!
!
Les!régulations!professionnelles!
déontologiques!de!communication!
publique!:!des!valeurs!et!des!normes!de!
professionnalisation!vecteurs!de!
reconnaissance!
!
Dominique!Bessières!
Maître!de!Conférences!en!Sciences!de!
l’Informa tio n!et!de!la!Comm u n ic a tio n !
Université!Rennes!2!–!PREFICS!EA!7469!
dominique.bessieres@univKrennes2.fr!
Les!régulations!déontologiques! de!communication!publique!55!
!
Résumé!
Les régulations professionnelles au travers d’un certain nombre d’opérations
éthiques et déontologiques visent à organiser une représentation d’unité d’un
positionnement des métiers de communicateur public, comme les chartes et
récemment un manifeste pour la communication publique. Des valeurs et des
normes sont ainsi affichées, mais dans quelle mesure participent-elles d’un
mouvement de professionnalisation interactionniste pour consolider le rôle, la
fonction, vis-à-vis d’autres groupes sociaux ? Ainsi, plus largement, leur portée ne
se résume pas à leur seul contenu, mais bien plus globalement à leur insertion dans
des dynamiques de revendication sociale. Il ne s’agit pas de règles contraignantes en
termes juridiques, aussi leur sens et leurs incidences sont plus globales. Elles
participent, avec d’autres, à la recherche d’une définition de l’exercice du métier de
communicateur public. Le rôle des associations professionnelles est central, d’autant
plus que l’on peut noter certaines évolutions dans le temps, avec toujours une
représentation d’une éthique publique.
Mots clés : Communication publique, déontologie, charte, management,
professionnalisation
Abstract!
Professional regulations through a certain number of ethical and deontological
operations aim to organize a representation of unity of the positioning of public
communicator professions, such as charters and recently a manifesto for public
communication. Values and norms are thus displayed, but to what extent do they
participate in an interactionist professionalization movement to consolidate the role,
the function, vis-à-vis other social groups? Thus, more broadly, their scope is not
limited to their content alone, but more broadly to their inclusion in social advocacy
dynamics. These are not binding rules in legal terms, so their meaning and their
implications are more global. They participate, along with others, in the search for a
definition of the exercise of the profession of public communicator. The role of
professional associations is central, especially since we can note certain changes
over time, always with a representation of public ethics.
Keywords : Public communication, ethics, charter, management, professionalization
!
56! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
La professionnalisation des fonctions de communication est relativement récente.
Elle pose en filigrane la question des enjeux de l’existence d’un groupe
professionnel qui peut être appréhendé au travers de questions éthiques ou
déontologiques. Dans un cadre professionnel, les deux acceptions peuvent apparaître
largement synonymes, ce qui est à relier à leurs racines étymologiques. Lorigine
grecque du premier terme, « ethos », renvoie à l’idée de mœurs ou coutume.
Aujourd’hui, le terme réfère davantage à l’idée de règles de conduite. L’éthique ne
serait donc pas vérité intangible, à l’instar de la morale, mais davantage redevable
d’un questionnement, de la recherche d’un équilibre, et à ce titre contingente. La
déontologie étymologiquement issue du grec « deontos » fère à l’idée de devoir.
Aussi, elle impliquerait l’idée de droits et de devoirs liés à l’exercice d’une
profession. Elle suggère l’idée de réglementer, d’organiser une profession. Ces
détours étymologiques invitent à porter une attention particulière aux enjeux sociaux
de définition, en ce que les processus de normalisation et de codification
déontologiques participent à la production d’une identité professionnelle, et ce
faisant, ils concourent à sa stabilisation. C’est plus précisément ce que nous voulons
montrer vis à vis du champ de la communication publique. Les responsables de
communication institutionnelle publique gèrent les services de communication, des
prestataires (agences de communication…). Ils définissent les plans et les actions de
communication.
Dès lors, une éthique professionnelle correspond à des valeurs (axiologie) et à des
normes définissant des obligations concrètes (déontologie). Mais, les juristes
apprennent qu’une distinction est à opérer entre le droit dit « positif », qui est la
règle édictée par l'autorité juridiquement compétente ; et le droit dit « naturel », qui
indépendant d’une intervention de règle positive, peut en conséquence être produit
par des pairs. Or, la professionnalisation s’entend le plus souvent dans les contextes
contemporains sur le modèle des professions libérales. Ceci induit une gulation
fondée sur une capacité d’auto-organisation et d’élaboration collective des valeurs et
des normes professionnelles. Ainsi les normes et valeurs professionnelles, en
matière de communication publique, appartiennent à ce que les juristes anglo-saxons
appellent « soft law ». C’est-à-dire précisément des normes issues de processus
d’autorégulation entre pairs qui n’ont pas la valeur coercitive de textes juridiques.
Pour autant, nous pensons que l’on ne peut pas totalement écarter le droit ou « hard
law » en ce qu’il contribue, lui aussi, à la définition des identités professionnelles et
qu’il conditionne puissamment les logiques de professionnalisation. En sorte que des
éléments macrosociaux issus de l’action de l’Etat (droit, université, référentiels
officiels de métiers) d’une part, s’articulent dans le renforcement du groupe
professionnel, conjointement à une échelle microsociale (déontologies, associations)
d’autre part.
