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Communication*&*professionnalisation*
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Andréa Catellani, Jean-Claude Domenget
et Elise Le Moing - Maas!
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Gourous, spin doctors, conseillers occultes... les professionnels de la
communication font souvent parler d'eux au sein de la société civile et sont
fréquemment assimilés dans l'opinion publique, mais également par les journalistes,
à des éminences grises adeptes de la manipulation et de la propagande. La
surmédiatisation récente de certaines pratiques de communication « véreuses »
(Bygmalion pour ne citer qu'un exemple), renforce cette perception que les
communicateurs ne sont pas des professionnels crédibles. Sur Itélé en avril 2013,
Edwy Plenel journaliste d’investigation et fondateur de Mediapart, les décrit comme
étant « un des poisons de notre démocratie (…). Nous [les journalistes] devons être
au service du droit de savoir des citoyens, pas de ces techniques qui essayent de
cacher, de voiler, de mentir »
1
. En mars 2016, une étude publiée par le magazine PR
Week
2
et réalisée par l'institut d'étude d'opinion londonien Reputation Leaders a
révélé que 69 % des personnes interrogées ne font pas confiance aux communicateurs.
Et les résultats de cette étude sont loin d'être une anomalie. Au contraire, ils viennent
confirmer l'état de défiance envers cette profession et la communication des
entreprises, révélées par de nombreuses enquêtes. Par exemple, 50 % des Français
n'ont pas confiance dans la communication des entreprises, selon l'étude
Communication & Entreprise / Mediaprism d'avril 2014
3
; 47 % des Français
considèrent que les entreprises mentent lorsqu'elles communiquent, d'après le
Baromètre Authenticité Makheai-Occurence, édition 2014
4
... En fait, l'ensemble de
ces opinions semble faire écho à la position critique de J. Habermas, qui considérait
les relations publiques comme une source de distorsion du fonctionnement de l’espace
public tel qu’il le définit. Ce secteur professionnel est justement l'objet de la réflexion
éthique proposée par Yanick Farmer dans ce numéro.
Face à une telle situation, les communicateurs s'insurgent contre le discrédit de leur
profession sur leurs blogs (Blog des communicateurs, brandnewsblog…). Ils
réfléchissent au sein des associations professionnelles (Syntec RP, Communication et
Entreprise, SQPRP, IPRA...) aux missions, aux valeurs et aux méthodes de leur tier
et s'organisent par la normalisation de la profession au travers de codes, de chartes,
d'accords. Cet effort de définition de critères et de chartes éthiques n’est pas nouveau.
Il suffit de penser à la célèbre déclaration de principes d’Ivy Lee en 1906 et aux
différents codes éthiques promulgués par les associations internationales des relations
publiques. Plus récemment, en 2010, la Global Alliance For Public Relation and
Communication Management (GAPRCM) a publié des Accords dits de Stockholm
(puis Mandat de Melbourne en 2012) qui stipulent que les relations publiques doivent
1
http://www.leblogducommunicateur2-0.com/2014/06/15/bygmalion-spin-doctors-il-faut-
absolument-changer-de-logiciel-communicateur
2
Ian Griggs et Isabelle Aron « PR in the dock: Nearly 70 per cent of the general public does not
trust the industry » PR Week19 mars 2015
3
« La Communication d'entreprise vue par les Français », étude Communication & Entreprise /
Mediaprism, avril 2014.
4
Baromètre Authenticité Makheai-Occurence, édition 2014.
Q ! +),-.//$,00(1$/(%$,0!.%!&%2$34.!#.!1(!5,6640$5(%$,0!
« fournir en temps opportun, des analyses et des recommandations qui permettront
une gouvernance efficace des relations avec les intervenants, en misant sur la
transparence, les comportements dignes de foi et une représentation authentique et
contrôlable, de manière à maintenir le permis d'exploitation de l'organisation » (p. 5).
