Instauration des données de la recherche dans l’enseignement supérieur agricole : actualisation et pré-figuration de médiations sociales, procédurales et réflexives

Sylvie Sognos

Docteure en Sciences de l’information et de la communication

ENSFEA, Université de Toulouse

sylvie.sognos@ensfea.fr

Aurélie Canizares

Maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication

ENSFEA, Université de Toulouse

aurelie.canizares@ensfea.fr

Cécile Gardiès

Professeure en Sciences de l’information et de la communication

ENSFEA, Université de Toulouse

cecile.gardies@ensfea.fr

Résumé

Dans le contexte actuel de datafication et de ré-usage des données, la gestion des données, souvent confiée aux professionnels de l’information scientifique et technique (IST), relève à la fois d’une médiation et d’une connaissance technique propre aux dispositifs info-communicationnels mobilisés. Or, la focalisation sur le caractère brut des données qui doivent être diffusées n’instaure pas cette médiation comme une médiation des savoirs. La question de la fairisation des données prime sur le partage de connaissances présupposé fondateur. Entre données originelles et données travaillées, quels sont les savoirs qui circulent ? Quel accompagnement se met en place derrière ce « travail invisible des données » ? Comment faire en sorte que ces données gardent du sens à travers ce processus de décontextualisation/recontextualisation qu’elles subissent ? D’un point de vue théorique, nous nous appuierons sur le cadre de la médiation en Sciences de l’information et de la communication ainsi que sur la dimension matérielle des connaissances pour appréhender ce travail de documentation ou de mise en récit. Nous présenterons les résultats d’une enquête exploratoire menée auprès de professionnels de l’IST dans l’enseignement supérieur agricole, déclinés en termes de médiation des savoirs, puis nous ferons un focus sur la rédaction d’un PGD. Nos résultats traceront quelques figures de cette médiation, procédurales, sociales ou réflexives.

Mots-clés : médiation, figures de la médiation, connaissance, données, enseignement supérieur agricole

Abstract

In the current context of datafication and the reuse of data, data management, which is often entrusted to scientific and technical information (STI) professionals, requires both mediation and technical knowledge specific to the info-communication systems used. However, focusing on the raw nature of the data to be disseminated does not establish this mediation as knowledge mediation. The issue of data fairness takes precedence over the presupposed sharing of knowledge. But between raw data and processed data, what knowledge is circulating? What support is put in place behind this “invisible data work”? How can we ensure that this data retains meaning through the process of decontextualisation/recontextualisation that it undergoes? From a theoretical point of view, we will draw on the framework of mediation in Information and Communication Sciences and on the material dimension of knowledge to understand this work of documentation or storytelling. We will present the results of an exploratory survey conducted among IST professionals in higher agricultural education in terms of knowledge mediation, and will then focus on the drafting of a PGD. Our results will outline a number of procedural, social and reflexive forms of this mediation.

Keywords: mediation, mediation figures, knowledge, data, agricultural higher education

Introduction

Les enjeux politiques de production et de circulation des connaissances pressent le contexte d’édition scientifique entre ouverture de la science et ses déclinaisons politiques et dépôt des publications avec autant que possible leurs données, algorithmes et codes sources.

La gestion rigoureuse et cohérente des données de la recherche constitue aujourd’hui un enjeu de taille pour la production de nouvelles connaissances scientifiques. Améliorer les pratiques de gestion des données de la science devient nécessaire pour garantir l’intégrité scientifique et la traçabilité de la recherche produite, mais aussi pour rendre accessible, partager, permettre la réutilisation ou la reproductibilité des données qui, rappelons-le, sont financées à plus de 50% sur des fonds publics.

La politique des données, algorithmes et codes sources se traduit ainsi par des engagements du MESRI1 avec notamment la création de recherche data gouv2, plateforme nationale fédérée des données de la recherche. Ses objectifs sont de soutenir la structuration, la préservation, le partage, l’ouverture, la découverte des données de la recherche et d’en favoriser les pratiques de réutilisation. Elle fédère un maillage d’offres d’accompagnement généraliste et thématique pour sensibiliser, former ou accompagner les équipes de recherche en proximité thématique et/ou géographique et constitue une offre souveraine de dépôt, publication et signalement des données. Elle a pour vocation d’être une solution opérationnelle à destination des chercheurs, une alternative à la publication sur des plateformes commerciales ou ne répondant pas à des critères de confiance et de devenir un des services de l’European Open Science Cloud (EOSC)3.

Dans ce contexte institutionnel, la gestion des données impacte des activités et des compétences multiples. Les établissements universitaires sont ainsi invités à designer en leur sein un administrateur des données, algorithmes et codes sources (ADAC). Parmi les acteurs de ce partage des données, on retrouve les équipes de recherche et les professionnels d’appui à la gestion des données.

Parmi ces professionnels d’appui, on distingue les professionnels de l’information scientifique et technique (IST), les informaticiens, les services juridiques, les référents à la protection des données (DPO, RGPD) mais aussi d’autres professionnels, ingénieurs, médiateurs, chargés de projets, éditeurs, institutions, etc. Les professionnels de l’IST sont ainsi chargés d’accompagner les équipes de recherche de l’enseignement supérieur : portails et collections en archives ouvertes, plans de gestion des données, Research data lifecycle, etc. Au cœur de cette datafication (Pontille, 2017) et de ce mouvement de ré-usage des données, cette gestion relève à la fois d’une médiation et d’une connaissance technique propre aux dispositifs info-communicationnels mobilisés, pour en assurer une fonction effective. Dans ce processus à l’œuvre où les savoirs sont mis en partage, les données, indications enregistrées pour permettre analyse et recherche automatique des informations (Cros et al., 1964), interopèrent dans le paysage informationnel.

Or, la focalisation sur « l’insistance si ce n’est l’obsession pour le caractère brut des données qui doivent être diffusées » (Denis et Goëta, 2016, p. 4) n’instaure pas cette médiation comme une médiation des savoirs. La question de la fairisation4 des données prime, dans les communautés scientifiques, sur le partage de connaissances pourtant présenté comme fondateur par l’EOSC. Si cette « neutralité de la transparence » par les données est largement remise en question par les acteurs qui les manipulent, le maillage du territoire pour les accompagner s’instaure pourtant avec la création d’ateliers et de réseaux institutionnels.

Mais entre données originelles et données travaillées, quels sont les savoirs qui circulent dans ou à travers ces mailles ? Comment les appréhender voire les caractériser au-delà de compilations de giga, codes html, standards et produits labellisés sous creative commons ? Comment passer des descripteurs (énoncés scientifiques) aux inscripteurs (instruments, technologies d’écriture) sans dénaturer le sens de leur énonciation, de leurs contextes de production, édition, diffusion, de leur écosystème ?

