Créativité et IA : cinq dualités et trois recommandations dans l’intégration des IA génératives en agence de communication
Dany Baillargeon
Professeur au Département de communication
Université de Sherbrooke
dany.baillargeon@usherbrooke.ca
Loïc-Alexandre Rousseau
étudiant à la maîtrise en communication
Université de Sherbrooke
loic-alexandre.rousseau@usherbrooke.ca
Résumé
L’intégration de l’intelligence artificielle générative (IAGen) dans différentes sphères économiques et sociales s’est accélérée à une vitesse qu’on n’aurait pu prévoir. Tous les secteurs professionnels sont touchés, chacun tentant d’évaluer les gains et limites de cette intégration. Le milieu de la communication créative – agences de publicité, agence numérique, pigistes en communication, créateurs de contenu – ne fait pas exception alors que toute la chaîne de décisions stratégiques menant à la création de messages intègre son lot d’IAGen pour optimiser les opérations et accélérer la production. Toutefois, ces promesses sont assorties d’un lot d’impacts éthiques, économiques, interpersonnels qu’il est encore difficile d’évaluer. L’industrie de la communication créative reposant sur la valeur accordée à la créativité des agences, cet article relève les tensions engendrées par l’arrivée des IAGen et l’impact de ces dernières sur les processus de création. Soutenus par une revue de la littérature narrative sur les promesses et enjeux des IAGen et partant d’une perspective sociomatérielle de la créativité, nous relevons cinq dualités entre les gains et les défis à la créativité dans l’usage des IAGen. Au final, nous proposons trois recommandations dans l’intégration des IAGen dans les agences de communication créative.
Mots-clés : intelligence artificielle ; IA générative ; créativité ; idéation ; agence de communication ; communication créative
Abstract
The integration of generative artificial intelligence (GenAI) into various economic and social spheres has accelerated at a speed that could not have been predicted. The creative communications industry - advertising agencies, digital agencies, communications freelancers, content creators - is no exception, as the entire chain of strategic decisions leading to message creation integrates its share of GenAI to optimize operations and accelerate production. However, these promises come with a number of ethical, economic and interpersonal impacts that are still difficult to assess. As the creative communications industry relies on the value placed on the agencies creativity, this article highlights the tensions arising from the arrival of GenAI and their impact on creative processes. Supported by a comprehensive review of the literature on the promises and challenges of GenAI, and starting from a socio-material perspective on creativity, we identify five dualities between the gains and challenges to creativity in the use of IAGen. Finally, we propose three recommendations for integrating IAGen in creative communication agencies.
Keywords: artificial intelligence; generative AI; creativity; ideation; communication agency; creative communication
Introduction
Les origines de l’intelligence artificielle (IA) peuvent être tracées jusqu’aux années 1940, période durant laquelle les pionniers tels que le neuroscientifique Warren McCulloch et logicien Walter Pitts ont initié les efforts pour créer des machines dotées de capacités cognitives similaires à celles des humains (Russell et Norvig, 2021). Au tournant des années 1980, l’IA a vu des progrès remarquables avec l’émergence de systèmes experts régis par des règles spécifiques, facilitant la résolution de problématiques complexes dans des domaines aussi variés que la chimie, la médecine et la planification industrielle (Nilsson, 2009). Puis, l’investissement accru dans l’apprentissage automatique a permis aux systèmes de s’adapter et de modifier leur comportement en fonction des données analysées (Riedl, 2019), prélude à l’expansion rapide de l’IA. L’intelligence artificielle générative (IAGen1) est aujourd’hui exploitée pour créer des contenus – texte, image, musique, voix, code – et c’est par cette technologie que le grand public a compris que les contenus qu’il consomme et potentiellement produit ne seraient désormais plus exclusivement l’œuvre d’humains (Anantrasirichai et Bull, 2022).
Cette création de biens symboliques étant au cœur des pratiques constitutives des agences de communication, avec la créativité comme éthos fondateur de la profession (Baillargeon et Coutant, 2018 ; Bouquillon et al., 2015, 2021 ; Nixon, 2003), l’intégration des IAGen dans le milieu de la communication professionnelle est devenue un enjeu de premier plan. L’économie de la promesse portant cette technologie (Dandurand et al., 2022), les possibilités sont grandes quant aux applications possibles : optimisation des décisions stratégiques, analyse de données de marché à grande échelle, segmentation précise des populations cibles, personnalisation des contenus, créativité augmentée, création de valeur pour les parties prenantes (Huang et Rust, 2020 ; Jarek et Mazurek, 2019 ; Osei-Mensah et al., 2023 ; Wu et Monfort, 2023).
Entrainée par des jeux de données massives, les intelligences artificielles sont constituées de modèles de prise de décision dans des contextes complexes et divers (Jarrahi, 2018), pouvant apprendre, traiter, planifier et prédire (Letheren et al., 2021), dépassant les humains par des méthodes de calcul (Parry et al., 2016). Dès lors que l’on considère la communication stratégique, dans laquelle est comprise la communication créative2, comme « l’utilisation intentionnelle de la communication par une organisation […] pour s’engager dans des échanges significatifs pour l’atteinte de ses objectifs, et ce, à travers la formulation, la révision, la présentation, l’exécution, la mise en œuvre et l’opérationnalisation des stratégies de communication » [traduction libre] (Zerfass et al., 2018, p. 487), il est aisé de comprendre que toute la chaîne de décision peut être optimisée par l’intégration des IA. Aussi, l’usage de l’intelligence artificielle dans les stratégies de communication est devenu un enjeu important dans les agences de communication créative (Kwittken, 2023).
Les promesses, avérées et prétendues, rendues possibles par les IA viennent ainsi bousculer les pratiques professionnelles dans la chaîne de décision stratégique en communication créative. Comment appréhender ces changements recoupant créativité appliquée, communication créative et intelligence artificielle dans une perspective socioéconomiques ?
À partir d’une revue compréhensive de la littérature (Chenail et al., 2010 ; Snyder, 2019) sur les promesses et les limites des IAGen en communication créative, cet article souhaite apporter une réflexion sur les tensions dans l’usage des IA dans les processus d’idéation et de création en communication créative.
Pour relever ces tensions, nous exposons d’abord la forme que prend l’intégration des IA dans différentes sphères du processus de création en communication. De là, nous présentons une perspective sociomatérielle et dynamique de la créativité qui met l’accent sur les interactions entre artefacts, actions, affordances, acteurs et auditoires afin de mieux comprendre les interactions et interrelations qui président à la créativité en communication. En observant différents axes (ex. artefact>audience>acteurs) du modèle, nous exposons cinq dualités qui placent les personnes professionnelles de la communication dans des tensions d’usage, circonscrivant ainsi les défis auxquels ils font face.
Nous terminons par trois recommandations pour soutenir l’intégration des IAGen dans le milieu de la communication créative.
L’industrie de la communication créative fait depuis longtemps l’usage de données diverses pour prendre des décisions en regard du marché, des consommateurs et publics cibles, des orientations créatives d’une stratégie, de son placement média et des différentes mesures associées à la performance de la stratégie. La numérisation massive de tous les secteurs de la société – culturel, politique, économique, éducationnel, organisationnel, etc. (voir Flensburg et Lomborg, 2023) – a permis une plongée profonde dans tous ces comportements laissant des traces numériques : « Big Data creates a radical shift in how we think about research. Commenting on computational social science, Lazer et al. (2009) argue that it offers ‘the capacity to collect and analyze data with an unprecedented breadth and depth and scale’ (p. 722) » (Boyd et Crawford, 2012, p. 665). La prolifération de différents dispositifs de captation de ces données – montres et téléphones intelligents, utilisation des médias sociaux, usage des témoins de connexion (cookies), etc. – a nourri cet âge du PétaByte (Anderson, 2008) où le comportement humain se réduit au comportement numérique. Dès lors, la disponibilité des données massives a bouleversé les pratiques de création d’expériences pour les clients, de façons d’interagir avec eux, tout en offrant « des billions de points de données pour comprendre le comportement des clients et l’impact des programmes et des activités de marketing » (Miklosik et Evans, 2020).
Or cette augmentation massive des données s’est faite de façon hétérogène, avec une hétérogénéité de données structurées, non fiables et semi-structurées ainsi que de nombreuses sources de données disponibles, mais éparses (Miklosik et Evans, 2020). Les dispositifs pour tirer du sens de ces données demeuraient, en grande partie, l’apanage d’experts, marchands de ces dispositifs de captation des données comme marchands des données elles-mêmes (Cochoy et Vayre, 2017).
Cette intermédiation a pris un tournant en novembre 2022, où OpenAI lance ChatGPT-3, l’agent conversationnel branché à une intelligence artificielle générative texte-à-texte. Ce large modèle de langage (ou Large Language Model – LLM) permettait de générer du contenu textuel à partir d’un modèle prédictif entraîné sur des données massives. À l’époque, ChatGPT-3 a été entrainé sur les jeux de données suivants : 60 % du « CommonCrawl », un jeu de données incluant des pages web, des extraits de métadonnées et des extraits de texte provenant de plus de huit ans de moissonnage web ; 22 % de « WebText2 », composé en grande partie de messages de la plateforme socionumérique Reddit, ayant reçu au moins trois votes positifs ; 16 % de deux dépositaires de livres numériques (œuvres de fiction et non romanesques, ouvrages universitaires) sur Internet ; et 3 % de la version anglaise de Wikipedia. Notons d’ailleurs aussi que 93 % des données de ChatGPT-3 étaient en anglais. Dorénavant, les intelligences artificielles basées sur de larges modèles de langage constituent l’une des façons d’interfacer ces grandes quantités de données avec les besoins en information et en connaissances des professionnelles et professionnels de la communication créative (Chintagunta et al., 2016 ; Miklosik et al., 2019 ; Miklosik et Evans, 2020).
