Les relations de la pratique communicationnelle à la recherche.
Entre apports croisés, ambiguïtés et apories
Ambre Abid-Dalençon
Sorbonne Université, Gripic
ambre.abid.dalencon@gmail.com
Résumé
Nous proposons d’étudier les liens entre pratique communicationnelle et recherche, d’abord en évoquant le cas de la sémiotique publicitaire qui s’est développée dans les années 1960. Nous illustrons ensuite ces relations riches et complexes à travers le terrain de la presse professionnelle en marketing et communication. La presse professionnelle est un observatoire de prédilection pour approcher l’histoire, les évolutions, les mouvements et les trajectoires, les acteurs et les figures, les débats et les enjeux d’une profession. Cette étude, dont le cadre est contemporain, se fait au moyen d’un corpus de trois revues trimestrielles de l’interprofession française en communication, spécialisées sur le genre discursif et médiatique des tendances. Elles nous intéressent ici en ce qu’elles ont adopté des atours à l’intersection de la revue professionnelle et de la revue culturelle de société, ce qui a une incidence sur leur relation à la recherche. Nous déplaçons ainsi la focale en ce deuxième temps de l’article, en discutant principalement la relation de la pratique à la recherche. Nous verrons que cette dernière se fait autant réponse à un désir de savoirs et de formation, caution et instrument, que source de potentielles conflictualités.
Mots-clefs : Pratique, Recherche, Sémiotique, Publicité, Savoirs, Instrumentalisation, Presse professionnelle
Abstract
In this paper, we analyze the relationships between communicational practices and research. First, we examine theoretical resources, by exploring the case of semiotics in advertising, beginning in the 1960s. Next, we illustrate these rich and complex links by looking at professional marketing and communication magazines. These are precious vantage points for an overview of the profession’s history, evolutions, movements and trajectories, actors and personalities, discussions and issues. More precisely, the study focuses on three contemporary professional quarterly French reviews, specialized in trends. The particularity they present is that of a hybrid format; between professional publication and cultural and societal periodical. This has an impact on their relationship to research. Our analysis reveals to what extent research works as an inspiration and training medium, a tool for legitimacy and for different kinds of instrumentalization or a source of potential tensions.
Keywords: Practices, Research, Semiotic, Advertising, Knowledge, Instrumentalization, Professional periodicals
Introduction
Dans cet article, nous proposons de revenir sur les liens entre recherche et pratique communicationnelle, à l’aune d’un terrain exploré dans le cadre d’une recherche doctorale1 : des revues professionnelles au format hybride, exprimant une forte prétention2 intellectuelle (Abid-Dalençon, 2022). Les intrications entre monde de la recherche, monde académique et pratique professionnelle trouvent en effet un espace de prédilection dans cette presse ; a fortiori du fait des formats qui nous intéressent ici.
Nous avons étudié cinq années de Tank, Influencia et L’ADN, sur une période allant de 2012 à 2018, ce qui représente cinquante-deux numéros au total. Chaque numéro compte, à titre indicatif en tant que « long format », entre cent-cinquante et deux-cents pages3. Toutes trois sont trimestrielles, présentent un graphisme soigné, ont fait l’objet de forts discours promotionnels et ont choisi comme réseau de diffusion complémentaire la librairie. Elles s’inscrivent dans la mouvance du slow media4, de par l’adoption d’un format de type « revue-livre5 ». Leur ligne éditoriale se trouve à l’intersection de la revue professionnelle, de la revue culturelle et de la revue journalistique. Cette dimension extensive et « dispersive » du corpus (Abid-Dalençon, 2022 ; Ringoot et Utard, 2005) « invite à interroger le socle des compétences communes et des compétences spécialisées nécessaires à l’exercice de ces métiers » (Lépine et David, 2014). Précisons que ces revues ont pour source de ce décalage (par rapport aux autres titres de l’information professionnelle) le fait qu’elles se positionnent sur le segment des tendances. Chaque numéro porte sur une thématique censée dire une problématique clé de « la » société (« Ordre et chaos », « Vivre connecté », « Le jeu » …), à destination d’un public interprofessionnel, mais aussi potentiellement non spécialisé en communication. Ce positionnement éditorial a son importance pour la suite, car le rapport des tendances à l’actualité se situe dans un large continuum du temps, qui rend la lecture autant cruciale pour approcher ce qui n’est pas encore et sera (c’est l’imaginaire du « signal faible ») que ce qui est déjà depuis plusieurs siècles ou décennies. En cela, la tendance permet aux titres d’épouser une constante de la « revue-livre », qui exacerbe elle-même une réalité médiatique à la tradition longue : la recherche et ses figures-types, l’enseignant-chercheur ou le chercheur, tiennent une place non négligeable dans la promesse informationnelle de prendre du recul et de la hauteur.
Le choix du corpus s’est donc fait à partir d’une prétention et d’un format communs. Malgré ces similitudes, toutes trois n’ont pas le même statut informationnel au sein de l’interprofession. L’ADN et Influencia sont des acteurs emblématiques de l’information professionnelle en communication, reconnus pour leur écosystème pluri-médiatique global6. Tank fut quant à elle une revue beaucoup plus modeste, créée par des professionnels d’agences de communication. De plus, elle s’est arrêtée en 2017, du fait d’un manque de moyens, tant humains qu’économiques, tandis que les deux autres revues sont toujours éditées.
En termes de méthodologies, nous avons procédé à une analyse sémiotique des revues, au moyen d’une grille d’analyse à entrées multiples, que nous présenterons en corps de développement. Dans une démarche comparative, nous avons mené des analyses sémiotiques flottantes d’autres revues du secteur (Marketing, Stratégies, CB News, LSA, etc.) et de « revues-livres » grand public (XXI, Feuilleton, 6mois, L’Éléphant, etc.). L’analyse intermédiatique et techno-sémiotique des dispositifs numériques accompagnant les revues du corpus principal (sites internet, newsletters et réseaux sociaux) a permis de relever des résultats complémentaires, de creuser nos analyses des présentations de soi à l’œuvre via ces objets. En accordant une place importante à l’étude des discours de célébration, nous ne souhaitions pas, en effet, nous limiter à une analyse immanente des revues. La relation à la recherche, à sa mission théorique et à son monde académique7 – qu’elle soit complémentaire, miroir ou conflictuelle – s’observe dans le jeu des présentations, dans le type de professionnalité racontée et représentée. Nous avons donc étudié deux cents articles de presse, afin de voir la manière dont les revues Tank, Influencia et L’ADN étaient présentées dans les médias du secteur et dans leurs propres médias. Enfin, nous avons mené trois entretiens approfondis, avec l’un des co-fondateurs et l’un des rédacteurs en chef de Tank, ainsi qu’avec la fondatrice et directrice de la publication d’Influencia8. Ces entretiens ont été menés à une étape avancée de la recherche. De fait, ils ont permis de poser des questions précises sur la genèse des revues, leur projet éditorial, les fonctionnements humains et économiques, le type de contributeurs recherchés, etc. Ils ont été traités par une analyse discursive et de contenu thématique.
À travers cette méthodologie d’analyse croisée, nous avons approché les rapports multiples qu’entretiennent ces objets éditoriaux à la théorie et à la recherche, voire aux milieux académiques. Nous avons observé dans quelle mesure la recherche se faisait autant réponse à un désir de connaissances, de savoirs et d’évolution dans sa pratique, que caution et instrument, ou encore, lieu de fantasmes et de potentielles conflictualités.
Nous reviendrons tout d’abord sur le temps long de ces relations, à partir de l’exemple de la sémiotique publicitaire. Nous analyserons ensuite ces dernières, en changeant cette fois d’échelle, à travers le terrain de la presse professionnelle.
