Les challenges en IUT information et
communication : un cadre d’exploration
des liens entre ressources et
professionnalisation
Nathalie Boucher-Petrovic
Maître de conférences
en sciences de l’information
et de la communication
Université Sorbonne Paris Nord
malisan@free.fr
Aude Seurrat
Professeure des universités
en sciences de l’information
et de la communication
Université Est Créteil
aseurrat@hotmail.com
94 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
Résumé
À travers l’analyse des challenges en IUT information et communication (plus
spéciquement de ceux organisés par les options Information numérique dans les
organisations, Publicité et Communication des organisations), cet article vise à
examiner, en travaillant notamment à partir d’un corpus de ressources pédagogiques, la
conception de la professionnalisation en communication qui ressort de ces dispositifs.
Issu d’un travail mené dans le cadre de l’ANR RENOIR IUT1, ce texte envisage la
notion de ressource à la fois en termes de mode de production, d’activité pédagogique
et d’objet valorisé et valorisant. Dans le cas des challenges, ces trois dimensions sont
heuristiques : la question des modes de production permet de pointer les enjeux de la
co-écriture entre enseignants et professionnels. La question des formes pédagogiques
associées à ces ressources invite, quant à elle, à investir les prétentions spéciques
de l’étude de cas. Enn, la question des modes de valorisation invite à penser les
challenges, non pas uniquement en termes d’objectifs pédagogiques mais également
comme vitrines institutionnelles pour les IUT qui y participent.
Mots-clés : Communication, ressources, cas, professionnalisation
Abstract
Through the analysis of the challenges in IUT information and communication
(more specically those organized by the options Digital information in organizations,
Advertising and Communication of organizations), this article aims to examine the
links between conceptions of professionalization in communication and educational
resources. Resulting from work carried out within the framework of the ANR
RENOIR IUT, this text considers the notion of resource both in terms of mode of
production, pedagogy and valued and rewarding object. In the case of challenges,
these three dimensions are heuristic: the question of production methods makes it
possible to highlight the issues of co-writing between teachers and professionals.
The question of the pedagogical forms associated with these resources invites us to
investigate the specic claims of case study. Finally, the question of promotion invites
us to think about the challenges, not only in terms of educational objectives but also
as institutional showcases for the IUTs that participate in them.
Keywords: Communication, resources, cases, professionalization
1 Ce travail s’inscrit dans une recherche plus large menée dans le cadre du projet de recherche ANR
RENOIR-IUT. L’ANR RENOIR IUT travaille spéciquement sur l’ore et les usages des ressources
pédagogiques dans les IUT https://renoir.uca.fr/.
Les challenges en IUT information et communication : un cadre d’exploration des liens 95
Introduction
1.1. Objet de la recherche et questionnement
Les Instituts Universitaires de Technologie (IUT) qui existent depuis plus de 50 ans
en France (Benoist, 2016) sont des cadres d’analyse très heuristiques pour questionner
les relations entre formation et professionnalisation et mettre au jour certaines
conceptions de la professionnalisation dans l’Enseignement Supérieur. Ces Instituts,
créés en 1996 visent, au départ, l’insertion professionnelle directe de techniciens
de niveau bac + 2. Or, il s’avère que huit étudiants sur dix en IUT poursuivent des
études suite à l’obtention de leur DUT (Mailles-Viard Metz et al., 2017). La réforme
récente avec la création du Bachelor Universitaire de Technologie (BUT) en trois
ans a notamment pour objectif de revenir à l’esprit initial des IUT consistant à viser
l’insertion professionnelle directe des étudiants2. Nous ne savons pas encore si cette
réforme remplira ou non cet objectif escompté mais il n’en reste pas moins que les IUT
revendiquent depuis leur création des formes pédagogiques spéciques, très ancrées
dans la gestion de projets (Mailles-Viard Metz et al., 2017) et mettent particulièrement
en avant les relations entre milieu universitaire et monde professionnel (Tralongo,
2017) an, entre autres, d’élaborer et de dispenser des savoirs considérés comme
« opérationnels » (Seurrat, 2016). Ces relations se déclinent dans les programmes
nationaux, co-construits avec le milieu économique, les projets tutorés, les stages et la
forte mixité des enseignants/intervenants (enseignants du second degré, du supérieur,
chargés de cours et associés issus du monde professionnel). Les challenges organisés
dans la lière Information et Communication sont, à cet égard, très représentatifs de
ce positionnement et sont toujours en 2022, dans les nouveaux « BUT » des dispositifs
particulièrement valorisés3.