Les promesses de l’IA
Depuis la sortie de ChatGPT 3, une myriade sans cesse grandissante d’IA analytiques, prédictives et génératives ont donc fait leur entrée massive chez les personnes professionnelles de tous ordres, dont celles de la communication créative, et ce, dans une florissante et tonitruante économie de la promesse (Dandurand et al., 2022 ; Dandurand et Lussier-Lejeune, 2021). « Ces promesses sont performatives et agissent donc sur le monde : elles suscitent l’intérêt et soulèvent l’enthousiasme, permettent de gagner des adeptes, de former des équipes et ainsi d’attribuer des rôles et des obligations à chacun·e dans les activités de recherche, le tout en cultivant l’“acceptabilité sociale” » (Dandurand et Lussier-Lejeune, 2021, p. 65). Au cœur de ces promesses, celles de pouvoir harnacher les données massives afin de mieux prévoir des comportements d’achat, les réactions émotionnelles des consommateurs ou faire des prédictions d’achat (Davenport et al., 2020 ; Huang et Rust, 2020). Selon Huang et Rust (2020), l’usage des IA en communication créative permet d’automatiser, d’optimiser voire d’augmenter toutes les pratiques de la chaîne de décision stratégique (Tableau 1).
|
Analyse de la situation |
Collecte des données |
Automatiser la détection, le suivi, la collecte et le traitement continus des données relatives au marché, à l’environnement et aux publics cibles |
|
Analyse de l’environnement |
Utiliser l’IA pour identifier les concurrents et les avantages concurrentiels ; évaluer la place de l’organisation dans son environnement |
|
|
Compréhension des publics |
Utiliser les données émotionnelles et l’analyse des cibles pour comprendre les besoins et les désirs des publics cibles existants et potentiels en temps réel |
|
|
Stratégie |
Segmentation |
Identifier les nouveaux schémas motivationnels des publics cibles |
|
Ciblage |
Recommander les meilleurs segments cibles |
|
|
Positionnement |
Développer un positionnement unique qui s’inscrit dans les publics cibles |
|
|
Moyens |
Relations avec les publics cibles |
Automatiser la communication avec les publics cibles |
|
Personnalisation des contenus |
Personnaliser le contenu de la communication |
|
|
Adaptation des contenus |
Suivre en temps réel les réactions (j’aime, je n’aime pas, je suis dégoûté, je suis drôle, etc.) et ajuster les contenus en temps réel |
|
|
Diffusion |
Automatisation de la diffusion |
Automatiser le processus d’achat des médias ou des lieux de diffusion |
|
Automatiser la classification du contenu et du sentiment des médias sociaux |
Tableau n°1. Automatisation, optimisation, augmentation des pratiques de la chaîne de décisions stratégiques par les intelligences articifielles. Adapté de Huang et Rust (2020).
Comme on le remarque, la potentialité avérée ou attendue des IA en communication créative ne change pas, pour l’heure, les différentes pratiques de ce secteur. La majorité de ces pratiques existaient avant l’avènement et la pénétration massive des IA. Toutefois, ces dernières viennent démocratiser l’accès aux données massives, à leur traitement, à leur compréhension et à leur usage avec, à la clé, une réduction des coûts et du temps associés à ces tâches (Huang et Rust, 2020 ; Miklosik et Evans, 2020 ; Stone et al., 2020).
Les IA génératives plus particulièrement permettent d’automatiser des tâches qui n’ont pas nécessairement de valeur ajoutée, comme le traitement et l’amélioration des images ou de vidéos numériques : le « nettoyage » du son, la colorisation, l’augmentation de la résolution, le défloutage, la réduction du bruit ou de mouvements, l’effet visuel (Anantrasirichai et Bull, 2022). De plus, les IA génératives d’images rendent possible la création de prototypes et de maquettes de campagne, de visuels ou d’installations qui seraient autrement coûteuses, chronophages et complexes à produire (Anantrasirichai et Bull, 2022). Se faisant, elles abaissent les coûts de recherche et de développement de communications créatives, relevant certaines barrières à l’entrée dans cette industrie : de plus petites organisations peuvent ainsi concurrencer des plus grandes, démocratisant par le fait même ce secteur économique. En somme, les IAGen contribuent activement à l’analyse, la création, la production et la diffusion de contenu, faisant d’elles davantage des cocréatrices que de simples outils (Kantosalo et Takala, 2020).
Les enjeux de l’intégration
Ces promesses d’optimisation, de personnalisation et d’augmentation des processus créatifs tardent toutefois à se faire sentir. Dans l’enquête « Intégration de l’intelligence artificielle dans les agences de communication créative (i2a2c2) » menée auprès de 562 professionnels de la communication créative au Québec en 2024 (Baillargeon et Rousseau, 2024), 63 % utilisent une IA deux fois ou moins par semaine et 37 % en font usage trois fois ou plus, démontrant pour l’instant une pénétration plutôt modérée des usages. De plus, ChatGPT est de loin l’IA la plus utilisée (à 89 %), alors que la majorité des usages se font avec des IA génératives texte ou image. Puis, parmi les usages les plus courants, on retrouve la traduction (63 %), l’exécution de tâches simples (ex. écrire un courriel, une note de service) (52 %), la recherche d’idées (48 %), le développement d’une idée (47 %), la compréhension d’un sujet, d’un marché, d’un contexte (38 %). Puis, seulement 36 % des personnes professionnelles du secteur de la création considèrent que l’IA améliore leur créativité.
Cette pénétration encore prudente n’est pas étrangère aux enjeux perçus : biais dans les données servant à l’entrainement des IA ; risques d’hallucinations ou production de demi-vérités par les IA ; enjeux de propriété intellectuelle associés aux contenus utilisés pour générer les réponses ; désinformation à grande échelle ; impacts environnementaux (Attard-Frost et al., 2022 ; Madaio et al., 2022 ; Ozmen Garibay et al., 2023). Toujours selon cette enquête, 59 % considèrent qu’il y a « autant de risques que d’avantages » à utiliser les IA en communication créative. Et au moins 70 % sont « préoccupés ou très préoccupés » par : la fuite d’informations privées, les cyberattaques ou le vol de renseignements personnels, la provenance des données, l’encadrement légal de l’IA.
De plus, le développement des IA soulève des défis éthiques, juridiques, sociaux et économiques tels que la confidentialité des données, la responsabilité et la transparence des décisions prises par les machines (Ozmen Garibay et al., 2023). En effet, les systèmes IA sont souvent considérés comme des « boîtes noires », alors que leur fonctionnement interne est opaque et que les algorithmes mobilisés ne sont pas transparents : « […] les systèmes d’IA n’ont pas de droits, de responsabilités et ne sont pas imputables de leurs actions ni de leurs décisions […] » [traduction libre] (Ozmen Garibay et al., 2023, p. 393).
À ces enjeux éthiques et juridiques s’ajoutent également les biais des données utilisées par les IA génératives (Leavy, 2018 ; Rozado, 2023), à la surmarginalisation des populations déjà marginalisées (Lutz, 2019 ; Monroe-White et al., 2021 ; Yuan et al., 2023), à la distance analytique difficile à prendre compte tenu de l’opacité du traitement algorithmique des données (Jones, 2023). Le déploiement des IA à grande échelle et leur facilité d’usage, couplés à la difficulté d’établir des règles de gouvernance et de protection qui transcendent les nations, créent une double contrainte qui invite à la prudence et qui instille une méfiance tant chez les professionnels que dans le grand public (Attard-Frost et al., 2022 ; Bach et al., 2022).
Puis, comme le notent Côté et Su (2022), les avancées de l’IA ont le potentiel de transformer radicalement la nature du travail, en remplaçant de nombreux emplois et en créant de nouveaux types d’emplois. Un rapport Forrester Research prévoit que l’environnement des agences sera substantiellement modifié dans les prochaines années, sous le coup de l’IA : d’ici 2030, 30 000 emplois seront supprimés aux États-Unis et le tiers des emplois actuels seront directement transformés par l’intégration de l’IA (Hiken, 2023). Cette transformation est d’autant plus critique que l’affordance des interfaces de dialogue entre humain et personne créative tend à contraindre la façon de développer cette créativité (Madaio et al., 2022), à générer des résultats plus souvent conventionnels que réellement originaux (Esling et Devis, 2020), tout en réduisant le nombre de relations entre individus, relations qui sont productives d’idées nouvelles (Dalton, 2004 ; Lee, 2022 ; Mumford et al., 2002). Lorsque l’on sait que l’éthos même de l’industrie de la communication créative est, justement, la créativité, ces enjeux touchant le processus créatif sont à considérer avec clairvoyance.
Or, comment aborder les tensions promesses-enjeux entre les acteurs et actrices de cette industrie, leur processus créatif et l’usage des IA ? Comment cibler certaines de ces tensions et, au besoin, en proriser la résolution ? Le modèle dynamique et processuel de la créativité, que nous présentons dans la prochaine section, nous sert de base pour établir les interrelations constituant la créativité appliquée.