Autrement dit, quel accompagnement se met en place derrière ce « travail invisible des données » (Denis, 2018) ? Comment faire en sorte que ces données gardent du sens à travers ce processus de décontextualisation/recontextualisation ?

Les travaux menés en SIC autour des données traitent notamment de la question de leur production (Bullich et Clavier, 2018), de leur ouverture (Clavier et Paganelli, 2019), de leur archivage et de leur diffusion (Prost et Schöpfel, 2019) ou encore de l’évolution des différentes modalités opératoires de l’open access (Chartron, 2016). Si, comme le souligne J. Schöpfel, il ne manque pas de publications, de modèles et de retours d’expériences sur les services de données (2018), pour autant, les enjeux poursuivent divers objectifs comme « l’efficience et l’efficacité de la recherche publique, le transfert des résultats vers la société civile et l’économie, la transparence de l’action publique et la science citoyenne » (Chartron, 2018, p. 4). Mais on peut également citer le développement des infrastructures de recherche, le changement des modalités et critères d’évaluation et les critères d’attribution des subventions qui figurent parmi les leviers de cette politique (Schöpfel, 2020).

Face à ces enjeux, il nous semble donc intéressant d’explorer cette question de l’instauration des données au travers de notions moins convoquées dans ce domaine que sont celles de la médiation et de la circulation des savoirs.

D’un point de vue théorique, nous nous appuierons d’une part sur le cadre de la médiation en Sciences de l’information et de la communication dans ses dimensions sociale et langagière, logistique, technique et symbolique (Gardiès, 2012), dans ses figures (Jeanneret, 2009) ainsi que sur la notion de dispositif de médiatisation (Canizares et Gardiès, 2020), d’autre part sur la dimension matérielle des connaissances (Vinck, 1997) comme angle d’observation pertinent pour appréhender ce travail de curation, de documentation ou de mise en récit des données.

D’un point de vue méthodologique, nous présenterons les résultats d’une enquête exploratoire menée auprès de professionnels de l’IST en charge de ce travail « attentionné » (Denis et Goëta, 2016) dans l’enseignement supérieur agricole. Nous ferons ensuite un focus sur une étude de cas à partir de la rédaction de Plan de gestion des données (PGD) et du travail mené conjointement entre chercheurs et professionnels de l’IST. Nos résultats se déclineront en termes de médiation des savoirs, de la création des données à leur « libration » (Denis et Goëta, 2016), c’est-à-dire leur ouverture, et traceront quelques figures de cette médiation, procédurales, sociales ou réflexives (Jeanneret, 2009).

  1. Approche théorique
    1. Le cadre de la médiation en SIC : dimensions et figures

Intéressant la plupart des activités humaines, la médiation est problématisée dans divers champs scientifiques. En SIC elle est un objet de recherche majeur et contribue, avec d’autres concepts à une épistémologie de la discipline (Metzger, 2008). Dans une société où la circulation et l’accessibilité à l’information sont démultipliées par les avancées techniques, l’étude de la médiation s’attache à démontrer que le savoir et le sens résultent d’un réel travail d’élaboration de la part des passeurs, intermédiaires de la communication (Jeanneret, 2009). Objet de nombreuses métaphores, la médiation est alors qualifiée de tiers, d’entre-deux, de passage ou bien encore de pont (Simonnot, 2014).

La médiation est devenue un champ de recherche important dans le sens où les types de médiation ordonnent production, diffusion et appropriation de l’information au sein de l’espace public (Lamizet et Silem, 1997). Elle est processus car elle suppose de mettre en place, grâce à un tiers, des interfaces qui visent à accompagner et faciliter les usages. Elle ambitionne de créer un lien et de concilier deux choses jusque-là non rassemblées, pour établir communication et accès à l’information. Elle dépasse la simple transmission de l’information pour permettre à l’individu sa transformation en connaissance. La médiation a pour objectif d’assurer une articulation entre la dimension individuelle de l’usager dans son rapport à l’information et la dimension sociale de la construction d’un savoir.

À l’instar de Jeanneret (2009) dans son travail théorique sur la médiation, différents caractères essentiels de ce concept permettent de l’appréhender, ces caractères sont autant de descripteurs utiles ensuite à l’analyse des phénomènes. Parmi ces caractères nous retenons d’une part les dimensions de la médiation (Gardiès, 2012) et d’autre part les figures de la médiation (Jeanneret, 2009).

Ainsi trois dimensions principales caractérisent les processus de médiation : symbolique, langagière et logistique et technique.

Les figures constituent les deuxièmes caractères du concept de médiation. Celles-ci se définissent comme des formes d’expression réflexive, sociale et procédurale.

Ce croisement des dimensions et des figures caractérisant le concept de médiation en révèle, comme sur la lumière en photographie, le processus. En combinant ces trois dimensions dans l’analyse nous pensons pouvoir identifier les enjeux de la médiation dans les situations de communication.

  1. La dimension matérielle des connaissances et la mise en visibilité du travail des données

Décrire et analyser des phénomènes liés au partage des savoirs à travers les processus de médiation rend par ailleurs cruciale la question de l’accès à la connaissance car cela pose la question de son accès matériel, renvoyant au mythe de la transparence qui voudrait laisser croire que tout est accessible dans « un monde de la connaissance détaché des contraintes physiques et corporelles » (Vinck, 1997, p. 62). Remettant en cause une conception de la connaissance faite de mots et d’énoncés, même informatisés, qui serait considérée comme neutre, entité abstraite, universelle et intemporelle, D. Vinck (1997) lui oppose une connaissance matérielle. Saisir la connaissance c’est aussi saisir sa matérialité, c’est-à-dire la manière dont elle s’exprime. La partie explicite que l’on saisit de la connaissance est à l’image de l’iceberg. On n’en saisit qu’une infime partie au regard de la partie immergée. Cette approche marque la contextualité d’un énoncé, le fait qu’il soit inscrit dans des corps comme dans des objets et distribué au sein de collectifs hétérogènes. Cette matérialité, entendue au sens large, comprend toutes matières et formes d’inscription, d’ordre physique, langagier, corporel ou social. Elle a beau être accumulée dans des textes ou bases de données, « elle n’a toutefois de sens que pour ceux qui la produisent et pour ceux qui l’utilisent. Elle n’est véritablement connaissance que si elle est prise dans une action » (Vinck, 1997, p. 62). La connaissance suppose le plus souvent un engagement du corps. « La pensée se construit ainsi au travers de l’énonciation verbale ou de gestes de l’écriture ; elle est une forme corporelle autant que cognitive. Ses modes d’apparition comme ses contenus sont donc autant redevables des formes de corporéité » (Vinck, 1997, p. 77). à cette corporéité s’ajoutent mémoire, langage et collectifs. Cette connaissance n’est pas seulement faite d’énoncés ou de mots, de 0 ou de 1 : « Il ne suffit pas de l’extraire, de la mettre en boîte ou de l’appliquer » (Vinck, 1997, p. 77).