Directement liées aux modalités de construction des relations avec les publics, les
activités des communicateurs posent un certain nombre d'enjeux identitaires (sociaux,
culturels, idéologiques, économiques, historiques, discursifs...). Traditionnellement,
les organisations construisent leurs identités à travers leur nom, leurs marques, leur
positionnement, leurs valeurs, leur histoire... Plus récemment l'essor des médias
socionumériques a reconfiguré les liens entre identité et réputation. Considérée
comme une composante de l'identité numérique, « l'e-réputation organise un système
de valeurs, sur un axe qui va de la visibilité à la confiance. Notoriété, popularité,
crédibilité, influence, autorité, ce qu'elle mesure emprunte à des domaines relevant de
cultures différentes, qui s'enchevêtrent » (Merzeau, 2015, p. 21). Au niveau des
individus, leurs usages professionnels des médias socionumériques donnent lieu à des
formes identitaires, liées à la visibilité et à la viralité, recentrant la question de
l'expertise sur celle de leur professionnalisation et de leur employabilité (Domenget,
2015). Cette prise en compte des rapports entre identités et médias socionumériques,
à travers la question des usages, met en avant des enjeux éthiques (gestion des données
personnelles, risque d'une surcharge informationnelle, qualité des informations par
exemple sur Wikipédia, construction d'identités fictives...) d'autant plus que ces
activités laissent par définition des traces dans cet environnement numérique.
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Transparence (Catellani, Zerfass, Tench, 2015), responsabilité sociétale, valeurs :
ces notions, associées à la réputation et qui sont aujourd’hui très présentes dans les
discours des organisations, font référence à l’éthique, et demandent à être interrogées
dans leurs fondements. D’un point de vue philosophique, toute action humaine a une
dimension éthique : selon St. Thomas d’Aquin les actes humains sont par définition
moraux (idem sunt actus morales et actus humani). Cette condition universelle
s’applique évidemment aussi aux professionnels de la communication, même si la
prise de conscience de cette dimension n’est pas forcement au même niveau pour tous.
Gauthier (1992) rappelle d’ailleurs l’existence de la thèse de l’inhérence de l’éthique
en communication : cela consiste à « affirmer la présence intrinsèque d’une variable
morale dans toute forme de communication publique ». Selon le European
Communication Monitor (2012), la majorité des professionnels de la communication
en Europe (près de 6 sur 10) a été confrontée à des problématiques éthiques, et celles-
ci sont perçues comme en augmentation.
7;(0%A '),',/!R !
!
Mais qu’est-ce qu'au juste que l’éthique ?
5
Elle peut être définie comme une forme
de réflexion rationnelle en vue de bien agir. Elle fait référence au bien et au mal, au
juste et à l’injuste, à ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire : elle est donc articulée à la
morale, terme parfois décrié mais qui indique (selon une définition possible qui nous
semble utile, inspirée entre autres par le philosophe Paul Ricœur) l’ensemble des
normes et des principes qui fondent la distinction du bien et du mal. L’éthique est
donc réflexion pendant que la morale indique un patrimoine donné de valeurs et
principes. Des auteurs comme Alain Etchegoyen ont opposé en partie les deux termes,
mais nous préférons les utiliser dans un cadre unitaire et organique. La philosophie
morale est la discipline philosophique qui s’occupe de réfléchir sur l’éthique et ses
modèles, même s’il faut redire avec force que cette dernière n’est pas l'apanage des
« experts », mais au contraire appartient à tous les êtres humains. Dans le cadre de la
philosophie morale, la méta-éthique, réflexion philosophique sur les catégories et le
langage de l’éthique, se distingue de l’éthique normative, la réflexion sur le contenu
de la morale, ses principes et ses normes. La déontologie, parfois confondue avec
l’éthique, est l’« ensemble des règles morales qui régissent l'exercice d'une profession
ou les rapports sociaux de ses membres ; ces règles peuvent être fixées par écrit dans
des codes et chartes (appelés parfois aussi « éthiques ») » (Catellani, Cobut, Donjean
2017).