Alors même que la créativité comme capacité des individus et des organisations constitue une injonction, sinon un attendu, dans les pratiques professionnelles en communication, nous proposons dans cette partie de modéliser celle-ci. D’une part pour mieux en saisir les différents constituants fondateurs, et d’autre part souligner la façon dont les IA, et en particulier les IAGen, viennent influencer les interactions entre ces constituants.
Modéliser la créativité dans le domaine de la communication suppose de prendre en compte non seulement les capacités des individus, mais également leurs interactions, le rapport aux objets et productions, les publics auxquels s’adressent leur produit créatif (Gaertner, 2012). Dès lors que nous souhaitons appréhender l’impact des IAGen dans les processus créatifs, il convient d’avoir un modèle idoine, qui considère non seulement le résultat créatif, mais aussi les étapes menant à celui-ci, étapes qui sont jalonnées d’échecs, de culs-de-sac, de pistes infructueuses (Amabile et Pratt, 2016 ; Beghetto et Corazza, 2019 ; Corazza, 2016).
Aussi, nous adoptons ici une perspective dynamique et sociomatérielle de la créativité (Anjo et Tureta, 2022 ; Garud et al., 2016 ; Glăveanu, 2020 ; Martine et Cooren, 2017 ; Strandvad, 2011). Ce courant de travaux considère la créativité comme un processus apte à générer potentiellement un produit original et pertinent, potentialité observée dans son contexte, puisque l’originalité et la pertinence sont toujours situées : « Fondamentalement, l’interaction entre les agents, leur éventuel échange de ressources, les différents niveaux de collaboration ou de concurrence, ont tous une influence fondamentale sur la détermination du potentiel créatif de l’environnement et, par conséquent, des agents. » [traduction libre] (Corazza, 2016, p. 216). Ce cadrage extirpe l’analyse des phénomènes créatifs comme de la simple capacité cognitive et conative des individus pour plutôt considérer les actions et les relations entre les individus et les objets qu’ils mobilisent : « La créativité concerne l’action d’un acteur ou d’un groupe d’acteurs, dans son interaction constante avec des publics multiples (auditoires) et les possibilités du monde sociomatériel (affordances), conduisant à la génération d’artefacts nouveaux et utiles » [traduction libre] (Glăveanu, 2013, p. 76). Le modèle, dit des 5A (actions, acteurs, auditoires, affordances et artefacts), que propose Glăveanu (2013) nous permet de voir les interactions entre les cinq constituants du processus créatif (Figure n°1). Dans cette modélisation, les cinq constituants peuvent être pris isolément pour des besoins analytiques, mais doivent être compris dans leur interdépendance : on ne peut, par exemple, isoler l’action créative de son acteur, l’artefact de l’auditoire qui l’utilise ou l’évalue, et ainsi de suite.
Figure n°1. Modèle des 5A (adapté de Glăveanu 2013).
Pour expliquer les composantes du modèle de Glăveanu (2013), nous les mettrons en perspective avec le travail des professionnels en communication. D’abord, l’action créative est le résultat combiné de capacités psychologiques des individus dont l’incarnation est visible dans certains comportements. Par exemple, la capacité à générer une grande quantité de réponses possibles à un problème (fluidité cognitive) se manifeste dans une séance de remue-méninges, alors qu’un individu lance plusieurs idées différentes pour un slogan de campagne de communication. Ces actions créatives engendrent des artefacts, à la fois des incarnations matérielles des actions créatives, mais qui portent également un sens inscrit culturellement :
Un artefact a une double nature, à la fois matérielle et idéelle ou conceptuelle (Cole, 1996). En tant que tels, les artefacts n’existent pas seulement par leur présence physique, mais avant tout parce qu’ils sont porteurs de sens et font l’objet d’activités d’élaboration de sens qui nécessitent des interactions interpersonnelles. [traduction libre] (Glăveanu, 2013, p. 74).
Ainsi, ce slogan de campagne incarne autant une manifestation potentielle de la capacité créative des individus l’ayant généré, que son lot de significations culturellement inscrites : il doit résumer ce que l’organisation souhaite dire à travers celui-ci ; l’effet à produire sur un certain public cible ; être conséquent de l’image de l’organisation dont il constitue le manifeste (Adam et Bonhomme, 2003).
L’artefact est donc le résultat d’une action créative portée des individus dont l’inscription socioculturelle en fait des acteurs. De fait, Glăveanu (2013) souligne qu’utiliser le terme « acteurs » permet de reconnaître que les individus sont des personnes socialisées, façonnées par un contexte socioculturel et qui agissent en son sein, en coordination avec d’autres, pour changer et modeler ce contexte de manière appropriée. Son agir professionnel reproduit des pratiques constituées, qui appellent à leur tour des actions conséquentes (Baillargeon, 2018 ; Sandhu, 2017 ; Whittington, 2015). Par exemple, une professionnelle de la communication proposera à ses mandataires différentes propositions de campagne, maquettes à l’appui ; elle soutiendra ses décisions d’un argumentaire lui aussi émanant de pratiques institutionnalisées (ex. focus group ; prétest de campagne).
L’action créative de l’acteur dans le processus de production de l’artefact se fait toujours en relation avec deux pressions exogènes au processus, les affordances et l’auditoire. Basée sur l’écologie de la perception de Gibson (1979), l’affordance inscrit la créativité dans une perspective où les actions créatives sont contraintes ou portées par les possibilités des objets en usage. Ainsi, la personne professionnelle en communication doit créer cette campagne en tenant compte des contraintes de temps, de budget, de médias ; par le fait même, sa façon d’utiliser ces contraintes témoigne de sa créativité (Glăveanu, 2013). L’auditoire est l’entité réelle ou imaginée qui « finira par recevoir, adopter ou rejeter la création » [traduction libre] (Glăveanu, 2013, p. 74), et qui viendra, à l’instar des affordances, orienter le processus créatif.
En somme le modèle des 5A prend en compte l’inscription sociomatérielle du processus créatif en soulignant le caractère interactionnel entre ses cinq composantes qui se compénètrent et sont indissociables. Il permet aussi, et c’est là son intérêt pour notre propos, d’étudier les dynamiques reliant les différentes composantes. De fait, l’intelligence artificielle générative venant s’insérer dans plusieurs de ces interactions, elle agit sur le processus créatif.
Reprenant le modèle des 5A et les interactions entre les différents pôles, nous proposons dans cette partie de cerner des dualités de l’usage des IAGen dans les processus créatifs en communication. Par dualité, nous entendons ici la cohabitation simultanée de deux possibilités s’opposant (ex. utiliser une IAGen, sachant qu’elle peut halluciner des résultats), reliées par une logique « et/ou », c’est-à-dire qu’un individu peut choisir les deux possibilités (utiliser les IAGen et risquer l’hallucination), comme l’une (l’utiliser sans se soucier de l’hallucination) ou l’autre (ne pas utiliser l’IAGen). L’usage des IAGen venant avec son lot de bénéfices et de risques, que nous avons exposés supra, nous les reprenons à travers le modèle des 5A et pour en relever cinq dualités.
Première dualité : la mise en distance des publics
Toute création faite dans le contexte d’une communication appliquée se fait toujours en regard d’un public, réel ou imaginé, qui guide les décisions. Ainsi, l’intégration des IAGen dans l’axe acteurs ↔ auditoire ↔ affordances, engendre la fabrication d’un auditoire imaginé qui est exclusivement numérique, les IAGen s’appuyant sur un jeu de données numériques. En soi, les professionnels ont depuis longtemps utilisé des données numériques pour créer des représentations de leurs publics (Alloing et Pierre, 2019 ; Lépine, 2014). Toutefois, les réponses des IAGen reposant sur les conventions statistiques des jeux de données (affordances) avec lesquels elles ont été entraînées, les publics ainsi générés (auditoire) le sont avec d’importants biais culturels, politiques, de genre et de représentation (Leavy, 2018 ; Rozado, 2023). Plus encore, la fracture numérique imposant des difficultés pour des publics marginalisés à contribuer aux contenus sur lesquels les IAGen sont entraînées, ces dernières produisent ainsi une surmarginalisation de groupes d’individus déjà marginalisés. Ainsi, les minorités culturelles ou linguistiques ; les segments d’individus ayant moins ou peu participé au jeu de données (ex. faibles revenus ou faible taux d’alphabétisation ; population ayant moins accès aux technologies numériques) se trouvent encore plus marginalisés par les réponses des IAGen (Lutz, 2019 ; Monroe-White et al., 2021 ; Yuan et al., 2023).
Parmi les promesses des IAGen, notons également celles de pouvoir évaluer le sentiment de certains segments de population autour de certains sujets. Or, rappelons que ces sentiments sont générés à partir d’une économie des affects (Alloing et Pierre, 2020 ; Pierre et Alloing, 2018) : les plateformes socionumériques captent certaines émotions – aimer, ne pas aimer, rire, être solidaire, être en colère pour prendre l’exemple de Facebook. Or cette captation forcée de certaines émotions représente une infime partie des nuances émotionnelles humaines. Ce faisant, les sentiments entourant un sujet s’en trouvent eux aussi biaisés.