Déjà, lors du 17ème Congrès de la SFSIC à Dijon en 2010 (Bessières, 2010), nous
avions axé notre communication sur le fait que si les fonctions de communication
Les!régulations!déontologiques! de!communication!publique!57!
!
institutionnelle représentent un ensemble de métiers abordé par les SIC, leur analyse
doit être plus fouillée dans le champ public. En effet, les communicateurs publics ne
peuvent pleinement intégrer la professionnalisation par concours dominante dans le
secteur public. Aussi, les communicateurs publics
1
, notamment les cadres, restent
majoritairement des contractuels. En sorte que, collectivement, ils recherchent des
stratégies alternatives de professionnalisation calquées sur celles du secteur privé au
travers de régulations professionnelles éthiques et ontologiques. Cette dynamique
d’affirmation de reconnaissance et de légitimation en groupe professionnel des
communicateurs, existe, même si les outils sont perçus comme évolutifs et non
stabilisés depuis les années 1980. La communication publique est une pratique avant
d’être objet de théorisation. Cette plasticité est un vecteur de pérennisation d’une
activité progressivement institutionnalisée à l'extérieur et à l'intérieur des institutions
publiques. On mesure un processus de construction d'une réalité qui devient
objective dans des instruments, des services, des formations, des associations
professionnelles, des chartes, tangibles. Aussi, comme le souligne Pierre Bourdieu
(1982) « instituer, assigner une essence, une compétence, c'est imposer un droit
d'être qui est un devoir être (ou d'être)." (....)"Deviens ce que tu es, telle est la
formule qui sous-tend la magie performative de tous les actes d'institution ». Bien
plus, la communication publique tend à devenir une discipline entendue comme la
conjonction des savoirs professionnels et universitaires labellisant un secteur
professionnel (Bessières 2009 a).
La communication représente un cadre propice d’analyse pour comprendre
l’articulation du « social » et du « symbolique » (Bouillon, Bourdin, Loneux, 2008),
en particulier des interactions sociales dans un cadre collectif large, vecteur de
reconnaissance pour les acteurs de la communication publique. Nous avions noté
(Bessières, 2010) que le terme de professionnalisation des fonctions de
communication institutionnelle a été employé par des auteurs SIC dans les années
1990 ; il apparaissait nécessaire d’en préciser et d’en renforcer le concept, sous
l’effet en particulier de l’émergence du veloppement de formations diées et de
référentiels de compétences officiels récents. La recherche de la reconnaissance
s’inscrit entre deux pôles, entre une culture métier et une culture des organisations
publiques.
Une des difficultés pour étudier la thématique de l’éthique professionnelle réside
dans le fait qu’elle regroupe une pluralité d’expertises académiques. Notre démarche
compréhensive mobilise une grille pluridisciplinaire avec des éclairages théoriques
issus des SIC, de la sociologie des professions, de la science politique, des sciences
de gestion. Notre analyse intègre des éléments d’observation depuis une vingtaine
d’années de manifestations organisées par des groupements d’acteurs, et
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
On trouve aussi l’appellation de communicants.
58! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
particulièrement une bonne connaissance directe des enjeux portés par l’association
Communication publique
2
(300 membres, principale association sur ce secteur en
France). Elle repose également sur des entretiens longitudinaux d’acteurs depuis
1993
3
. L’observation participante (Chapoulie, 1984) permet d’avoir accès à des
niveaux d’informations difficilement appréhendables pour quelqu’un d’extérieur. En
raison de notre statut d’universitaire nous n’appartenons pas au groupe professionnel
des communicateurs publics. Aussi une distanciation est aisée vis à vis des enjeux
strictement socio-professionnels du groupe social. Constituée en 1989, l'association
est de loin la plus importante dans le champ professionnel
4
. Elle regroupe des
directeurs de la communication importants de l’Etat, des collectivités locales, des
institutions publiques et parapubliques, des entreprises publiques. L’association
professionnelle délivre un discours, des valeurs proclamés et proposés pour
références identitaires, à destination des membres du réseau professionnel en
particulier, mais également vis-à-vis d’autres groupes sociaux. En cela c’est un lieu
d’échange et de lobbying. Des principes déontologiques sont ainsi formalisés. Nous
focaliserons notre analyse plus particulièrement sur deux documents qui ont été
élaborés par l’association Communication publique, à savoir une Charte de 1998 et
plus récemment un Manifeste en 2015.
