Professionnalisation pour les communicateurs au Congo : analyse de l’offre académique et demande du marché du travail

Séraphin Ngoma

maître assistant CAMES

Université Marien Ngouabi (Congo)

seraphinngoma16@gmail.com

Résumé

Cette étude s’intéresse aux compétences professionnelles des communicateurs congolais au prisme des mutations des métiers observés sur le marché du travail. Nous analysons l’offre de formation académique dispensée à l’université Marien Ngouabi et la demande du marché de l’emploi dans le secteur de la communication. Nous cherchons à savoir comment s’opèrent des transferts de compétences à travers les enseignements dispensés aux étudiants inscrits en année de master professionnel et quels sont les métiers que propose le marché du travail. Nous faisons l’hypothèse que les enseignements dispensés participent à la professionnalisation des communicateurs congolais, mais ne s’adaptent pas à l’offre du marché du travail. En se basant sur la théorie constructionniste de la communication développée par Alex Mucchielli (2005), nous explorons les significations à accorder à l’offre de formation, en rapportant ces enseignements sur le contexte du marché de l’emploi. Une méthodologie mixte, s’appuyant sur des données d’entretiens menés auprès de cinq enseignants-chercheurs, de treize étudiants inscrits en année de master professionnel au parcours sciences et techniques de la communication et sur une analyse de contenu des avis de recrutement, publiés dans le principal quotidien congolais, Les Dépêches de Brazzaville, le bihebdomadaire La Semaine Africaine et sur la page Facebook de l’Agence congolaise pour l’emploi (ACPE), permet de confirmer ou d’infirmer la pertinence de notre hypothèse. Les résultats de cette étude encouragent la prise en compte du contexte dans l’élaboration des programmes de formation dispensés dans des universités.

Mots clés : Compétences professionnelles, métacommunication, professionnalisation, offre de formation universitaire, marché du travail.

Abstract

This study focuses on the professional skills of Congolese communicators in light of the changes observed in the job market. It analyzes the academic training offered at Marien Ngouabi University and the demand for communication-related jobs in the employment sector. The study aims to understand how skills are transferred through the teachings provided to students enrolled in the professional master’s program and what job opportunities are available in the job market. The hypothesis is that the teachings provided contribute to the professionalization of Congolese communicators but do not align well with the demands of the job market. Based on Alex Mucchielli’s constructionist theory of communication (2005), the study explores the interpretations given to the academic training concerning its relevance to the job market context. A mixed-method approach is employed, using interview data from 5 teacher-researchers and 13 students enrolled in the professional master’s program in communication sciences and techniques. Additionally, a content analysis of job advertisements published in the main Congolese newspaper “Les Dépêches de Brazzaville”, the biweekly “La Semaine Africaine”, and the Facebook page of the Congolese Employment Agency (ACPE) is conducted to confirm or refute the hypothesis. The study’s findings encourage considering the job market context when designing training programs at universities.

Keywords: Metacommunication, professional skills, professionalization, university training offerings, job market.

Introduction

Le thème de la professionnalisation rencontre aujourd’hui un vif succès non seulement dans le champ de la formation mais aussi dans celui du travail (Wittorski 2007). L’importance accordée à la professionnalisation a un impact direct sur la valeur et la reconnaissance des diplômes (Champy-Remoussard, 2008). Selon J.-C. Domenget (2018), deux sens du concept de professionnalisation sont classiquement distingués. L’auteur explique : « la professionnalisation concerne, dans un premier sens, l’évolution continue des compétences professionnelles d’un individu associée à une efficacité accrue » (p. ٢). Pour Domenget, cette forme de professionnalisation renvoie au processus de fabrication, par la formation, l’organisation et l’expérience, d’un individu s’intégrant à un collectif de travail où il est reconnu par ses partenaires. Dans la seconde acception, la professionnalisation renvoie aux revendications de reconnaissance de soi, en tant que « professionnel », c’est-à-dire un individu à la fois qualifié, au sens de formé, et compétent, au sens de reconnu. C’est la première définition du concept de professionnalisation qui sera utilisée dans cette étude. La professionnalisation des offres de formation fait référence à l’adaptation des programmes d’études et de formation aux exigences et aux besoins du marché du travail. C’est dans cette optique que P. K. Koffi (2021) souligne : « un système éducatif performant se doit de fournir un vivier pour les entreprises présentes sur le territoire » (p. 3).