L’histoire publicitaire a connu différents âges théoriques, qui ont contribué chacun à son évolution. Dès les premiers temps de son institutionnalisation, que les spécialistes situent dans les années 1900-1940, « apparaissent des références aux sciences sociales – en particulier à la psychologie » (Chessel, 1998, p. 30). Ceci, tant du côté de l’entreprise que du côté de ses premiers enseignements. La psychologie sociale permet à la publicité de quitter les habits incertains de la réclame, de se construire en science moderne. Elle ouvre la possibilité aux professionnels de questionner les mécanismes de la mémoire, de la persuasion et de la suggestion, et par-delà, leur offre la possibilité d’asseoir leur pouvoir technique et « scientifique ». À un autre niveau, le recours de la publicité française à la psychologie serait, selon Marjorie Beale, « principalement un discours ayant pour but de légitimer une profession naissante aux yeux du monde “académique” » (Chessel, 1998, p. 37). Le besoin de reconnaissance des publicitaires est lisible dans leurs réactions face à l’apparition des premières études académiques à leur sujet, dès les années 1930 :
[…] on peut lire à propos d’une thèse de droit sur la psychologie de la publicité : « Nous devons nous réjouir que dans les milieux qui constituent l’élite intellectuelle, on veuille bien considérer la publicité comme matière digne de recherche et d’études ». (Chessel, 1998, p. 38)
Ce premier grand socle théorique de la psychologie participe, selon Jean-Jacques Boutaud et Éliséo Verón, des « modèles pré-sémiotiques à la “rhétorique de l’image” », Roland Barthes ayant introduit « une rupture épistémique avec les modèles d’influence qui dominaient les théories publicitaires » (2007, p. 50). Arrêtons-nous sur cette rupture sémiotique barthésienne, tant elle témoigne du chassé-croisé entre recherche et pratique dans la publicité française des années 1960.
Nous prendrons pour exemple le parcours professionnel et intellectuel de Georges Péninou. Adjoint au directeur des études puis directeur du département des recherches de Publicis entre 1960 et 1961, Georges Péninou a précisément au départ, pour cadre de ses activités, les études de marché et les études psychologiques (Durand, 2002, p. 581). Le séminaire de Roland Barthes à l’École pratique des hautes études en 1964, ainsi que son article « Rhétorique de l’image » paru la même année, seront décisifs pour lui. Nourri de ces enseignements, il vise à redéfinir la pensée publicitaire en mettant un nouvel accent sur le signe, se faisant l’une des figures de proue de la sémiotique appliquée aux champs de la publicité et du marketing. Il promeut la sémiologie dans différentes sphères de discours, dès 1965. Ses travaux font l’objet « de publications parallèles qui se situent à des niveaux différents d’abstraction » (Durand, 2002, p. 583) : des exposés et des écrits pour l’IREP9 ; des résultats plus fournis publiés au sein de la Revue française du marketing, publiée par l’ADETEM10 ; des textes pour la revue Communications du CECMAS11, à destination cette fois des universitaires. Par ces interventions visant à redéfinir les méthodes d’analyse publicitaire, ce qui se joue, c’est une bataille disciplinaire. Une bataille au sein de son champ, car Georges Péninou participe à la promotion de l’« ère de la signification » (Boutaud et Verón, 2007, p. 52) dans l’histoire publicitaire :
Il fallait se détacher d’une psychologie qui avait, de fait, monopolisé toute l’approche « qualitative » de la publicité ; proposer, à la conscience des praticiens publicitaires, des références qui n’allaient pas dans le sens de sa mathématisation ambiante et croissante : la linguistique, la rhétorique, la grammaire, la poétique. (Péninou, 1972, p. 18)
Une bataille qui touche aussi, plus profondément, aux séparations entre catégories intellectuelles. Dans un entretien introduisant son ouvrage Intelligence de la publicité, publié en 1972, Georges Péninou déplore le fait que « l’on assimile trop souvent la recherche à l’intellectualisme forcené, à la technologie, à une certaine abstraction ». Et ce faisant, que l’on restreigne « abusivement le champ de ce que pourrait être la contribution d’un homme d’études, pour autant que cet homme ait une certaine sensibilité » (pp. 39-40). Ainsi, même si Georges Péninou insiste sur la séparation des objectifs démonstratifs entre monde de la pratique et monde de la recherche (chacun conférant à la sémiologie une visée différente), ses diverses actions et propos tendent inéluctablement vers une renégociation de cette même frontière. Et pour cause, il incarne la figure12 du praticien-intellectuel, construite au contact d’une théorie du signe portée par un intellectuel, Roland Barthes, lui-même devenu dans le cadre de cette relation un intellectuel-expert, un « consultant extérieur » (Durand, 2002, p. 582). Car Roland Barthes pour sa part, au contact de Publicis, propose une analyse appliquée de l’image publicitaire automobile. Des « influences croisées » (Lépine et David, 2014) favorisées à cette époque, le groupe de communication possédant son département et son Bulletin des recherches. En définitive, comme le formule Karine Berthelot-Guiet :
[…] des auteurs tels que Georges Péninou et Jean-Marie Floch sont particulièrement intéressants car ils se qualifient, dans une certaine mesure, comme des professionnels qui ont su ne pas couper leur pratique d’une réflexion théorique, qui ont su la nourrir en dehors du milieu professionnel, en allant « à la source », c’est-à-dire en suivant les séminaires de Barthes et de Greimas. (2004, paragr. 16)
Ces praticiens et auteurs se mettent explicitement sous le patronage de ces maîtres, ce qui n’est pas sans effet sur la trajectoire de ces derniers.
Cette rencontre entre Roland Barthes et Georges Péninou montre par la focale de la sémiotique le chassé-croisé dont peut bénéficier la pratique professionnelle au contact de la théorie, et la théorie au contact de matériaux et cadres empiriques : « Le développement de la sémiotique en France a été nourri par l’analyse d’objets de communication commerciale et les différents outils d’analyse sémiotique ont été très souvent importés, retravaillés et utilisés dans le cadre d’analyses d’expertise et de conseil » (Berthelot-Guiet, 2004, paragr. 1). Karine Berthelot-Guiet parle d’une « récursivité des pratiques », en questionnant ces apports croisés. Du côté de la pratique, s’observe un renouvellement des approches méthodologiques professionnelles, et ce faisant, une évolution des postures, des rhétoriques et des épistémologies, sur fond de combat territorial entre modèles. Les approches anglo-saxonnes qui ont largement inspiré le monde publicitaire à sa création sont imprégnées par le modèle théorique de la psychologie sociale, auquel s’oppose Georges Péninou par la revendication d’un primat de l’expression et de la signification en France. Une évolution des modèles qui ne se fait pas sans difficulté, comme il l’aborde dans son ouvrage : double traduction et légitimation nécessaire, auprès de ses pairs, puis de ses clients ; responsabilité d’une « transplantation » plus ou moins bonne et correcte de ces méthodologies ; ceci, sur fond de choix entre disciplines et matériaux théoriques qui ne possèdent pas le même degré d’opérationnalité13.
