!
Confrontations*et*convergences*éthiques*
entre*marketing*et*information*autour*de*
la*publicité*native**
Baillargeon,!Dany,!Ph.D.!
Professeur,!Université!de!Sherbrooke!(Canada)!
dany.baillargeon@usherbrooke.!
Coutant,!Alexandre,!Ph.D.!
Professeur,!Université!du!Québec!à!Montréal!
(Canada )!
coutant.alexandre@uqam.ca!
Carignan,!MarieHEve,!Ph.D.!
Professeure,!Université!de!Sherbrooke!(Canada)!
marieHeve.carignan@usherbrooke.ca!
Dionne,!Elyse!!
Étudiante!à!la!maîtrise!en!communication,!!
Université!de!Sherbrooke!(Canada)!
elyse.dionne@usherbrooke.ca!
Tourigny,!Mikaëlle!!
Étudiante!à!la!maîtrise!en!communication,!!
Université!de!Sherbrooke!(Canada)!
mikaelle.tourigny@!usherbrooke.ca!
C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!29!
*
Résumé*
La perméabilité de la division information/publicité dans les salles de rédaction
fait récursivement l’objet de débats au sein de l’industrie journalistique. Mus par des
logiques différentes, univers marketing et journalistique sont supposés se prémunir
de toute influence mutuelle. L’arrivée des plateformes socio numériques,
l’éclatement du modèle économique des médias d’information et l’irritation face à
l’intrusion publicitaire et les stratégies de blocage encouragent de nouveaux
chevauchements, dont la publicité native (PN). Les différentes justifications ou
critiques de cette technique controversée constituent une entrée pour analyser le
rapport à l’éthique des deux professions, journalisme et marketing. Cette
communication propose d’interroger ce phénomène par une double analyse. D’abord
en repérant dans le discours des professionnels du marketing et de l’information les
différentes rationalités entourant l’utilisation, ou non, de la PN. Ces rationalités sont
ensuite adossées aux codes, chartes et guides ontiques. Au final, nous arguons que
les guides actuels sont insuffisants pour encadrer le bouleversement professionnel
qu’engendre la PN, entre autres sous la force de tensions séculaires, mais fortement
bousculées par des rationalités convergentes. Ce paradoxe semble se solder par
l’arrivée d’un nouveau type de professionnel, le producteur de contenu.
Mots Clés : publicité native, journalisme, analyse de discours, éthique
Abstract*
The porousness of the information/advertising division in newsrooms is a
recursive topic of debate in the journalism industry. With their distinct logics, the
worlds of marketing and journalism are supposed to guard against any mutual
influence, as enshrined in ethical codes and charters. But the rise of social media
platforms, the fragmentation of the economic model of the news media, the irritation
of advertising intrusion, and the ad blocking software are encouraging new overlaps,
one being native advertising (NA). The various justifications or criticisms of this
controversial technique constitute for us the entry point to analyze the ethics of both
journalism and marketing in regard of NA. First, we identify, within the discourse of
both marketing and information professionals, the different rationalities surrounding
the use or non use of NA. These rationalities are then compared to codes, charters
and deontic guides in use. In the end, we argue that the current guides are
insufficient to frame the professional upheaval that NA generates, under the force of
deep-rooted tensions, now strongly shaken by convergent economical rationalities.
This paradox seems to result in the arrival of a new type of professional, the content
producer.
Keywords: Ethics, deontology, native advertising, marketing, journalism
30! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
!
« Il s’avère également que les tentatives d’intrusion commerciale et publicitaire
dans les contenus sont plus agressives que jamais. » (Saulnier, 2015)
« Demain, votre marque sera un média » (Henrard & Pierra, 2015, p. 13)
« […] dans une large part, la définition de la publicité native dépend du siège
dans lequel est assise la personne qui tente de la décrire. » (IAB, 2013, p. 2)
La perméabilité de la division information/publicité dans les salles de rédaction
fait récursivement l’objet de débats au sein de l’industrie journalistique. Mus par des
logiques différentes, univers marketing et journalistique sont supposés se prémunir
de toute influence mutuelle (Toussaint-Desmoulins, 2015). Ce principe est
officiellement reconnu dans les chartes encadrant la pratique des deux professions en
raison des enjeux démocratiques qu’il soulève (Floris, 2003). Néanmoins, des genres
mitoyens ont toujours calqles formes journalistiques et brouillé les schèmes de
représentations des consommateurs (Moumouni, 2005; Seligman, 2015; Wright,
1986).
La remise en cause de la séparation entre information et promotion est d’autant
facilitée que les publicitaires entretiennent un rapport variable aux règles éthiques
encadrant leur pratique, relâchement fondé sur une faible formation à ses enjeux,
une vision technique de leur métier et une rationalisation économique des effets de
leurs actions (Cossette, 2009; Laczniak, 1993) justifiant une « myopie » et un
« mutisme moraux » (Drumwright, Murphy, 2004).