La lière information et communication en IUT est enseignée dans 22 sites répartis
sur toute la France métropolitaine4. Cinq options qui correspondent à des domaines
de professionnalisation assez diérents y sont proposées (sachant qu’un même IUT
ne propose pas les cinq options) : Communication des organisations, Information
numérique dans les organisations, Journalisme, Métiers du livre et du patrimoine
et Publicité. Dans les programmes pédagogiques nationaux de 2013, la pédagogie
par projets est particulièrement mise en avant et il est d’ailleurs explicitement
fait mention de l’organisation des challenges comme incarnant une « pédagogie
2 Élodie Chermann, “En 2021, grande réforme à venir pour les IUT”, Le Monde, publié le
22 novembre 2020.
3 Nous renvoyons pour cela aux sites de présentation des deux challenges de 2022 : https://2022.
infonum-tours.fr/challenge-de-la-veille/ ; https://actu.univ-fcomte.fr/agenda/2022-lancement-de-la-
26e-edition-du-challenge-de-la-pubcom#.YrVxcOzP3IU
4 http://www.iut-infocom.fr/
96 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
novatrice » permettant de mettre les étudiants « dans des conditions réelles de travail
en équipe, comme au sein d’une cellule de veille ou d’une agence de publicité ou de
communication, an de répondre à un appel d’ore lancé par un commanditaire ou
annonceur réel, partenaire du département Information-Communication qui organise
le Challenge5 ».
Les challenges sont des concours nationaux inter-IUT pour lesquels les équipes
d’étudiants sont appelées à produire dans un temps limité (une semaine) et devant
un jury professionnel des recommandations sous la forme d’un dossier écrit et d’une
présentation orale à destination d’un commanditaire professionnel. Il s’agit pour les
étudiants de répondre à une problématique professionnelle « réelle » formulée par
ce commanditaire (l’entreprise partenaire). Chaque IUT volontaire organise d’abord
un concours interne (souvent réalisé dans le cadre d’un projet tutoré) sur le même
principe pour sélectionner ensuite l’équipe qui participera au challenge national. Dans
le cadre de ce type de challenges, une grande variété de ressources pédagogiques sont
mobilisées et produites : du « brief » (le sujet à traiter) aux dossiers des étudiants,
des règlements de chaque concours aux supports de communication, notamment.
Nous souhaitons à travers leur analyse éclairer les conceptions en jeu autour de la
professionnalisation dans ces lières spéciques. Nous envisageons ici ce type de
challenge comme un cas (Petit, 2018) permettant d’explorer de manière intéressante
les liens entre conceptions de la professionnalisation et ressources pédagogiques. Le
cas des challenges cristallise en eet les diérents enjeux à l’œuvre dans les IUT
en termes de pédagogie et de professionnalisation mais également au-delà en termes
institutionnels. Il permet également de questionner les enjeux spéciques relatifs à la
formation aux métiers de la communication.
1.2. Terrains et méthodologies mises en œuvre
Notre analyse porte sur les deux grands challenges existant en IUT information et
communication : le Challenge de la Pub (appelé également Challenge de la Pub/Com)
organisé par les options Publicité et Communication des organisations depuis 1996
et le Challenge de la Veille organisé par l’option Information numérique dans les
organisations depuis 2000, qui sont les challenges les plus anciens et les plus actifs6.
Nous examinerons les cinq dernières éditions (2017-2021) de ces challenges qui
orent encore assez de ressources accessibles en ligne contrairement aux éditions plus
anciennes. Notre démarche par rapport à ces challenges ne consiste pas ici à analyser
en détails les congurations d’acteurs en jeu et leur évolution depuis la création des
challenges, ni la variété des points de vue ou du vécu de chacun. Il s’agit plutôt de
5 https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/le/30/15/0/Infocom_262150.pdf
6 Le Challenge Métiers du Livre n’existe que depuis 2017, il est également moins régulier et il en
existe peu de traces exploitables.