À cet apport de la théorie à la pratique répond d’autre part une contribution du monde professionnel au monde académique, par une participation à la cristallisation de figures de maîtres à penser, ainsi qu’un apport d’ordre plus pédagogique :
En effet, le retravail du propos théorique, l’éventuelle clarification – simplification ? – des concepts qui en découle donnent une présentation qui se prête souvent particulièrement bien à une initiation aux approches sémiotiques, en général, et aux approches appliquées, en particulier. (Berthelot-Guiet, 2004, paragr. 24)
Jean-Jacques Boutaud et Éliséo Verón (2007, p. 15) parlent même d’une évolution accélérée et fondamentale de la sémiotique à partir des années 1980 en Europe, par le biais de la « sémiotique appliquée », à travers divers champs de la pratique communicationnelle (médiatique, politique, organisationnelle, etc.)14. Le monde de la pratique communicationnelle aurait offert à la sémiotique une assise légitime qui lui manquait dans les milieux académiques, dernier apport que nous pourrions noter.
D’autres cas pourraient illustrer les « fertilisations croisées » entre pratique professionnelle et recherche (Morillon, Bouzon et Lee, 2013), riches d’une histoire longue : « […] les entreprises ont toujours sollicité les services de chercheurs universitaires en SHS pour répondre à leurs besoins, et cela depuis au moins le premier quart du xxe siècle […] » (Sevin et Heller, 2020, p. 101). Nous avons choisi de nous concentrer pour notre part sur cet instant de la sémiotique publicitaire15, car il représente un moment exemplaire de ces liens ordinaires et constants. Cette présence sémiotique perdure au sein des services d’études qualitatives, ainsi que dans certains services de planning stratégique, pour ne citer que ces métiers. Directeurs d’études et planneurs stratégiques constituent d’ailleurs des contributeurs réguliers de la presse professionnelle, du fait de la dimension analytique, voire éditoriale, de leurs métiers.
La presse professionnelle constitue un espace d’observation des interrelations historiques entre pratique et recherche. Une revue comme La Publicité (créée en 1903) permet de repérer par exemple des moments de rupture et de débat au sujet de l’installation de la publicité comme champ d’étude et de formation universitaire (Chessel, 1998). Ces interrelations pourraient donc être finalement considérées comme constitutives du genre. Dans un article contribuant à une définition de la revue professionnelle, Viviane Couzinet et Maryem Marouki dressent trois types de revues, dont « les revues professionnelles hybrides […] dans lesquelles pratique et recherche sont présentes ensemble et où l’appareillage de la majorité des articles suit le modèle de la science » (2015, p. 100). Une caractéristique à mettre en perspective avec le rôle formateur, pédagogique et réflexif que ces revues se donnent. Une littérature spécialisée émerge dès les années 1900-1914 en publicité, dans un objectif clair de formation et de professionnalisation : « Manuels et revues ont un objectif éducatif : former les professionnels » (Martin, 1992, p. 251). Les années 1920 renforcent ce lien entre revues et formation : « les ouvrages et les revues destinés à l’information et au perfectionnement des professionnels se multiplient : Mon Bureau est créé en 1919, Notre Publicité en 1920, La Publicité de France et Vendre en 1923, Réussir en 1925 » (Martin, 1992, pp. 254-255). Les étudiants deviennent un point d’horizon, Étienne Damour (fondateur de la revue Vendre) étant selon Marc Martin « le premier à attirer vers la publicité des jeunes gens sortant des grandes écoles et de l’Université » (p. 258). Les revues professionnelles peuvent donc être appréhendées comme des « traits d’union entre praticiens, enseignants et étudiants » (Chessel, 2004, p. 146). Particulièrement attentives au vivier que représentent les étudiants, ne serait-ce qu’en termes d’abonnements, elles se posent par la suite comme un outil de prolongement de la formation initiale, car « l’exercice quotidien d’une profession requiert une mise à jour continue des connaissances acquises en formation ou sur le terrain » (Couzinet, 2015, p. 25). Ces médias peuvent d’ailleurs se faire eux-mêmes formateurs, au travers de formations courtes qui leur permettent de renforcer leur territoire, dans la quête d’une scansion toujours plus accrue des temporalités professionnelles.
Nous avons présenté en introduction nos différents corpus et méthodologies d’analyse. Si la présente contribution n’a pas vocation à discuter cet ensemble méthodologique dans le détail, il convient de mieux présenter notre grille d’analyse sémiotique des périodiques. Nos analyses des cinquante-deux numéros d’Influencia, L’ADN et Tank ont reposé sur une grille à entrées multiples (une soixantaine), qui permettait d’approcher différentes dimensions et fonctions de ces textes. Pour des questions de contraintes éditoriales, en voici une reproduction synthétique :
Tableau 1. Reproduction synthétique de la grille d’analyse sémiotique du corpus des revues
Strates & objectifs démonstratifs |
Éléments associés |
Strate informationnelle, en vue d’établir une première cartographie identitaire de l’objet périodique. |
Éléments signalétiques en couverture, composition des ours, nombre et types de publicités, etc. |
Strate méta-discursive. Complémentaire de la première, elle permet de repérer plus avant la manière dont la rédaction se met en scène dans sa prétention médiatique, comment la revue « fait revue ». |
Présentation des équipes éditoriales, éditoriaux, chapeaux, introductions de rubriques, sommaires. |
Strate socio-discursive. Observation de la manière dont se dessine un « monde » au sein de l’espace éditorial. |
Réseaux professionnels ; mouvements des acteurs de la revue ; intellectuel(e)s, femmes et hommes de sciences, personnalités, patron, cité(e)s ou intervewé(e)s ; contributeurs réguliers ; etc. |
Strate réflexive. Centrale dans notre étude, elle permet de relever comment les professions étaient abordées. |
Problématique de la professionnalisation et du professionnisme, représentation des métiers du marketing et de la publicité ; métiers de journalistes vs communicants ; question de la légitimation et de la transversalité disciplinaires ; etc. |
Strate thématique. La plus importante en termes de nombre d’entrées, elle permet d’esquisser plus précisément le terreau idéologique de ces productions, par le relevé de thèmes récurrents. |
Exemples de thèmes relevés : « compétitivité », « performance », « pouvoir », « créativité », « intelligence », « savoirs », « sciences et théories », « éthique et responsabilité », etc. |
Fonctions identifiées du texte périodique professionnel. |
Fonctions « prospective », « définitionnelle » (de la société), « de savoir », « critique », « pédagogique», « prescriptive », « idéologique ». |
Poétique de l’objet |
Dimension artistique et expositoire, veine littéraire, expressivité, empreinte sémiotique globale, etc. |
Devant la masse importante des pages à étudier, la systématicité de cette grille nous a permis d’« embrasser » l’objet. Nous relevions manuellement chaque passage, sur tableur, qui nous semblait pouvoir correspondre à ces entrées. Bien sûr, comme toute grille d’analyse, celle-ci présente ses limites (la strate « informationnelle » n’est jamais qu’informationnelle ; la strate « méta-discursive » est largement transversale ; de même que la fonction « idéologique » ; etc.). La porosité fut néanmoins prise comme un moyen de cerner certains nœuds problématiques. Éprouver la répétition, dans ses nuances, ses routines et ses détours, a permis d’entrer dans la logique de l’objet.
Pour revenir au cœur de notre sujet, si les liens à la recherche furent approchés de manière transversale, la strate « socio-discursive » (où nous relevions les auteurs théoriques et chercheurs cités et interviewés), la strate « thématique » (en particulier les entrées « savoirs », « sciences et théories » et « intelligence ») ainsi que les fonctions « critique » et de « savoir » sont les entrées qui ont permis de les explorer le plus directement. Afin de synthétiser ces résultats, nous allons catégoriser des modalités de relation. Nous aborderons un désir de connaissances, de savoirs et d’altérité ; un rapport de caution ; des emprunts inscrits dans des processus d’instrumentalisation à plusieurs degrés ; et enfin une potentielle conflictualité.