L’existence de chartes déontologiques pour les communicateurs publics met en
exergue des questionnements de nature éthique sur leurs pratiques, mais leur sens
doit être compris dans une perspective large vis-à-vis d’autres groupes d’acteurs
sociaux. Il s’agit d’opérations d’affichage, d’affirmation d’un positionnement
professionnel, de construction symbolique d’une image valorisante, rendant compte
d’un certain consensus entre les pairs. Notre démarche, fondée sur l’étude des
chartes déontologiques des associations de communicateurs publics et sur des
observations participantes, vise donc à révéler leur complexité en tant que terrains
significatifs, mais non exhaustifs, de luttes sociales de définition d’un groupe
professionnel. En effet, elles visent à afficher une image d’un professionnalisme,
mais leur portée ne peut se réduire à leur seule textualité, bien plus elle nécessite
d’être réintégrées dans la complexité d’un jeu social pluri-acteurs et
pluridimensionnel. Les acteurs d’associations professionnelles œuvrent, en partie par
leur biais, à conforter un groupe professionnel vis-à-vis de lui-même et des autres
groupes sociaux de son environnement. Un des intérêts de recherche réside dans la
pluralité de destinataires visés possibles, tout en appréhendant la complexité de
positionnement professionnel de la communication publique. Les chartes étudiées
représentent des visions non exhaustives, des tentatives d’unification de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
2
http://www.communication-publique.fr/
3
Nous ne rentrerons donc pas dans le détail de nos champs de recherche et nous renverrons à nos
publications pour cela.
4
On pourrait citer des associations pour la communication locale (Fourdin, 1994).
Les!régulations!déontologiques! de!communication!publique!59!
!
représentation du métier de communicateur public, lesquelles peuvent être amenées
à évoluer dans le temps en raison de dynamiques sociales. Nous voulons ainsi ouvrir
un champ de réflexion et d’analyse sur ces différents phénomènes et débats qui
concernent les relations ardues entre professionnalisation, compétence, métier,
légitimité, norme, reconnaissance, notamment sur les relations entre représentation
et champs professionnels en communication organisationnelle. Quel sens peut-on
donner à l’éthique et la déontologie en matière de communication publique et quel
peut-être le rôle pour les associations professionnelles sur ces enjeux ?
1.! Une!définition!externe!et!interne!de!l’exercice!du!
métier!de!communicateur!public!!
Une fonction relativement récente peut être appréhendée au travers d’une grille
rendant compte du processus où les valeurs et principes qui participent à la
définition d’exercice professionnel sont fortement influencés par des regroupements
de professionnels.
1.1.! Le!prisme!de!la!professionnalisation!:!déontolog ie !et!
éthique!!
En France, la thématique de la professionnalisation sur les métiers de
communication a longtemps été peu étudiée en sociologie (Gadéa, 2003).
Historiquement la sociologie de la professionnalisation a été un parent pauvre de la
sociologie, durablement la sociologie du travail a été prépondérante. L’influence
du Laboratoire Printemps, fondé en 1995 à l’Université Versailles Saint Quentin en
Yvelines, et de son premier Directeur, le Professeur Pierre Dubois, a été importante ;
sa réussite institutionnelle a été accompagnée par le développement d’une demande
sociale plus ouverte sur ces questions. L’analyse du rôle de regroupements d’acteurs
visant à la reconnaissance d’un champ social particulier comme profession est une
composante de la sociologie des professionnalisations. Dans un registre similaire,
dans le champ des Sciences de l‘Information et de la Communication, la
professionnalisation des acteurs de la communication des organisations a constitué
longtemps un parent pauvre de la recherche à quelques exceptions près durant les
années 1990 (voir les textes de Walter, Fourdin, Pailliart, Bessières).
Nous avons été un des premiers à avoir introduit un des apports de la sociologie de
la professionnalisation sur le champ des métiers de la communication, en particulier
l’importance de la « professionnalisation interactionniste » dans des
60! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
communications de colloques dès 2007
5
, en termes de dynamisme d’affirmation du
groupe professionnel de communicateur vis-vis d’autres groupes. Aujourd’hui, il
n’en n’est plus de même : l’analyse de la professionnalisation des acteurs de la
communication est assez bien représentée dans le champ des Sciences de
l’Information et de la Communication depuis quelques années.
En France, les communicateurs publics n’ont pas été oubliés par la régulation
étatique (Dubar, Tripier, Boussard, 2015). L'émergence, puis l’accroissement, des
filières de formation universitaires spécifiques contribuent à faire surgir la question
de l'identité corporatiste qui donne unité et sens à ce qui n'est au départ qu'une
agrégation abstraite de rôles professionnels (Bessières 2012). Depuis une vingtaine
d’années, à l’instar des métiers de la communication en général, nous pouvons
constater la constitution d’un champ professionnel par le biais de la création de
formations diplômantes en communication publique. Elles se sont développées et se
sont organisées au sein des universités, des écoles spécialisées, des instituts d’études
politiques (Bessières, 2009b) et même au sein de l’École Nationale pour
l’Administration (Bessières, 2012) confirmant ainsi une reconnaissance par le
monde de l’enseignement supérieur et par la haute fonction publique.
Les prescriptions légales constituent également un puissant support de
renforcement de la professionnalisation. Le droit public français reconnait
implicitement la communication publique
6
ainsi intégrée dans la pratique des
organisations (Duran 1992). La loi du 15 janvier 1990 interdit au moins six mois
avant un scrutin national la personnalisation de la communication, la promotion
publicitaire de la gestion, de nouvelles actions de communication. En éliminant des
communications politiques ouvertement personnalisées des élus au profit d’une
communication d'apparence publique pérenne (Bessières 1998), les règles de droit
contribuent à renforcer le groupe professionnel. Leurs applications concrètes
relèvent de l'expertise des professionnels de la communication, dont la présence est
nécessaire pour éviter des risques de remise en cause des élections en cas de
manquements. Plus largement, l'activité communicationnelle est régie par des
normes impersonnelles juridiques qui la légitiment en définitive (Laufer, Paradeise
1982).