En écho à cette dimension matérielle de la connaissance, nous creusons la question du travail des données en tant que représentant les savoirs produits. Nous mobilisons les travaux de J. Denis (2018) qui interroge les configurations dans lesquelles le travail de l’écrit est un travail invisible en soulevant les enjeux de son éventuelle mise en visibilité. Suivant J. Derrida (1967) il reconnait à l’écrit une épaisseur matérielle aussi bien que langagière et une agentivité propre, d’où une définition élargie de l’écrit avec la notion d’« inscription ». Nous nous appuyons également sur les notions d’environnement scriptural, d’inscripteurs (les machines) et de dynamiques propres à B. Latour et S. Woolgar (1996) ainsi que sur les arguments de J. Goody (1979) pour lequel la raison moderne est graphique, venant de l’écriture et n’étant pas le résultat hors sol du développement de nos cerveaux. Ce dernier précise qu’il ne faut pas seulement suivre les idées en tant qu’entités abstraites de connaissance, mais également étudier de près le cadre instrumental qui permet leur formation et leur diffusion. En ce sens, les données n’existent pas à l’état « pur », elles sont toujours affaire de mélanges, de bricolages, d’accommodements, d’agencements hybrides : elles sont l’objet et le résultat d’un travail (Goody, 1979).

C’est la raison pour laquelle il est important de faire remonter à la surface le travail invisible des données (Star, 1999) pour comprendre non seulement ce qui le constitue mais aussi les ressorts mêmes de son invisibilité (Star et Strauss, 1999). E. Goffman (1968, 1973) évoque à ce titre la notion de « coulisses » dans sa définition du visible et de l’invisible.

La donnée, diaphora (en grec, différence, diversité), peut être définie comme ce qui n’est pas uniforme. Elle « est un fait supposé qui procède d’une différence ou d’un manque d’uniformité dans un contexte » (Floridi, 2022, cité dans Leleu-Merviel, 2017, p. 68-69). En cela la donnée est ce qui différencie l’information (Leleu-Merviel, 2017). Cette définition rejoint celle de « saillance » en cognition. Cette notion renvoie à l’émergence d’une figure sur un fond (Landragin, 2004). Ce fond est nommé « contexte » par Floridi (2022) : les données manquent d’uniformité d’où leur saillance. La donnée, non uniforme et saillante, est alors définie comme une partie d’un environnement informationnel accessible à un organisme qui est intégrée ou traitée par lui (Bates, 2005). L’enjeu, le « travail » des données n’est donc pas de se demander « qu’est-ce qu’une donnée ? » mais de repérer « quand est une donnée » (Denis, 2018, p. 182).

Ainsi, l’objectif est d’appréhender les phénomènes de partage et de circulation des savoirs au travers du travail des données et des processus de médiation qu’il engendre. Nous les rapprochons ainsi de dispositifs de médiatisation au sens où ils permettent la mise en visibilité du travail des données.

Nous considérons également la dimension matérielle des connaissances comme angle d’observation pertinent pour appréhender le travail des données. Nous proposons d’aller observer les coulisses ou l’« arrière-cuisine » des textes, objets scripturaux hétérogènes (Denis, 2018) au plus près de l’épaisseur du travail nécessaire à la production et à la circulation de l’information.

  1. Approche méthodologique

Notre terrain d’investigation est l’enseignement supérieur agricole public qui comporte 12 établissements.

Ce choix de terrain s’explique par la possibilité d’investiguer tout un système d’enseignement supérieur de manière complète compte tenu de sa taille. En ce sens nos résultats peuvent être révélateurs d’autres systèmes plus larges et donc plus difficiles à saisir globalement. La méthodologie s’articule autour d’une triangulation des données :

Mode de recueil des données

étude de cas sur la réalisation d’un PGD

Entretien

Enquête exploratoire

Acteurs

Enseignante-chercheuse (EC) (enquêtée) et professionnel IST

EC

Professionnels de l’IST de l’enseignement supérieur agricole

  1. L’enquête exploratoire

En ce qui concerne l’enquête exploratoire, nous avons fait le choix d’interroger les professionnels de l’IST dans les 12 établissements de l’Enseignement supérieur agricole dans l’idée de recueillir une représentation significative d’un ensemble de professionnels dans un champ donné. L’objectif de cette enquête était d’explorer les modalités de travail de ces professionnels en charge de la gestion des données du point de vue de la médiation telle que nous l’avons définie en partie théorique. Il s’agit d’une enquête en ligne constituée de 34 questions ouvertes ou fermées portant sur les processus de médiation (basés sur les dimensions et les figures) que les professionnels mettent en œuvre pour gérer les données avec les enseignants-chercheurs sur 4 points :

Une analyse thématique transversale de contenu a été réalisée, des réponses aux questions ouvertes du questionnaire, sans utilisation de logiciel d’aide à l’analyse.

Les personnes enquêtées (Enq1 à 7) sont :

Les établissements comportent 25 à 2000 chercheurs, et ce travail de gestion des données est réalisé majoritairement dans le double cadre du service documentation et de l’appui à la recherche. Il est exercé depuis la direction de la recherche ou du service documentation.

  1. La rédaction du plan de gestion des données

Le plan de gestion des données (PGD) ou Data Management Plan (DMP) est un document formalisé qui accompagne le dépôt d’un ou plusieurs jeux de données dans le cadre d’un travail scientifique ou pour répondre à une demande institutionnelle dans le cadre d’un projet financé (ANR, Horizon Europe, notamment). La mise en place d’un plan de gestion des données est obligatoire depuis le work program 20175, en dehors d’exceptions justifiées. Il formalise donc un ensemble d’éléments qui concernent tout le cycle de vie de la donnée, de la production (ou la collecte) des données à leur diffusion et/ou leur archivage, en passant par leur stockage, leur traitement/curation, leur analyse et leur description. Le plan de gestion des données peut être envisagé comme un dispositif info-communicationnel au sens où il englobe des supports, des réalités documentaires, des formes textuelles et des rôles communicationnels. Il est construit et structuré selon une organisation intellectuelle, dans une intention précise, un aménagement matériel, une signalétique et des divisions thématiques. Le PGD est « un dispositif d’information secondaire qui fournit de l’information sur l’information, non pas l’information dont l’usager a besoin mais celle facilitant l’accès à l’information utile » (Couzinet, 2009, p. 19). C’est en ce sens un dispositif de mise en visibilité du travail des données.