Au fil des pages et au gré des discours d’escorte, l’appel à la recherche remodèle la représentation des savoirs a priori « utiles » et nécessaires à la pratique. Il atteste de lectures qui sont loin d’être limitées à celles du champ. Il révèle l’usage de nombreuses notions. Ce résultat peut s’expliquer par un niveau de diplôme élevé16 qui « naturalise » « les entrelacements entre mondes académiques et professionnels » (Morillon, Bouzon et Lee, 2013, paragr. 3). Par ailleurs, la réception très positive des revues par les lecteurs traduit une demande de savoirs, le fait que les professionnels :
[...] sont attentifs aux recherches susceptibles de leur offrir une perception fine de phénomènes de nature qualitative (représentations, émotions, opinions...), d’introduire de la complexité dans la description des situations, d’y apporter « un regard différent » voire critique, leur permettant de « prendre du recul ». (Morillon, Bouzon et Lee, 2013, paragr. 7)
Dans une interview, un directeur de création déclare : « Je voudrais maîtriser davantage les sciences sociales, qui me semblent incontournables pour explorer et comprendre d’autres univers17. » Son propos, à l’instar d’autres, montre que :
À leur manière, les professionnels appellent à un nouvel équilibre entre compétences et capacités analytiques, jusqu’alors sous-estimées, mais seules susceptibles de capter des éléments de connaissance du corps social, de les analyser et de les utiliser pour agir. Or, ces capacités d’analyse puisent à la source des SHS, dont l’utilisation apparaît comme un enjeu pour les communicants. (Brulois et al., 2014, p. 151)
Face à un monde social et organisationnel vécu comme incertain, la construction éditoriale des numéros place la recherche comme source de repères et de clarification. Dans Tank, les interviews de chercheurs, aux côtés d’autres personnalités, introduisent le numéro (sous forme de « grand entretien »), ou permettent d’explorer plus avant la thématique de chaque numéro dans les « dossiers ». En « grand entretien », est interviewé par exemple Michel Serres, au sujet des médias et de la communication (secondé plus loin de Philippe Breton et de Thierry Libaert pour aborder l’utopie de la transparence)18. En « dossier », le jeu est discuté avec Mathieu Triclot ; le luxe, avec Yves Michaud ; le marketing collaboratif, avec Anne-Marie Dujarier ; la gouvernance des universités, avec Catherine Paradeise19. Deux premières constantes émergent de ces relevés, que nous ne pourrons pas développer plus ici.
Premièrement, dans cette volonté de « décrypter » la société, la philosophie et la sociologie apparaissent comme les disciplines reines au sein des sciences humaines et sociales20. Deuxièmement, il convient de noter que les trois revues n’ont pas le même recours aux chercheurs. Nous avons cité Tank, qui bien que dirigée par des directeurs d’agences de communication, présente la veine la plus académique, du fait du parcours et des affinités intellectuelles des personnes qui l’ont portée. Sa connotation scientifique s’affirme dès le premier éditorial, et se poursuit dans les numéros : recherches étymologiques ; encadrés pédagogiques sur les théories et théoriciens cités ; mise à distance, par les guillemets, de certains mots de la profession ; bibliographies finales ; etc. En entretien, son co-fondateur nous explique qu’il tente de trouver un « langage entre deux », entre le monde de la pratique et le monde de l’université et de la recherche : « Malheureusement, on ne peut pas faire la revue de Régis Debray, on ne peut pas être Médium ; on ne peut pas non plus être la revue Hermès, que je connaissais bien également. Donc on a trouvé un langage entre les deux ». Influencia, titre professionnel installé dans le secteur, vise a contrario une bien plus grande « applicabilité » de ses contenus, comme nous le signifie en entretien sa directrice : « Moi, le plus beau cadeau que l’on puisse me faire, c’est de dire “c’est utile”. C’est de la réflexion, mais c’est quelque chose d’utile ». Sa ligne éditoriale est d’ailleurs bien plus imprégnée par les problématiques du marketing que ses voisines. Quant à L’ADN, elle privilégie sur la période analysée des personnalités « intellectuelles » extérieures au monde académique.
Cette différence de gestion des savoirs et de leurs sources fait indirectement écho à cette question d’Olivier Chantraine : « qui est un “bon auteur” pour une revue professionnelle ? […] Les relations d’autorat “pertinent” structurent la textualité spécifique de l’écriture d’un monde socioprofessionnel donné » (1995, paragr. 34 et 37). Les revues professionnelles révèlent une tension inhérente aux espaces publics professionnels, tiraillés entre une « professionnalité réservée » et une « professionnalité ouverte » (Chantraine, 1995). Le principe de l’interview de chercheurs, et sa mise en valeur, est néanmoins manifeste chez les trois revues, dans le cadre des « Préambules » pour Influencia (où figurent par exemple Stéphane Hugon, Gilles Lipovetsky, Denis Muzet et Étienne Klein)21, ou dans les dossiers (citons Annik Dubied, Michel Serres, Pascal Picq, Gérard Mermet, Gérald Bronner, Serge Tisseron, Yves Citton22…). Ce relevé transversal nous amène à l’identification d’une troisième constante. Ces revues n’étant pas des revues de recherche, sont visés des auteurs bien souvent « connus », identifiés sur une thématique, se prêtant déjà à l’exercice médiatique. C’est pourquoi nous retrouvons parfois les mêmes chercheurs interviewés, ou cités, d’une revue à l’autre.
En résumé, le recours à la recherche renvoie dans ce premier point à un désir pour et dans sa pratique. Il révèle la croyance qu’on lui porte, en voulant la faire évoluer, quitte à passer pour cela par des chemins de traverse plus exigeants, garants d’aucun résultat immédiat. La recherche peut occuper aussi un rôle cathartique, car le chercheur peut porter une voix plus critique sur les thèmes abordés. La critique est bien plus jugulée et lissée dans l’écriture des professionnels. Évoquons également le plaisir de l’emprunt et de sa traduction, qui se manifeste là encore sous la plume de certains auteurs. L’écart est recherché, qu’il soit à valeur pédagogique ou comique. Aragon pour Le Paysan de Paris aurait expérimenté, face aux vitrines, « les prémisses du design retail ». Proust, en homme mondain, aurait été un « homme connecté » avant l’heure, et Aristote devient dans un ultime détournement « philosophe/CMO23 ». Plus sérieusement, le plaisir de la lecture et de la réflexion a été approché en entretien avec l’un des rédacteurs en chef de Tank : « Cette revue, ça reste une respiration pour moi, c’est-à-dire que ça me permet de réfléchir, d’essayer de construire ma propre vision de mon métier, que j’aime, c’est celui que j’ai choisi (silence)… Mais il ne me le permet pas forcément, ce temps de réflexion ». Consultant par ailleurs, le manque à gagner auquel peut conduire un travail éditorial aussi chronophage est compensé, selon lui, par cette « respiration » réflexive. Les recherches et les lectures induisent ainsi « l’arrêt, pour un temps, de l’action en continu que l’on fait sans réfléchir ou presque – toujours la routine – et de mise à distance de cette action pour lui donner du sens et, potentiellement, une autre forme » (Brulois et al., 2014, p. 156). La remarque peut s’appliquer aux trois revues, qui en dehors de leurs stratégies distinctives et (auto)promotionnelles, rendent compte, par le temps et l’énergie consacrés, qu’elles sont muées par un désir de comprendre.
Ces divers résultats montrent toutefois, aussi, un second rapport de la pratique à la recherche, assez contraire au premier : un rapport de caution.