La structuration et l’organisation des champs professionnels de la communication
s’avèrent centrales dans la reconnaissance des pratiques communicationnelles des
organisations, leur consolidation et leur renforcement. Les notions de zone
d’expertise (Crozier), de champs (Bourdieu), de groupe professionnel (Chapoulie,
Dubar et Tripier) rendent compte des phénomènes de légitimation de la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
5
Cf. Bessières, 2007, 2008.
6
À la différence de l’Italie, seul pays européen doté d’une loi régissant le champ (loi du 7 juin 2000
n. 150).
Les!régulations!déontologiques! de!communication!publique!61!
!
professionnalisation d’un certain nombre d’acteurs sociaux spécialisés dans les
actions de communication des organisations. Le renforcement, puis la pérennisation,
enfin l’institutionnalisation d’une expertise professionnelle reconnue s’effectue au
sein des organisations, entre des pairs, ou avec des autorités hiérarchiques,
institutionnelles, universitaires (Bessières, 2012).
Ainsi, notre démarche de recherche vise à éclairer les enjeux de
professionnalisation pour le groupe des communicateurs publics. Celle-ci peut viser
la constitution d’une nouvelle profession, une socialisation socle d’un
développement de carrière, la formation de professionnels par des instances
d’enseignement ou encore un processus de légitimation de la spécialisation des
fonctions professionnelles de communication ; en ce sens, elle est un facteur
d’identité professionnelle (Dubar, Tripier, Boussard, 2015). Des signes de
professionnalisation et d’institutionnalisation des communicateurs publics
7
montrent
une recherche de stabilisation pour obtenir la reconnaissance d’un professionnalisme
particulier.
1.2.! Les!associations!professionnelles!acteurs!premiers
Le rôle des associations professionnelles s’avère central dans la réussite des
opérations de professionnalisation. Elles ont pour fonction de promouvoir la
reconnaissance sociale, en propageant des stéréotypes de la profession garantissant
existence et unité dans la réalité sociale professionnelle (Chapoulie 1973).
Ces types d’organisations collectives agissent pour faire connaître et reconnaître
des professionnalismes particuliers, ce qui est très important en matière de légitimité
et de légitimation d’un certain nombre d’acteurs spécifiques. Les évolutions récentes
des fonctions, des professions, des métiers des communicateurs concourent à des
structurations des champs professionnels en dynamiques. Celles-ci peuvent être dans
certains cas centrifuges, rendant plus délicats la question des frontières entre des
regroupements professionnels établies dans des associations et organisations
spécifiques, des alliances pour soutenir des enjeux communs. Ces mouvements
peuvent aussi être centripètes, en visant des reconnaissances de sous-champs
professionnels définis en fonction d’une compétence spécifique (relations presse,
communication numérique, communication digitale, communication interne,
relations extérieures, relations publiques et institutionnelles, communication de
marque, gestion documentaire, audiovisuels…).
L’appellation "communication publique" regroupe une grande diversité de
fonctions effectives, de profils professionnels (chargé de communication, de relation
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
7
Constitutifs d’une branche particulière très peu analysée de la sociologie des professions de cadre
(Gadéa, 2003).
62! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
publique et presse, journaliste, communication digitale…), de diplômes (droit,
science politique, sciences de gestion, communication…). Si bien que l'on ne trouve
guère d'enjeux communs entre tous les communicateurs en dehors d'une quête
constante de reconnaissance (Pailliart, 1993). Or, la profession suppose une forme
d’encadrement du métier évacuant le flou
8
.
« La professionnalisation est un processus selon lequel un corps de métier tend à
s'organiser sur le modèle des professions établies, c'est-à-dire, métiers qui ont
développé un ensemble de caractéristiques spécifiques ; monopole d'exercice de
certaines fonctions, contrôle des praticiens par leurs pairs » (Chapoulie, 1973).
On comprend alors l’enjeu de la quête de professionnalisation (Bessières, 2009b).
L’organisation de la légitimation de la profession (entendue dans le sens anglais
d’ « occupation »), mais avec des éléments inspirés des professions établies (proche
du sens anglais de « profession »), comme la déontologie, implique de comprendre
la redéfinition des cadrages et des délimitations issus des univers professionnels,
sources d’identités professionnelles. Ainsi des pratiques plus anciennes contestées
par une majorité de professionnels sont révélatrices de légitimations identitaires
reconnues comme constitutives de bonnes pratiques : comme la critique de la
communication publicitaire « paillette » des années 1980, la communication
commerciale trop simplificatrice de la complexité
́
du service public (cf. Zémor,
2008) des années 1990, ou encore de « la com » formulation délégitimante partagée
dans le champ professionnel visant une communication publicité et marketing portée
sur des « coups de com », des mises en scène peu porteuses de sens, court-termistes,
voire peu éthiques des années 2010 (cf. Habib, 2010) (Bessières, 2016).