Le philosophe Paul Ricoeur (1990) propose une conception éthique et morale
s’articulent entre elles : la morale est au centre, comme l'ensemble des valeurs et des
principes, patrimoine partagée et au moins en partie tendent à être universel ; en amont
de la morale, l’éthique réfléchit sur les liens de ces normes et principes avec la vie et
son dynamisme ; en aval, elle devient éthique appliquée, réflexion pour aider la
décision dans des contextes concrets en partant des principes moraux, comme dans le
cas de l’éthique de la communication des organisations. Un parcours, une tension
unique traverse donc éthique et morale ; elles ont leurs racines dans ce que nous
sommes, nos valeurs, notre foi et notre vision, nos désirs et notre façon d’être au
monde, notre être et notre culture. Ricœur propose une célèbre définition de l’éthique
comme visée de la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes (1990, p.
202). Cette définition montre bien l’ampleur de ce domaine : être éthique signifie
chercher une vie bonne avec et au service des autres ; il faut donc considérer les autres
êtres humains, mais aussi les institutions et donc le contexte sociétal, économique,
politique, environnemental.
Au moins cinq écoles de philosophie morale peuvent nourrir la réflexion éthique :
5 Pour un approfondissement sur l’éthique et la morale, nous renvoyons à des ouvrages comme celui
d’Ansperger et Van Parjis 2003, Canto-Sperber & Ogien 2017, au Dictionnaire de philosophie
morale, et aussi à des sites gratuits et de qualité comme la Stanford Encyclopedia of Philosophy
(http://plato.stanford.edu/) ou l’Internet Encyclopedia of Philosophy (http://www.iep.utm.edu/). Le
gouvernement du Québec propose une synthèse vulgarisée assez intéressante
(http://www.ethique.gouv.qc.ca/fr/ethique).
S ! +),-.//$,00(1$/(%$,0!.%!&%2$34.!#.!1(!5,6640$5(%$,0!
!! - l’approche mettant l’accent sur « l’universalisabilité » des principes déterminant
l’action (déontologisme, représenté notamment par Emmanuel Kant) ;
!! - l’approche utilitariste qui propose de calculer les effets des actions pour
maximiser les effets positifs et minimiser les négatifs ;
!! - l’approche des vertus qui met au centre de l’attention l’agent et son caractère,
ses vertus (quel type de personne deviens-je en agissant de la sorte ?) ;
!! - l’éthique du care qui met en évidence la centralité des liens et des relations et
l’impératif de les soigner ;
!! - l’éthique de la discussion et du dialogue qui cherche les principes pour
construire ensemble des principes d’actions réellement partagés (Jürgen
Habermas, etc.) ; et d’autres encore.
!! La prise de décision éthique et la solution des cas difficiles, parfois définis comme
« dilemmes », peut être nourrie par ces traditions, lesquelles aident à poser des
actes rationnels. Ces écoles et ces auteurs peuvent donc nourrir l’enseignement
de l’éthique, comme le rappelle Lucile Desmoulins dans son article sur
l'enseignement de l'éthique du lobbying, si un effort est fait pour dépasser le fossé
parfois existant entre « théorie » philosophique et « pratique » professionnelle.
L’éthique ainsi définie constitue une dimension essentielle de la
professionnalisation des communicateurs et ceci devrait se refléter aussi bien dans
leur formation que dans leurs pratiques professionnelles. D'autant que les
professionnels voient dans l'application d'une éthique surplombant la pratique une
façon de s'extirper de la position d'exécutant pour se placer en expert, encore que cette
figure soit idéalisée (Baillargeon et al., 2013). Ceci représente un défi aussi pour les
chercheurs en communication, qui sont appelés à développer une réflexion critique
pour accompagner ces évolutions professionnelles. La nécessité maintes fois évoquée
de chartes et de codes déontologiques ferait-elle partie du processus de
professionnalisation dans une optique aussi bien de régulation que de reconnaissance
du métier de communicateur (de la Broise, 2013) ? Avec l’article de Cobut, nous nous
interrogerons sur le rôle que jouent les associations professionnelles dans ces
processus.