Les objets que nous étudions sont des objets d’image et de représentation, comme en atteste l’étude de leur modèle économique, ainsi que cet extrait d’entretien : « une revue papier ça coûte très cher, on ne gagne pas forcément beaucoup d’argent sur une revue papier [...]. Mais pour l’image de la marque, c’est énorme [...] ». Le recours au chercheur comme caution sert plusieurs objectifs dans ce terrain.
Premièrement, il est un argument éditorial pour toute la catégorie médiatique de la « revue-livre », qui se répond d’une « décélération » (Rosa, 2014) informationnelle. La recherche symbolise le décalage réflexif voulu ; elle constitue aux yeux des professionnels un domaine permettant de penser l’accélération, et par là même, de s’y opposer. Un numéro de Tank, avec pour titre « Ralentir », s’ouvre sur un entretien avec Dominique Wolton, intitulé « Comment faire face à l’hystérie du temps ? ». Répondant à son rôle, le chercheur évoque la place singulière que tiendront toujours la culture et la connaissance face à l’accélération généralisée. La seconde grande interview du dossier n’est autre que celle d’Hartmut Rosa.
Deuxièmement, toujours selon l’argumentaire général des « revues-livres », le ralentissement prôné permettrait de se confronter à la « complexité » de l’époque, terme récurrent. Les revues sont aidées pour ce faire, encore une fois, par ces adjuvants intellectuels de choix que sont les chercheurs. La recherche est cet autre à partir duquel un directeur de revue pourra s’affirmer face à ses concurrents. L’un des directeurs nous répond que, dans son réseau, il a « des sociologues, des historiens, etc. ». Un second affirme : « On a eu toutes sortes de physiciens, psychiatres, sociologues, démographes… ». La presse du secteur se fait le relais de ces discours, faisant de la présence des chercheurs une caractéristique clé de leur ligne éditoriale : « Influencia est renforcée en fonction des sujets traités par des contributeurs experts dans leurs domaines, sociologues, historiens, architectes, écrivains, consultants24 ». Précisons que la voix du chercheur est présente dans les colonnes de plusieurs revues de l’interprofession. Cette spécificité se trouve par contre ici accentuée, particulièrement célébrée. En 2016, Influencia finance ainsi une campagne publicitaire pour sa revue, visant à combattre la « malnutrition intellectuelle » du secteur25. La campagne et son accroche – « MUSCLEZ VOTRE ESPRIT » – vantent à l’inverse la qualité de ses contenus, auxquels la recherche participe.
Cette posture intellectuelle de la « complexité » s’observe dans les discours d’escorte mais aussi dans l’espace paginal et l’écriture. Comme d’autres « revues-livres », les revues du corpus procèdent à une systématisation de citations extraites d’articles, devenues « petites phrases » au fil des pages, signes d’une volonté de montrer un foisonnement des voix et des points de vue. Cette polyphonie citationnelle semble encouragée par le format papier prestigieux de la « revue-livre ». Les petites phrases renvoyant à un auteur théorique, ou traduisant une exigence de pensée, occupent une place de choix : « Connaître par cœur les paroles de Né en 17 à Leidenstadt ne dispense pas de lire Hannah Arendt », « Depuis le siècle des Lumières, ce ne sont pas deux mais trois conceptions philosophiques de la culture qui s’affrontent », « Leibniz et Diderot se plaignaient déjà d’un trop plein d’information », « le modèle panoptique est une manière d’imposer un comportement normal à une multitude 26 ». Selon un directeur, ses contributeurs sont « des gens qui aiment écrire ». Certains font figures d’« intellectuels-communicants » dans l’interprofession. Leur posture repose sur un parcours présenté dans ses « atypies » (Baillargeon et Coutant, 2018), sur des postes à responsabilités et sur une faculté de publication et/ou d’enseignement, dans une logique d’accumulation et de porosité des étiquettes. L’écriture, chargée de références théoriques, est là pour conforter cet ethos. Mais cette « élite » (Rieffel, 1985) n’est pas la seule à user d’une surcharge citationnelle en vue de servir la prétention d’un discours « sachant », d’une écriture en revue qui fait autorité : « passer par l’acquisition de savoirs issus du monde universitaire [...] affirme le haut niveau de qualification et de responsabilité [...] » (Couzinet et Marouki, 2015, p. 103). Nous assistons finalement à une valorisation classique « par adossement sur le monde extérieur (universitaires, experts externes) » (Baillargeon et al., 2013, p. 23). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si parmi les chercheurs, universitaires et intellectuels cités, beaucoup sont « décédés ou “canonisés” », à l’instar de ce que montre l’étude publiée par Éric Neveu et Rémy Rieffel (1991, p. 33). Autant « prélèvement » que « greffe » (Compagnon, 2016, p. 34), la citation du « grand » chercheur, écrivain ou philosophe permet de justifier scientifiquement ses dires. Reste que, de manière plus générale, les références sont très nombreuses, propres à chacun (Bouzon, 2006). Au point qu’il est impossible d’en faire ici un relevé exhaustif, de même qu’une analyse des contextes de citation de chacune. Sont tour à tour cités Roger Caillois, Noam Chomsky, Michel Maffesoli, Richard Dawkins, Antonio Gramsci, Jacques Ellul, Jean-Gabriel Ganascia, Gaston Bachelard, Zygmunt Bauman, etc. Sans oublier les « classiques » de la philosophie (Platon, Descartes, Kant, Rousseau, etc.), de la littérature (Sartre, Genette, Malraux, Proust, etc.), ou les génies monstres comme Albert Einstein. Nous associons cependant ces résultats à un rapport de caution, car mis à part quelques exceptions27, beaucoup d’emplois sont superficiels. Ils sont là pour créer un « halo » de savoir, au même titre que la couche iconographique aux connotations scientifiques déployée au fil des pages (laboratoires, cerveaux, cabinets de curiosités, etc.). En clair, si les discours semblent au final se faire « au moyen d’un appareillage théorique incertain » (Bouzon, 2006, paragr. 53), c’est parce que d’une part, ce type de démonstration ne relève pas de leur métier (ce qui se lit aisément au fil des pages), et que d’autre part, la référence théorique n’a souvent d’autre fonction que d’être là. Dans cette revendication distinctive, la question de l’instrumentalisation des savoirs et de leurs figures se pose nécessairement.
L’instrumentalisation est définie par Yves Jeanneret comme le « processus qui consiste à charger une activité culturelle (transmission de savoirs, médiation des œuvres, réflexion, etc.) d’objectifs à caractère technique, politique, économique » (2014, p. 12). La caution est de fait une forme d’instrumentalisation. Nous avons néanmoins souhaité distinguer deux mouvements dans notre propos : la caution renvoie à des présentations de soi quand l’instrumentalisation réfère plutôt au traitement fait de ces savoirs. La polyphonie célébrée est en forte tension, de par le rôle « intégrateur28 » des revues professionnelles et du travail de construction de la réalité qui l’accompagne29 : « les mots “changent de sens” en passant d’une formation discursive à une autre » (Haroche et al., 1971, p. 103). Il s’agit là des phénomènes d’ajustement, et finalement d’altération, propres à tout mécanisme d’appropriation. Avant de continuer, clarifions une chose : nous n’avons pas cherché, dans le cadre de cette étude, à identifier des modèles théoriques ou d’action en tant que tels (Morillon et Gramaccia, 2013 ; Bouzon, 2006). Le format de ces articles, ainsi que leur visée, y sont pour beaucoup. Contrairement aux manuels et monographies, la parole ici est plurielle, inégale ; et le discours global, haché par divers points de vue souvent contradictoires à l’échelle d’un numéro. La conjonction de nos différents résultats (répétitions, co-occurrence de thèmes, effets de caution et de savoir par le processus citationnel, socle idéologique transversal, etc.) permet toutefois d’approcher une culture théorique commune et ordinaire.