Pour finir, la production de ces publics numériques et potentiellement biaisés proviennent en plus d’un modèle algorithmique en « boite noire » : il est impossible, pour un professionnel ou une professionnelle en communication de comprendre comment les réponses ont été générées, lui enlevant ainsi une agentivité stratégique (Jones, 2023). De fait, comment savoir si les réponses présentées sont fiables, pertinentes, complètes ? Comment circonscrire des épiphénomènes révélateurs d’un comportement ou d’une opinion de ce public imaginé s’il est impossible d’explorer, creuser, questionner les données primaires ? Bref, comment maintenir une relation avec ces publics si distants et dont la conception s’est faite dans une boite noire ?
Deuxième dualité : la perte de relations créatives
Dès lors que les IAGen deviennent cocréatrices, elles s’intègrent dans la chaîne de relations productives, dans l’axe action créative ↔ acteurs ↔ auditoires ↔ artefact impliquant les échanges, réflexions, partages pour engendrer des idées. Par les chocs d’idées, les tensions résolues, les négociations de « qui est et ce qui est créatif », cette chaîne d’agentivités est le processus créatif. De fait, rappelons que le processus créatif n’est pas qu’un processus cognitif propre à chaque individu, donc seulement un résultat psychologique de cogitation ; il est nourri par ces rencontres, tensions, manipulations entre les objets, les individus, les contextes constituant l’artefact créatif (Baillargeon et Bencherki, 2023 ; Glăveanu, 2013 ; Martine et Cooren, 2017).
Or devant les promesses des IAGen de pouvoir effectuer certaines tâches de planification stratégique, de production de messages multimodaux et d’évaluation, cette chaîne d’agentivités créatives se trouve réduite à celle entre la personne faisant la requête, l’IAGen et les auditoires évaluant l’artefact issu de cette requête. Certes, l’on pourra arguer qu’à l’instar, par exemple, des logiciels de composition d’images (ex. Photoshop) qui sont venus alléger certaines tâches du graphiste sans pour autant le déposséder de sa fonction de « créateur d’image », les IAGen viennent soutenir l’individu dans sa production. Comme le soutiennent Mazzola et al. :
Certes, les artistes apprennent avec le temps et l’expérience à mieux utiliser leurs outils, et ces derniers jouent un rôle dans les actions physiques par lesquelles ils réalisent des œuvres en peinture. Cependant, le pinceau n’a pas la capacité de changer, il ne prend pas de décisions basées sur des expériences passées et il n’est pas formé pour apprendre à partir de données. Les algorithmes contiennent toutes ces possibilités. Peut-être pouvons-nous conceptualiser les algorithmes d’IA comme étant plus que des outils et plus proches d’un médium. [traduction libre] (2024, p. 8)
Qui plus est, la logique de la requête abaisse la compétence d’entrée, à savoir écrire correctement en langage humain ce qu’il faut pour générer un contenu. Alors qu’utiliser Photoshop, par exemple, demande des compétences artistiques à la base – compétences qui sont optimisées par le logiciel – la barrière à l’entrée dans l’usage des IAGen n’est que celle du langage3.
Ainsi, ultimement, l’ensemble de la chaîne de production créative pourrait être portée par une seule personne, atrophiant par le fait même les occasions de négociation, de tension, de partage... bref, de mise en relation des individus, des objets, de la matérialité du processus créatif, impactant assurément ce dernier et son résultat.
Troisième dualité : la conventionalité des artefacts
La troisième dualité à négocier par les personnes professionnelles de la communication se trouve dans l’axe action créative ↔ artefact ↔ affordance, qui constitue celui qui a le plus haut potentiel de disruption puisqu’il touche le fondement même de la profession. En effet, les modèles d’IAGen étant conçus pour générer des réponses à partir de conventions statistiques, quid de l’originalité, indice par excellence de la valeur ajoutée d’une communication professionnelle (Baillargeon, 2022 ; Im et al., 2015 ; Runco et Charles, 1993 ; Wells, 2014) ?
Bien que certains avancent que les IAGen pourront agir comme co-créateurs (Kantosalo et Takala, 2020), c’est-à-dire comme partenaires du processus de création pour vaincre la page blanche ou amorcer un processus d’exploration créative, d’autres, dont nous sommes, arguent que cette co-créativité demeure enchâssée dans les affordances des robots conversationnels, de leurs modèles et de leurs jeux de données. Dit autrement, la page blanche sera vaincue en partant d’une convention statistique, lançant ainsi la créativité sur une voie déjà pavée. Certes, l’on pourrait arguer que c’est justement le travail du professionnel et de la professionnelle que d’aller plus loin que ce « premier jet ». Or la course aux clics, au référencement, au classement algorithmique accentue la pression à produire de plus en plus de contenus, sur de plus en plus de plateformes numériques. Ce faisant, le danger de s’en remettre sans discernement aux IAGen pour produire ces nombreux contenus demeure un enjeu. Le temps libéré par l’optimisation du processus de production et d’adaptation des contenus ne le sera pas au profit d’un temps de réflexion et d’exploration créatives plus long. On peut s’attendre plutôt, à l’instar d’autres développements technologiques, à une accélération et à une multiplication des contenus de plus en plus similaires.
Quatrième dualité : l’appauvrissement des contenus
Dans l’axe affordance ↔ action créative ↔ artefacts se trouve un enjeu à long terme – dans le prolongement de celui de la conventionnalité – qui viendra potentiellement miner la qualité des contenus en ligne : la prolifération de contenus produits exclusivement par des IA.
D’abord rappelons que les moteurs de recherche n’excluent pas les contenus produits par des non-humains. Par exemple, Google mentionne que son moteur de recherche continuera de « [r]écompenser un contenu de haute qualité, quelle que soit la manière dont il est produit »4. Ainsi, par souci d’optimisation de la recherche (ou Search Engine Optimisation ou SEO) et d’augmentation du nombre de contenus – deux facteurs qui favorisent la montée en référencement par les moteurs de recherche – les IA standardiseront les contenus pour qu’ils correspondent aux critères de référencement et pourront doubler voire tripler la capacité de production de billets de blogue, de marketing de contenu, de publication sur les réseaux sociaux.
Dès lors que de plus en plus d’IAGen pourront apprendre en temps réel sur les contenus en ligne, il y a un risque de créer des boucles d’apprentissage-production : du contenu créé par des IA à partir de contenu créé par des IA, etc. Cet ouroboros de contenu artificiel peut conduire à une homogénéisation et un appauvrissement de l’originalité des contenus en ligne (Castro et al., 2023 ; Menczer et al., 2023). Ce risque est d’autant plus plausible que les barrières à l’usage des IA, dont la requête se fait en langage naturel, permet à n’importe qui de produire du contenu suffisamment bon pour être publiable. Toutefois, si cet usage facilité « réduit le contenu humain authentique, il existe un risque réel que l’innovation se ralentisse au fil du temps, les humains produisant de moins en moins d’œuvres d’art et de contenu nouveaux » [traduction libre] (Cremer et al., 2023, paragr. 12). Plus encore, certains avancent que l’apprentissage machine fait sur du contenu produit par des machines peut conduire à l’effondrement de ces modèles, puisque les contenus originaux – ceux qui auront été généré par des humains – se perdront dans la chaîne d’apprentissage, appauvrissant ainsi les réponses de ces IAGen (Shumailov et al., 2023, p. 13).
Ce danger d’appauvrissement est encore plus grand avec les interfaces d’IAGen embarquées. Ces dernières, rappelons-le, sont des logiciels, interfaces web, applications spécialisées qui posent quelques questions à l’usager pour ensuite générer des contenus spécialisés à partir de ses réponses. Il peut s’agir, par exemple, d’une IAGen embarquée pour générer des publications sur les médias sociaux. Après avoir interrogé l’utilisateur sur son organisation, les objectifs de sa communication, son public cible et avoir reçu quelques indications sur la charte graphique de l’utilisateur, une IAGen embarquée générera plusieurs propositions de publications avec texte et image, adaptées aux différentes plateformes socionumériques. Or en réduisant la requête à quelques questions – souvent avec un nombre limité de caractères – les IAGen viennent ainsi réduire l’action créative de l’usager, donc standardisant le contenu produit. Si à cette perte d’agentivité on ajoute que nombre de ces technologies embarquées ont été développées en étant centrées sur la technologie et non sur les usages (techno-centrique plutôt qu’humain-centrique) (Xu et al., 2023), les préoccupations des personne professionnelles – comprendre les choix, agir sur ces choix, développer une éthique de l’usage – peuvent dès lors être gommées par les interfaces. Les résultats feront davantage disparaître l’agentivité et la marque humaine dans les communications.
Ainsi, la rapidité avec laquelle se créent ces contenus, et le soulagement de répondre aux injonctions des plateformes socionumériques à produire plus pour être plus vu, peut conduire à plus de conventionnalité et, surtout, à un appauvrissement des relations aux contenus réellement produits par les humains. Certains avancent même que les larges modèles de langage s’appauvrissent de plus en plus sur le plan de l’originalité par cette « récursivité » des IAGen qui s’alimentent à partir de contenu produit par des IAGen, menant à « l’effondrement du modèle » :
L’effondrement du modèle fait référence à un processus d’apprentissage dégénératif dans lequel les modèles commencent à oublier des événements improbables au fil du temps, à mesure que le modèle s’empoisonne avec sa propre projection de la réalité. [traduction libre] (Shumailov et al., 2023, p. 2).