Les récentes études en sciences de l’information et de la communication ont essayé d’étudier les stratégies alternatives de professionnalisation (Bessières, 2009), mais force est de constater qu’elles n’ont pas pu saisir toute la place qu’occupe l’offre de formation publique en communication et les débouchés réels en termes de professionnalisation.

Cet article a pour objectif d’analyser le déphasage entre l’émetteur public qui est l’université et les récepteurs par les difficultés d’insertion professionnelle sur le marché du travail. De ce fait, comment les programmes académiques couvrent-ils les compétences et les connaissances nécessaires pour la professionnalisation des communicateurs ? Dans cette perspective, nous proposons donc ici, en nous appuyant sur le concept de métacommunication proposé par l’école de Palo Alto, d’étudier la communication publique entre l’université et le marché du travail.

Nous analysons l’offre de formation académique dispensée à l’université Marien Ngouabi et l’offre du marché de l’emploi dans le secteur de la communication. Nous cherchons à savoir comment s’opèrent des transferts de compétences à travers les enseignements dispensés aux étudiants inscrits en année de master professionnel et quels sont les métiers que propose le marché du travail. Nous faisons l’hypothèse que les enseignements dispensés participent à la professionnalisation des communicateurs congolais, mais ne s’adaptent pas à l’offre du marché de l’emploi.

En se basant sur la théorie constructionniste de la communication développée par Mucchielli et Noy (2005), nous explorons les significations à accorder à l’offre de formation, en rapportant ces enseignements sur le contexte du marché de l’emploi. Une méthodologie mixte, s’appuyant sur des données d’entretiens menés auprès de cinq enseignants-chercheurs, de treize étudiants inscrits en année de master professionnel au parcours sciences et techniques de la communication et sur une analyse de contenus des avis de recrutement, publiés dans le principal quotidien congolais, Les Dépêches de Brazzaville, le bihebdomadaire La Semaine Africaine et sur la page Facebook de l’Agence congolaise pour l’emploi (ACPE) permet de confirmer ou d’infirmer la pertinence de notre hypothèse.

Après avoir indiqué le contexte théorique et effectué une synthèse des précédentes recherches sur la professionnalisation de l’offre de formation et le marché du travail, nous expliquons la méthodologie utilisée. Nous présentons ensuite les résultats et les discutons en examinant quelques nouvelles perspectives qu’ils ouvrent pour les recherches sur l’inadéquation entre professionnalisation des offres académiques et offre du travail. Nous évaluons enfin les limites de l’expérience.

  1. Cadre théorique

Nous présentons à présent les concepts qui forment la base du cadre théorique de cette étude. Dans un premier temps, nous allons définir les grandes lignes du concept de professionnalisation de l’offre de formation, central à cette recherche, dans le contexte actuel de l’inadéquation formation-emploi. Dans un deuxième temps, nous définirons le concept du marché de travail tel qu’abordé dans le contexte économique. Nous nous appuierons sur la communication publique ainsi que sur la théorie constructiviste que peut sous-tendre la relation entre la professionnalisation de l’offre académique et le marché du travail. Dans un troisième temps, nous approfondirons le concept de métacommunication.

Le concept de professionnalisation a surtout été étudié par des pédagogues, des chercheurs en sciences de l’éducation et en communication. En pédagogie, la professionnalisation « rime avec le fait de structurer la formation, de sorte que les individus y participant soient en mesure de pratiquer une activité économique particulière » (Bourdoncle, 2000, p. 128).

Les chercheurs en sciences de l’éducation analysent la professionnalisation dans l’optique de la relation éducation/formation/travail (Champy-Remoussard, 2008). Pour cet auteur, la professionnalisation, en tant qu’objectif ou intention qui traduit le souci de l’utilité des connaissances transmises par les institutions de formation et des débouchés des bénéficiaires de ces formations, englobe potentiellement la formation et l’accès aux certifications, que ce dernier passe par les diplômes ou la validation des acquis mais aussi, dans une configuration plus large, l’ensemble des processus susceptibles de transmettre et construire savoirs et compétences dans la vie professionnelle.