Au travers de ces représentations exemplaires proposées au groupe professionnel
des communicateurs publics, on perçoit bien qu'il s'agit d'une lutte destinée à forger
des représentations performatives. Ces opérations de construction de valeurs et de
représentations propres contribuent à définir une identité professionnelle spécifique
au travers de dynamiques de reconnaissances sociales de certaines fonctions (Dubar,
Tripier, Boussard, 2015), dont les associations de professionnels sont souvent
acteurs en particulier en les formalisant.
2.! Communication!publique!:!d’une!charte!à!un!
manifeste!
Notre connaissance de l’association Communication publique depuis 1994 au
cours de notre thèse de doctorat, puis notre position de membre de son conseil
d’administration nous permettent de rendre compte d’actions fortes de l’association
(Bessières, 2012, 2016). Elles ont en commun d’œuvrer au renforcement du champ
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
8
C’est une spécialisation professionnelle au sens de Dubar et Tripier.
Les!régulations!déontologiques! de!communication!publique!63!
!
professionnel de la communication publique avec un affichage de valeurs
déontologiques plus affirmatif dans le temps.
2.1.! Une!première!charte!non!contraignante!
Tout d’abord, l’Association a produit une Charte en 1998 reproduite ci-dessous
(tableau 1). Elle visait à mettre en avant « des principes d’actions et de règles de
comportements pour les communicateurs publics », énonçant « quelques principes et
procédures qui puissent servir de références opératoires », avec « un texte bref, dans
la mesure il est impossible de statuer sur toutes les situations auxquelles peuvent
être confrontés les acteurs de la communication publique », selon son préambule.
La communication publique a pour finalités l’échange et la partage
d’informations d’utilité publique ainsi que le maintien du lien social, dans les rôles
de régulation, de protection et d’anticipation qui incombent aux pouvoirs et
services publics.
La communication publique inclut toute communication effectuée par des agents
travaillant dans des institutions publiques, c’est-à-dire les corps constitués, les
administrations centrales et leurs services déconcentrés, les collectivités territoriales
et leurs instances de coopérations ainsi que les entreprises ou établissements ayant
des missions de service public ou par toute autre personne devant respecter un
cahier des charges émanant d’une institution publique.
Toute personne exerçant un métier de communication dans le cadre d’une
organisation publique est soumise à des obligations particulières : ses devoirs ne
sont pas identiques à ceux d’une personne exerçant un métier de communication
dans le cadre d’une organisation privée.
La communication publique est attachée à favoriser l’accès à l’information, à
promouvoir la transparence, à améliorer la relation de service.
Elle doit aussi accompagner les actes et décisions publics dans leur préparation,
leur annonce et leur mise en œuvre.
Principes d’actions
1 La communication publique doit être au service de l’intérêt général tel qu’il
est légalement défini. Elle doit être au service de l’institution ou de l’entreprise au
nom de laquelle on communique dans la mesure cette communication ne
méconnaît pas l’intérêt général attaché à la mission de l’institution. Elle doit se
garder d’être au service d’intérêts particuliers qui seraient contradictoires avec
l’intérêt général. Les messages d’intérêt général ne sauraient être, dans leur
expression, détournés à des fins particulières.
2 Les communicateurs publics sont responsables à la fois devant l’autorité
publique l’organisation pour laquelle ils communiquent et devant les citoyens
ou toute personne concernée par la communication publique.
64! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
3 La communication publique doit considérer, dans ses démarches, ses
destinataires comme des récepteurs actifs : des citoyens à part entière dont procède
l’intérêt général ; des hommes et des femmes rationnels et raisonnables ; des
personnes chacun et chacune en situation particulière.
4 La communication publique doit rendre compte à chacun de l’état des
informations et des motivations des décisions qui les concernent.
5 La communication publique doit s’assurer : de la diffusion la plus large des
décisions publiques afin de ne privilégier des destinataires particuliers que dans la
mesure ils contribueront à une meilleure information du public ; de l’accès aux
informations que les institutions sont tenues de mettre sur la place publique ; de
l’égalité de traitement des journalistes en fonction des caractéristiques de leurs
médias et de leurs publics ; de ne pas tromper ses destinataires par omission.
6 La communication publique doit intervenir dès que possible et aux moments
les plus adaptés pour la majorité des personnes concernées par l’élaboration et la
prise des décisions dont elle doit faire part. Elle doit être mise en œuvre en amont
des décisions ; les responsables de communication doivent, si nécessaire, intervenir
dans ce sens auprès de leurs dirigeants. Elle doit favoriser l’explication de façon à
réduire les incompréhensions, les litiges ou les conflits et éviter le recours aux
sanctions.
7 La communication publique doit favoriser les démarches et les procédures qui
permettent à chacun des destinataires intéressés de s’exprimer à tout moment d’un
processus de décision. Elle doit favoriser le dialogue à chaque fois qu’une
procédure ou qu’un service offert au public peut être adapté ou ajusté à une
demande. Elle doit favoriser le débat lorsqu’un choix est ouvert aux citoyens.