Qui plus est, l’arrivée des plateformes socio numériques, l’éclatement du modèle
économique des médias d’information et l’érosion du lectorat encouragent de
nouveaux chevauchements. De fait, alors que les médias d’information dits
traditionnels font face à une crise de leurs modèles d’affaires revenus publicitaires
et lectorat en chute libre, consommateurs réticents à payer pour du contenu
d’information, arrivée des géants de la technologie numérique dans l’édition de
contenu d’information (Newman, et al., 2015) , les annonceurs, eux, voient leurs
investissements publicitaires se buter à des consommateurs irrités par la
communication marketing (Rosenwald, 2015; Shields, 2016; WARC, 2016a) et aux
bloqueurs de publicité. Dans les deux camps, une perte de revenu s’ensuit, sans
compter les contrecoups et remises en question de leur industrie (Drohan, 2016;
WARC, 2015).
C’est dans cette mouvance qu’arrive la publicité native (PN). Le terme est apparu
en 2012 pour désigner un type particulier de petites annonces uniques et indigènes à
l’expérience de lecture dans un média. Plusieurs grandes marques de médias telles
que The Atlantic, The Guardian, The New York Time, Vice.com, The Wall Street
Journal, Yahoo!, Wired, etc. ont commencé à avoir recours plus massivement à la
publicité native depuis 2014 (Dienel & Robinson, 2015; Manic, 2015). Certes, cette
forme d’émulation du contenu journalistique n’est pas nouvelle (Seligman, 2015) :
depuis la fin du 19
e
siècle, « le monde des affaires [tend] à recourir à des formes de
publicité sous le couvert de l’information » (Moumouni, 2005, p. 139) de façon à en
C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!31!
*
légitimer la validité aux yeux des consommateurs. Des consumers magazines aux
catalogues, publireportage et autres guides Michelin, la publicité déguisée a cours
depuis longtemps (Eveno, 2004; Martin, 2004; Moumouni, 2005; Palmer, 2004).
Toutefois, ne fut-ce que pour sa portée, la publicité native n’est pas un
épiphénomène ni une stratégie marginale. De fait, en Europe, les dépenses dans ce
domaine s’élevaient à environ 5 milliards d’euros en 2015. Pour 2020, les prévisions
tablent sur plus de 13 milliards. La PN comptera alors pour près de 50 % des
investissements en numérique (WARC, 2016b). Aux États-Unis, les investissements
en publicité native n’ont cessé d’augmenter depuis 2012, représentant le quart des
investissements en communications numériques (Shields, 2015).
Cette forme de publicité est dite « native » puisqu’elle s’encastre dans le design et
l’ergonomie aux supports qui l’accueillent, au lieu d’être reléguée aux espaces
publicitaires traditionnels. Souvent proche de la ligne éditoriale du titre, ce
« contenu de marque » suppose une approche journalistique de la promotion.
L’intégration de la PN dans l’écosystème médiatique et marketing demeure floue :
des salles de rédaction mettent leurs journalistes au service des marques, parfois
dans des pôles en marge de la rédaction, parfois non, avec ou sans pigistes, alors que
les marques deviennent elles-mêmes des productrices de contenu (Henrard & Pierra,
2015; Lefebvre, 2014; Le Goff, et al., 2014). Par conséquent, les organismes
régulant la pratique publicitaire et journalistique peinent à suivre la cadence, tentant
de border « l’irresponsabilité, non seulement éventuelle, mais bien plutôt probable,
des divers acteurs du secteur [du numérique] » (Devèze, 2005, p. 26).
Cette communication propose d’explorer les tensions éthiques générées par la PN.
Dans un premier temps, nous proposons un recadrage de ce que l’on entend par
publicité native, ses contours étant plutôt flous. Puis, à travers une analyse des
discours professionnels tant marketing que journalistique, nous mettons en lumière
les différentes rationalités qui entourent la PN. Dit autrement, de quelle façon
justifie-t-on ou non l’utilisation de la PN dans chacun des camps ? Par une
catégorisation et un mappage de ces discours, nous proposons, dans un troisième
temps, d’illustrer les zones de convergences et de divergences de ces rationalités,
pour mieux les adosser aux codes, chartes et guides déontiques. Au final, nous
arguons que ces derniers sont inaptes à rendre compte du bouleversement
professionnel engendré par l’arrivée massive de la PN. Nous proposons alors
quelques pistes de solutions et ouvrons sur différentes perspectives de recherche
autour de ce « phénomène » venant brouiller les cartes professionnelles.
1.* Les*contours*agilement*flous*de*la*publicité*native*
Dans son livre blanc consacré à la publicité native, l’International Advertising
Bureau souligne ainsi qu’« il n’existe aucune définition universelle, puisque dans
32! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
!
une large part, la définition de la publicité native dépend du siège dans lequel est
assise la personne qui tente de la décrire. » (IAB, 2013, p. 2. Notre traduction).
Lorsque l’on tente de décrire ce qu’est la publici native, deux vecteurs nous
permettent de prendre en compte sa spécificité : l’intégration et le contenu. Du côté
de l’intégration, on considère comme native une publicité en ligne qui se situe hors
des emplacements habituels (bannières, ilot, gratte-ciel) en plus d’émuler
l’ergonomie et le design du site qui l’accueille. Quant au contenu, la publicité native
est traditionnellement arrimée à la ligne éditoriale du site hôte ou aux intérêts et
comportements de l’usager visé.