Dans la même perspective, Béduwé et al. (2007) reconnaissent que le développement de la formation professionnelle et la professionnalisation des formations à tous les niveaux d’enseignement, y compris à l’université, apparaissent comme des exigences fortes de notre société. Il ne s’agit pas seulement de former plus longtemps les jeunes mais bien de leur donner, à tous les niveaux d’étude, des compétences spécifiques indispensables à l’exercice d’une activité professionnelle bien identifiée. Selon ces auteurs, les formations professionnelles sont construites en référence à un métier, une profession, et elles délivrent les compétences nécessaires à l’exécution de ce métier ou cette profession. Implicitement, les bonnes performances des formations professionnelles sont alors attribuées aux efforts de rapprochement entre système de formation et système productif.

Les auteurs en sciences de l’information et de la communication examinent la professionnalisation sous l’angle de « stratégie alternative de professionnalisation ». Dans cette optique D. Bessières (2009) précise que la professionnalisation vise la construction d’une nouvelle profession, une socialisation socle d’un développement de carrière, la formation de professionnels par des instances d’enseignement ou encore un processus de légitimation de la spécialisation des fonctions professionnelles de communication atypiques dans le secteur public, en ce sens, la professionnalisation est un facteur d’identité professionnelle.

Dans la perspective de la professionnalisation de la formation universitaire en communication, Lambotte et al. (2013) expérimente un dispositif de formation qu’il qualifie de « pédagogie active ». Ce dispositif est à l’opposé des méthodes traditionnelles d’apprentissage développées à l’université. La pédagogie active s’appuie sur les études de cas, de jeux de rôle, d’apprentissage par projet ou par problème ou encore de méthodes favorisant des interactions dans les auditoires.

Le concept du marché du travail a été plus abordé par les économistes. J.-F. Vergnies (2022) définit le marché comme le meilleur moyen d’assurer la régulation entre demande et offre. Parlant du marché du travail ou de l’offre du travail, Gazier et Petit (2019) indiquent qu’il correspond à deux décisions différentes. « La première est d’offrir ou non du travail : décision de participation ou de non-participation au marché du travail ; la seconde porte sur la quantité de travail offerte : le nombre d’heures hebdomadaires, mensuelles ou annuelles qu’une personne est disposée à travailler ».

Dans l’objectif d’analyser l’impact de l’éducation sur l’insertion sur le marché du travail et en particulier sur les rémunérations dans les deux principales métropoles de la République du Congo, Kuépié et Nordman (2013) montrent que le marché du travail est marqué par une hypertrophie du secteur informel, qui constitue potentiellement une trappe à pauvreté.

Parler du marché du travail en République du Congo sous-entend quatre dimensions : la quantité des annonces disponibles, les métiers, les secteurs d’activités et les compétences exigées. Ces aspects sont, d’une part une expression de la vitalité du marché du travail, et d’autre part la conséquence de l’accessibilité pour les universitaires à l’emploi salarié.

En choisissant ce thème, nous voudrions traiter en profondeur un des aspects liés à la professionnalisation de la formation en communication abordés par Lambotte et al. (2013), dans leur article cité plus haut. Si les deux auteurs se focalisent sur la pédagogie active, nous aimerions analyser non seulement le déphasage entre l’émetteur public (l’institution universitaire publique, l’université Marien Ngouabi de la République du Congo) et les récepteurs (les étudiants et les entreprises) dans l’insertion professionnelle, mais aussi la dimension de métacommunication

Selon C. Ollivier-Yann (2013), pour comprendre la communication publique, il est important de l’analyser en la rattachant à la question plus générale des relations entre les appareils administratifs des institutions et leurs administrés. La communication publique peut être analysée en s’appuyant aujourd’hui sur une professionnalisation de ses acteurs pratiquant des métiers reconnus et renforcés par des formations spécifiques de haut niveau. L’analyse de D. Mégard (2022) se rattache à la fois aux sciences humaines et à la communication si l’on se réfère à son aspect communicationnel, et aux sciences politiques si l’on se réfère à sa part dans l’exercice du pouvoir et la conduite des politiques publiques.