Les challenges en IUT information et communication : un cadre d’exploration des liens 97
s’appuyer sur les ressources elles-mêmes dans une double perspective : qualier la
fonction de ces documents et analyser le discours qui s’en dégage an d’éclairer la
manière dont ces ressources congurent ce dispositif spécique aux IUT.
Ainsi, la méthodologie mobilisée consiste tout d’abord en un recensement des
diérentes éditions des challenges de la Veille et de la Pub/Com et des ressources
et supports de communication encore accessibles de ces derniers (sujets proposés,
règlements, acteurs et équipes impliqués, sites internet spéciques à chaque édition,
réseaux sociaux, forums, dossiers déposés, photographies, vidéos, etc.). L’analyse de
certaines de ces ressources permet ensuite d’examiner le cadrage de ces challenges ;
à la fois leur fonctionnement et leur orchestration, et la manière dont ces ressources
notamment les documents de cadrage congurent l’ensemble du dispositif
des challenges. Cette perspective permet in ne de comprendre que l’authenticité
revendiquée de cette « mise en situation professionnelle » est en fait le fruit d’une
grande pluralité de médiations pédagogiques et institutionnelles. Cette analyse des
ressources est articulée à l’analyse de deux entretiens semi-directifs7 menés auprès
d’enseignants en IUT organisateurs des deux challenges. Si l’analyse des ressources
correspond aux dernières années des challenges, les entretiens, exploratoires, ne
couvrent pas cette période et ne prétendent pas éclairer l’ensemble des positions des
acteurs qui participent à ces dispositifs. Les deux entretiens menés avec un enseignant
organisateur d’une édition de chacun de ces deux challenges permettent par contre,
d’éclairer les conditions de production et de circulation des ressources étudiées.
L’objectif de ce travail de recherche n’est dès lors pas d’analyser les diérences
ou encore l’évolution entre les diérentes éditions de ces challenges mais de voir,
à travers l’analyse des ressources disponibles des cinq dernières éditions, comment
celles-ci témoignent d’une pluralité de relations entre IUT et mondes professionnels.
Nous proposons d’envisager la notion de ressource à la fois en termes de mode de
production, d’activité pédagogique et d’objet valorisé et valorisant. Dans le cas des
challenges, ces trois dimensions sont particulièrement heuristiques : la question des
modes de production permet de pointer les enjeux de la co-écriture entre enseignants
et professionnels. La question des formes pédagogiques associées à ces ressources
invite, quant à elle, à investir les prétentions spéciques de ces projets tutorés. Enn, la
question des modes de valorisation invite à penser les challenges, non pas uniquement
en termes d’objectifs pédagogiques mais également comme vitrines institutionnelles
pour les IUT qui y participent.
7 Ces entretiens restent exploratoires. En eet, au regard du contexte sanitaire de la période à laquelle
nous avons mené nos analyses et de la réforme des IUT qui a beaucoup mobilisé les enseignants, il
ne nous a pas été possible d’en réaliser davantage car les enseignants étaient peu disponibles pour
ce faire. Si l’analyse de documents est centrale dans notre démarche, des entretiens supplémentaires
auraient pu éclairer certains éléments de cette analyse et apporter des compléments d’information.
Cette démarche pourra être menée dans un second temps an de poursuivre et compléter le travail
ici engagé.
98 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
Après avoir analysé comment ces challenges sont organisés et la manière dont ils
congurent certaines relations entre acteurs économiques et enseignants, nous nous
pencherons plus spéciquement sur les modalités de construction, de mobilisation et de
valorisation des ressources pédagogiques au sein de ces challenges. Ces analyses nous
conduiront à questionner la conception de la professionnalisation en communication
qui ressort de l’analyse de ce type de dispositif pédagogique.