Dans cette première partie, nous tentons donc de cerner les contours de
l’écosystème de la publicité native en proposant deux catégories qui semblent faire
consensus (IAB, 2013; IAB France, 2014; Manic, 2015): les écosystèmes intégré et
périphérique. Nous répertorions six formes typiques réparties en deux grandes
catégories selon qu’elles s’intègrent ou non au contenu informationnel du support.
Précisons que nous n’avons tenu compte que des formats pouvant se retrouver sur
des sites d’information, excluant d’emblée un ensemble protéiforme de contenus
pouvant parfois être qualifiés de PN comme les publicités sur YouTube ou même les
wikis (Henrard & Pierra, 2015).
2.* Écosystème*intégré*
La première catégorie de publicité native peut être qualifiée d’intégrée (voir
tableau 1), car elle s’insère directement au sein du flux informationnel du support où
les publicités sont diffusées. Dans un premier cas, cette intégration est sociale
puisque la PN prend la forme des contenus générés par les usagers du site. C’est le
cas des « posts sponsorisés » sur les principaux médias socio numériques. L’aspect
natif est alors essentiellement ergonomique puisque les contenus diffèrent
sensiblement de ceux générés par les usagers quant à leurs finalités. Une seconde
forme de PN se révèle davantage éditoriale en imitant les thématiques du support.
Les articles et dossiers publiés dans les médias d’information relèvent de cette
catégorie. Si l’aspect natif touche aussi à l’ergonomie, la plupart des PN ressemblant
formellement aux articles, il n’est pas rare que celle-ci prenne la forme d’un dossier
à la mise en forme plus ambitieuse, mêlant différents formats sémiotiques au sein
d’un dispositif riche. Enfin, les liens sponsorisés sont aussi évoqués comme forme
de PN. Cette dernière catégorie jouit d’une forte visibilité au sein des professionnels
davantage intéressés par l’automatisation des achats d’espaces rendue possible par
les enchères en ligne. Elle est telle que le livre blanc de l’Interactive Advertising
Bureau destiné à fournir une ébauche de normalisation a provoqué une polémique au
sein du monde des publicitaires, déplorant la réduction des potentialités de la PN à
cette dimension. L’intégration est ici à la fois ergonomique et éditoriale et de
C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!33!
*
nombreuses interventions légales ont être effectuées pour clarifier le caractère
commercial de ces liens (Seligman, 2015).
Ajoutons que ces publicités intègrent systématiquement une possibilité
d’interactivi par le clic, qui peut renvoyer vers des contenus endogènes ou
exogènes au site hôte. Si les PN sociales peuvent renvoyer indifféremment vers les
deux, précisons que la vocation des PN éditoriales consiste davantage à conserver
l’internaute au sein de leurs contenus tandis que les liens sponsorisés renvoient
systématiquement vers des sites tiers.
Flux
Apparence
Contenu
endogène
Contenu
exogène
Exemple
Social
Vidéo, photo,
texte.
Ergonomie
identique au site
hôte.
Lien vers
section dédiée
(ex. Page FB)
Aguiche
vers un site
externe (site
de
l’annonceur)
Annexe 1
Éditorial
Texte
s’apparentant à un
article de l’éditeur.
Ergonomie et
design identiques.
Lien vers
article
sponsorisé.
Lien vers
section
dédiée.
Plus
rarement, un
lien vers
l’annonceur.
Annexe 2
Liens
sponsorisés
Suggestions
sponsorisées
intégrées au flux,
avec mention.
Ergonomie
similaire.
S/O
Mots clés
vers le site de
l’annonceur
Annexe 3
Tableau!1!:!formes!d e !P N!intégrée s !
3.* Écosystème*périphérique*
La seconde catégorie de PN conserve des caractéristiques qui permettent de les
distinguer des contenus propres au support (voir tableau 2). À ce titre, elles diffèrent
moins des formats publicitaires traditionnels. L’aspect natif tient cependant à
l’adaptation du fond au contenu des pages. Ainsi, les listes promues concernent
spécifiquement les contextes d’achat. Elles ajoutent un ensemble de produits
similaires sous un produit consulté. Elles peuvent se réduire à une présentation du
produit ou intégrer des éléments de comparaison, d’évaluation, etc. Dans une forme
34! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
!
proche, mais pouvant toucher des contextes de navigation plus larges, les modules
de recommandation constituent aussi des espaces identifiés comme complémentaires
au contenu diffusé par le support, qui proposent des liens diversifiés en lien avec ce
dernier. Dans sa version la plus proche des formats traditionnels, la PN peut aussi se
révéler un simple contenu contextuel inséré dans un espace publicitaire traditionnel.
Ces formes prévoient elles aussi l’interaction par clic en renvoyant alors vers des
contenus endogènes ou exogènes. Si les publicités standards renvoient
traditionnellement vers des sites tiers, les deux autres formes peuvent abriter
indifféremment des liens endogènes ou exogènes.
Apparence
Contenu
endogène
Contenu
exogène
Exemple
Liste de comparaison
de produits, de prix, de
caractéristiques.