  1. L’entretien avec l’enseignante-chercheuse

Enfin, pour mener notre étude de cas, nous sommes allées à la rencontre d’une enseignante-chercheuse au plus près de son action de rédaction qui a eu lieu en lien avec un personnel IST. Cet entretien vient compléter l’enquête menée auprès des professionnels de l’IST en apportant l’éclairage cette fois de la personne accompagnée dans sa gestion des données. Pour recueillir ses impressions après la réalisation d’un PGD, nous avons travaillé à partir de son discours, lors d’un « entretien guidé », référant en cela à la mise en récit de l’action, lorsqu’interpréter un texte renvoie à interpréter l’action dont le texte rend compte (Ricoeur, 1986). La personne enquêtée est enseignante-chercheuse, autrice, productrice initiale des données qui ont fait l’objet du plan de gestion. Le PGD étudié a été rédigé dans le cadre d’une thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication. Les objectifs de ce travail de rédaction étaient doubles : déposer des jeux de données en accès ouvert et éventuellement un data paper côté chercheuse, se familiariser avec la rédaction d’un PGD et monter en compétences côté professionnelle IST. Il a été créé à l’aide du logiciel DMP OPIDoR, basé sur le modèle « Science Europe ». Notre guide d’entretien est structuré autour des six parties de la rédaction du plan de gestion des données. Nos résultats, issus d’analyses qualitatives croisées, se déclinent en termes de médiation des savoirs, de la création des données à leur « libration » et tracent quelques figures métaphoriques de cette médiation, procédurales, sociales ou réflexives (Jeanneret, 2009). Leur présentation suit les trois parties définies : l’enquête exploratoire, la rédaction du plan de gestion des données et l’entretien avec la chercheuse.

  1. Présentation et analyse des résultats
    1. L’enquête exploratoire

Le premier axe de l’enquête par questionnaire concerne la reconnaissance institutionnelle du travail réalisé6 et propose des questions ouvertes. Sur les dix réponses obtenues, sept sont significatives et exploitables, mais une d’entre elles est incomplète. Ce faible nombre est à prendre avec toute la relativité nécessaire et couvre néanmoins 50% du panel de l’enseignement supérieur agricole public. Ce travail est formalisé de façon institutionnelle dans cinq cas, avec une mission officielle, dans le cadre d’une politique de l’établissement en tant que « référent données » par exemple, avec une fiche de poste et une lettre de mission. Il représente entre 25%, 75% ou 100% du temps de travail. Il est exercé de façon générale au sein du service mais également dans le cadre d’une cellule, d’un groupe de travail dans l’établissement et d’un réseau parfois national.

Le deuxième axe porte sur l’activité, les savoirs et les compétences mobilisés, à partir de questions ouvertes. Les activités principales s’articulent autour d’actions de sensibilisation, de formation et d’accompagnement des enseignants-chercheurs, d’ingénierie ou d’activités administratives (appui au montage de projets, relecture de conventions). Les activités annexes sont relatives à la définition de la politique d’établissement et de la politique des unités, à des fonctions comme référent structure, modérateur HAL ou animateur de réseau. Toutes ces activités mettent en œuvre des processus techniques, utilisent des supports informatiques, souvent coordonnés par des personnes physiques. Ces activités mobilisent du langage et sont construites autour de normes et de valeurs communes issues des règlementations, des prescriptions mais également des règles techniques en vigueur chez les professionnels de l’IST. En ce sens, nous pouvons dire que ces activités sont constitutives d’un processus de médiation repérable ici dans ses dimensions sociale, langagière, mais aussi technique et logistique.

En effet, les savoirs mobilisés pour cette gestion des données concernent majoritairement des savoirs en IST (connaissance des métadonnées, information, document, système d’information, contextes de production, édition ou diffusion de l’information, droit d’auteur, open access7, RGPD…) mais également des savoirs en informatique à l’instar des algorithmes, des codes sources, des bases de données ou des savoirs dans d’autres champs disciplinaires (écologie forestière ou sciences du bois). Les compétences mobilisées en IST concernent la gestion/production de métadonnées – les professionnels enquêtés ont ainsi cité des activités de publication, indexation, condensation, catalogage, structuration, thésaurus – mais touchent aussi à la connaissance du paysage de l’édition, des métadonnées, du paysage des entrepôts, du cycle de vie de la donnée à envisager en complémentarité avec les compétences spécifiques informatiques, juridiques et scientifiques pour pouvoir traiter toutes les questions relatives à la gestion des données de la recherche. S’ils sont encore relativement peu partagés, ces savoirs et compétences en IST ne semblent pas être suffisants pour l’ensemble des personnes interrogées sur cette gestion des données, ces professionnels de l’IST expriment avoir besoin de se former dans d’autres spécialités.

Ainsi, le travail de décontextualisation/recontextualisation des données est toujours fait avec les enseignants-chercheurs (EC), mais aussi avec des techniciens, producteurs de données, en relation avec les EC experts dans leur discipline et sur leur projet. Ici encore les acteurs intermédiaires que sont ces professionnels de l’IST enquêtés construisent, agencent des processus de médiation dans lesquels se repèrent les dimensions sociale et langagière, logistique et technique, mais également symbolique à travers un partage de valeurs (notamment les valeurs de justice, d’égalité ou d’intégrité scientifique), de normes ainsi que dans les attentes réciproques des acteurs de la communication, leurs interactions et interrelations. Par exemple, les professionnels de l’IST accompagnent les enseignants-chercheurs pour la traduction de leur projet de recherche, sont un relais avec les référents à la protection des données, vérifient la validité des informations fournies dans le plan de gestion des données ou encore le respect des droits d’auteur en matière de diffusion.

Le troisième axe porte sur les usages, usagers et dispositifs mis en œuvre, à partir de questions fermées. Pour gérer ces données, les interlocuteurs ou collaborateurs identifiés sont avant tout les partenaires institutionnels, les enseignants-chercheurs, les doctorants, les laboratoires avec les équipes de recherche. Quand les dispositifs mis en place pour accompagner la gestion des données de la recherche dans les établissements sont des formations, il s’agit d’accompagnement des chercheurs au dépôt, d’aide à l’identification numérique, ou à la rédaction de PGD. La rédaction de ces Plans de Gestion des Données reste en effet une des activités essentielles dans le travail de gestion des données. D’autres dispositifs relatifs à la création de ressources (comme la création de charte de la science ouverte) sont mis en place. Ces dispositifs prennent la forme de réunions d’information avec la création de supports de présentation des enjeux de la science ouverte par exemple.