2. L’orchestration des challenges : la question des
relations entre acteurs économiques et enseignants
2.1. Le rôle clef du commanditaire
Le Challenge de la Pub/Com a été créé en 1996 par l’IUT de Besançon-Vesoul
et mobilise chaque année des étudiants de deux options du DUT8 Information et
Communication de 13 IUT : Publicité et Communication des organisations et des
professionnels du monde de la publicité et du marketing. Le Challenge de la Veille
« concours national inter-IUT d’intelligence économique » a quant à lui été créé
en 2000 par Laurent Kneper, enseignant à l’IUT de Strasbourg, sur le modèle du
Challenge de la Pub/Com. Il met en compétition les étudiants de l’option Information
numérique des organisations des DUT Information et Communication ; 8 à 10 IUT
participent chaque année à ce challenge. Si les challenges mettent en jeu la relation
entre monde professionnel et monde enseignant ; c’est bien le commanditaire qui joue
un rôle clef dans ce dispositif et qui est mis en avant par les IUT. Dans les deux
types de challenges étudiés, il s’agit généralement d’entreprises renommées et de
grands groupes9 ; et pour les challenges de la Veille, l’entreprise doit nécessairement
s’inscrire dans une dimension internationale.
Les professionnels qui sont impliqués dans ces challenges ont un rôle clef ; d’abord
en tant que commanditaires (qui proposent un sujet de veille ou une campagne
publicitaire selon les challenges, en collaboration avec l’équipe enseignante) et en tant
que sponsors de l’événement (nancement d’une partie de l’événement : transports,
repas, etc.)10. Ils jouent également un rôle dans l’accompagnement (réponses aux
questions des étudiants durant la phase de sélection notamment) et dans l’évaluation
(en tant que membres du jury qu’ils président). D’autres professionnels que les
commanditaires sont également impliqués dans les challenges en tant que membres
8 Nous employons ici le terme « DUT » même si depuis septembre 2021 avec la mise en place de
la réforme, le diplôme a été transformé en « BUT » car notre étude porte sur la mise en œuvre des
challenges avant cette réforme.
9 Les noms des commanditaires sont présentés dans le tableau d’annexe 1.
10 On trouve quelques éléments d’information dans les dossiers de présentation de certains
challenges, ainsi, pour le challenge de la Veille il s’agit d’environ 5000 euros.
Les challenges en IUT information et communication : un cadre d’exploration des liens 99
des jurys, pour les challenges de la veille notamment, chaque édition se fait en
collaboration avec un éditeur de logiciel de veille.
L’analyse des discours de présentation des challenges permet bien de pointer à quel
point l’enjeu pour les IUT est de tisser des liens avec le monde socio-économique
et de mettre en avant les bénéces mutuels de cette relation. Les dossiers de
présentation des challenges de la Veille mettent ainsi en avant les bénéces pour les
commanditaires : « En terme stratégique : le sponsor a l’entière propriété de toutes
les études présentées : livrables et supports de présentation. En termes d’image : le
sponsor est pendant un mois au centre d’un événement réunissant des professionnels
de la veille en entreprise, des enseignants et enseignants chercheurs de toute la
France. Ainsi que la presse régionale et spécialisée. En termes de formation : en
commandant une prestation réelle de veille, il participe activement à la formation des
étudiants dans le domaine de l’Intelligence économique11. ». Ainsi les bénéces mis
en avant pour le commanditaire sont d’ordres multiples : valorisation de son image,
contribution à la formation et également une utilité directe (il en a la propriété) des
travaux des étudiants. La responsable du challenge de la Veille à l’IUT de Tours
arme que les entreprises mettent en application les recommandations des étudiants :
« V33 qui est l’entreprise de peinture du challenge de l’année dernière met en place
des choses qui étaient dans les livrables des étudiants » et que, par exemple, « cette
année, les étudiants ont montré l’aspect trop déshumanisé de la communication de
Microelectronics. Ils ont montré dans leur livrable un problème d’image pour les
jeunes qui ne sont pas attirés par l’image d’une usine ».
Ainsi, les discours argumentatifs sur les challenges évoquent bien l’idée d’un don
et d’un contre-don (Mauss, 1923) : les étudiants (et plus largement la formation)
bénécient de mise en situation professionnelle « réelle » et de l’accompagnement de
professionnels et, en contrepartie, l’implication du commanditaire dans cette activité
pédagogique est censée lui apporter des bénéces multiples et ce, notamment en
termes d’image et d’usage des recommandations produites par les étudiants.