L’instrumentalisation est un processus d’appropriation pouvant s’exprimer à divers degrés. Elle peut être fortement créatrice, comme dans le cas de la sémiotique publicitaire dont nous avons parlé en première partie. Elle est alors « une altération socialement située organisée autour de figures de passeurs qui transforment les sources conceptuelles mais développent également une pensée originale » (Jeanneret, 2014, p. 275). L’instrumentalisation conduit dans ce cas à se confronter à l’autre, à entendre ses mots pour pouvoir éventuellement les faire siens. Son processus passe par des formes d’acculturation que l’on retrouve dans les textes de Georges Péninou, exemples d’un « mixte de théorisation issue de la pratique professionnelle et d’emprunts à des travaux de chercheurs et d’essayistes » (Neveu, 2011, p. 104). Dans un entretien introduisant Intelligence de la publicité, on perçoit une conscience aiguë chez le praticien du pouvoir des mots au sein d’une culture professionnelle. À la question de la difficulté éventuelle d’intégrer un langage sémiotique au sein de la publicité, Péninou répond :
Difficile, non. Seulement inhabituel. Mais puisque vous parlez de lui, croyez bien que je le juge plus important et plus définitif sans doute que la technique elle-même […]. Il y a regard nouveau justement parce qu’il y a lexique nouveau, et qu’avec ce lexique, on rend compte de la publicité, précisément, d’une manière autre : la sémantique n’est pas la psychologie, la poétique n’est pas le marketing, la linguistique n’est pas l’étude de marché. Vous changez précisément de sensibilité, ou de conscience, quand vous introduisez, dans l’analyse de la publicité, des références inédites. (1972, pp. 33-34)
Dans notre corpus, nous n’avons pas observé de proposition de nouveaux modèles, et peu de références étayées à des théories et modèles existants en vue d’éclairer la pratique. Comme nous l’avons dit, le cadre se prête bien plus à une réflexion ponctuelle sur un sujet, en lien avec la thématique du numéro. Beaucoup de références appuient le propos de manière superficielle, en début et fin d’article, ou de paragraphe, dans un but clairement rhétorique : « Si la mesure de soi paraît aujourd’hui être un atout pour l’utilisateur, ne risque-t-elle pas de se transformer en un vaste “surveiller et punir” pour reprendre Michel Foucault ?30 ». Dans l’autre majorité des cas, le but de l’emprunt est de déployer un bricolage théorique en vue de fonder scientifiquement la pratique, la profession, ainsi que les idéologies qui les soutiennent. L’instrumentalisation sert un méta-récit du mythe de la société de communication (Neveu, 2011) et de sous-récits (société technicienne et société de consommation par exemple) qui se nourrissent continûment les uns les autres. Le thème de l’abondance et de la consommation des contenus se nourrit de la question de leur diffusion, autrement dit de celle des technologies de l’information et de la communication. Celles-ci introduisent les idées d’interactivité et de participation, qui contribuent alors, de fait, à la profusion des informations et des savoirs (Abid-Dalençon, 2023). Ces boucles argumentatives ont été étudiées par Erik Neveu : « La thématique de l’abondance conduit à celle de la démocratie culturelle et politique. Si la seconde ouvre un nouvel horizon à la citoyenneté, la première fonctionne comme une conséquence qualitative de l’abondance » (2011, p. 51). Dans le cadre de nos analyses, nous avons relevé les auteurs et théories qui participaient du socle des savoirs et des sous-récits de l’interprofession. Aux côtés de toutes les exceptions qui démontrent le caractère personnel de la lecture, des auteurs font référence par la systématicité de leur présence.
En tête, il y a toujours Herbert Marshall McLuhan et certaines de ses formules. Pour les professionnels, le « village global » est cet idéal de proximité jamais atteint, quand « medium is the message » rappelle qu’il faut questionner la liberté d’expression laissée par des outils de création adoptés par tous31 : « les aphorismes et les formules de Mac Luhan offrent une conjugaison rare de thèmes assez forts pour séduire les moins théoriciens des vulgarisateurs » (Neveu et Rieffel, 1991, pp. 17-18). Le modèle du two-step flow of communication d’Elihu Katz et Paul Lazarsfeld se trouve également discuté, mis en cause par les dispositifs interactifs actuels32, tout en restant largement appliqué dans la pratique, via le succès que connaissent notamment les « influenceurs ». Plus isolées, mais non moins présentes, les références à l’école de Palo Alto (via Paul Watzlawick ou la notion de « double bind »), à l’école de Chicago, ou encore aux formules « agenda setting », « société de l’information » ou « sociologie des usages », témoignent d’une culture théorique en médias, information et communication. Parmi les intellectuels les plus cités pour penser ces domaines, citons Edgar Morin, Michel Serres et Régis Debray. À une échelle plus micro, Dominique Cardon est cité et interviewé à plusieurs reprises, pour éclairer les ressorts techniques et culturels liés aux technologies numériques. Sa présence révèle – avec d’autres – l’injonction extrêmement forte à se former au numérique, à laquelle sont soumis ces métiers depuis plusieurs années. Elle est source de craintes et de nombreux questionnements. Quant à la présence de Gilles Lipovetsky, cité et interviewé plusieurs fois aussi, elle s’explique par la veine marketing des publications : ses concepts d’hyperconsommation, d’hypermodernité et d’individualisme permettent d’approcher les valeurs symboliques de la consommation, dans une perspective largement marquée par un modèle expérientiel de la consommation. Dans une quête très affirmée de captation, l’économie de l’attention conceptualisée par Yves Citton participe des références clés. D’ailleurs, nos analyses de l’empreinte sémiotique de ces revues (via les illustrations et les photographies) – alliées au relevé de thématiques comme celles du corps et du pouvoir – ont montré que les schémas émetteur-récepteur, et même behaviouristes, restaient très présents. Dans une démarche proche des modèles du conditionnement et psychanalytique (Bouzon, 2006), on perçoit une volonté littérale de scruter le rapport des individus à leur environnement, d’entrer dans les têtes et les affects, d’approcher les pulsions profondes de ses « cibles ». Un aller-retour constant s’exprime face à ces schémas, entre volonté de prise et tentative de déprise. Enfin, nous avons cité des sociologues, philosophes, théoriciens des médias et de la communication. Il convient de ne pas oublier deux dernières références importantes, révélatrices des préoccupations économiques de ces revues : le naturaliste Charles Darwin (associé au principe de sélection naturelle), et l’économiste Joseph Schumpeter (associé à la célèbre formule de « destruction créatrice »), sont instrumentalisés à plusieurs reprises pour promouvoir l’innovation et sa compétitivité.