Enfin, le quatrième et dernier axe porte sur la médiation, entendue au sens de processus à l’œuvre lorsque des savoirs sont mis en partage dans une institution, et les représentations liées à l’évolution professionnelle. Cet axe propose des questions ouvertes et fermées. Nous interrogeons ces professionnels, par le biais de l’enquête en ligne, sur leur manière de qualifier la forme de médiation qu’ils considèrent avoir à mettre en place puis qu’ils mettent effectivement en place, entre les données et leurs usagers. La médiation idéale en quelque sorte est imaginée avec « simplicité d’accès et transparence » (Enq3), elle est « méthodologique » (Enq4), c’est « une médiation de proximité, régulière » (Enq6). C’est une médiation qui est qualifiée de « technique ». Toutefois, toutes les personnes interrogées pointent un écart entre ce qui est fait et ce qu’elles souhaiteraient faire en termes de médiation, par exemple être mieux formées pour cet accompagnement, bénéficier d’appui plus important en termes d’ETP (équivalent temps plein). Cet écart est justifié par un manque de temps, un manque de personnel. Au-delà de cette dimension technique et logistique liée aux inscripteurs, dans les traces issues du questionnaire c’est la dimension sociale et langagière de la médiation qui semble prédominante. « Il s’agit de permettre une circulation des savoirs autour de ces données, de les traiter puis de les recontextualiser pour leur donner du sens » (Enq6). Cette dimension se perçoit chez les professionnels dans la nécessité de cerner les contenus et les fonctions des échanges et leur signification au moyen de processus de traductions et d’ajustements, comme par exemple la conversion des données pour calculer leur volume, pour assurer leur format ouvert dès l’étape de leur recueil (afin de respecter les principes FAIR). Car comme nous l’avons vu, les données n’existent pas à l’état « pur » : elles sont l’objet et le résultat d’un travail, plus médiateur qu’instrumental.

Enfin, parmi les valeurs intrinsèquement liées à leurs actions, les professionnels ont choisi parmi une liste prédéfinie mais ouverte sur cette gestion des données, nous avons pu établir une hiérarchie mettant en première position le partage, puis la justice, l’égalité mais aussi l’intégrité scientifique, la valorisation, la gratuité, la sécurité ou même la curiosité. Tous estiment au final que les dispositifs mis en place autour de la donnée sont plutôt à visée doublement médiatrice (intermédiaire) et instrumentale (outil, moyen)8 plutôt que l’une ou l’autre, ajoutant pour conclure que « la création de services à la recherche doit être considérée comme une nécessité. C’est un choix politique. Il faudrait une vraie volonté d’avoir des professionnels de l’IST ayant acquis une expertise afin de parfaire l’offre de gestion des données des chercheurs, et non pas rajouter des tâches à des fiches de poste déjà surchargées » (Enq3). Ressort ici une réflexion des professionnels sur les modalités de leur travail sur les données en exprimant un besoin de reconnaissance. On peut avancer l’hypothèse ici que les processus de médiation mis en place par les professionnels relèvent d’une expertise à mettre au jour.

  1. étude de cas : rédaction d’un plan de gestion des données

Au regard de la dimension matérielle des connaissances que nous avons explorée, la rédaction d’un plan de gestion de données met en avant différentes formes d’« inscriptions ». Ces inscriptions relèvent en grande partie d’un travail empirique où se mêlent des « morceaux de connaissance ». Les matériaux et instruments mobilisés et façonnés dans le cadre de cette formalisation, de cette mise en forme des données, renvoient à l’image de la partie immergée de l’iceberg. Ce façonnage se fait à plusieurs mains, plusieurs contributeurs, notamment sur les aspects éthiques et juridiques de la gestion des données comme leur anonymisation qui demande un travail conséquent, surtout s’il est fait a posteriori de la collecte. D’après les enquêtés, le chercheur n’y arrive pas seul, il a besoin d’accompagnement, et il le dit. La connaissance action, l’instauration de la donnée est le fruit d’un travail d’échanges et de négociations entre professionnel et chercheur, autour du sens même de ces données. Cela renvoie à la diaphora de L. Floridi (2022), la saillance (de la donnée) ne fait pas partie du message mais elle le rend possible, c’est-à-dire qu’elle est « au principe de la signifiance » (Eco, 1985). Le professionnel doit comprendre ce qu’elles sont, comment elles ont été créées pour pouvoir les réduire, les rendre brutes en vue de leur partage. Pourtant, dans le même mouvement, il doit réunir tous les éléments de contexte possibles pour ne pas perdre ce sens, et les réécrire sous forme standardisée. Cette collaboration, ce travail entre chercheurs, professionnels mais aussi avec les objets, les textes, n’est réalisable que par de multiples interactions, et même interopérations demandant l’expertise de différents corps de métier : informaticien, juriste, délégué à la protection des données, etc. Si le chercheur n’y arrive pas seul, le professionnel IST en charge de cette gestion ne le peut pas non plus. Au-delà de l’environnement scriptural que représente le dispositif info-communicationnel qu’est le PGD, restent les aspects techniques à prendre en considération, c’est-à-dire les machines, inscripteurs, avec leurs modalités de fonctionnement : il faut par exemple se familiariser avec l’interface DMP Opidor, savoir comment créer le jeu de données et décider de la manière dont les données seront stockées et sauvegardées pendant et après le projet. La rédaction d’un PGD relève d’une question de dynamique, d’allers-retours entre données contextualisées, décontextualisées puis recontextualisées et donc d’un travail sur les données. L’enseignant-chercheur recueille ses données à partir d’une méthodologie établie, elle-même articulée dans le processus de recherche à un cadre théorique, épistémologique spécifique (données contextualisées). Puis ces données font l’objet d’un « nettoyage » (données décontextualisées), d’un travail spécifique afin de les rendre facile à trouver, accessibles, interopérables et réutilisables (si celles-ci ne le sont pas initialement). Enfin, ces données sont documentées, mises en récit (recontextualisées) par le travail de médiation des professionnels de l’IST que nous avons identifié notamment au travers de notre enquête. Le fait de montrer, de rendre visible la part scripturale du travail de gestion des données, de les re-documenter, donne du sens au travail lui-même, qui ne serait qu’applications de procédures fastidieuses s’il n’engendrait une réelle médiation des savoirs, dans sa dimension langagière, créatrice. Cet intérêt, du point de vue des SIC, pour les inscriptions réside donc en grande partie dans le partage de savoirs qu’il actionne.

  1. L’entretien

Au cours de l’entretien mené avec l’enseignante-chercheuse en SIC, en dehors des questions relatives aux différentes étapes du travail de rédaction, certains impacts sur les activités de recherche ont pu être soulignés. La rédaction d’un PGD semble lui apporter une certaine forme de « plus-value » qu’elle exprime du point de vue de l’organisation du travail méthodologique, de la transparence et de l’éthique scientifique.