Cinquième dualité : la méfiance envers la profession
Cette dualité est en quelque sorte la convergence des quatre premières. Dans l’axe action créative ↔ acteur ↔ auditoire se trouve un enjeu qui peut inscrire une méfiance envers la profession en communication et son rapport à ses auditoires : le public des communications elles-mêmes, mais également les mandataires et clients des agences.
Cette méfiance est d’abord présente, mais peut-être moins apparente, dans le public récepteur de ces contenus produits par des IAGen. Par exemple, l’usage de robots conversationnels dans la relation client soulève des craintes chez les consommateurs quant à la protection de la vie privée (Osei-Mensah et al., 2023). L’utilisation de contenus et de conversations générées par des IAGen peut faciliter la relation client et la production de contenu personnalisé, mais celles-ci sont tributaires d’une connaissance affinée dudit client. Sans données sur le client, la réponse peut être moins adaptée, voire contradictoire et ainsi influencer négativement la confiance de ce dernier envers l’organisation (Mostafa et Kasamani, 2021 ; Stone et al., 2020).
Mais surtout, cette méfiance s’installera dans le rapport entre les agences et leurs partenaires d’affaires. Alors que les premières ont peiné à transiter vers un mode de rémunération horaire et forfaitaire plutôt qu’à commissions – rappelant que leur capacité à analyser, recommander, produire et évaluer les contenus est une expertise qui se monnaie – voilà que l’arrivée des IAGen vient remettre en cause ce modèle (Eriksson et al., 2020). Quid de ces expertises dès lors qu’une IAGen peut s’acquitter de ces tâches avec une expertise parfois comparable ? Et qu’en est-il de la rémunération horaire ou forfaitaire si une (grande) partie du travail aura été faite par une IAGen ? Sont-ce des heures facturables au même titre que celles des employés ? Cette méfiance est d’ailleurs exacerbée par l’absence de cadre régulatoire qui encadre les pratiques admises et acceptées (Prasad Agrawal, 2023). Comme mentionné dans la quatrième dualité, les systèmes actuels d’IAGen n’étant pas, la plupart du temps, conçus par des équipes multidisciplinaires prenants en compte les usages – éthiques, pratiques – souhaités par les personnes professionnelles (Bach et al., 2022 ; Dwivedi et al., 2021 ; Mohapatra, 2021), ces dernières ne peuvent rassurer leurs partenaires et parties prenantes du caractère déontologique ou éthique de leurs usages.
Conclusion et recommandations
Avec la datatification des sphères personnelles, culturelles, politiques, environnementales, légales, etc., le secteur de la communication créative a pu ancrer avec encore plus d’acuité stratégique les différentes décisions entourant le déploiement de sa production. Cette « ère du PétaByte » a permis le déploiement des larges modèles de langage (LLM) et conséquemment, de différents types d’IA. Ces dernières, avec des interfaces simples utilisant le langage naturel, ont facilité l’analyse et l’usage de ces données massives et ainsi optimisé, automatisé, augmenté les différentes pratiques de la communication créative.
À partir d’une revue compréhensive de la littérature scientifique, nous avons croisé les différentes promesses avérées ou attendues d’automatisation, d’optimisation, de personnalisation et d’efficacité des IAGen avec les enjeux éthiques, économiques, culturels et professionnels associés à leurs usages. De là, nous avons dégagé un regard croisant processus créatif, créativité appliquée à la communication et IAGen pour lire ces dualités à l’aune de la créativité des personnes professionnelles de la communication. Pour ce faire, nous nous sommes basés sur le modèle des 5A (Glăveanu, 2013) qui permet de lire la créativité dans ses rapports processuels et dynamiques entre l’action créative, les artefacts produits, les acteurs engagés dans ce processus, les auditoires auxquels sont destinés cette créativité et les affordances limitant, comme soutenant, cette créativité. L’intelligence artificielle générative – qui produit à la fois un artefact, fait office d’acteur, possède sa propre action créative et vient potentialiser comme restreindre ces actions créatives (affordance) – s’insère donc dans plusieurs axes.
Les relations entre les différents axes nous ont permis de circonscrire cinq dualités, donc cinq tensions possibles qui coexistent et peuvent contribuer à orienter les usages des IAGen : la mise à distance des publics, la perte des relations créatives, la conventionnalité des artefacts, l’appauvrissement des actefacts, la méfiance envers le secteur (Figure 2).
Figure n°2. Les cinq dualités de l’intégration de l’IA générative dans la créativité en communication
Ainsi, l’usage des IAGen dans les pratiques créatives en communication professionnelle est en tension entre les promesses d’innovation et des enjeux qui touchent la profession elle-même.
Dès lors que les personnes professionnelles sont d’importantes artisanes des contenus publics – fussent-ils marketing, politiques, institutionnels, culturels –, elles doivent se saisir de ces enjeux. Plus encore, elles doivent comprendre qu’à chaque usage, ces dualités peuvent s’exacerber et devenir de plus en plus paradoxales, voire intenables ou, à l’inverse, devenir des impensés. De fait, contrairement à l’arrivée d’autres technologies dont le développement et l’arrimage aux usages étaient toujours intermédiés par des firmes d’ingénierie logicielles, les IAGen apprennent et s’adaptent en temps réel à partir des usages. Ainsi, les possibilités d’ajuster la technologie aux impératifs éthiques, pratiques, déontologiques et professionnels deviendront de plus en plus difficiles. Surtout si, comme nous l’avons souligné, ces systèmes se développent sans la participation des usagers finaux (Bach et al., 2022 ; Dwivedi et al., 2021 ; Mohapatra, 2021).
Cependant, les dualités, comme le notent Putnam et al. (2016), ont un pouvoir transformateur dans les organisations. Les dualités constituent des tensions qui coexistent et s’interinfluencent dans une dynamique non-binaire, c’est-à-dire qu’elles ne se résolvent pas en choisissant d’utiliser ou non les IA. Au contraire, elles peuvent entrainer des dynamiques janusiennes permettant aux membres d’une organisation d’être conscients des enjeux, de les connecter avec de nouvelles possibilités sans pour autant en dénier l’existence dans un troisième espace : « Le troisième espace est un site liminal et performatif de perturbation, d’invention et d’énonciation qui permet aux membres de l’organisation de vivre avec le paradoxe (Janssens et Steyaert, 1999) » [traduction libre] (Putnam et al., 2016, p. 129).
Aussi proposons-nous trois recommandations dans l’intégration des IAGen aux pratiques créatives en communication permettant cette cohabitation et ce troisième espace.
Recommandation 1 : développer des compétences et une littératie en IA chez les personnes professionnelles, en amont de son intégration
Bien que l’intégration des IAGen dans les pratiques professionnelles en communication se soit faite de façon émergente, par essais et erreurs (Zerfass et al., 2020), il est dorénavant impératif que les personnes professionnelles en communication négocient un virage professionnel de cet usage. Ce dernier suppose le développement de compétences non techniques et techniques. Tout d’abord, il est impératif de valoriser les compétences non techniques (soft skills) difficilement reproductibles par la machine : une éthique des usages et des pratiques (Hermann, 2022a, 2022b), de même que l’intelligence émotionnelle, le bon jugement stratégique, l’établissement de relations et l’adaptation (López Jiménez et Ouariachi, 2021). Il ne s’agit pas ici de préserver l’humanité d’une menace provenant des robots, mais bien de consolider les compétences qui apporteront la plus-value stratégique ou créative aux artefacts générés par l’IAGen. C’est par ces compétences non techniques que les personnes professionnelles en communication pourront évaluer, pondérer, évacuer les résultats générés par IA.
Par contre, ces compétences doivent être appuyées par une connaissance technique minimale des IAGen. De fait, les jugements éthique et professionnel ne peuvent opérer sans comprendre la mécanique prédictive derrière la génération de contenu (Hermann, 2022a). Ainsi, la façon dont sont entraînées les IAGen, leurs jeux de données, l’évaluation prédictive derrière la génération de la réponse doivent être compris dans la profession. Se faisant, pourront se développer de meilleures compétences pour interroger ces IAGen (prompting) et porter un regard critique sur leurs réponses.
De façon globale, il est impératif de développer une forte éthique entourant ces usages, tant pour en comprendre les impacts sur les pratiques professionnelles, mais également sur les différents publics, les contenus entrant en circulation dans l’espace public, l’entrainement des modèles eux-mêmes.
Ces compétences sont d’autant plus requises que les personnes professionnelles en communication seront appelées à jouer un rôle de premier plan dans l’adoption de ces nouvelles technologies. Par leur rôle d’intermédiaire intraorganisationnel et extraorganisationnel, c’est par elles que transiteront les compétences, conseils et informations sur la manière dont l’IA est instruite, utilisée et contrôlée (Osei-Mensah et al., 2023).
Recommandation 2 : mise en place d’un code de conduite de l’industrie
Conséquemment à la première recommandation, l’industrie de la communication doit rapidement se doter d’un code de conduite encadrant les usages des IAGen en communication.
Alors que cette recommandation pourrait ressembler à de l’ingérence, certaines études ont démontré que face à l’arrivée d’une technologie complexe et difficile à saisir, les organisations deviennent plus favorables à leur intégration si un cadre déontique soutient cette intégration (Prasad Agrawal, 2023). D’ailleurs, l’enquête i2a2c2 (Baillargeon et Rousseau, 2024), révèle que 85 % des professionnelles et professionnels sondés sont « d’accord ou entièrement d’accord » que leur agence devrait mieux encadrer l’IA.