Ainsi la polyphonie est bien soumise à une pensée de l’hybridation au service d’un noyau idéologique. Dans cette relation d’instrumentalisation et d’opérationnalisation des savoirs, des décrochages s’observent entre les voix extérieures (dont celle du chercheur) et celles des rédactions. La voix du chercheur n’est pas celle en effet du décideur ou du rédacteur en chef, ce qui amène parfois une confrontation de valeurs et de visions du monde. À l’échelle d’un numéro, des ruptures éditoriales émergent entre certains textes et d’autres (éditoriaux, chapeaux, publicités). Les « petites phrases » retenues d’une interview ou d’un article témoignent des grilles de lecture inhérentes au cadre professionnel étudié. Dans les interviews, les questions posées aux chercheurs portent en elles des impositions de problématique qui sont celles d’un milieu. Dans Tank par exemple, si beaucoup d’interviews tentent de comprendre la pensée des chercheurs, certaines questions renvoient aux enjeux qui sont ceux d’une profession et de ses problématiques quotidiennes : « On parle là de communication externe, mais les salariés sont aussi demandeurs de transparence en interne. Comment les satisfaire ?33 ». Sans oublier les enjeux auto-promotionnels de ces objets éditoriaux : « Dans les années 60, vous aviez estimé que la communication serait “l’épine dorsale du monde de demain”, comment l’avez-vous anticipé ?34 ». Dans un hors-série sur la conversation (financé par une agence spécialisée sur le sujet), Influencia demande à Cédric Villani : « Conversation + convivialité = production d’idées ? ». Au détour de ces décrochages, on comprend combien ces médias construisent un système éditorial « fondé sur des formes d’enrôlement touchant des acteurs variés aux intérêts différents mais qui ensemble (entre)tiennent les discours de l’innovation sociale entrepreneuriale et des “nouveaux modèles économiques” » (Sevin et Heller, 2020, p. 110). Plusieurs passages d’interviews traduisent même la difficile communication entre ces mondes. Cela a été vécu de manière brutale au sein de la rédaction d’une des revues, qui souhaitait se rapprocher d’un organisme de recherche. Si nous ne pouvons nier le poids des individualités dans tout échec, le récit donné de celui-ci en entretien nous alerte sur le fait que s’est jouée, dans ce conflit, une confrontation entre une culture savante et des « rationalisations professionnelles » (Utard, 2004, paragr. 16). Cette potentielle conflictualité représente le quatrième rapport à la recherche identifié.
Plusieurs chercheurs ont pointé les limites, les difficultés voire les tensions dans les relations entre chercheurs et professionnels de la communication (Morillon et al., 2020). Nous les avons vues se manifester dans le cadre de nos enquêtes. Un directeur fait par exemple beaucoup référence au monde de la recherche en entretien (tantôt positivement, tantôt négativement), que ce soit à travers le récit de son parcours, de ses relations ou de son projet éditorial. Il tente de créer un objet intermédiaire par sa revue, entre la revue de recherche et la revue professionnelle, et ce faisant, de créer des passerelles avec la recherche. L’ambition fut cependant difficile à concrétiser sous forme de collaborations. Le seul partenariat véritablement mis en place fut autour d’un numéro consacré à la science, avec une association dont la mission est de promouvoir justement la coopération entre la recherche et la société civile. Dans l’éditorial du numéro, est décrite alors une communauté scientifique en manque de visibilité, mais qui ne joue pas pour autant le jeu de la médiatisation et de « la confrontation populaire ». Plus loin, nous pouvons lire qu’« il n’existe pas un seul type de connaissance. La science doit se départir d’une certaine forme d’arrogance pour s’instruire du terrain. C’est urgent et tout le monde a à y gagner35 ». Le titre même du numéro, « Sciences / Société. Rencontre du troisième type », perpétue cette stigmatisation où « schématiquement, “la société” serait tout ce qui n’est pas “la science” » (Babou et Le Marec, 2008, p. 117). Ces champs de force, sous forme de stigmatisation, ont été exprimés en entretien : « Un prof de fac, il est content de publier, il a que ça à faire d’ailleurs dirais-je, et il est heureux de discuter avec des gens qui sont “dans le réel”. Donc, pour des raisons économiques, mais aussi intellectuelles, on a très vite tourné les contributeurs vers des gens de l’université, vers des gens dont la raison majeure n’était pas l’argent ». Le professionnel procède par stéréotypie, ce qui sert par ricochet la valorisation de son propre ethos (Amossy, 2010), ainsi que celui de la revue. « Dans le réel », il aurait tenté de construire un pont, à l’instar de « nombreuses expériences mises en place par des communicants », quand les chercheurs ne créent que des séparations.
Les relations à la recherche peuvent donc conduire à des formes de concurrence symbolique. Les méthodes et les concepts sont appropriés, certaines entreprises affirmant qu’elles font des sciences sociales. Du côté des individus, ces derniers cumulent pour beaucoup, nous l’avons dit, diplômes, fonctions à responsabilités, publications, interventions dans les médias et charges de cours (en tant que « maîtres de conférences » ou « professeurs »). Aux côtés des universitaires, plusieurs interviewés sont qualifiés de « chercheurs » ou de « sociologues » mais travaillent (en complément de quelques heures d’enseignement, voire de publications) dans le privé. Ils sont « multipositionnés » (Neveu et Rieffel, 1991, p. 33). La porosité des frontières s’observe aussi dans le cadre des dispositifs de formation privée promus par ces médias, auxquels ils participent. A contrario, nous avons relevé un certain nombre de discours plaçant l’école et l’université du côté d’un « vieux monde » à dépasser, face à une demande de savoirs pourtant toujours plus affirmée. Ces éléments combinés témoignent d’une ambigüité des rapports, voire d’une dérégulation des ordres symboliques. Cela, dans un contexte de reconfiguration des financements de l’université, où celle-ci se trouve fragilisée, et ces relations appelées à être développées (Morillon et al., 2020). Toute la complexité de la relation entre recherche et pratique est de pouvoir nourrir chaque partie, dans le respect – malgré les difficultés – de l’altérité, dans la préservation d’une complémentarité des rôles de chacun.
Conclusion
Une longue tradition de liens existe entre recherche et pratique communicationnelle. Nous l’avons illustré à travers la sémiotique publicitaire, traitée comme cas exemplaire de ces relations ordinaires. Nous avons ensuite resserré notre propos avec le terrain de la presse professionnelle en marketing et communication, et de ses acteurs, ce qui nous a permis d’entrer plus finement dans l’analyse de ces rapports. Cet article a ainsi souhaité démontrer le lien fort et historique entre recherche et publicité, que ce soit à travers les sémiologues publicitaires ou les revues professionnelles, d’hier à aujourd’hui. Le parcours de Georges Péninou nous a permis d’introduire également, dès le départ, une caractéristique propre à notre terrain : celle de travailler, par ces liens, la frontière entre recherche et pratique. Notre étude questionne la presse professionnelle comme un dispositif intellectuel et disciplinaire, outil de (re)définition et de (ré)évaluation constantes des métiers de la communication. Cela, d’autant plus au regard du format analysé, la « revue-livre » professionnelle, appréhendée comme terreau d’une stratégie du « flou professionnel » (Ruellan, 2007). Le format n’a en effet rien d’anodin ; il révèle des brèches en termes de concurrence symbolique relativement fortes. Notre recherche s’inscrit en cela dans une tradition théorique qui interroge la professionnalisation dans ses dynamiques extensives et dispersives, dans ses frontières, bornes, débordements et passages. Dans ce cadre, la relation entretenue par la pratique à la recherche est un thème particulièrement riche. Certes, la recherche est indéniablement une source de connaissances, de savoirs, de formation et d’inspiration. Le haut niveau d’études des praticiens de la communication, dans ce terrain, rend compte d’une culture théorique en communication, mais aussi de lectures variées, exigeantes, non réduites au champ. Il les conduit à tendre vers une professionnalité « ouverte » (Chantraine, 1995). Mais la recherche sert aussi beaucoup, dans le cas étudié, de caution et d’instrument, en participant indirectement de l’entreprise de valorisation, de promotion et de distinction de ces professionnels (que ce soit à destination des voisins, concurrents, pairs ou clients). La relation à la recherche permet de fait d’explorer le « nexus de savoir-pouvoir » (Foucault, 2015, pp. 52-53) qui se joue au sein de ces entreprises éditoriales. Bien plus, et ce point est fondamental, en faisant appel à la recherche en vue de faire montre d’une culture cultivée, pour ne pas dire élitiste, ces revues se transforment, d’un point de vue méta-communicationnel, en la preuve tangible et métonymique de l’activité intellectuelle de tout un monde professionnel, qui souffre d’une image historiquement dépréciée sur cette question. L’instrumentalisation de certains savoirs, en vue de servir un large récit communicationnel, s’inscrit dans cette dynamique. Cela place, assurément, les acteurs des revues dans une position stratégique, en tant que pourvoyeurs et organisateurs de l’intelligence de ce monde socio-professionnel. La prétention intellectuelle de ces acteurs peut même conduire parfois, nous l’avons dit, à des rapports quasi concurrentiels. Elle pose avec acuité la question de l’usage qui est fait de la recherche, de la place qui lui est conférée. Ceci, sur fond de fantasmes – tant positifs que négatifs – qui accompagnent toujours, en un sens, cette relation. En définitive, la manière dont sont traités et instrumentalisés les savoirs, ainsi que les moments de blocage et de rupture associés, constituent un indice précieux des écarts idéologiques entre communautés interprétatives. Le rapport de la pratique à la recherche permet d’interroger une pensée – par définition toujours mobile – de la frontière, que cette dernière soit là pour être dépassée (et pour conquérir) ou bien pour être affirmée. La professionnalisation apparaît en ce sens comme le moteur et le résultat d’une réflexivité représentationnelle constante, en contact avec d’autres, comme ici les chercheurs.