Commentaires ou
analyses d’apparence
journalistique.
Lien vers
une section
dédiée au
produit
Lien
vers site
des
produits
comparés
Annexe 4
Module en marge du
site suggérant des
articles liés au contenu
affiché
Liens
vers section
dédiée du
site
Liens
vers un
autre site
Annexe 5
Espace publicitaire
traditionnel avec
contenu lié au contenu
de la page
S/O
Liens
vers un
autre site
Rare
!Tableau!2:!formes!d e !P N!périphériques!
En somme, on le constate, ce qui définit et semble émerger de cette typologie
réside dans l’émulation du contenu et du design de cette forme publicitaire. D’autant
que dans plusieurs cas, l’usager reste à l’intérieur du site hôte. Le risque de
confusion est alors important : est-ce que le contenu est bien celui d’un annonceur
tiers ou du site hôte qu’il a l’habitude de consulter ? Ainsi, bien que normalement la
publicité native est assortie d’une mention (ex. « sponsorisée par »), d’une
différenciation visuelle (ex. un cadre de couleur différent) ou d’une désignation de
C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!35!
*
l’annonceur (ex. logo de l’annonceur qui commandite la publicité), cette émulation
demeure problématique pour les professionnels de l’information et du marketing
1
.
4.* Discours*professionnels*autour*de*la*PN*
Afin de comprendre comment les professionnels de l’information et du marketing
se saisissent de l’impact de la PN sur leur travail et leur industrie, nous avons
procédé à une collecte des discours entourant ces enjeux entre le 11 mai 2015
2
et le
21 avril 2016 sur six sites francophones :
!! Infopresse.com (Québec)
!! Stratégies.fr (France)
!! Grenier aux nouvelles (Québec)
!! Assises du journalisme (France)
!! Fédération professionnelle des journalistes (Québec)
!! Syndicat national des journalistes (France)
À l’aide des moteurs de recherche de chaque site, nous avons répertorié tous les
articles traitant de « publicité native », « native advertising », « marketing de
contenu »
3
et « content marketing ». En tout 250 articles ont été dépouillés. Nous
avons conservé 228 passages traitant de la relation entre publicité et information
dans le contexte de la publicité native.
Par la suite, pour chacun des articles, nous avons identifié, de façon inductive, les
rationalités sous-jacentes concernant l’utilisation de la PN (Paillé & Mucchielli,
2012). Dit autrement, sous quels motifs peut-on (doit-on) utiliser ou non la PN. Au
final, 116 rationalités ont été déterminées.
Finalement, nous avons catégorisé ces rationalités selon « les relations qui existent
entre les faits explicites et le sens implicite du discours des gens » (Attride-Stirling,
2001, p. 387. Nous traduisons).
Ainsi, nous avons circonscrit six catégories de rationalités issues du discours des
professionnels du marketing, de la publicité et du numérique (Figure 1). Les
nombres sur chaque barre représentent le nombre de passages traitant de cette
rationalité.
1
Les enquêtes soulignent que les PN sont d’ailleurs très mal identifiées par leurs lecteurs :
http://www.infopresse.com/dossier/2014/11/20/publicite-native-tour-d-horizon
2
Le 11 mai 2015 marque la mise en route de Instant Articles, le module de promotion d’articles de
médias d’information de Facebook. Ce lancement avait suscité une vague de réactions à propos des
contours flous entre information et promotion, apparaissant donc pour nous comme un jalon impor-
tant pour observer le discours des professionnels.
3
Il apparait que certains auteurs et professionnels associent la publicité native au contenu de
marque.
36! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
!
Figure!1:!rationalités!des!professionnels!du!marketing,!de!la!publicité!et!du!
numérique!
Suivant la même procédure, nous avons circonscrit, du côté des professionnels de
l’information, huit catégories de rationalités (Figure 2).
0 5 10 15 20 25 30 35 40
Il faut s'adapter aux intéts de la cible
La PN doit être clairement identifiée
La PN est plus pertinente pour la cible
La publicité doit maintenant faire partie
du contenu
La PN permet de générer des
revenus/meilleur retour sur
La PN permet d'être vu/d'atteindre notre
cible
La PN favorise l'engagement/une
meilleure expérience
C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!37!
*
Figure!2!:!catégories!de!rationalités!des!professionnels!de!l'information
5.* Analyse*des*discours*professionnels*autour*de*la*
PN*
Une fois appréhendés les discours des deux industries, ce qui nous importait
davantage était de voir quelles étaient les zones de convergence ou de divergence
dans les discours. Le but est ici de tracer un portrait du bouleversement éthique qu’a
imposé la PN dans les deux univers.
Pour ce faire, nous avons placé sur une carte perceptuelle les discours selon les
modalités suivantes (Felx, et al., 2014).
Nous avons d’abord considéré l’importance proportionnelle d’une catégorie de
discours sur l’ensemble des discours des deux secteurs. Ce premier axe nous
permettait de voir la prégnance d’un discours.