2.2. L’orchestration des challenges
Les deux challenges partagent dans l’ensemble la même organisation à quelques
nuances près. Rappelons que le challenge de la Veille est postérieur au challenge de
la Pub/Com dont il s’inspire. On retrouve en eet dans les grandes lignes la même
orchestration : les mêmes étapes clefs, les mêmes règles, les mêmes attendus, les
mêmes types d’acteurs (enseignants en charge du challenge, groupes d’étudiants,
professionnels) et les mêmes types de ressources12. Chaque challenge nécessite pour
11 Dossier de présentation du challenge de la Veille 2020 : http://challengeveille2020.iutrs.unistra.fr/
wp-content/uploads/2020/01/Challenge-veille-2020-dossier-présentation.pdf
12 Cf. Annexe 1.
100 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
l’IUT qui l’organise un an de préparation et se déroule selon une temporalité précise
et récurrente avec des jalons jusqu’à la nale nationale. Cette temporalité apparaît
comme la clef de voûte de l’orchestration de ces challenges qui comportent une
dimension ritualisée importante.
Le monde universitaire reste un univers dans lequel les rites de passage demeurent
et semblent même revenir en force (les cérémonies de remise de diplômes à l’anglo-
saxonne prolifèrent par exemple). La récurrence de ces challenges, leur dimension
prestigieuse, leur orchestration autour d’étapes marquantes, notamment la nale qui
en marque l’aboutissement est scénarisée, en font des rituels à part entière entendus
comme des « actions dans lesquelles la mise en scène et la représentation du corps
humain occupent le rôle central. Par les rituels, des communautés humaines se créent,
des passages à l’interieur de celles-ci et d’une communauté à l’autre s’organisent »
(Wulf, 2005, p. 9). Comme le note également Denis Jerey, « par la ritualisation, les
individus attestent de leur participation à une entité collective qui les dépasse. Les rites
inscrivent les individus dans une identité collective » (2011, p. 32). Ainsi, les étudiants,
les enseignants et les professionnels impliqués dans les challenges participent-ils tous
à un rituel permettant aux étudiants d’éprouver leurs compétences professionnelles en
jouant le rôle d’un professionnel de la publicité ou de la veille qu’ils sont appelés à
devenir tout en les inscrivant dans cette identité collective en construction. On peut dès
lors considérer les challenges comme des rituels identicatoires dénis par Christoph
Wulf comme des « actions performatives qui produisent ce qu’elles désignent en
engageant le sujet à faire preuve d’un savoir-faire dont il ne dispose pas encore ; en le
désignant comme expert dans la tche qu’il doit accomplir, ils le reconnaissent déjà
comme celui qu’il doit devenir. Dans un tel processus, l’être social nat par le biais de
l’assignation, de la désignation et de la catégorisation. » (2005, p. 16)
Quatre grandes étapes structurent les challenges : 1. la préparation du challenge,
2. la compétition interne à chaque IUT (souvent mise en œuvre dans le cadre d’un
projet tutoré), 3. la préparation de l’équipe sélectionnée au sein de chaque IUT et
enn 4. la compétition nationale et le jury nal inter-IUT. Si les challenges mobilisent
les étudiants, les enseignants et les professionnels, les relations entre ces acteurs
dièrent dans chacune de ces étapes. Ainsi, dans la première – la préparation du
challenge ce sont les équipes pédagogiques et le commanditaire (voire d’autres
professionnels également) qui coopèrent pour élaborer le thème du challenge
et l’organiser. À l’issue de cette étape, sont produits le brief et les documents de
présentation destinés aux étudiants. Lors de la compétition interne à lIUT (2), le
commanditaire n’est pas présent13 et c’est la relation entre enseignants et étudiants
qui oriente cette étape. À ce stade, ce sont les équipes enseignantes qui se placent
en posture d’évaluation. Puis, une fois l’équipe interne sélectionnée, les enseignants
passent à une phase daccompagnement de proximité (3) qui dure une semaine avec
13 Le professionnel peut néanmoins aiguiller les étudiants dans certains projets tutorés au sein d’un
IUT antérieurs au challenge national (voir plus loin).