Pour analyser cette communication publique, nous allons convoquer la théorie constructionniste de la communication développée par Alex Mucchielli. Elle permet d’explorer les significations à accorder à l’offre de formation, en rapportant ces enseignements sur le contexte du marché de l’emploi. D’après A. Mucchielli (2005), l’approche actionniste, d’une manière constructionniste, considère une organisation comme « un système en équilibre plus ou moins stable dans lequel les différents partenaires négocient en permanence la définition de l’organisation et de leurs rôles dans cette organisation ». Cette théorie a pour but d’analyser la « structure des interactions » en photographiant, à un moment donné, l’état de cette négociation pour en comprendre les tenants et les aboutissants et prévoir les voies de changement possibles. Cette théorie postule qu’il n’y a pas de différence entre l’action et la communication. C’est finalement parce que, dans l’approche actionniste, le système des rôles des acteurs peut être considéré comme un réseau de communications (d’échanges signifiants précisant ce que chacun attend de l’autre et veut faire). Cette théorie montre, dans le fond, que toute activité est « activité communicationnelle ». Nous appuyons sur le concept de métacommunication pour analyser les échanges signifiants entre l’université et les récepteurs de l’insertion professionnelle.

La métacommunication, du grec « méta » qui signifie « au-delà, après », ou « d’un niveau supérieur ». La métacommunication est donc un niveau élevé de communication, une forme à part de communication qui prend en compte un ensemble de messages cachés dans un dialogue entre deux personnes. Selon A. Mucchielli (1995), métacommuniquer « c’est parler sur les échanges et analyser le comment de leur déroulement. Cette communication change donc le niveau du débat. On ne se préoccupe plus du contenu de ce que l’on vient d’échanger mais du comment on l’a échangé ». Dans le sens nous le prenons ici, la métacommunication nécessite une prise en compte des interactions et, en particulier, le repérage des attitudes chroniques et des schémas répétitifs d’interactions toujours sources de sclérose des dialogues.

  1. Méthodologie

Une méthodologie mixte, s’appuyant sur des données d’entretiens menés auprès des enseignants-chercheurs, des étudiants inscrits en master professionnel au parcours sciences et techniques de la communication, sur une analyse de contenu des enseignements dispensés en master professionnel en Information et communication et sur des avis de recrutement, publiés dans les médias. Une analyse de contenu thématique manuelle nous a permis d’identifier les thématiques abordées par les enseignants-chercheurs et les étudiants afin de dégager des extraits significatifs de leurs propos.

Les entretiens semi-directifs

Le conseil de L. Morillon (De Singly, cité par L. Morillon, 2006) sur l’emploi des entretiens individuels, de façon générale, est édifiant : « C’est un instrument privilégié pour recueillir les opinions, les croyances ou les attitudes d’un individu ainsi que pour comprendre les comportements et en analyser les causes profondes » (p. 35). Quant à l’entretien semi-directif, Y. Abernot et J. Ravestein, (2009) soulignent que « ce type d’entretien permet bien souvent de recueillir davantage d’informations d’ordre cognitif sur la question précise de l’enquêteur mais moins d’informations d’ordre affectif » (p. 104). Ces auteurs recommandent donc d’utiliser l’entretien semi-directif dans des investigations concernant des thèmes mettant en jeu les rôles sociaux des individus, dans lesquels par exemple ils montrent des compétences professionnelles.

Dans l’objectif de comprendre la relation formation en lien avec l’offre du marché du travail, les données ont été collectées à partir d’un échantillon représentatif de treize étudiants inscrits en master professionnel information et communication (dont six filles) ayant obtenu à la note supérieure à 12 au devoir sur l’élaboration d’un projet professionnel. Les entretiens individuels ont été réalisés à travers un guide d’entretien avec les étudiants individuellement dans une salle de classe à la Faculté des lettres, arts et sciences humaines le 15 février 2023 à Brazzaville.

Les annonces retenues pour cette étude ont été recueillies sur la page Facebook de l’Agence congolaise pour l’emploi (ACPE), une entité publique à caractère administratif à la charge de recevoir des avis de recrutement de toutes les entreprises exerçant en République. La collecte des avis de recrutement a également été effectuée à travers le quotidien Les Dépêches de Brazzaville et le bihebdomadaire La Semaine Africaine. La période retenue pour la collecte des données sur les offres d’emploi a été celle allant du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2022. Le choix de cette période se justifie par le fait que les estimations de la Banque mondiale indiquent que, l’activité économique en République du Congo aurait augmenté de 1,5% en 2022, après la contraction de 2,2% enregistrée en 2021. Le taux de croissance économique en 2022 n’a pas été assez fort pour faire baisser le taux de pauvreté. La part de la population vivant sous le seuil international d’extrême pauvreté a légèrement augmenté de 52,0% en 2021 à 52,5% en 2022.