A la suite de ces constats, il apparaît clairement que les notions évoquées doivent
être clarifiées et la situation de communication précisée.
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7#'(+,1%,50%,:+.'/0%,
Le colloque international qui s'est tenu à Agadir du 18 au 20 mai 2016 a permis
d'interroger la notion d'éthique en lien avec la professionnalisation des
communicateurs. Un appel à articles pour ce numéro 5 de la revue Communication et
7;(0%A '),',/!T !
!
professionnalisation, a invité les auteur(e)s à approfondir la réflexion autour de six
points non exclusifs.
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2#330('2)+'#(,
Les communicateurs sont dans leur quotidien confrontés à des choix « éthiques ».
Au-delà de leur morale personnelle, ils sont amenés à véhiculer de l'information, à
conseiller des dirigeants… toutes ces actions propres aux métiers de communicateurs
vont avoir un impact sur la société. Il s'agit d'explorer d’une part la formation
académique actuelle en SIC dans la manière dont elle définit et questionne les notions
de propagande, d’argumentation, de persuasion… mais également celles de morale,
probité, déontologie ou plus prosaïquement « bonnes pratiques ». D’autre part, les
modalités de formations à l’éthique développées dans les institutions universitaires
dans différents pays mais aussi les formations professionnelles destinées aux
communicateurs doivent être questionnées afin d’en observer la pertinence, le niveau
de développement, l’articulation à la pratique concrète, etc.
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Pour Ritha Cossette, la reconnaissance du métier repose sur l'adoption de normes
éthiques (2013). Les associations professionnelles de différents pays produisent
depuis longtemps (au moins, depuis le code d’Athènes en 1965) des chartes éthiques,
et cette production se poursuit aujourd’hui : par exemple, en 2014 Syntec RP a publié
la « Charte éthique des professionnels de la communication de crise ». A quoi servent
ces chartes, parfois considérées comme obsolètes ou méconnues (voir le European
Communication Monitor 2012) ? A réguler la profession ou à lui donner une meilleure
image ? L'éthique est parfois confondue avec la morale voire avec la déontologie
professionnelle (Cossette, 2013). Le comportement du communicateur est-il éthique
à partir du moment où il respecte le code de déontologie de sa profession ? Ou derrière
ce que Jean Devèze considérait comme un effet de mode, cette prolifération des
chartes éthiques et des codes de déontologie dans les domaines professionnels relevant
des sciences de l'information et de la communication ne réduit-elle pas la liberté
d'invention, de création, d'innovation des professionnels de ces domaines d'activités
(2005) ? La réflexion porte ainsi sur la production, le contenu et la réception de ces
écrits normatifs.
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1)(&,*%,2#(+%E+%,#">)('&)+'#((%*,)2+0%*,
On peut s'interroger sur la mission du communicateur face à la complexité et à la
violence des organisations d'aujourd'hui : doit-il légitimer l'action de l'entreprise au
travers de discours enchanteurs (D'Almeida, 2007), comme lui demande souvent le
management (Maas, 2011), ou bien doit-il tenter d'organiser et de diffuser une
information vraie et sincère (Cossette, 2013) ? Si nous prenons l'exemple de la
communication hospitalière, secteur sensible par excellence, le communicateur doit-
il être au service de l'institution, des médecins ou des malades ? Comment faire preuve
d'éthique lorsque les intérêts des différentes parties prenantes sont contradictoires ?
Comment les professionnels prennent-ils des décisions dans des situations complexes
et qui mobilisent plus directement l’éthique ?