Terminons par les voies d’optimisation et d’ouverture de ce travail. Premièrement, rappelons que les liens de la pratique à la recherche ne constituaient pas le cœur de notre étude sur laquelle repose le présent article. De ce fait, certains résultats resteront exploratoires et mériteraient d’être intégralement repris à l’aune de ce programme. Deuxièmement, nos résultats font écho à ceux d’autres études antérieures, nous en convenons. Ils ne confortent pas moins la vigueur de plusieurs dynamiques à l’œuvre au sujet de la recherche (désir, caution, instrumentalisation, conflictualité). Ils confirment la permanence de son usage pour asseoir un récit communicationnel, à grand renfort de personnalités clés. Ils permettent de révéler combien la recherche a été, et continue d’être, un support de prédilection pour appuyer les dynamiques de professionnalisation de la communication.
Pour finir, nous aurions aimé développer plus le sujet de la conflictualité. Le faible nombre d’acteurs étudiés a cependant pu rendre délicate la restitution de certains résultats. La question de l’échelle de son terrain, pour pouvoir rendre compte de ces rapports, s’est posée. Cette dernière remarque nous permet de terminer sur les relations que la recherche doit anticiper face à la pratique, même a posteriori, dans le cadre de tels terrains. Un sujet qui mériterait plus d’études, a fortiori au regard des reconfigurations actuelles auxquelles est confrontée l’université.
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1 L’article reprendra certains développements de la thèse.
2 Terme utilisé dans la perspective notionnelle de « prétention communicationnelle » (Jeanneret, 2014).
3 Ainsi qu’en moyenne trente-cinq articles par numéro, ce qui représente environ mille huit cent articles analysés (hors sommaires, éditoriaux, chapeaux, publicités, etc. qui ont composé également la matière de nos analyses).
4 Phénomène inscrit dans le paysage médiatique depuis une quinzaine d’années.
5 Les « revues-livres » ou « mooks » (pour la contraction de « magazines » et « books ») sont des revues nées dans les librairies, à la suite du succès de XXI, dès 2008.
6 Ils disposent d’un site internet, de newsletters et de comptes sur les réseaux sociaux en complément de la revue papier.
7 Nous croiserons ces trois réalités (monde de la théorie, monde académique, monde des chercheurs) et les exprimerons souvent par le terme unique de « recherche » (qui condense plusieurs réalités aux yeux des professionnels observés) pour ne pas trop alourdir le propos.
8 Pour des questions d’anonymisation, nous ne les citerons pas nommément, de même que nous n’associerons pas toujours les propos cités aux acteurs, ou à leur revue dans la suite du texte.
9 Institut de recherches et d’études publicitaires. Association professionnelle créée en 1957.
10 Association nationale des professionnels du marketing en France, créée en 1954.
11 Centre d’études de communication de masse, fondé en ١٩٦٠ à l’initiative de Georges Friedmann, au sein de l’École pratique des hautes études.
12 Un mot sur ce terme, que nous distinguons de celui d’« acteur ». La figure a fait l’objet d’un processus de « construction symbolique » (Lamizet, ٢٠١٧, p. ٢٠), d’une cristallisation sémiotique et d’une mise en visibilité, qui la place du côté des personnalités d’une profession.
13 À plusieurs reprises, Georges Péninou compare le succès de la « dissémination » des études de motivation et l’aventure sémiologique qu’il connaît. Les services psychosociologiques des premières années de la publicité auraient produit des outils « sortis de la profession », « nés de ses problèmes » (1972, p. 36), contrairement à la sémiologie, dont le développement reste plus académique et très marginal au niveau de son applicabilité professionnelle : « la finalité même de l’analyse ne la rend pas nécessairement opérationnelle au même degré que les autres démarches pratiquées […] son propos est, avant tout, compréhensif, systématique et classificatoire » (1972, p. 37).
14 Des champs dans lesquels les auteurs ont été amenés à intervenir eux-mêmes entre les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix.
15 Pour un développement plus exhaustif des relations entre sémiotique et publicité, voir l’ouvrage de Boutaud et Verón (2007).
16 Niveau de diplôme qu’attestent par exemple les biographies de contributeurs en début de numéro.
17 Influencia, n° 14, p. 104.
18 Tank, n° 2.
19 Tank, n° 1, 7 et 11.
20 Nous n’aborderons pas ici la place qui est faite aux autres disciplines.
21 Influencia, n° 1, 2, 5, 9.
22 Influencia, n° 2, 4, 21, 11 ; L’ADN, n° 2, 6, 11.
23 Le Chief Marketing Officer est le superviseur du service marketing d’une organisation. Influencia, n° 12, p. 152 ; n° 16, p. 54 et 117.
24 L’ADN, « Influencia renoue avec le papier », 19/04/2015.
25 Influencia.net, « Influencia combat l’embonpoint ». Pour une analyse précise de la campagne, voir Abid-Dalençon, 2022.
26 Tank, n° 15, p. 32 ; Influencia, n° 7, p. 23, n° 21, p. 50 ; L’ADN, n° 4, p. 57.
27 Tank produit par exemple des encadrés pédagogiques sur des auteurs cités, lorsqu’ils sont au cœur d’une démonstration. Mais ces cas sont secondaires.
28 Au sens ricœurien, en lien avec ce qu’il nomme l’« idéologie intégratrice » (Ricœur, 2005, p. 258).
29 Nos analyses ont montré une forte porosité thématique et de traitement d’une revue à l’autre. Ceci, parce que les discours constituent les mythèmes d’un récit communicationnel plus vaste, comme nous le verrons plus loin. Il faut rattacher cela au processus de représentation, qui est par définition une opération sélective (Becker, 2009, p. 20), dimension particulièrement prégnante du fait des fonctions des médias étudiés.
30 L’ADN, n° 1, p. 167.
31 Tank, éditorial du n° 17 ; Influencia, n° 11, p. 102.
32 Influencia, n° 5, p. 86.
33 Tank, n° 2, p. 40. Question à Thierry Libaert.
34 Tank, n° 2, p. 12. Question à Michel Serres.
35 Tank, n° 11, p. 41