Règles de comportements
1 Etre, particulièrement dans la conduite des opérations de communication,
attentif aux dispositions légales qui préservent l’égalité des citoyens et assurent le
bon usage de l’argent public engagé : éviter le mélanges des genres entre la
communication institutionnelle (moyens, fonds, procédures publics) et la
communication politique ; considérer la communication comme partie intégrante du
service offert au public, c’est-à-dire incluse dans le fonctionnement de l’institution
publique ; garantir des critères objectifs d’attribution dans les recours aux
prestataires, notamment en fonction de leurs savoir-faire.
2 Privilégier l’information et l’explication et ne pas céder aux seuls artifices de
séduction.
3 Rechercher la cohérence entre la communication institutionnelle externe et la
communication interne, donc en particulier entre image donnée et identité vécue.
TABLEAU!1!
Charte!de!l’Association!de!Communication!Publique!rédigée!en!1998!
Les!régulations!déontologiques! de!communication!publique!65!
!
Il ressort qu’au travers de la Charte de déontologie, les principes généraux de
définition de la communication publique et de son rôle au service de l’intérêt général
sont affichés dans une transcription présentée comme incitative et non
contraignante. La charte met ainsi en avant la communication publique comme
œuvrant directement aux objectifs et finalités des organismes publics, en indiquant
des éléments pour clarifier son rôle (principes d’action) et en incitant à un exercice
professionnel déontologique (règles de comportement).
2.2.! Un!manifeste!pour!une!affirmation!plus!mobilisatrice!
Puis, en 2015 l’association a produit un nouveau positionnement déontologique,
mais davantage focalisé sur la revendication et l’affirmation d’un positionnement
professionnel vis-à-vis des dirigeants publics dans un Manifeste
(http://www.communication-publique.fr/manifeste-pour-la-communication-
publique/) (cf. Bessières, 2016 pour plus de détails sur le processus). Dans le
contexte de remise en cause de la parole politique dans les enquêtes d’opinion, des
communicateurs publics de l’association ont souhaité affirmer leur intérêt pour lutter
contre une crise de légitimi et de confiance, notamment pour se démarquer de
pratiques professionnelles jugées en partie responsables (ex. « coups de com »). Il
s’agit de réaffirmer l’intérêt de la communication pour les décideurs publics et des
postures déontologiques professionnelles.
Les conceptions du manifeste peuvent être synthétisées autour de 5 idées
principales pour promouvoir un cadrage de l’action de la communication publique :
1.! dépasser une communication court termiste (idée d’une communication
s’inscrivant dans la durée pour des enjeux ou des stratégies de long terme
opposée à une communication essentiellement supplétive),
2.! transmettre du sens (pour clarifier, justifier, expliquer l’action publique),
3.! développer une écoute (pour mettre en place une proximité et une attention à
l’égard des populations et des contextes des organisations publiques),
4.! intégrer la communication dès la conception de l’action publique (pour
revendiquer une position stratégique et éviter une communication instrumentale
de ratification ou d’exécution de décisions déjà prises),
5.! privilégier une sincérité dans le langage (pour éviter des communications de
dissimulation ou de duplicité attentatoires aux logiques d’intérêt général).
Ces deux textes déontologiques à 17 ans d’intervalle attestent du caractère
processuel des opérations de légitimation du groupe professionnel des
communicateurs, des responsables et directeurs de la communication, dans une
dimension interactionniste pour être reconnus vis à vis d’autres groupes
professionnels, et notamment les décideurs publics. Avec l’évolution terminologique
de « charte », signifiant une norme non contraignante, à « manifeste » référant une
66! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
implication active de la part des professionnels, tout se passe comme si la
professionnalisation durant cette temporalité avait permis une certaine
autonomisation cristallisée dans une plus grande capacité de revendication, plus
ouvertement affichée. On mesure également par l’intermédiaire de ces deux
exemples, l’importance des écrits qui participent à une cristallisation d’un accord
contingent scripturalement qui peut donc être changé au cours du temps, d’autant
plus qu’ils expriment une représentation du groupe conforme à l’air du temps.
3.! Des!représentations!collectives!importantes!
socialement!
Les enjeux de figuration de la communication sont importants à une échelle
globale mais aussi dans le champ public.
3.1.! Des!représentations!éthiques!importantes!dans!le!
champ!de!la!communication!
La construction collective de la reconnaissance de la fonction de communication
est métissée entre culture professionnelle et organisations publiques. Elle se
manifeste par des ajouts successifs. Lesquels sont collectivement instrumentalisés
dans une stratégie de renforcement des communicateurs publics. Les acteurs sont
informés des modèles de groupes de communicateurs antérieurs publicitaires »
Neveu, 2006 ; « conseils en communication politique », Champagne, 1990).
Derrière l’imitation, ils en appliquent les règles, mais on mesure que la légitimation
du groupe est une condition d’intégration pérenne dans une structure de travail
fonctionnarisée dans une professionnalisation ambivalente (entre modèles privé et
public).