Nous avons ensuite voulu relever le degré de polarisation du discours. Dit
autrement, à quel point un discours était exclusif à l’un des secteurs et à quel point
certaines rationalités pouvaient être apparentées. Pour concevoir l’axe de
4
5
5
14
16
18
23
26
La qualité du contenu fait foi de tout
Il faut mieux éduquer à la PN
La PN peut cohabiter avec l'information
La PN ouvre la porte à l'ingérence de
l'annonceur dans le contenu
La PN ménace le métier de journaliste
La PN est une source importante de
revenus
La PN menace l'intégrité/la crédibilité
de l'information
Il faut mieux encadrer/identifier la PN
38! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
!
polarisation, nous avons attribué un coefficient de convergence selon l’échelle
suivante :
!! -2 = polarisé strictement information (ex. « La PN menace le métier de
journaliste)
!! -1 = légèrement polarisé information, mais avec un écho marketing (ex. « La
PN est une source de revenus » peut s’apparenter à « La PN permet de générer
des revenus/un meilleur retour sur investissement »)
!! 1 = légèrement polarisé marketing, mais avec des échos en information (ex.
« Générer des revenus/un meilleur retour sur investissement » peut s’apparenter
à « La PN est une source de revenus »)
!! 2 = polarisé strictement marketing (ex. La PN favorise l'engagement/une
meilleure expérience)
Ce coefficient de convergence ne suffit toutefois pas à traduire à quel point les
deux univers convergent ou divergent. De fait, que des discours se rapprochent dans
leurs soubassements rationnels n’indique pas nécessairement que les arguments
qu’ils charrient constitueraient un dispositif de compromis. Nous avons donc
pondéré ce coefficient de convergence avec le poids de chaque discours. Ainsi un
discours très important en information, mais avec des échos en marketing, se
trouvera malgré tout plus polarisé vers l’information (ex. La PN est une source
importante de revenu) qu’un discours à faible importance en information qui a des
échos en marketing (ex. La qualité du contenu fait foi de tout), la logique étant
qu’un discours peu galvaudé est moins porteur de ce qui importe au sein d’une
communauté de parole, donc moins apte à la constituer (Cooren, 2013; Philipsen,
1992).
La figure suivante (Figure 3) montre le positionnement des catégories de
rationalités. La taille des cercles permet de visualiser le poids des discours. Les
cercles pâles correspondent aux discours marketing ; les cercles foncés, aux discours
en information.
C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!39!
*
Figure!3!:!mapping !d e s !ra tiona lités!
Nous procédons à une analyse critique de ce mappage infra. Pour l’instant, une
dernière étape est nécessaire pour observer les tensions éthiques entre les discours et
les codes déontiques.
6.* Que*disent*les*codes*et*les*chartes*?*
De façon à pouvoir adosser ces discours aux codes, chartes et guides déontiques,
nous avons procédé à une recension des articles entourant la relation entre
information et publicité en Europe et en Amérique du Nord. Aussi avons-nous scruté
18 codes régissant l’industrie de la publicité et de l’information. Au total, 80 articles
traitaient de la relation entre publicité et information. Une fois de plus, nous avons
catégorisé le contenu de ces codes (Figure 4).
40! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
!
Figure !4!!:!caté g o risa tio n !d e s !a rticle s !e n to u ra n t!la!g e s tio n !d e !la!r e latio n !
publicité!et!information!
Avec à la fois des discours portant sur les raisons d’utiliser ou non la PN et les
règles déontiques servant à encadrer la pratique, lorsque la publicité semble sortir de
son cadre de référence habituel, nous pouvons maintenant mieux comprendre le
bouleversement professionnel engendré par l’arrivée massive de la PN.
7.* Discussion*:*convergences*et*divergences*éthiques*
7.1.* Divergences*idéologique s * in c o n c ilia b le s *
Le mappage nous permet d’emblée de remarquer que les discours les plus
prégnants sont ceux qui sont les plus polarisés. De fait, on remarque rapidement que
le discours sur l’expérience et l’engagement de la cible propre au marketing va tout
à fait dans le sens de la nécessité, pour les marques, d’être invités dans l’univers
d’un consommateur réfractaire à la publicité et à l’attention fragmentée (Dahlén &
Edenius, 2007; Lanham, 2006). En émulant un contenu éditorial ou en créant du
contenu près de la ligne éditoriale du site hôte, les annonceurs s’assureraient un
intérêt plus marqué :
Que ce soit en desktop ou en mobile, il est également possible de se tourner vers la
création de contenu ou de contenu commandité, la publicité native, les relations
publiques 2.0, etc. Une chose est claire : la pression est de plus en plus forte pour
2
2
7
10
11
23
25
Appliq uer l es règles du journalisme tradit ionnel au
journalisme électronique
Créer des définitions
Maintenir l'intégrité de l'information/entreprise
média
Éviter le traitement j ournalistique d'un pro duit
commercial
noncer ou évit er les conflits d'inrêt
Séparer les salles d'information du secteur
promotionnel
Éviter de tromper le lecteur/consommat eur
C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!41!
*
trouver des technologies publicitaires qui améliorent l’expérience usager et qui
dissuadent les internautes à télécharger un dispositif d’adblocking
4
.