Les challenges en IUT information et communication : un cadre d’exploration des liens 101
l’équipe choisie. Au sein de l’IUT organisateur, les étudiants qui ne participent pas
au challenge national sont néanmoins impliqués puisque des équipes d’étudiants
sont chargés de l’organisation et de la communication de l’événement. Enn, lors
de la compétition et du jury nal (4), ce sont les professionnels qui sont les seuls
évaluateurs ; les enseignants s’eacent an que la situation puisse prétendre au
statut de « mise en situation professionnelle ». Les mêmes acteurs (et notamment les
enseignants) jouent donc des rôles diérenciés en fonction des étapes du challenge14.
Si les rôles changent d’une étape à l’autre du challenge, ceci est également le cas
des ressources qui n’ont pas les mêmes auteurs, les mêmes congurations ni les
mêmes visées en fonction des étapes et des acteurs concernés. Dès lors, il apparat que
l’analyse précise des ressources pédagogiques produites et valorisées dans le cadre de
ces deux challenges peut être un point d’entrée pertinent pour questionner les relations
entre acteurs économiques et académiques et les prétentions à la professionnalisation
de ces dispositifs pédagogiques.
3. Les modalités de construction, de mobilisation et
de valorisation des ressources pédagogiques au
sein de ces challenges
3.1. Les ressources au cœur des challenges : la question de
la polychrésie
Comme nous l’avons développé dans un précédent article, « la ressource se
caractérise par une certaine matérialité documentaire (numérique ou non), mais pas
uniquement : elle est ressource, car elle est considérée comme telle par les acteurs qui
en font usage » (Benkouar et Seurrat, 2021, p. 28). Dès lors, les modes d’attribution
de la valeur « ressource » semblent être une problématique particulièrement
intéressante à investir. Il est ainsi pertinent de se pencher à la fois sur la manière
dont, au cours de leur production, les ressources sont investies de fonctions diverses
et sur la manière dont, dans leurs utilisations, elles sont dotées de valeurs diérentes.
La ressource n’est donc pas appréhendée comme une donnée gée mais au sein de
processus de transformation et de saisie variés. Ceci nous invite dès lors à appréhender
la dimension polychrésique des ressources. Pour Yves Jeanneret, la polychrésie
caractérise la « polyvalence pratique des textes et des actes de la communication
qui sont fondamentalement capables de soutenir diérentes logiques sociales et
de correspondre à plusieurs usages diérents à la fois » (2014, p. 12). Ce sont les
gestes de « mise en ressource », les processus de valuation qui produisent la valeur
« ressource ». Or, ces gestes peuvent être appréhendés à l’aune des situations de
communication et des situations pédagogiques produites. Les challenges sont des
14 Une synthèse de ces aspects est présentée dans l’annexe 2.
102 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
dispositifs récurrents qui s’inscrivent dans des cadres ritualisés et ce sont notamment
ces cadres qui congurent certaines relations entre professionnels, enseignants et
étudiants qui à la fois prédéterminent les formes d’écriture des ressources et qui
participent à leur attribuer une valeur particulière.
Briefs, règlements, livrables, supports de présentation des étudiants, logiciels
de veille, sites internet des challenges, comptes sur les réseaux sociaux, questions
réponses des équipes au commanditaire publiées sur le site des challenges, interviews
des participants ou des enseignants, posts, photos et vidéos des nales (« teaser »
« live » etc.) ; les challenges mobilisent un nombre important de ressources variées
dont il n’est pas aisé de faire une typologie. Si l’on trouve de nombreuses ressources
en ligne, certaines restent non médiatisées en tant que telles comme les livrables des
étudiants. Nous pouvons néanmoins classer cette grande variété de ressources en
fonction de leurs implications de communication15 (en l’occurrence selon la place
qu’elles tiennent dans l’orchestration du dispositif challenge et des types de relations
entre acteurs qu’elles congurent). Outre leur matérialité, notre approche consiste
ainsi à saisir le cadre d’usage de ces ressources (produites ou co-produites, prescrites,
accompagnées ou non, etc.), les acteurs qui exploitent ou produisent les ressources
(les étudiants, les professionnels, les équipes pédagogiques) et leurs fonctions
(pédagogique, organisationnelle, valorisation, professionnelle ou mixte) en prenant
en compte le fait qu’une même ressource peut avoir plusieurs fonctions. En outre,
étant donné que le challenge est un projet, le critère de la temporalité nous a semblé
pertinent pour tenter de classier les ressources. On peut ainsi classer les ressources
en suivant les quatre grandes étapes qui rythment chaque challenge national : 1. la
prescription, 2. laccompagnement pédagogique, 3. la production des étudiants et 4.
la valorisation. Ces diérents éléments permettent in ne de dessiner les modalités de
construction et de valorisation de ces ressources.