Pour un décorticage assez exhaustif des articles sur les offres d’emploi, nous avons établi une grille de lecture comprenant les éléments suivants : le domaine, la fonction, le profil, les compétences. Les items de la grille de lecture ci-dessus ont permis de procéder à des comparaisons entre les éléments du corpus, question de dégager les ressemblances et les dissemblances entre les offres d’emploi proposées par les entreprises. Le but est de chercher à savoir s’il est possible d’envisager l’inadéquation formation-professionnalisation.

Pour analyser l’ensemble des données collectées, nous avons opté pour l’analyse thématique. Cette technique nous a, en effet, aidé à résumer et traiter le corpus, à des thématisations, une fois les entretiens transcrits. Avec l’analyse thématique, écrivent Paillé et Mucchielli (2016) : « la thématisation constitue l’opération centrale de la méthode, à savoir la transcription d’un corpus donné en un certain nombre de thèmes représentatifs du contenu analysé et ce, en rapport avec l’orientation de recherche (la problématique) » (p. 241). Dans le cadre de cette étude, nous avons adopté la démarche de thématisation en continu. Pour mener de manière efficace cette analyse thématique en continu, nous avons retenu des outils, des concepts analytiques ainsi que des opérations suggérées par cette démarche.

  1. Résultats et discussion
    1. Une professionnalisation à travers une formation en alternance

L’analyse des enseignements dispensés à l’université Marien Ngouabi, à la faculté des lettres, arts et sciences humaines, au parcours sciences et techniques de la communication révèle que quatre semestres de formation offrent une spécialisation dans le domaine de la communication d’entreprise.

En master professionnel en Information et communication, l’offre de formation est composée des enseignements théoriques, technologiques, méthodologiques et professionnels. Les enseignements théoriques doivent permettre aux étudiants d’acquérir les théories de base de la communication avant d’aborder des domaines relevant des spécialités […]. La réalisation d’un projet professionnel et d’un stage permettent à l’étudiant d’appliquer les méthodes acquises en cours, de réaliser un journal école et d’autres produits communicationnels, d’appréhender le monde de l’entreprise et de parfaire sa connaissance des métiers de l’information et de la communication. L’analyse de contenu montre que la formation est assurée par des enseignants-chercheurs de l’université Marien Ngouabi, des universitaires en mission et des professionnels de haut niveau.

Le but visé par ces enseignements est de former des professionnels de la communication de haut niveau, capables d’analyser les processus communicationnels, de concevoir et de produire des outils de communication tout en les préparant à une insertion professionnelle dans le domaine relevant des administrations, des entreprises, des collectivités locales et des organisations, de la conception – réalisation des médias.

Dix compétences spécifiques sont dotées aux étudiants inscrits dans l’option communication d’entreprise. Ces compétences se présentent comme suit : (i) concevoir les stratégies de communication (12%), (ii) connaître le management de la communication d’entreprise (10%), (iii) connaître le mangement des ressources humaines 10%, (iv) élaborer les stratégies de marketing politique (١٠٪), (v) initialiser la communication dans les collectivités locales (10%), (vi) concevoir et réaliser des supports de communication (11%), (vii) pratiquer l’internet et l’intranet (8%), (viii) concevoir et réaliser la publicité (10%), (ix) organiser un évènement (9%) et (x) réaliser un journal interne (10%).

Selon Wittorski (2007), ce dispositif de professionnalisation est qualifié de « formation en alternance ou par l’alternance ». Il explique : « en parallèle aux savoirs "de nature disciplinaire" et aux savoirs "transversaux", les étudiants dans une optique de professionnalisation réfléchissent à leurs propres pratiques une fois la période de stage achevée ».

