22! Professionnalisation!et!éthique!de!la!communication!
Pas de démocratie véritable sans la montée en puissance de la parole citoyenne.
Impossible alors de communiquer sans l’idée régulatrice de vérité : « Pour ne pas dire
la vérité, il faut qu’il y ait une vérité à ne pas dire »
9
. L’idée de vérité même soumise
à la dure critique des sceptiques semble toujours déjà vitale pour un juste rapport avec
les autres et une conception adéquate du monde réel. Pour vivre ensemble. La
responsabilité citoyenne prend alors les traits d’une responsabilité épistémique : le
devoir de chercher et de s’efforcer de délivrer des informations qui soient justes,
exactes et fiables : « Un individu qui, dans un contexte de confiance, agit
consciencieusement avec le but d’apporter de l’information à autrui se donnera du mal
pour s’assurer, dans une mesure raisonnable, que l’opinion qu’il transmet est vraie ;
cela revient à dire qu’un investissement d’investigation peut se faire au bénéfice
d’autrui ou au bénéfice du groupe »
10
. La probité intellectuelle est à ce prix.
Aussi la théorie habermassienne de la communication insiste-t-elle sur
l’intelligibilité et la justesse des énoncés : « Ceux qui participent à une interaction
doivent se considérer réciproquement comme responsables et donc supposer qu’ils
fondent leurs actes sur des prétentions à la validité » (Habermas, 1997). Parler de
manière rationnelle et raisonnable suppose non seulement l’expression d’une pensée,
mais, et surtout, l’identification à ce qui est dit : c’est bien moi qui dit et qui pense
cela, qui pense à ce que je dis, là maintenant, et que je dis ce que je pense. Vraiment,
en tout bonne foi.
Mais la probité et l’ouverture à la pluralité des points de vue ne vont pas de soi. Les
stratégies ou les ruses langagières seront toujours possibles ou disponibles pour qui
veut manipuler les esprits ou fuir ses responsabilités
11
. À commencer par le mensonge
ou la dissimulation. Combien d’opérations de relations publiques ne sont-elles pas, à
cet égard, blâmées pour leur caractère opportuniste et sournoisement intéressé, pour
leurs pratiques antidémocratiques ? Combien de doutes sur l’authenticité des
messages et des intentions ?
Un principe fondateur de la vie en société commandera toujours pourtant de ne pas
mentir, de ne pas déserter sa propre parole. Certains auteurs classiques dont Kant et
Arendt ont lourdement insisté sur la gravité de cette désertion : « La puissance n’est
actualisée que lorsque la parole et l’acte ne divorcent pas, lorsque les mots ne sont pas
vides, ni les actes brutaux, lorsque les mots ne servent pas à voiler les intentions mais
à révéler des réalités, lorsque les actes ne servent pas à violer et détruire mais à établir
des relations et créer des réalités nouvelles »
12
. Une sorte de contrat fondamental de
9
Conche, M. Le fondement de la morale, PUF, 1993, p. 93.
10
Williams, B., Vérité et véracité, 2006, p. 152.
11
Les analyses de V. Jankélévitch dans L’ironie, Flammarion, 1964 et Les vertus de l’amour,
Flammarion, 1986 sont particulièrement éclairantes sur ces différentes stratégies langagières. De
même Perelman, C. et Olbretchs-Tyceta, Traité de l’argumentation, Éditions de l’Université de
Bruxelles, 2008.
12
Arendt, H., Condition de l’homme moderne. Calmann-Lévy, 1983, p. 260.