À l’instar du modèle que nous développons ici, ce code de conduite devra être enrichi par les avantages et les risques de l’usage de l’IAGen, et ce, dans les rapports complexes dans le processus de décision, de création, de production, de diffusion et d’évaluation en communication. Afin d’orienter judicieusement les personnes professionnelles et les organisations en communication, il est impératif que ce code ne soit pas réduit à des « pratiques d’excellence » permettant d’harnacher les promesses de l’IAGen, mais de constamment adosser ces pratiques à leurs conséquences sociales, écologiques, déontiques, légales.
Recommandation 3 : le maintien d’une agentivité humaine de la créativité
Devant la facilité, le peu de barrière à l’usage, mais également les injonctions des plateformes socionumériques à produire davantage de contenus, les organisations ne doivent pas succomber à la tentation de déléguer trop d’actions créatives aux IAGen. Bien que pour l’heure les artefacts créatifs des IAGen soient au mieux des points de départ – certains considérant les IAGen comme de bons « juniors » ou stagiaires –, rappelons que le propre de ces modèles est d’apprendre par eux-mêmes, par renforcement. Dès lors, plus leur sont déléguées des tâches, meilleures elles deviendront : le stagiaire deviendra tôt ou tard un employé aguerri. Il convient donc, pour les organisations comme les individus de déterminer où l’agentivité humaine doit demeurer dans le processus créatif et se demander « qui est et ce qui est créatif » pour l’organisation. Si aucune valeur n’est accordée à développer du contenu original et pertinent – ou que ce développement est subordonné à produire avant tout et avant tout le monde – les agences comme les personnes professionnelles se verront rapidement dépassées par les IAGen.
Surtout, il s’agit d’instaurer des actions créatives qui fassent appel à différentes configurations d’agentivité : des rapports humains-machines, humains-humains, humains-objets… En instaurant différentes relationnalités dans le processus créatif – avec différents matériaux, différentes personnes, différentes méthodes –, les organisations maintiendront des affordances riches pour nourrir le processus créatif.
Limites et pistes de recherche
Notre proposition se veut pour l’heure davantage réflexive qu’empirique. De fait, la mise en discussion de la littérature sur les promesses et les enjeux de l’IA en communication créative mériterait d’être confrontée à la réalité du terrain. Toutefois, cette prise de distance critique permet d’articuler ces promesses et enjeux à l’aune de l’éthos fondamental de cette industrie : la créativité.
Nous sommes également conscients que, prenant appui sur le modèle des 5A, nous cristallisons en quelque sorte les différentes dynamiques interactionnelles réellement à l’œuvre dans le processus créatif. Dit autrement, on ne peut défendre une vue dynamique et processuelle de la créativité sans observer empiriquement ces dynamiques. Aussi conviendrait-il d’observer les dualités relevées – et en découvrir d’autres – en captant et analysant les interactions humains-machines des professionnelles et professionnels faisant usage des IAGen.
Par ailleurs, notre réflexion est volontairement centrée sur la production de la communication créative, orientant par conséquent la discussion autour des IAGen. Certes, les différentes promesses entourant les IA en communication créative ne se résument pas à produire des contenus. Toutefois, les usages les plus répandus dans l’industrie du marketing – parente à celle de la communication créative – sont surtout centrés sur la production (Baillargeon et Rousseau, 2024 ; Statista, 2024). Il nous apparaissait conséquent de porter notre attention sur cette perspective. Toutefois, des usages émergents ou moins en vue comme la programmation, l’analyse prédictive, le placement média programmatique, le traitement des images sont à considérer dans des recherches futures.
Finalement, nous concevons que notre regard semble plus pessimiste qu’optimiste. Les discours portés par une économie de la promesse nous invitent en effet à y adosser un regard critique sur ce qui est au fondement du processus créatif : les relations et interactions entre les humains, les objets et les machines. Puisqu’au-delà des promesses de productivité, les IA viennent également modifier les relationnalités du processus créatif, nous souhaitons ainsi offrir un regard sur les tensions qui modifieront ces relations.
En somme, l’arrivée des IAGen doit remettre à l’avant-plan des compétences pourtant cardinales en communication : la créativité, les rapports humains, un regard critique et stratégique. Et pour cela, il faut se doter de façons d’observer avec clairvoyance nos usages des IAGen. Notre proposition, nous l’espérons, pourra éclairer en partie ces derniers.
Bibliographie
Adam, J.-M. et Bonhomme, M. (2003). L’argumentation publicitaire : rhétorique de l’éloge et de la persuasion. Armand Colin.
Alloing, C. et Pierre, J. (2019). Une approche praxéologique des métriques numériques : mesurer le community management pour quoi faire ? Revue Communication & Professionnalisation, 9, 85-108. https://doi.org/10.14428/rcompro.vi9.54553
Alloing, C. et Pierre, J. (2020). Le tournant affectif des recherches en communication numérique : présentation. Communiquer, 28, 1-17. https://www.erudit.org/en/journals/communiquer/1900-v1-n1-communiquer05334/1069899ar/
Amabile, T. M. et Pratt, M. G. (2016). The dynamic componential model of creativity and innovation in organizations: making progress, making meaning. Research in Organizational Behavior, 36, 157-183. https://doi.org/10.1016/j.riob.2016.10.001
Anantrasirichai, N. et Bull, D. (2022). Artificial intelligence in the creative industries: a review. Artificial Intelligence Review, 55(1), 589-656. https://doi.org/10.1007/s10462-021-10039-7
Anderson, C. (2008, 23 juin). The End of Theory: the Data Deluge Makes the Scientific Method Obsolete. Wired. https://www.wired.com/2008/06/pb-theory/
Anjo, J. E. da S. et Tureta, C. (2022). The Sociomateriality of the Creative Process: Script Roles in Film Production. The Journal of Creative Behavior, 56(4), 566-583. https://doi.org/10.1002/jocb.552
Attard-Frost, B., De los Ríos, A. et Walters, D. R. (2022). The ethics of AI business practices: a review of 47 AI ethics guidelines. AI Ethics, 3, 389-406. https://doi.org/10.1007/s43681-022-00156-6
Bach, T. A., Khan, A., Hallock, H., Beltrão, G. et Sousa, S. (2022). A Systematic Literature Review of User Trust in AI-Enabled Systems: an HCI Perspective. International Journal of Human–Computer Interaction, 40(5), 1251-1266. https://doi.org/10.1080/10447318.2022.2138826
Baillargeon, D. (2018). Connecting Strategic Practices, Regionality and Institution: a Ventriloquism Perspective on Creativity in Agencies. M@n@gement, 21(2), 921-942. https://www.cairn-int.info/article-E_MANA_212_0913--connecting-strategic-practices.htm
Baillargeon, D. (2022). Mesurer l’importance de la créativité sans la mesurer : processus d’évaluation de la créativité en communication. Dans C. Alloing (éd.), Évaluer la communication des organisations. 7 concepts et leurs mesures (pp. 145-161). Presses de l’Université du Québec.
Baillargeon, D. et Bencherki, N. (2023, 11 mai). « Ça tient la route » : les attachements créatifs dans le processus d’innovation. Dialogue, dissémination et organisation. Dans Un colloque en l’honneur de James R. Taylor [colloque]. 90e colloque annuel Acfas, Montréal, Canada.
Baillargeon, D. et Coutant, A. (coord.) (2017). Créativité et organisation : tensions communicationnelles. Communiquer, 21. https://doi.org/10.4000/communiquer.2327
Baillargeon, D. et Rousseau, L.-A. (2024). Penser en dehors de la boite noire des IA. Résultats de l’enquête « Intégration de l’IA dans les agences de communication créative (i2a2c2) ». Université de Sherbrooke. https://savoirs.usherbrooke.ca/handle/11143/22175
Beghetto, R. A. et Corazza, G. E. (éd.) (2019). Dynamic Perspectives on Creativity: New Directions for Theory, Research, and Practice in Education. Springer. https://www.springer.com/la/book/9783319991627
Bouquillon, P., Miège, B. et Moeglin, P. (2015). Industries du contenu et industries de la communication. Contribution à une déconstruction de la notion de créativité. Les Enjeux de l’Information et de la Communication, 16(3B), 17-26.
Bouquillon, P., Miège, B. et Moeglin, P. (2021). L’industrialisation des biens symboliques : les industries créatives en regard des industries culturelles. Presses Universitaires de Grenoble.
Boyd, D. et Crawford, K. (2012). Critical Questions for Big Data: Provocations for a cultural, technological, and scholarly phenomenon. Information, Communication & Society, 15(5), 662-679. https://doi.org/10.1080/1369118X.2012.678878
Brown, T. B., Mann, B., Ryder, N., Subbiah, M., Kaplan, J., Dhariwal, P., Neelakantan, A., Shyam, P., Sastry, G., Askell, A., Agarwal, S., Herbert-Voss, A., Krueger, G., Henighan, T., Child, R., Ramesh, A., Ziegler, D. M., Wu, J., Winter, C., … Amodei, D. (2020). Language Models are Few-Shot Learners [arXiv:2005.14165]. arXiv. http://arxiv.org/abs/2005.14165
Castro, F., Gao, J. et Martin, S. (2023). Human-AI Interactions and Societal Pitfalls [arXiv:2309.10448]. arXiv. https://doi.org/10.48550/arXiv.2309.10448
Chenail, R. J., Cooper, R. et Desir, C. (2010). Strategically Reviewing the Research Literature in Qualitative Research. Journal of Ethnographic & Qualitative Research, 4(2), 88-94.