En conséquence, un code de déontologie est symboliquement important dans
l'affirmation d'une profession, même non établie, à l’exemple de celui de la
publicité. Cette opération est réalisée par l’intermédiaire de l’Autorité de régulation
professionnelle (ARPP). Ainsi, l’industrie publicitaire s’autorégule avec des codes
de déontologie, moins restrictifs, au lieu de se voir imposer des réglementations
juridiques (Loneux, 2016). Un tel code organise une forme de reconnaissance
sociale du groupe, de son expertise et de sa zone de pouvoir en établissant des
normes professionnelles, en rationalisant des pratiques, en proposant une identité
(Walter, 1995).
L'association « Communication Publique » s’en rapproche au travers de ces deux
exemples de réflexion déontologique, aboutissant à une charte déontologique en
1998 et un manifeste en 2015. L’exercice est symbolique d'une vision que des
acteurs tentent d'imposer. D’autres regroupements professionnels, plus spécialisés,
notamment en matière de communication territoriale ont aussi produit des écrits
Les!régulations!déontologiques! de!communication!publique!67!
!
déontologiques proposant quelques principes éthiques, comme la charte
déontologique de Cap’com, dite « charte de Marseille », qui fut votée, lors de la
première convention nationale des communicateurs publics en novembre 2002 (Le
Saëc, 2012). Cette dernière met en avant que « devant le déploiement croissant de la
société de l’information, la communication publique s’affirme aujourd’hui comme
une nécessité incontournable des institutions et des états démocratiques
». Ainsi,
cette charte a pour but de « tracer les contours de l’exercice de la communication
locale de service public, des droits et devoirs des professionnels qui l’exercent » et
« d’élaborer "un contrat public" entre les partenaires qui la pratiquent : décideurs,
employeurs et communicants
». Elle « doit s’exercer hors de toute propagande ou
falsification des faits et respecter la nécessaire transparence des informations dont
elle dispose, tant à l’intention des décideurs que des usagers
». Ainsi, la
communication publique « s’inscrit dans le cadre des missions de l’information de
service public et en respecte les règles en vigueur, tant ontologiques que
juridiques
», « d’éviter le mélange des genres entre communications institutionnelle
et politique
» et de « privilégier l’information et l’explication aux seuls artifices de
séduction
». L’étude des chartes déontologiques des associations de communicateurs
publics révèle que ces professionnels partagent des valeurs. En l’occurrence, ils
revendiquent une différenciation éthique par rapport à la communication politique
professionnelle et un professionnalisme au moyen d’un positionnement spécifique
vis à vis des dirigeants et des organisations. Tout se passe comme si ces chartes
avaient vocation à établir une frontière d’ordre éthique entre les professionnels de la
communication publique et ceux de la communication politique.
3.2.! Une!représentation!d’éth ique !pu bliqu e!imp orta nte!p ou r!
les!pro fe s s io n n e ls !
Le veloppement du métier de communicateur public symbolise des voies
d’adaptation des organisations publiques aux contraintes extérieures de leur
environnement social. Alors, le développement du métier doit être appréhendé
comme une tentative de redéfinition des relations existantes entre l’État et les
citoyens, car « l’argumentation (et la communication publique ont...) pour effet de
tisser un lien réfléchi, d’établir une relation forte, de reconnaître implicitement
l’existence d’une obligation ; elle oblige un pouvoir à descendre de son piédestal
»
(Zémor, 2008). Nous pouvons ainsi constater que le développement du métier de
communicateur public rend compte d’une évolution de la communication des
organisations publiques, moins bureaucratique (axée sur le langage du droit et des
résultats évalués en fonction de la conformité à des normes légales et
administratives) de et plus axée sur des logiques managériales (basées sur le langage
gestionnaire et une recherche de performance d’action par rapport à des objectifs et
des mesures d’évaluations ; Bessières, 2009a). Ces chartes éthiques revendiquent
68! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
des valeurs professionnelles. Nous pouvons appréhender les créations de chartes
déontologiques comme la concrétisation de dynamiques d’affirmation de valeurs
partagées par ces professionnels et induisent le respect de certains comportements.
Elles contribuent à forger la reconnaissance de leur singularité qui repose
grandement sur la notion de service de l’intérêt général.
Plus précisément, les principes d’action et les règles contenus dans les chartes
déontologiques des communicateurs publics tendent à préconiser l’adoption d’une
conception positive des administrés pour lesquels les professionnels de la
communication institutionnelle publique doivent « favoriser l’explication de façon à
réduire les incompréhensions, les litiges ou les conflits et éviter le recours aux
sanctions ». Ils doivent considérer « ses destinataires comme des récepteurs actifs :
des citoyens à part entière dont procède l’intérêt général, des hommes et des femmes
rationnels et raisonnables, des personnes chacun et chacune en situation
particulière ». Aussi, « les messages ne sauraient être, dans leurs expressions,
détournés à des fins particulières, [et] les communicateurs publics sont responsables
à la fois devant l’autorité publique l’organisation pour laquelle ils communiquent
et devant les citoyens
» (Zémor, 2008).
Mais, bien que le métier de communicateur public soit présenté comme se
définissant par rapport à la légitimité de l’intérêt général, il demeure que les
professionnels de la communication publique sont liés au pouvoir politique et leurs
rapports au politique ne doivent pas être occultés. Il apparaît que le métier de
communicateur public reste dépendant du pouvoir politique auquel il est rattaché
plus ou moins directement. Le changement des responsables de la communication à
l’issue des échéances électorales le démontre le plus souvent. « La dépendance vis-
à-vis du pouvoir politique reste manifeste
» (Pailliart, 1993).