Cette expérience usager est soutenue par un désir de ne pas interrompre
l’expérience en ligne et ainsi mieux atteindre les cibles, deuxième rationalité la plus
forte pour les professionnels du marketing.
Or ce désir de ne pas contrevenir à l’expérience utilisateur est justement ce qui
semble irriter les professionnels de l’information. On retrouve en effet à l’autre
extrémité du spectre le fait que la PN menace l’intégri et la crédibilité de
l’information. De fait, pour les gens de l’information, l’interruption est justement ce
qui permet de différencier les contenus publicitaires des contenus éditoriaux. Le fait
de saboter cette distinction compromet l’intégrité du contenu.
Mais jusqu’à quel point cela [l'importance de la crédibilité] est-il compris, dans le
public et parmi les annonceurs potentiels ? Pas trop, si on se fie au nombre de fois
où des journalistes et des rédacteurs en chef se font demander : « Combien ça coûte,
un reportage chez vous ? »
5
Et, dégât collatéral, sur l'impriou sur le web, la perte de confiance due à la
publicité camouflée retombera sur les vrais articles d'information. Le lecteur se dira
« Si ce papier camoufle de la pub, pourquoi un autre serait-il davantage digne de
confiance ? » Tous les journalistes pâtiront de ces pratiques.
6
On voit d’ailleurs l’enjeu éthique : les médias ont des audiences qui cherchent du
contenu de qualité, audiences qu’ils peuvent par la suite offrir aux annonceurs. Or si
la qualité de ce contenu est amalgamée avec du contenu télescopé par les marques,
quid de la valeur de ce contenu ? La tension est bien illustrée théoriquement par la
définition de la compétence communicationnelle chez Quéré (1982). Celle-ci
suppose en effet la réunion de quatre principes : l’intelligence réciproque (prétention
à l'intelligibilité), le partage de connaissances (prétention à la vérité), la confiance
réciproque (prétention à la sincérité) et l’entente réciproque sur le type de situation.
Quelles que soient la qualité et la véracité des contenus diffusés, les deux derniers
points soulignent que leur interprétation repose tout autant sur la relation établie
entre les interlocuteurs. La justification de la PN par la qualité des contenus ne lève
donc qu’une part de ces enjeux communicationnels, que les travaux sur
l’énonciation ont bien identifiée comme relative (Veron, 1985).
Nous nous trouvons donc dans des divergences idéologiques opposant deux
éthiques : fournir une expérience non intrusive et engageante pour atteindre une
cible réfractaire à la publicité et maintenir l’intégrité du contenu en séparant
4
http://www.infopresse.com/article/2015/8/10/adblocking-qu-est-ce-que-l-avenir-nous-reserve
5
http://www.fpjq.org/realite-medias-101-apprentissages-a-dure/
6
http://snjexpress.hautetfort.com/archive/2014/07/12/les-habits-neufs-du-publiredactionnel-
5409049.html
42! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
!
publicité et promotion. Plus fondamentalement, c’est donc une divergence entre
focalisation sur l’énoncé et prise en compte de l’énonciation qui est mise en jeu.
Qui plus est, la force de cette divergence montre à quel point les codes et chartes
ne suffisent pas à encadrer la PN. De fait, alors que l’obligation de ne pas tromper le
consommateur et la nécessité de séparer information et marketing constituent les
injonctions éthiques les plus fortement représentées dans l’appareillage déontique
(voir Erreur ! Nous n’avons pas trouvé la source du renvoi. supra), ce sont ces
mêmes codes qui sont mis à mal par ces divergences. Au nom d’une expérience et
d’un engagement améliorés, les professionnels du marketing ne voient pas de
problème dans la PN, se rabattant sur le fait « que la PN doit être bien identifiée »,
comme le montre une des rationalités évoquées tant qu’elle est bien identifiée. Or ce
discours n’est pas très prégnant chez les gens du marketing seulement six entrées
sur les 228 ce qui donne à penser que l’identification n’est pas un problème pour
ceux-ci. D’autant que, comme le démontre la section suivante, une rationalité
structurelle, vient justifier, de part et d’autre, l’utilisation de la PN.
7.2.* Rapprochements*structurels*
Une zone de convergence se dessine autour de rationalités « structurelles », à
savoir de la nécessité économique de monétiser le contenu des plateformes d’une
part et, d’autre part, de favoriser un meilleur retour sur investissement. Ainsi,
générer le second trouve un écho du côté de l’information, la PN étant vue comme
une source de revenus importante :
« Le seul secteur de revenus en croissance, c’est la publicité native […] on crache
-dessus, on se tire dans le pied. » Éric Trottier, éditeur-adjoint du journal La
Presse
7
.