Les limites que l’enseignante-chercheuse en SIC soulève mettent en évidence un travail très chronophage et contraignant. Elles mettent par ailleurs en évidence les besoins en accompagnement telles que la manipulation du logiciel, l’organisation et la création de jeux de données, le respect des différents standards de métadonnées, la procédure de construction du PGD ou encore le stockage, le partage et la réutilisation des données.

  1. Discussion

L’objectif de l’enquête exploratoire était d’appréhender les modalités de travail des professionnels de l’IST en charge du travail de gestion des données du point de vue de la médiation, et cela à travers ses dimensions et ses figures. Si notre étude comporte quelques limites d’ordre méthodologique, comme la faible représentativité9 des professionnels de l’IST dans cette enquête, au-delà de l’enseignement supérieur agricole10, nos résultats ont néanmoins fait émerger différents éléments qui demanderont à être étoffés dans des études de plus grande envergure.

  1. Dimension symbolique et figure sociale de la médiation

Nous avons ainsi mis en évidence que les personnes en charge de la gestion des données semblent avoir une forme de reconnaissance institutionnelle partielle qu’elles définissent au travers des multiples activités qui leur sont confiées, que ce soit dans le cadre du service documentation ou recherche – sensibilisation, formation, création de ressources, conseils, offre de service – même si la majorité est consacrée surtout à l’accompagnement concret des enseignants-chercheurs engagés à déposer les données relatives aux résultats de leurs recherches lorsque celles-ci relèvent d’appels à projets européens financés.

Ces professionnels viennent en appui des services de recherche des établissements, équipes et laboratoires. Ils travaillent en groupe et/ou en réseau mais sont rarement plus de deux à être référents données, quelle que soit la taille de l’établissement ou le nombre d’enseignants-chercheurs.

L’activité principale reste la rédaction des plans de gestion de données. Ces dernières sont travaillées sur tout leur cycle de vie et mobilisent compétences et savoirs relevant d’une expertise professionnelle. Les résultats de notre enquête ont mis en évidence que ces compétences restent encore assez peu partagées par les enseignants-chercheurs, qui viennent seulement en appui et par rapport à leur domaine d’expertise, et surtout en tant que producteurs initiaux des données. La médiation idéale exprimée par les professionnels de l’IST serait plutôt dans sa dimension technique de « simplicité d’accès et transparence », alors que la médiation effective telle qu’ils la vivent est surtout perçue dans sa dimension sociale, au prix d’un fort investissement humain, pas toujours reconnu dans sa globalité de manière institutionnelle. Néanmoins, la pratique professionnelle semble évoluer, avec le développement de nouvelles compétences, sous l’impulsion d’une dynamique d’établissement ou d’un investissement personnel, autour des valeurs partage, égalité et justice. La manière dont les dispositifs, comme le PGD, produisent et médiatisent des expériences scientifiques, trace une figure sociale de la médiation, éclairante et dynamisante.

  1. Dimension langagière et figure réflexive de la médiation

L’accompagnement qui se met en place derrière le « travail invisible des données » est ainsi un accompagnement fondé sur un partage de valeurs et de normes relevées comme éléments d’une culture commune. Il est également marqué par des aspects logistiques, techniques ou sociaux, même si la part du travail langagier entre les différents acteurs reste prépondérante. Les professionnels de l’IST aident dans la gestion des documents par un travail d’indexation et un enrichissement des données avec des métadonnées. Les activités scripturales propres au travail scientifique, comme lire et « déconstruire » (au sens de Derrida) les textes afin d’en comprendre les mécanismes, ou à l’image du PGD « Circulation des savoirs… » analysé, la manipulation des traces comme d’autres écrits intermédiaires (brouillons, tableaux, listes, etc.) et leur transformation, sont autant d’éléments qui rendent visibles le travail des données. Ces activités, menées par des référents ou administrateurs données, visent en effet à recontextualiser la qualité des données qui, de fait sont produites par des organisations, avec des processus organisant spécifiques (Mayère, 2018), des logiques et des normes propres. Entre données originelles et données travaillées, les savoirs qui circulent relèvent donc avant tout de la documentation (connaissance des métadonnées, information, document, système d’information, contextes de production, édition ou diffusion de l’information, droit d’auteur…), de l’informatique (des algorithmes, des codes sources, des bases de données) et du juridique (open access, RGPD) ; les professionnels de l’IST peuvent venir en aide également au niveau de la diffusion (vérifier la politique de diffusion de l’éditeur, les liens éditeur/entrepôt, etc.), traitent les données présentant un intérêt à être conservées sur le long terme pour rester accessibles et lisibles dans le temps. Les données sont appréhendées par ces professionnels de l’IST, caractérisées, au-delà de compilations de giga, codes html, standards et produits labellisés grâce à une connaissance active des écosystèmes de la donnée, ce que l’on nomme environnement ou paysage informationnel (contextes de production, édition et diffusion de l’information). En ce sens, le travail des professionnels IST sur la qualité des données permet de fournir tous les éléments nécessaires à leur réutilisation. L’écriture des données que l’on peut considérer comme la dimension langagière de la médiation, rend alors possible leur organisation, autrement dit leurs formes d’expression. La circulation des informations, données, savoirs entre auteurs, chercheurs, producteurs, contributeurs et administrateurs de données, au cœur même des objets et des textes est ici révélatrice de la figure réflexive de la médiation.

  1. Dimension technique et logistique et figure procédurale de la médiation

L’étude du PGD croisée avec l’entretien mené auprès de l’enseignante-chercheuse ont à leur tour montré l’omniprésence d’un travail collaboratif ancré dans un environnement scriptural, avec des acteurs, des objets et corps médiateurs, des réalités documentaires, des inscripteurs et des dynamiques. L’accent est mis sur le travail du sens à mener autour des données (par exemple en renseignant avec les métadonnées et la documentation proposée la méthodologie de collecte et le mode d’organisation des données), de contextualisation nécessaire et d’ancrage dans le domaine d’expertise du chercheur. La standardisation et la normalisation des inscriptions ne doivent pas occulter la part invisible du travail des données, résultant de la production et de la circulation même de celles-ci, au risque de les désincarner.

Enfin, à l’image de la recherche collaborative qui caractérise finalement le travail de rédaction du PGD présenté, celui-ci met en évidence que le dispositif n’est pas « datifié » à l’instar des données qui le traversent et l’alimentent, car il est, de par sa nature et sa définition en tant que plan à rédiger pour gérer des données dans le cadre d’un projet de recherche, bâti de supports, de réalités et de formes textuelles, scripturales, et surtout de rôles communicationnels. Son appréhension dessine la figure procédurale de la médiation en jeu.