Mais, la professionnalisation à travers la formation par alternance a des limites. Pentecouteau (2012 cité par F. Lambotte) nécessite une plus grande disponibilité, un suivi régulier de la formation, une démarche de communication active et l’animation ainsi que la gestion sociale d’un réseau avec les professionnels.

  1. Offre du marché du travail dans le secteur de la communication d’entreprise

Le dernier recensement général des entreprises réalisé en 2023 par l’Institut national de la statistique a dénombré 91014 entreprises en République du Congo. La plupart des entreprises se repartissent entre Brazzaville, Pointe-Noire et Ouesso. Il ressort de l’analyse des avis de recrutement publiés dans la presse et sur la page Facebook de l’Agence congolaise pour l’emploi (ACPE) que le marché du travail congolais est caractérisé par la faible publication de postes dans le domaine de la communication d’entreprise.

  1. Le nombre des annonces publiées sur la communication d’entreprise dans chaque support retenu

Au cours de la période de l’étude, l’ACPE a publié 153 offres d’emploi dont 40 en communication d’entreprise (26%) sur sa page Facebook, le quotidien Les Dépêches de Brazzaville a diffusé 153 avis de recrutement dont 8 sur le domaine de la communication d’entreprise (5%) et le bihebdomadaire La Semaine Africaine a publié 128 offres d’emploi dont 39 avis de recrutement (30%) dans le domaine de la communication d’entreprise.

Au total, 87 offres sur la communication d’entreprise ont été publiées sur 434 avis de recrutement disponibles en deux ans, soit 20% de l’ensemble des annonces. Le domaine de la communication est sous-représenté sur le marché du travail. Cette tendance a été observée par D. Bessières (2009) qui pourrait se justifier par le fait que le recrutement des communicateurs s’opère « si la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient » (p. ٤٠). Cet auteur explique que dans la fonction publique, les responsables de la communication sont majoritairement contractuels ; ceci les conduisant à se percevoir minoritaires par rapport à leur représentation des autres cadres dirigeants titulaires de la fonction publique.

  1. Les métiers récurrents et profils recherchés

Les métiers les plus récurrents publiés peuvent être classés en trois groupes. Le premier groupe concerne les métiers concernant : le responsable en communication, le spécialiste en communication, le chargé de communication, le community manager, le directeur communication et marketing, le manager communication et brand.

Le deuxième groupe est constitué des métiers dont le chargé en communication, le manager digital. Le profil recherché est BAC+4. Le dernier groupe est composé des métiers dont le profil exigé est BAC+3. Il s’agit des métiers d’assistant en communication, community manager, responsable d’accueil et réception, infographiste et graphiste.

  1. Les compétences linguistiques et informatiques

Le marché du travail exige des étudiants des compétences linguistiques et informatiques, et sont de plus en plus exigées avec le niveau d’étude. Avec le profil de BAC+5, une très bonne maîtrise des langues comme l’anglais, l’espagnol et parfois le chinois est requise. Les compétences informatiques sont exigées quel que soit le niveau de recrutement. Il s’agit de la maîtrise du pack Office, des outils du télétravail (Zoom ou Google meet). Les logiciels de la publication assistée sur ordinateur (Adobe Photoshop, Illustrator, Lightroom, InDesign) et du multimédia (Première Pro, Canva) et la parfaite maîtrise des réseaux sociaux.

  1. Une professionnalisation impossible

L’analyse de contenu des enseignements dispensés à l’université Marien Ngouabi, à la faculté des lettres, arts et sciences humaines, au parcours des sciences et techniques de la communication présente des insuffisances.

  1. Les acteurs impliqués dans la professionnalisation de l’offre de formation à l’université Marien Ngouabi

Trois principaux acteurs participent à la construction de l’offre de formation à l’université Marien Ngouabi.

Les enseignants-chercheurs et les chargés de cours (professionnels). Ils reconnaissent que la République du Congo a adopté le système Licence-Master-Doctorat (LMD) depuis 2009, pour permettre une plus grande professionnalisation des diplômés issus de l’enseignement supérieur et une adaptation au numérique. Ce modèle a permis l’organisation et le contenu des enseignements. Mais les conditions de travail ne sont pas réunies, il manque par exemple un studio de montage pour faire la pratique en infographie, la conception des spots publicitaires. Les enseignants constatent qu’il n’existe pas des partenariats avec les entreprises pour faciliter l’intégration des étudiants sur le marché du travail. Pour ces derniers, ces partenariats peuvent être noués dans le but de faire des stages, des projets de recherche conjoints, des opportunités d’emploi, etc.