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GC%&7#( &) H '*'+:,F# 2 ':+) *%,1 %& ,- (+"% 7 "'&% &I,
La RSE est aujourd'hui une tendance importante des pratiques et des discours des
organisations. Les entreprises, en particulier via la RSE, ont développé une approche
managériale des discours éthiques qui peut être qualifiée d'approche utilitariste de
l'éthique (David et Lambotte, 2014, Loneux, 2007). Selon certains auteurs, le
communicateur se retrouve aujourd’hui en position de devoir recréer du lien social
voire de la confiance dans une organisation qui n'est plus capable de jouer son rôle
par rapport à l'individu (Huet, 2012). Comment définir la place du communicateur et
de sa prise de décision éthique dans ce contexte organisationnel ? La main mise de
l'organisation sur l'éthique procède-t-elle uniquement du discours qui viserait à
rassurer les salariés et les citoyens ? Comment la RSE est communiquée ? Quelles
pratiques professionnelles se développent autour de la production de documents
comme les rapports RSE ? Comment les communicateurs participent au
développement de formes de dialogue et interaction plus ou moins uni- ou bi-
directionnel avec les parties prenantes de l'entreprise, à propos de la RSE ? Comment
la démarche responsable de l'entreprise est présentée et valorisée, pour construire
l’Ethos de l'entreprise responsable ?
J(+%"620*+0")*'+:=,2#330('2)+'#(,%+,:+.'/0%,
La réalité de la communication des organisations d'aujourd'hui reproduit celle de la
société plus large, le multiculturalisme et la rencontre de personnes d'origines
7;(0%A '),',/!V !
!
différentes créent les conditions pour des phénomènes sociaux et communicationnels
spécifiques. Comment la coprésence de croyances et pratiques religieuses, traits
culturels, habitudes, normes sociales différentes est gérée par les communicateurs,
dans le cadre de leur métier ? Comment opèrent-ils des arbitrages, des ajustements,
quels types de pratiques se développent-ils dans ce cadre complexe ? Aussi, quelle est
la perception de l'éthique des communicateurs dans des contextes culturels et
nationaux différents ? Quelle traduction est-elle possible pour l'éthique en
communication entre différents pays et cultures ? La réflexion relève ici d'une
approche comparative de l'éthique en communication dans différents contextes
culturels ou du point de vue de l'inter-culturalité.
@),2#330('2)+'#(,"%&7#(&)H*%,
L'expression « communication responsable » indique, depuis quelques années, une
orientation prise par une partie du monde professionnel organisé, pour proposer une
nouvelle démarche éthique consistant à appliquer les principes de la RSE à la
communication (voir par exemple en France, la charte de l'Union des Annonceurs
pour une communication responsable, ou l'ensemble des guides et chartes sur la
communication responsable recensé par l'association professionnelle Communication
et Entreprise). Ces prises de positions peuvent être interrogées de différents points de
vue. Quelle est la logique sous-jacente, entre légitimation professionnelle et elle
prise de conscience éthique ? Comment ces principes sont perçus par les
professionnels, comment influencent-ils leur pratiques concrètes ?
K<, !"'(2'7%&=,%(L%0E,1%,":>0*)+'#(,%+,$#"3)+'#(,A,
*9:+.'/0%,
De ces multiples interrogations, six articles ont été sélectionnés afin d'approfondir
la flexion sur la notion d'éthique de la communication en rapport avec la
professionnalisation des communicateurs.
L’article de Ritha Cossette discute la relation entre la communication dans l’espace
public, notamment celle qui émane des professionnels de la communication, et le
paradigme éthique de la responsabilité. La question de base de l’article concerne les
conditions d’une communication responsable, capable de soutenir la démocratie et
son épanouissement. La discussion se focalise sur le domaine des relations publiques :
qu’est-ce que signifie être un relationniste (professionnel des relations publiques)
responsable ? Après avoir présenté le paradigme de la responsabilité, l’article traite
de la responsabilité citoyenne, de la vérité et d’autres principes à respecter. La
conclusion porte sur le fait que les professionnels de la communication ont une dette
envers la société démocratique qui a permis l’éclosion de la communication, et ils sont
donc appelés à respecter et prendre soin de cette société.