Cette caractérisation en figures est complémentaire de la caractérisation en dimensions de la médiation parce qu’elle en constitue un mode de représentation (Sognos et al., 2024).

Conclusion

Au terme de ce regard croisé sur la gestion des données, parti d’une enquête exploratoire sur le travail des professionnels de l’IST dans un périmètre de 12 établissements de l’enseignement supérieur agricole, et prolongé par un focus sur le plan de gestion des données largement mobilisé par ces derniers, nous avons pu identifier différentes dimensions et figures caractéristiques des processus de médiation des savoirs. L’entretien avec l’enseignante-chercheuse nous a conduites au plus près de cette gestion que tous nos indicateurs ont révélée comme participant d’un travail des et non sur, avec ou contre, les données. La construction de sens propre à la rédaction du PGD relève de la plasticité même du dispositif, car « l’appropriation du dispositif d’information passe non seulement par l’exercice des droits en écriture par les usagers, mais aussi par l’implication de ces derniers dans la documentarisation des contenus » (Morelli et Lazar, 2015, p. 12). Le caractère actif des textes dont les propriétés matérielles et pratiques produisent – et non transmettent – du sens a été exploré au travers des pratiques professionnelles questionnées, et expérimenté sur le dispositif de PGD étudié. La mise en évidence d’activités scripturales propres au travail scientifique, la manipulation de traces comme d’autres écrits intermédiaires et leur transformation, ont de sorte été menées pour recontextualiser la qualité des données selon des logiques et des normes propres, tout en respectant une dimension éthique de la réflexion (Simonnot, 2018).

Ces manipulations donnent cependant parfois lieu à des « frictions » (Edwards, 1999 ; Edwards et al., 2011) dans le partage et la circulation de ces données, parce qu’elles demandent aussi un nécessaire travail d’articulation. « En réalité, ces dispositifs une fois mis en œuvre finissent par produire le contraire de ce qu’ils sont censés accomplir : ils obligent à plus d’ajustements, à plus de bricolages, (…) et génèrent un travail supplémentaire » (Edwards, 1999, p. 684). Déposer des données et faire en sorte qu’elles soient faciles à trouver, accessibles, interopérables et réutilisables (FAIR) est la première étape du travail, la première épaisseur, celle que nous nous sommes proposées de documenter. Le partage et la réutilisation effective des données en est une autre. Les métadonnées, « censées apporter toutes les informations nécessaires à la compréhension et à l’appropriation des données initiales » (Edwards, 1999, p. 684), représentent aujourd’hui avec l’explosion de leurs standardisations, un marché international de la collaboration scientifique. Dans « la série d’opérations qui instaurent progressivement des informations aux contours flous en données » (Denis et Goëta, 2016, p. 4), le « zoom arrière » offre un éclairage sur la manière dont toutes ces activités sont interreliées et connectées à d’autres lieux. Cet « ailleurs » (Latour, 2007) fait partie de manière littérale de l’actualisation des données comme de processus de médiation en émergence dans ses figures sociales, procédurales et réflexives, qui faciliteront la transformation de l’information en connaissance.

Bibliographie

Bates, M. J. (2005). Information and knowledge: an evolutionnary framework for information science. Information Research, 10(4). http://informationr.net/ir/10-4/paper239.html#goo91

Berten, A. (1999). Dispositif, médiation, créativité : petite généalogie. Hermès, La Revue, 3, 31-47. https://shs.cairn.info/revue-hermes-la-revue-1999-3-page-31?lang=fr

Bullich, V. et Clavier, V. (2018). Production des données, « Production de la société ». Les Big Data et algorithmes au regard des Sciences de l’information et de la communication. Les Enjeux de l’information et de la communication, 192(2), 5-14. https://doi.org/10.3917/enic.025.0005

Canizares, A. et Gardiès, C. (2020). Approche systémique des concepts de médiation, de médiatisation et de dispositif : la circulation des savoirs à l’œuvre dans une classe inversée en information-documentation. Les Enjeux de l’information et de la communication, 21(1), 21-40. https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2020/articles-revue/varia-2020/

Chartron, G. (2016). Stratégie, politique et reformulation de l’open access. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 8, 1-20. https://doi.org/10.4000/rfsic.1836

Chartron, G. (2018). L’Open science au prisme de la Commission européenne. Éducation et Sociétés, 41(1), 177-193. https://doi.org/10.3917/es.041.0177.

Clavier, V. et Paganelli, C. (2019). L’ouverture des données de la recherche dans le cadre d’un projet pluridisciplinaire entre SIC et informatique : le cas des médias sociaux de santé. études de communication, 52, 117-136. https://doi.org/10.4000/edc.8759

Couzinet, V. (2009). Dispositifs info-communicationnels : contribution à une définition. Dans V. Couzinet (dir.), Dispositifs info-communicationnels : questions de médiations documentaires (pp. 19-31). Hermès-Lavoisier.

Cros, R. C., Gardin, J. C. et Lévy, F. (1964). L’automatisation des recherches documentaires : un modèle général « le Syntol ». Gauthier-Villars.

Denis, J. (2018). Le travail invisible des données : éléments pour une sociologie des infrastructures scripturales. Presses des Mines.

Denis, J. et Goëta, S. (2016). « Brutification » et instauration des données. La fabrique attentionnée de l’open data. Institut interdisciplinaire de l’innovation [document de travail 16-CSI-01]. Archive ouverte HAL. https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-01347301

Derrida, J. (1967). De la grammatologie. éditions de Minuit.

Eco, U. (1985). Lector in fabula : le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs. Grasset.

Edwards, P. N. (1999). Global climate science, uncertainty and politics: Data-laden models, model-filtered data. Science as Culture, 8(4), 437-472. http://dx.doi.org/10.1080/09505439909526558

Edwards, P. N., Mayernik, M. S., Batcheller, A. L., Bowker, G. C. et Borgman, C. L. (2011). Science friction: Data, metadata, and collaboration. Social Studies of Science, 41(5), 667-690. https://www.jstor.org/stable/41301955

El Hachani, M. (2019). Médiation info-communicationnelle, handicap et territoires : une exploration. Communication et organisation, 56, 123-136. https://doi.org/10.4000/communicationorganisation.8471

Floridi, L. (2022). Semantic Conceptions of Information (2e éd.). Dans Stanford Encyclopeadia of Philosophy. http://plato.stanford.edu/entries/information-semantic/

Gardiès, C. (2012). Dispositifs info-communicationnels de médiation des savoirs : cadre d’analyse pour l’information-documentation. Université de Toulouse 2. Archive ouverte HAL. https://hal.archives- ouvertes.fr/tel-01725359/document

Gardiès, C. et Fabre, I. (2015). Médiation des savoirs : de la diffusion d’informations numériques à la construction de connaissances, le cas d’une « classe inversée ». Distances et médiations des savoirs, 12, 1-19. https://doi.org/10.4000/dms.1240

Goffman, E. (1968). Asiles. éditions de Minuit.