Les étudiants. Pour ces apprenants, les enseignements dispensés leur garantissent sans aucun doute une vie professionnelle meilleure. Ils déplorent le manque de stages pratiques au sein des entreprises ainsi que d’un environnement favorable de pratique des outils numériques.

Les entreprises. Sur le marché de l’emploi, les postes recherchés sont les chargés de clientèle, les attachés commerciaux, les chargés relation clientèle, les administrateurs réseaux et système, les gestionnaires de compte, les chargés de risque crédit, les chargés informaticien, les responsables.

  1. La crise de communication entre l’université Marien Ngouabi et le marché du travail de la communication

Le déphasage entre l’émetteur public qui est l’université et les récepteurs par les difficultés d’insertion professionnelle peut conduire à un blocage de communication. L’offre de formation académique est insuffisante au regard des compétences linguistiques et informatiques présentées par le marché du travail en République du Congo. Cette insuffisance est largement amplifiée par la difficulté de trouver un stage dans un milieu professionnel.

En l’absence d’enseignements sur les compétences linguistiques et informatiques, la métacommunication peut être destructrice et ses conséquences sur la professionnalisation peuvent être négatives. La meilleure des stratégies est d’adopter pédagogie active prônée par F. Lambotte et al. (2013). Elle permet, à la fois, une meilleure réussite des étudiants sortants dans le milieu du travail, de rehausser le bienfondé des cursus universitaires dans le domaine des SIC et de contribuer à faire tomber les cloisons existantes entre les mondes universitaire et professionnel.

Conclusion

Le thème de la professionnalisation rencontre aujourd’hui un vif succès non seulement dans le champ de la formation mais aussi dans celui du travail. Dans ce contexte, nous nous interrogions sur l’offre de formation académique dispensée à l’université Marien Ngouabi au regard de la demande du marché du travail dans le secteur de la communication. Dans ce but, nous nous sommes appuyé sur le concept de « métacommunication » qui donne à voir comment ordonner les échanges en oubliant le primat du contenu de ces échanges de paroles. Nous synthétisons ici nos résultats à travers ses caractéristiques essentielles.

L’offre de formation académique est caractérisée par l’insuffisance des conditions de travail. Les enseignants déplorent le manque d’un studio de montage pour faire la pratique en infographie, la conception des spots publicitaires. Les enseignants constatent qu’il n’existe pas des partenariats avec les entreprises pour faciliter l’intégration des étudiants sur le marché du travail. Pour ces derniers, ces partenariats peuvent être noués dans le but de faire des stages, des projets de recherche conjoints, des opportunités d’emploi, etc.

Pour ces apprenants, les enseignements dispensés leur garantissent sans aucun doute une vie professionnelle meilleure. Ils déplorent le manque des stages pratiques au sein des entreprises ainsi que d’un environnement favorable de pratique des outils numériques.

Le marché du travail exige des étudiants des compétences linguistiques et informatiques, et sont de plus en plus exigées avec le niveau d’étude. Avec le profil de BAC+5, une très bonne maîtrise des langues comme l’anglais, l’espagnol et parfois le chinois est requise. Les compétences informatiques sont exigées quel que soit le niveau de recrutement.

Ainsi, une crise de communication entre l’université Marien Ngouabi et le marché du travail de la communication. Elle est matérialisée par le déphasage entre l’émetteur public qui est l’université et les récepteurs par les difficultés d’insertion professionnelle peut conduire à un blocage de communication. L’offre de formation académique est insuffisante au regard des compétences linguistiques et informatiques présentées par le marché du travail en République du Congo.

Cette étude confirme notre postulat de départ qui stipulait que les enseignements dispensés à l’université Marien Ngouabi participent à la professionnalisation des communicateurs congolais, mais ne s’adaptent pas à l’offre du marché de l’emploi.

La métacommunication de la professionnalisation de l’offre de formation semble finalement être bloquée. Il y a véritablement une communication impossible entre l’émetteur public et les récepteurs de l’insertion professionnelle.

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