Or cette cohabitation par nécessité économique engendre des effets collatéraux qui
menacent le métier de journaliste. De fait, par souci de monétiser son contenu mais
également parce que les journalistes font face à la précarisation de leur emploi les
journalistes doivent parfois brader leurs expertises pour produire des publicités
natives de type « flux intégré - éditorial » :
Depuis que j’ai quitLes Affaires [une revue économique], je ne suis pas la seule
à me demander si je ferais le même métier de journaliste que je défends
farouchement depuis 30 ans, ou si je devrai dorénavant m’identifier comme
« productrice de contenu ». Suzanne Dansereau, journaliste indépendante
8
Ce qui touche directement l’identité des journalistes et leur appartenance
professionnelle :
« […] les journalistes devront choisir leur camp. Ceux qui font de la publicité
native ou du marketing de contenu devraient être bannis de la [Fédération
7
http://www.fpjq.org/on-ne-cracher-dessus/
8
http://www.fpjq.org/collision-frontale/
C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!43!
*
professionnelle des journalistes du Québec] et interdits de pige dans les sections
régulières du journal », Charles Côté, président du Syndicat des travailleurs de
l’information du journal La Presse (STIP)
9
.
On voit d’ailleurs, dans la proximité des rationalités « La PN menace le métier de
journaliste » et « La PN favorise l’ingérence de l’annonceur », deux préoccupations
qui ne font pas partie des considérations des professionnels du marketing. De la
même façon, en termes de prégnance des discours, la PN, comme source de revenus,
côtoie la crainte d’une perte d’intégrité journalistique. C’est dire que les questions
économiques, sans surprise, pèsent lourdement sur les considérations éthiques.
7.3.* Convergences*sur*fond*de*contenu*
Finalement, nous observons une zone de convergence dans les discours, mais cette
fois-ci sur fond d’un consommateur intelligent qui souhaite d’abord du contenu de
qualité. De fait, alors que les consommateurs chercheraient du contenu pertinent,
riche et arrimé à ses intérêts, une cohabitation avec l’information serait possible
sans porter atteinte à l’intégrité de l’information :
Mais pour le reste, le « native advertising » ne mérite pas tant de méfiance : « J’ai
confiance en l’intelligence des uns et des autres. Les gens ne sont pas bêtes. Le
risque, ce serait si tout le monde devient idiot… », Guillaume Sire, maître de
conférence spécialisé dans le native advertising en entrevue aux Assises du
journalisme
10
.
C’est sur fond d’une qualité de contenu que cette convergence serait possible :
Le succès de ces articles sponsorisés permet aux médias d’être pleins d’espoir.
D’autant que le trafic n’y est pas moins important que sur le reste des contenus,
bien au contraire. C’est l’intérêt de l’article qui fait venir ou non le lecteur. « Au
Figaro on veut apporter quelque chose de qualité à nos utilisateurs […] Et le fait
qu’une marque soit partenaire ne rend pas un article moins intéressant », Baptiste
Huriez, directeur adjoint marketing, Figaro
11
.
L’argument de l’intelligence du lecteur fait sourire face aux résultats d’enquête
cités supra et témoignant d’une faible identification des PN. Il constitue d’ailleurs
l’un des arguments recensés par Drumwright and Murphy (2004) parmi les raisons
de la myopie des publicitaires. Remettre la responsabilité sur l’intelligence du public
constitue effectivement un moyen régulièrement employé par les publicitaires pour
se dédouaner de leurs responsabilités.
Les dispositifs d’identification des PN seraient le garde-fou permettant de ne pas
entacher l’intelligence du lecteur. Or ceci semble appeler un rapprochement en
production entre les journalistes et les producteurs de contenu : comment, de fait,
garantir un « article intéressant » dans un environnement éditorial, donc en émuler la
9
http://www.fpjq.org/collision-frontale/
10
http://assises.journalisme.epjt.fr/enquete-native-advertising-les-liaisons-dangereuses
11
http://assises.journalisme.epjt.fr/enquete-native-advertising-les-liaisons-dangereuses
44! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
!
qualité et la profondeur, si ce n’est que par l’embauche de journalistes. Les codes et
chartes ont pour vocation de garantir l’imperméabilité entre les salles de nouvelles et
celle des ventes, d’éviter les conflits d’intérêts et le traitement journalistique d’une
nouvelle commerciale. Quid d’une nouvelle justement construite suivant l’ingérence
du commercial dans l’information, tout en respectant la « profondeur » du traitement
journalistique ? Il y a une perte de repères sur la permanence et la cohérence des
positions, qui complète la myopie morale en lui ajoutant une part de mutisme :
Drumwright et Murphy (2004) identifient effectivement une tendance à
compartimenter les dimensions d’un problème afin d’éviter d’en identifier les
contradictions. Refuser d’aborder les enjeux associés à la PN selon les points
soulevés par les autres acteurs impliqués et interrompre le raisonnement afin de ne
pas en souligner les contradictions se renforcent effectivement pour expulser les
enjeux éthiques des réflexions des publicitaires.
8.* Conclusions*:*des*divergences*fondamentales,*des*
convergences*fragiles*et*un*métier*à*réinventer*
Par cette recherche exploratoire, nous avons tenté d’observer la façon dont la
publicité native agit comme source de tensions et bouscule les repères
professionnels des gens de marketing comme de ceux de l’information. En relevant
les différentes rationalités entourant l’utilisation de la PN, nous croyons pouvoir
mieux saisir ces bouleversements.