Goffman, E. (1973). La mise en scène de la vie quotidienne. éditions de Minuit.

Goody, J. (1979). La raison graphique. éditions de Minuit.

Jeanneret, Y. (2009). La relation entre médiation et usage dans les recherches en information-communication en France. Reciis, 3(3). https://doi.org/10.3395/reciis.v3i3.276fr

Lamizet, B. et Silem, A. (1997). Information. Dans B. Lamizet et A. Silem (dir.), Dictionnaire encyclopédique des Sciences de l’information et de la communication (pp. 297-300). Ellipses.

Landragin, F. (2004). Saillance physique et saillance cognitive. Corela, 2(2). https://doi.org/10.4000/corela.603

Latour, B. (2007). Changer de société, refaire de la sociologie. La Découverte.

Latour, B. et Wooglar, S. (1996). La vie de laboratoire. La Découverte.

Leleu-Merviel, S. (2017). La traque informationnelle. ISTE éditions.

Mayère, A. (2018). L’utopie de l’organisation numérique. Dans L. Bonneville, S. Grosjean et A. Mayère (dir.), Les utopies organisationnelles (pp. 41-66). ISTE éditions.

Metzger, J.-P. (2008, 4-7 novembre). Institutionnalisation des sciences de l’information : le cadre institutionnel français. Dans R. M. Marteleto et I. Thiesen (dir.), Médiations et usages des savoirs et de l’information : un dialogue France-Brésil [symposium]. Actes du 1er colloque scientifique international du Réseau MUSSI, Rio de Janeiro, Brésil.

Morelli, P. et Lazar, M. (2015). Plasticité des dispositifs d’information et de communication. Questions de communication, 28, 7-17. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.10017

Pontille, D. (2017). Contributions profanes et attribution scientifique. Dans O. Leclerc (dir.), Savants, artistes, citoyens : tous créateurs ? (pp. 137-152). éditions science et bien commun. https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/touscreateurs/

Prost, H. et Schöpfel, J. (2019). Les entrepôts de données en sciences de l’information et de la communication (SIC) : une étude empirique. études de communication, 52, 71-98. https://doi.org/10.4000/edc.8604

Ricoeur, P. (1986). Du texte à l’action. Essais d’herméneutique (II). Seuil.

Schöpfel, J. (2018). Vers une culture de la donnée en SHS : une étude à l’Université de Lille [rapport de recherche]. Archive ouverte HAL. https://hal.science/hal-01846849/document

Schöpfel, J. (2020). Les fonctions éditoriales dans les métiers de l’info-doc : analyse des principaux référentiels. I2D - Information, données & documents, 2(2), 15-19. https://doi.org/10.3917/i2d.202.0015

Simonnot, B. (2014). Médiations et agir informationnels à l’ère des technologies numériques. Les Cahiers d’Esquisse, 4, 21-33. https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_01124651

Simonnot, B. (2018). Conduire des recherches en régime numérique : vers un cadre conceptuel de réflexion éthique. Dans L. Balicco (dir.), L’éthique en contexte info-communicationnel numérique : déontologie, régulation, algorithme, espace public (pp. 11-21). De Boeck Supérieur.

Sognos, S., Canizares, A. et Gardiès, C. (2024). Processus de médiation numérique des savoirs et dispositifs info-communicationnels : vers des figures sociales, procédurales et réflexives de la médiation. Spirale, 73(1), 55-68. https://doi.org/10.3917/spir.073.0055

Star, S. L. (1999). The ethnography of infrastructure. American Behavioral Scientist, 43(3), 377-391. http://abs.sagepub.com/cgi/content/refs/43/3/377

Star, S. L. et Strauss, A. (1999). Layers of silence, arenas of voice: The ecology of visible and invisible work. Computer supported cooperative work (CSCW), 8, 9-30. https://link.springer.com/content/pdf/10.1023/A:1008651105359.pdf

Vinck, D. (1997). La connaissance : ses objets et ses institutions. Dans J.-M. Fouet (dir.), Intégration du savoir-faire : capitalisation des connaissances (pp. 55-91). Hermes.


  1. 1 Ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation.

  2. 2 https://recherche.data.gouv.fr/fr

  3. 3 L’initiative European Open Science Cloud (EOSC) de la Commission européenne vise à développer un dispositif fournissant à ses utilisateurs des services de cloud computing pour les pratiques de science ouverte.

  4. 4 Ensemble du processus qui amène à produire des données FAIR (Faciles à trouver, Accessibles, Interopérables, Réutilisables).

  5. 5 https://ec.europa.eu/research/participants/data/ref/h2020/wp/2016_2017/main/h2020-wp1617-intro_en.pdf

  6. 6 Les questions posées dans cet axe sont les suivantes : Ce travail est-il formalisé de façon institutionnelle ? Si oui, sous quelle forme ? Fiche de poste ? Lettre de mission ? Quel est l’intitulé du poste occupé, ce travail de gestion des données est-il réalisé dans le cadre du service documentation ? De l’appui à la recherche ? Des deux ?

  7. 7 L’open access désigne un accès en ligne à l’information scientifique (publications et données), qui est gratuit. Cet accès ouvert doit permettre la réutilisation des informations.

  8. 8 Nous faisons référence ici à une des questions soulevées dans l’axe 4 de l’AAA « Évolutions et permanences des métiers et des compétences de l’information et de la communication face à "la donnée" », à savoir, quelles représentations de la communication, plus ou moins médiatrices ou instrumentales, constituent les dispositifs organisés autour de la donnée ? En ce sens la question posée aux professionnels de l’IST était la suivante : En termes de communication, vos représentations des dispositifs organisés autour de la donnée sont-elles plutôt : médiatrices, instrumentales, les deux.

  9. 9 Pour rappel nous avons fait le choix d’interroger les professionnels des établissements de l’enseignement supérieur agricole, soit 12 établissements. Les 6 réponses complètes et exploitables obtenues suite à notre enquête représentent donc 50% du panel interrogé, mais cela constitue néanmoins une faible représentativité des répondants au regard de l’enseignement supérieur global.

  10. 10 Notre étude ne nous permet pas ici de dire si les résultats sont spécifiques ou non à l’enseignement supérieur agricole (ESA), bien qu’apportant un regard sur l’ensemble de cet ESA, il serait intéressant de la mettre en relation avec d’autres études menées, plus largement, dans l’enseignement supérieur.