WX! +),-.//$,00(1$/(%$,0!.%!&%2$34.!#.!1(!5,6640$5(%$,0!
Suivent trois articles qui portent plus spécifiquement sur les enjeux de régulation
posés par les questions éthiques. Dans ce sens, le premier, intitulé « Confrontations et
convergences éthiques entre marketing et information autour de la publicité native »,
concerne le croisement des secteurs du journalisme et du marketing. Les auteurs
explorent les tensions éthiques générées par la publicité native (PN), cette forme de
publicité qui s'encastre dans le design et l’ergonomie des supports qui l’accueillent,
au lieu d’être reléguée aux espaces publicitaires traditionnels. Dans cet article, Dany
Baillargeon, Alexandre Coutant, Marie-Eve Carignan, Elyse Dionne et Mikaëlle
Tourigny soulignent la faiblesse des codes, chartes, guides déontiques pour encadrer
le bouleversement professionnel qu'engendre la PN. L'objectif est de réfléchir à la
régulation d'une profession qui émerge, en s'appuyant sur les discours des
professionnels pour repérer les différentes rationalités entourant l'utilisation, ou non,
de la PN. En effet, entre information et marketing, un nouveau type de professionnel
émerge : le producteur de contenu.
Dominique Bessières questionne lui aussi des documents de type code, charte...
produits par les professionnels de la communication et plus particulièrement les
communicants publiques, à savoir une charte réalisée par l’association professionnelle
Communication publique en 1998 et un manifeste publié en 2015. A travers les
normes, les valeurs, issues d’autorégulation et « reconnues entre pairs », soft low,
mais également celles issues du droit soit « hard law », il revient sur ces « régulations
professionnelles déontologiques ». Pour lui, « soft law » et « hard law » participeraient
à la production d’une identité professionnelle spécifique propre aux communicants
publiques. Ces communicants participent, pour lui, de la « redéfinition des relations
entre l’Etats et les citoyens ».
Cette identité formalisée en partie par le groupe professionnel, s’appuie sur des
dynamiques de reconnaissances de pratiques jugées comme preuves d’un « bon
professionnalisme », légitimant ainsi une frontière éthique entre communication
publique et communication politique.
Les relations publiques constitue le troisième domaine professionnel évoqué qui est
touché par les enjeux de régulation. Dans son article, Yannick Farmer propose « un
modèle multi-niveaux de prise de décision éthique pour les relations publiques ».
L'objectif est de fournir aux théoriciens et aux praticiens des outils conceptuels
permettant de mieux penser la complexité dans la prise de décision éthique. Pour cela,
le modèle proposé intègre trois domaines d'importance : 1) le classement des
conséquences par l'impact et l'incertitude ; 2) l 'équilibre des intérêts ; 3) la gestion de
la rité et du risque réputationnel. Cette dernière dimension est particulièrement
importante pour l'auteur, considérant que « dans la perspective des relations publiques,
on peut même aller jusqu’à affirmer qu’au fond, la réputation est plus importante que
l’éthique, car la putation est ce qui subsiste dans la mémoire des parties prenantes
une fois que les décisions ont été prises par l’organisation ». Dans cet article, le
modèle est appliqué à des cas pratiques, lesquels font ressortir l'importance de la
7;(0%A '),',/!WW !
!
gestion du risque réputationnel dans la prise de décision éthique. L'auteur explique
également comment peut émerger une éthique de l'intérêt partagé en relations
publiques.