D’une part, nous avons démontré des tensions inconciliables. D’abord, les éditeurs
tentent de maintenir une « bienveillance » (Cossette, 2009) vis-à-vis de leur lectorat,
bienveillance qui peut être entachée par une information qui n’est plus portée par la
nécessité d’informer et hors de toute ingérence. Ensuite, les marqueteurs sont en
quête d’attention, avec une cible qui demanderait, selon eux, du contenu plus
pertinent, plus riche, plus engageant, et non de la publicité intrusive.
C’est dans cette recherche mutuelle d’un lectorat/consommateur fuyant dont la
désaffection menace les deux industries que des convergences structurelles
pointent : monétisation de l’expertise en contenu pour les supports médias ; meilleur
retour sur investissement pour les marketeurs ; attraction d’un lectorat par du
contenu commandité. Cette convergence a pour effet, sous la force des rationalités
sur l’intégrité de l’information et du métier de journaliste, de faire apparaître un
nouveau métier hybride : le producteur de contenu. Parfois associé aux médias
comme pigiste ou salarié , mais dont l’appartenance professionnelle ne semble pas
faire l’unanimité, ce nouveau professionnel du contenu émanerait donc d’un double
rejet. D’abord, le professionnel du journalisme qui, faute d’emploi ou par cause de
précarité, se tourne vers cette manne financière, tout en risquant l’exclusion
professionnelle. Puis, le professionnel du marketing, dont la production
« traditionnelle » n’est plus à même d’intéresser un public cible réfractaire à ses
C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!45!
*
charmes, doit émuler les codes d’une autre discipline. A fortiori, dans un contexte où
les médias d’information condamnent vigoureusement, à l’instar des gens de
marketing, l’utilisation des logiciels de blocage qui frustrent les éditeurs de revenus
substantiels (Heine, 2016).
Or toute la fragilité de cette convergence possible illustrée par la faible
importance des rationalités entourant la qualité des contenus porte à croire que ce
producteur de contenu sera persona non grata chez les professionnels de
l’information. Reste à voir la place qu’il pourra occuper dans la chaîne de
production marketing. Et surtout, à quel genre de codes, de charte ou à quels
aménagements déontiques il obligera.
Cette recherche se veut un point de départ pour appréhender un phénomène dont la
portée professionnelle nous échappe encore. Certes, pour l’heure, le corpus restreint
géographiquement et professionnellement nous invite à creuser davantage ce
phénomène pour le comprendre plus finement. Qui plus est, bien que cette première
exploration semble reproduire un stéréotypage quelque peu manichéen le
journaliste drapé de vertu et le marketeur avide nous croyons que la réalité
organisationnelle admette plus de zones grises que le laisse présager nos données.
Malgré tout, il nous apparaît intéressant déjà d’ouvrir trois pistes pour continuer
l’approfondissement : observer les identités et formes que prennent ces producteurs
de contenu ; mieux comprendre les dynamiques organisationnelles se jouant dans les
organisations médiatiques pour les accueillir (ou non). À l’autre bout du spectre,
nous croyons qu’il devient impératif également d’étudier les usages autour de la PN
: le lecteur est-il à ce point berné ? est-il en effet simplement à la recherche de
« contenu engageant » qu’importe sa source et sa rigueur ? perçoit-il les mécanismes
d’identification prônés ?
Les modèles d’affaires des médias d’information, la montée des logiciels de
blocage publicitaire qui ne semble pas s’essouffler : tout porte à croire que le
bouleversement engendré par la PN contribuera encore à ces chevauchements de
genre, renverra les professionnels à leur éthique et confrontera les codes, chartes et
guides déontologiques dans leurs limites.
46! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
!
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C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!49!
Annexe*1*:*Exemple*de*publicité*native*«*flux*
social*»*
Dans l’exemple suivant, la publicité de « Levez la main pour le diabète » s’insère
dans le flux social d’une page Facebook, s’arrimant ainsi à l’ergonomie, mais
donnant également l’impression qu’il s’agit de L’actualité, un magazine d’affaires
publiques, qui soutient la publication.
50! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
!
Annexe*2*:*Exemple*de*flux*éditorial*
Dans cet exemple, les affaires, un magazine économique, propose une section
appelée « Savoirs d’entreprise », qui se trouve à être constituée d’articles rédigés
pour le compte d’annonceurs. Dans le cas ici, pour RDV Relève.
C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!51!
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Annexe*3*:*Exemple*de*liens*sponsorisés*
Les liens marqués « Annonce », bien qu’émanant d’une recherche Google et
s’insérant dans le flux d’autres liens, ont été payés.
52! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
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Annexe*4*:*Exemple*de*lien*sponsorisé*
Sur le site d’EBay, entreprise de courtage et d’enchères en ligne, sont insérés, à
même le flux d’ordinateurs d’occasion à vendre, des articles « promoted », c'est-à-
dire, qu’ils sont promus dans la liste.
C onfrontations,!convergences!éthiques!entre!marketing!et!information!53!
!
Annexe*5*:*Exemple*de*module*de*recommandation*
Dans cet exemple, des recommandations de machines à café apparaissent dans un
bloc sponsorisé par le détaillant Linen Chest.