Chintagunta, P., Hanssens, D. M. et Hauser, J. R. (2016). Editorial – Marketing Science and Big Data. Marketing Science, 35(3), 341-342. https://doi.org/10.1287/mksc.2016.0996
Cochoy, F. et Vayre, J.-S. (2017). Les big data à l’assaut du marché des dispositifs marchands : une mise en perspective historique. Dans P.-M. Menger et S. Paye (éd.), Big data et traçabilité numérique : les sciences sociales face à la quantification massive des individus (pp. 27-46). Collège de France. https://doi.org/10.4000/books.cdf.4992
Corazza, G. E. (2016). Potential Originality and Effectiveness: the Dynamic Definition of Creativity. Creativity Research Journal, 28(3), 258-267. https://doi.org/10.1080/10400419.2016.1195627
Côté, A.-M. et Su, Z. (2022). Évolutions de l’intelligence artificielle au travail et collaborations humain-machine. Ad machina, 5, 144-160. https://doi.org/10.1522/radm.no5.1413
Cremer, D. D., Bianzino, N. M. et Falk, B. (2023, avril 13). How Generative AI Could Disrupt Creative Work. Harvard Business Review. https://hbr.org/2023/04/how-generative-ai-could-disrupt-creative-work
Dalton, B. (2004). Creativity, habit, and the social products of creative action: Revising Joas, incorporating Bourdieu. Sociological theory, 22(4), 603-622. https://doi.org/10.1111/j.0735-2751.2004.00236.x
Dandurand, G. et Lussier-Lejeune, F. (2021). L’économie de la promesse : course au progrès technologique. À bâbord !, 90, 64-65. https://www.erudit.org/fr/revues/babord/2021-n90-babord06740/97737ac/
Dandurand, G., Meurs, M.-J., Letendre, D. et Lussier-Lejeune, F. (2022). Attentes et promesses technoscientifiques. Les Presses de l’Université de Montréal. https://doi.org/10.1515/9782760645028
Davenport, T., Guha, A., Grewal, D. et Bressgott, T. (2020). How artificial intelligence will change the future of marketing. Journal of the Academy of Marketing Science, 48(1), 24-42. https://doi.org/10.1007/s11747-019-00696-0
Dwivedi, Y. K., Hughes, L., Ismagilova, E., Aarts, G., Coombs, C., Crick, T., Duan, Y., Dwivedi, R., Edwards, J., Eirug, A., Galanos, V., Ilavarasan, P. V., Janssen, M., Jones, P., Kar, A. K., Kizgin, H., Kronemann, B., Lal, B., Lucini, B., … Williams, M. D. (2021). Artificial Intelligence (AI): Multidisciplinary perspectives on emerging challenges, opportunities, and agenda for research, practice and policy. International Journal of Information Management, 57, 1-47. https://doi.org/10.1016/j.ijinfomgt.2019.08.002
Eriksson, T., Bigi, A. et Bonera, M. (2020). Think with me, or think for me? On the future role of artificial intelligence in marketing strategy formulation. The TQM Journal, 32(4), 795-814. https://doi.org/10.1108/TQM-12-2019-0303
Esling, P. et Devis, N. (2020). Creativity in the era of artificial intelligence [arXiv:2008.05959]. arXiv. http://arxiv.org/abs/2008.05959
Flensburg, S. et Lomborg, S. (2023). Datafication research: Mapping the field for a future agenda. New Media & Society, 25(6), 1451-1469. https://doi.org/10.1177/14614448211046616
Gaertner, L. (2012). Comment s’organise la production d’innovation en publicité ? Le « Team créatif » : étude d’un appariement singulier. Dans F. Cochoy (éd.), Du lien marchand, comment le marché fait société : essai(s) de sociologie économique relationniste (pp. 107-124). Presses Universitaires du Mirail. https://books.openedition.org/pumi/7507
Garud, R., Gehman, J., Kumaraswamy, A. et Tuertscher, P. (2016). From the Process of Innovation to Innovation as Process. Dans A. Langley et H. Tsoukas, The SAGE Handbook of Process Organization Studies (pp. 451-465). SAGE. https://papers.ssrn.com/abstract=2786644
Gibson, J. J. (1979). The ecological approach to visual perception. Mifflin and Company.
Glăveanu, V. P. (2013). Rewriting the Language of Creativity: the Five A’s Framework. Review of General Psychology, 17(1), 69-81. https://doi.org/10.1037/a0029528
Glăveanu, V. P. (2020). A Sociocultural Theory of Creativity: Bridging the Social, the Material, and the Psychological. Review of General Psychology, 24(4), 335-354. https://doi.org/10.1177/1089268020961763
Hermann, E. (2022a). Artificial intelligence and mass personalization of communication content – An ethical and literacy perspective. New Media & Society, 24(5), 1258-1277. https://doi.org/10.1177/14614448211022702
Hermann, E. (2022b). Leveraging Artificial Intelligence in Marketing for Social Good – An Ethical Perspective. Journal of Business Ethics, 179(1), 43-61. https://doi.org/10.1007/s10551-021-04843-y
Hiken, A. (2023, juin 16). AI will replace over 30,000 ad agency jobs, report says—Here are the roles most at risk. Ad Age. https://adage.com/article/digital-marketing-ad-tech-news/ai-will-replace-over-30000-ad-agency-jobs-report-says-here-are-roles-most-risk/2500271
Huang, M.-H. et Rust, R. T. (2020). A strategic framework for artificial intelligence in marketing. Journal of the Academy of Marketing Science, 49(1), 30-50. https://doi.org/10.1007/s11747-020-00749-9
Im, S., Bhat, S. et Lee, Y. (2015). Consumer perceptions of product creativity, coolness, value and attitude. Journal of Business Research, 68(1), 166-172. https://doi.org/10.1016/j.jbusres.2014.03.014
Jarek, K. et Mazurek, G. (2019). Marketing and Artificial Intelligence. Central European Business Review, 8(2), 46-55. https://doi.org/10.18267/j.cebr.213
Jarrahi, M. H. (2018). Artificial intelligence and the future of work: Human-AI symbiosis in organizational decision making. Business Horizons, 61(4), 577-586. https://doi.org/10.1016/j.bushor.2018.03.007
Jones, K. (2023). AI governance and human rights: resetting the relationship. Royal Institute of International Affairs. https://doi.org/10.55317/9781784135492
Kantosalo, A. et Takala, T. (2020, 7-11 septembre). Five C’s for Human–Computer Co-Creativity – An Update on Classical Creativity Perspectives. Dans F. A. Cardoso, P. Machado, T. Veale et J. M. Cunha (éd.), Proceedings of the 11th International Conference on Computational Creativity [colloque]. ICCC, Coimbra, Portugal. http://computationalcreativity.net/iccc20/papers/ICCC20_Proceedings.pdf
Kwittken, A. (2023, 01 août). GenAI Will Force a New Business Model for Agencies. Adweek. https://www.adweek.com/agencies/genai-will-force-a-new-business-model-for-agencies/
Leavy, S. (2018, 28 mai). Gender bias in artificial intelligence: the need for diversity and gender theory in machine learning. Dans E. Abraham, E. Di Nitto et R. Mirandola (éd.), Proceedings of the 1st International Workshop on Gender Equality in Software Engineering [colloque]. Göteborg, Suède. https://doi.org/10.1145/3195570.3195580
Lee, H.-K. (2022). Rethinking creativity: Creative industries, AI and everyday creativity. Media, Culture & Society, 44(3), 601-612. https://doi.org/10.1177/01634437221077009
Lépine, V. (2014). La communication : questions d’évaluation et de mesures. Dans, V. Lépine, F. Martin-Juchat et Ch. Millet-Fourrier (dir.), Acteurs de la communication des entreprises et organisations (pp. 147-163). Coll. Communication médias, société. Presses Universitaires de Grenoble.
Letheren, K., Jetten, J., Roberts, J. et Donovan, J. (2021). Robots should be seen and not heard… sometimes: Anthropomorphism and AI service robot interactions. Psychology & Marketing, 38(12), 2393-2406. https://doi.org/10.1002/mar.21575
López Jiménez, E. A. et Ouariachi, T. (2021). An exploration of the impact of artificial intelligence (AI) and automation for communication professionals. Journal of Information, Communication and Ethics in Society, 19(2), 249-267. https://doi.org/10.1108/JICES-03-2020-0034
Lutz, C. (2019). Digital inequalities in the age of artificial intelligence and big data. Human Behavior and Emerging Technologies, 1(2), 141-148. https://doi.org/10.1002/hbe2.140
Madaio, M., Egede, L., Subramonyam, H., Wortman Vaughan, J. et Wallach, H. (2022). Assessing the Fairness of AI Systems: AI Practitioners’ Processes, Challenges, and Needs for Support. Proceedings of the ACM on Human-Computer Interaction, 6(CSCW1), 1-26. https://doi.org/10.1145/3512899
Martine, T. et Cooren, F. (2017). Évaluer la créativité à travers le degré de solidité de ses évaluations. Une approche relationnelle. Communiquer, 21, 39-61.