Les deux derniers articles de ce dossier traite de la formation à l'éthique. Le texte de
Sophie Pochet discute les résultats d’une étude sur les attitudes d’un groupe
d’étudiants belges en Publicité par rapport aux critiques de type éthique qui circulent
concernant cette forme de discours promotionnel. Le dispositif de recherche prévoit
différentes parties : un questionnaire pour faire émerger les critiques spontanées que
les étudiants ont à l’esprit ; un tri de cartes et un entretien individuel semi-directif pour
faire émerger les façons de catégoriser ces critiques, d’en évaluer l’importance, les
formes de justification (rationalisation) de la publicité et les capacités d’imaginer des
solutions pour les problèmes éthiques identifiés. Les résultats de l’étude montrent des
jeunes qui reconnaissent souvent comme réels les problèmes éthiques, mais qui
imaginent difficilement spontanément les impacts et enjeux de la publicité, trouvent
une série de justifications pour la discipline (comme l’existence de campagnes non
marchandes ou la capacirationnelle du consommateur) et ont du mal à construire
des scénarios de solution des problèmes. L’auteure définit donc comme « cynique »
cette attitude dominante vis-à-vis de l’éthique publicitaire. L’article réfléchit aussi sur
les façons d’enrichir l’enseignement de l’éthique publicitaire pour préparer des
professionnels mieux équipés pour prendre en considération la dimension éthique de
façon responsable.
Quant à l'article de Lucile Desmoulins, il propose une réflexion autour de
l’enseignement et de la pédagogie de l’éthique dans le domaine du lobbying. Cette
réflexion est nourrie par différentes disciplines et approches : la sociologie des
groupes professionnels, les sciences de l’information et de la communication,
l’analyse du discours et l’ethnographie organisationnelle. L’auteure a analysé la
communication des programmes de master en lobbying existants en France, le
discours de cabinets conseil dans le domaine et les dires de professionnels du secteur ;
elle s’est basée aussi sur son expérience personnelle de création d’un parcours de
master. L’auteure propose avant tout une définition des affaires publiques et du
lobbying. L’article propose ensuite une série d’observations sur les pratiques utiles
possibles pour enseigner l’éthique à des étudiants qui se préparent à devenir
« lobbyistes », en approfondissant les difficultés liées à la nature et au contexte de ces
métiers en France, et les tensions et défis qui existent pour ce type d’enseignement.
Complétant les six articles du dossier, ce numéro de Communication et
professionnalisation se termine par deux regards de professionnels. Eric Cobut,
directeur e.r de la communication et des relations interne(s) de la police fédérale belge,
nous propose un retour d'expérience vécue lors de la réécriture du code de déontologie
de l'association belge de la communication interne (ABCI). Le processus basé sur une
approche participative de diverses parties prenantes a aboutit à l'acceptation d'un code
en deux parties, précisant à la fois la mission du communicateur interne mais aussi les
W*! +),-.//$,00(1$/(%$,0!.%!&%2$34.!#.!1(!5,6640$5(%$,0!
six valeurs nécessaires à son exécution : intégrité, esprit de service, respect,
orientation résultats, responsabilité et innovation. Pour sa part, Juliette Boidot, riche
d'une expérience de directrice de la communication dans plusieurs organisations (FCI,
l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris, les Laboratoires Servier, etc.), évoque la
question de l'éthique en pratique. Dans une interview, conduite par Jean-Claude
Domenget, elle revient sur plusieurs thématiques abordées dans ce numéro, dont celles
de la décrédibilisation du communicateur, ou encore de l'importance d'une
communication vraie et sincère. Ayant une vision stratégique de son métier, elle
aborde longuement la nécessité de tenir compte des intérêts à agir des différentes
parties-prenantes dans une action de communication et explique comment le
communicant peut redonner de la crédibilité à sa fonction.
M'H*'#>")7.'%,
Ansperger, C. et Van Parjis, P. (2003). Ethique économique et sociale. Paris, France :
Eyrolles.
Baillargeon, D., Brulois, V., Coyette, C., David, M. D., Lambotte, F. et Lépine, V.
(2013). Figures et dynamiques de la professionnalisation des communicateurs.
Un miroir tendu aux associations en Belgique, en France et Canada, Les cahiers
du Resiproc, (1), 12-32.
Broise, de la, P. (2013). Lutte pour la reconnaissance ? Codes, chartes, référentiels et
autres manifestes de professionnels français de la communication. Les cahiers du
Resiproc, (1), 33-50.
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