Les chartes déontologiques œuvrent au développement du métier de
communicateur public, mais elles manifestent aussi intrinsèquement des
revendications d’autonomisation vis-à-vis du pouvoir politique par l’établissement
de frontières d’ordre éthique entre la communication publique et la communication
politique. Cela se traduit par le partage de stéréotypes de bon professionnalisme
critiquant comme contreproductive la centration excessive sur une personnalisation
de la communication autour des discours et représentations des édiles par exemple,
et plus encore par le respect des règles de la loi de 1990 qui limite l’usage à visée
électoraliste de la communication des organismes publics comme cela pouvait être
le cas auparavant.
Au total, la communication publique se définit par la légitimité de l’intérêt général
et reste majoritairement à sens unique (pour plus de détails cf. Bessières, 2009a).
L’existence de chartes déontologiques pour les professionnels met en exergue des
questionnements de nature éthique pour la professionnalisation des métiers de la
communication des organisations publiques.
Les!régulations!déontologiques! de!communication!publique!69!
!
Au$delà de répondre à une seule logique de légitimation des métiers de la
communication publique, ces principes déontologiques concrétisent des
questionnements éthiques sur les pratiques et les finalités de l’exercice
professionnel. Ainsi, la professionnalisation des métiers de la communication
publique, renforcée par l’existence de chartes déontologiques, permet de constater
une évolution dans la conception du rôle des professionnels de la communication
institutionnelle publique dans la société contemporaine, avec l’affirmation d’une
ambition éthique.
4.! Conclusion!
Derrière la quête de légitimité professionnelle, un groupe professionnel contribue
à organiser un champ de pratiques mettant en scène les attendus d’un bon
professionnalisme (déontologie, échanges entre pairs, éléments de théorisation…),
proposant ainsi une régulation de l’exercice de la profession. Les associations de
professionnels agissent aussi à d’autres échelles, vis-à-vis des pouvoirs publics et
économiques, vis-vis des champs de la recherche universitaire. De sorte que des
interactions s’opèrent et se croisent entre différents champs sociaux à des niveaux
d’organisations, locaux, nationaux. Ainsi, les modalités de leurs actions de
représentation et de légitimation se réalisent dans un entre-soi professionnel, dans
leurs actions d’unification des pratiques ou champ professionnels, dans leurs
opérations de légitimation auprès de pouvoirs établis, qu’ils soient politiques ou
institutionnels. Nous avons montré que les revendications de reconnaissance de la
part des professionnels connaissent des définitions et des acteurs variables dans le
temps mais qui se renforcent continuellement depuis les années 1980 (Bessières
2012). La temporalité des changements sociaux, avec des échelles de temps
relativement longues, a des incidences professionnelles. A cela s’ajoute le succès
même de l’appellation « communication publique » qui repose beaucoup sur son
appropriation par les acteurs de la communication institutionnelle publique eux-
mêmes et par les dirigeants publics. Mais il doit beaucoup aux actions
interactionnistes des groupes et acteurs sociaux, comme les associations
représentantes du champ professionnel.
L’association professionnelle s’inscrit dans une perspective d’imposition de
reconnaissance interactionniste au sens de la sociologie des professions (Dubar,
Tripier, Boussard, 2015) afin de préserver ou d’améliorer la position sociale du
groupe socio-professionnel. En cela, elle est éminemment contingente. Elle implique
des formes de collaboration et de coordination afin de consolider un équilibre au
départ précaire mais qui se solidifie dans le temps. Construction sociale, elle vise à
établir les conditions d’une reconnaissance d’un professionnalisme particulier liée à
la spécificité publique (conditionnement juridique fort, enjeux politiques prégnants)
avec des actions collectives produites par des acteurs du champ professionnel. Les
70! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
regroupements sous formes d’associations professionnelles agissent en participant à
la construction d’une représentation globale du groupe, en affirmant une définition.
« En effet, un modèle est le produit d'expériences, d'observations, de réflexions sur
le réel... Bref, il est un mode d'organisation de la réalité, qui oriente les
représentations et les conduites sociales » (Walter 1995, p.13). « Le groupe doit se
faire représenter en se donnant des instances officielles et des porte-parole habilités
à parler et à agir en son nom » (Boltanski 1982, p.58). Elles fonctionnent comme
des supports d'objectivation en donnant à voir, comme une réalité tangible, le champ
des professionnels qu'elles promeuvent. Ces visions unificatrices sont de nature
interactionniste, portées par des associations.
L’effet de réalité de ces opérations symboliques a été bien décrit par Luc Boltanski
(1982) : L'affirmation de ses caractéristiques, vis-à-vis de lui-même et des autres,
doit « donner des accentuations dramaturgiques de ses traits pertinents, sorte de
stylisation qui contribue à la formation de la croyance collective sans laquelle le
groupe n'a pas droit à la reconnaissance sociale ». Les principes et chartes
déontologiques et éthiques, chartes et manifestes de la communication publique en
sont des exemples caractéristiques.
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