement
mais on comprendra que certains acteurs ont tout intérêt à le crier bien fort, à en
défendre le déploiement, au risque de contribuer, selon la force performative de leur
discours, à une dérive gestionnaire de la communication interne. Les auteurs qui, en
2015, ont repris l’édition du Communicator et introduit un chapitre sur l’évaluation,
et dont nous avons repris au début de ce texte quelques propos, dirigent aussi la
société Occurrence, qui a fait de la mesure et de l’évaluation de la communication
sa spécialité. On l’oublie peut-être trop souvent : la gestionnarisation des activités
humaines est aussi le fait de professionnels pour qui l’évaluation - qui participe de
cette gestionnarisation - est d’abord un produit, un service à valoriser, une source de
profit et un moyen de subsistance.
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communication à l’ère digitale !, 8e éd., Paris, France : Dunod.
Adary, A. et Volatier, B. (2008). Évaluez vos actions de communication. Mesurer
pour gagner en efficacité. Paris, France : Dunod.
15 https://www.humanyze.com. Une description des méthodes de mesure des interactions vendues
par cette société est présentée dans un article de la revue Écoréseau business datant de 2017 à l’adresse
suivante : https://www.ecoreseau.fr/tech/decryptage/2017/09/08/nouveaux-outils-productivite/
40 Mesurer la communication ? Ce que les outils de mesure font à la professionnalisation...
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