Mazzola, G., Carapezza, M., Chella, A. et Mantoan, D. (2024). Artificial Intelligence in Art Generation: An Open Issue. Dans G. L. Foresti, A. Fusiello et E. Hancock (éd.), Image Analysis and Processing – ICIAP 2023 Workshops (vol. 14366, pp. 258-269). Springer Nature Switzerland. https://doi.org/10.1007/978-3-031-51026-7_23
Menczer, F., Crandall, D., Ahn, Y.-Y. et Kapadia, A. (2023). Addressing the harms of AI-generated inauthentic content. Nature Machine Intelligence, 5(7), 679-680. https://doi.org/10.1038/s42256-023-00690-w
Miklosik, A. et Evans, N. (2020). Impact of Big Data and Machine Learning on Digital Transformation in Marketing: A Literature Review. IEEE Access, 8, 101284-101292. https://doi.org/10.1109/ACCESS.2020.2998754
Miklosik, A., Kuchta, M., Evans, N. et Zak, S. (2019). Towards the Adoption of Machine Learning-Based Analytical Tools in Digital Marketing. IEEE Access, 7, 85705-85718. https://doi.org/10.1109/ACCESS.2019.2924425
Mohapatra, S. (2021). Human and computer interaction in information system design for managing business. Information Systems and e-Business Management, 19(1), 1-11. https://doi.org/10.1007/s10257-020-00475-3
Monroe-White, T., Marshall, B. et Contreras-Palacios, H. (2021). Waking up to Marginalization: Public Value Failures in Artificial Intelligence and Data Science. Proceedings of 2nd Workshop on Diversity in Artificial Intelligence (AIDBEI). Dans Proceedings of Machine Learning Research [colloque]. https://proceedings.mlr.press/v142/monroe-white21a.html
Mostafa, R. B. et Kasamani, T. (2021). Antecedents and consequences of chatbot initial trust. European Journal of Marketing, 56(6), 1748-1771. https://doi.org/10.1108/EJM-02-2020-0084
Mumford, M. D., Scott, G. M., Gaddis, B. et Strange, J. M. (2002). Leading creative people: Orchestrating expertise and relationships. The Leadership Quarterly, 13(6), 705-750. http://dx.doi.org/10.1016/S1048-9843(02)00158-3
Nilsson, N. J. (2009). The Quest for Artificial Intelligence. Cambridge University Press. https://doi.org/10.1017/CBO9780511819346
Nixon, S. (2003). Advertising Cultures: Gender, Commerce, Creativity. SAGE.
Osei-Mensah, B., Asiamah, E. et Sackey, R. (2023). Strategic Communication and Artificial Intelligence: Reviewing Emerging Innovations and Future Directions. Archives of Business Research, 11, 85-102. https://doi.org/10.14738/abr.111.13616
Ozmen Garibay, O., Winslow, B., Andolina, S., Antona, M., Bodenschatz, A., Coursaris, C., Falco, G., Fiore, S. M., Garibay, I., Grieman, K., Havens, J. C., Jirotka, M., Kacorri, H., Karwowski, W., Kider, J., Konstan, J., Koon, S., Lopez-Gonzalez, M., Maifeld-Carucci, I., … Xu, W. (2023). Six Human-Centered Artificial Intelligence Grand Challenges. International Journal of Human–Computer Interaction, 39(3), 391-437. https://doi.org/10.1080/10447318.2022.2153320
Parry, K., Cohen, M. et Bhattacharya, S. (2016). Rise of the Machines: a Critical Consideration of Automated Leadership Decision Making in Organizations. Group & Organization Management, 41(5), 571-594. https://doi.org/10.1177/1059601116643442
Pierre, J. et Alloing, C. (2018). Comment les émotions traversent le design ? Conception et usages d’une fonctionnalité du web affectif. Revue des Interactions Humaines Médiatisées, 19(2), 1-19.
Prasad Agrawal, K. (2023). Towards Adoption of Generative AI in Organizational Settings. Journal of Computer Information Systems, 64(5), 636-651. https://doi.org/10.1080/08874417.2023.2240744
Putnam, L. L., Fairhurst, G. T. et Banghart, S. (2016). Contradictions, Dialectics, and Paradoxes in Organizations: A Constitutive Approach. The Academy of Management Annals, 10, 65-171. https://doi.org/10.1080/19416520.2016.1162421
Riedl, Mark. O. (2019). Human‐centered artificial intelligence and machine learning. Human Behavior and Emerging Technologies, 1(1), 1-68. https://doi.org/10.1002/hbe2.117
Rozado, D. (2023). Danger in the Machine: The Perils of Political and Demographic Biases Embedded in AI Systems. Manhattan Institute.
Runco, M. A. et Charles, R. E. (1993). Judgments of originality and appropriateness as predictors of creativity. Personality and Individual Differences, 15(5), 537-546. https://doi.org/10.1016/0191-8869(93)90337-3
Russell, S. J. et Norvig, P. (2021). Artificial intelligence: a modern approach (4th edition). Pearson.
Sandhu, S. (2017). Institutional Theory and the CCO Perspective: Opportunities for Communicative Convergence? Dans S. Blaschke et D. Schoeneborn (éd.), Organization as Communication: Perspectives in Dialogue (pp. 79-102). Routledge.
Shumailov, I., Shumaylov, Z., Zhao, Y., Gal, Y., Papernot, N. et Anderson, R. (2023). The Curse of Recursion: Training on Generated Data Makes Models Forget (arXiv:2305.17493). arXiv. https://doi.org/10.48550/arXiv.2305.17493
Snyder, H. (2019). Literature review as a research methodology: an overview and guidelines. Journal of Business Research, 104, 333-339. https://doi.org/10.1016/j.jbusres.2019.07.039
Statista. (2024). Top gen AI uses in marketing & advertising worldwide 2023. Statistita. https://www.statista.com/statistics/1404764/gen-ai-uses-marketing-advertising/
Stone, M., Aravopoulou, E., Ekinci, Y., Evans, G., Hobbs, M., Labib, A., Laughlin, P., Machtynger, J. et Machtynger, L. (2020). Artificial intelligence (AI) in strategic marketing decision-making: a research agenda. The Bottom Line, 33(2), 183-200. https://doi.org/10.1108/BL-03-2020-0022
Strandvad, S. M. (2011). Materializing ideas: a socio-material perspective on the organizing of cultural production. European Journal of Cultural Studies, 14(3), 283-297. https://doi.org/10.1177/1367549410396615
Wells, W. D. (2014). Measuring Advertising Effectiveness. Psychology Press.
Whittington, R. (2015). Giddens, structuration theory and strategy as practice. Dans D. Golsorkhi, D. Seidl, E. Vaara et L. Rouleau (éd.), Cambridge Handbook of Strategy as Practice (2e éd., pp. 145-164). Cambridge University Press. https://doi.org/10.1017/CBO9781139681032.009
Wu, C.-W. et Monfort, A. (2023). Role of artificial intelligence in marketing strategies and performance. Psychology & Marketing, 40(3), 484-496. https://doi.org/10.1002/mar.21737
Xu, W., Dainoff, M. J., Ge, L. et Gao, Z. (2023). Transitioning to Human Interaction with AI Systems: New Challenges and Opportunities for HCI Professionals to Enable Human-Centered AI. International Journal of Human–Computer Interaction, 39(3), 494-518. https://doi.org/10.1080/10447318.2022.2041900
Yuan, X., Bennett Gayle, D., Knight, T. et Dubois, E. (2023). Adoption of Artificial Intelligence Technologies by Often Marginalized Populations. Dans X. Yuan, D. Wu et D. Bennett Gayle (éd.), Social Vulnerability to COVID-19: Impacts of Technology Adoption and Information Behavior (pp. 31-49). Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-031-06897-3_3
Zerfass, A., Hagelstein, J. et Tench, R. (2020). Artificial intelligence in communication management: a cross-national study on adoption and knowledge, impact, challenges and risks. Journal of Communication Management, 24(4), 377-389. https://doi.org/10.1108/JCOM-10-2019-0137
Zerfass, A., Verčič, D., Nothhaft, H. et Werder, K. P. (2018). Strategic Communication: Defining the Field and its Contribution to Research and Practice. International Journal of Strategic Communication, 12(4), 487-505. https://doi.org/10.1080/1553118X.2018.1493485
Annexe A. Jeu de données ayant servi à entraîner ChatGPT
ChatGPT-3 a été entrainé (Brown et al., 2020), selon certains documents internes d’OpenAI, sur les jeux de données suivants :
1 Pour éviter toute confusion, nous utilisons l’abréviation « IAGen » et non « IAG », cette dernière souvent utilisée pour désigner « intelligence artificielle générale ».
2 Nous entendons par communication créative, la production de contenu destiné à un public dans le but d’induire chez ce dernier un changement de perception, d’attitude, de comportement dans une direction souhaitée par une organisation.
3 Certes, de nouveaux agents conversationnels utilisent maintenant d’autres modalités. Par exemple, ChatGPT 4o est maintenant multimodal, admettant l’utilisant de texte, d’images et de la voix comme façon de faire une requête. Or le texte demeure encore, pour l’instant, l’usage le plus répandu.
4 https://developers.google.com/search/blog/2023/02/google-search-and-ai-content?hl=fr