Le « brief » est la ressource centrale dans les challenges et leur point de départ,
si l’on examine les ressources au prisme de leur temporalité dans l’orchestration
générale des challenges. Cette ressource matérialise la demande du commanditaire
et la prescription faite aux étudiants et constitue leur support de travail principal. Or,
cette ressource est le fruit d’une collaboration en amont entre monde professionnel et
monde universitaire ; elle est donc hybride ; co-écrite par le commanditaire et l’équipe
enseignante, elle n’est pas équivalente à un brief que l’on pourrait trouver dans le
monde professionnel. Cet objet de médiation entre les professionnels et l’équipe
enseignante est pourtant présenté comme étant uniquement énoncé par l’entreprise an
15 « Je préfère le terme d’implication pour désigner l’ensemble des autoreprésentations du processus
de communication que propose tout texte. Le terme « contrat de communication », que j’ai employé
dans mes premières analyses des textes triviaux, a reçu depuis une dénition strictement juridiste,
que les polémiques qu’il a suscitées a renforcée (Jost, 1997). Je ne pense pas qu’il faille présupposer
pour toute communication la préexistence de règles partagées, mais plutôt que chaque acte de
communication propose un type d’implication, qui peut être inconsciemment adopté par le récepteur,
dénoncé, détourné, réinterprété. » (Jeanneret, 2000, p. 218)
Les challenges en IUT information et communication : un cadre d’exploration des liens 103
de donner à la commande les allures d’un « vrai brief » issu du monde professionnel.
La responsable du challenge de la Veille à l’IUT de Tours précise ainsi « […]
l’entreprise produit un brief mais avec la collaboration des équipes universitaires.
Le commanditaire doit dénir un sujet [...] On se rencontre, puis le commanditaire
propose un brouillon de sujet que l’on retravaille avec l’équipe pédagogique pour que
pédagogiquement cela ait un sens. » Ainsi, les attendus pédagogiques sont incorporés
à la demande du commanditaire et le brief est donc le fruit d’un compromis entre
demande professionnelle et exigence pédagogique. De plus, les briefs des éditions
précédentes, tout comme les livrables, circulent les années suivantes auprès des
étudiants et constituent une ressource pédagogique à part entière.
De la même manière, une même ressource, tel que le livrable produit par une
équipe d’étudiants une année (dossier de synthèse comportant des préconisations
de veille par exemple), peut avoir plusieurs fonctions selon la temporalité et le
« geste expositionnel ». Destiné en premier lieu au commanditaire (dont il devient
la propriété), il est naturellement d’abord le fruit du travail des étudiants l’année
concernée et l’objet à évaluer pour le jury du challenge, médiatisé lors du challenge.
Il devient les années suivantes une ressource prescrite par les enseignants utilisée
de manière rétroactive par d’autres étudiants comme modèle. Comme le souligne
la responsable du challenge de la Veille à l’IUT de Tours : « outre les ressources
produites pour le challenge en discussion avec le commanditaire, pour préparer les
étudiants, on leur fait circuler les livrables des autres équipes des autres années ».
Dans le choix des ressources prescrites par les enseignants pour accompagner et
préparer les étudiants en amont des challenges et durant la préparation des dossiers,
outre les productions des années précédentes, une place très importante est accordée
à la presse professionnelle ; ce qui témoigne d’une certaine conception de la
professionnalisation portée par les challenges que nous analyserons plus bas. Certains
enseignants prescrivent ainsi des « sources premières » du domaine (de la veille par
exemple), des références à des revues professionnelles, des logiciels de veille, des
visites et rencontres dans les salons professionnels (salon de la documentation par
exemple). Ces ressources sont selon les cas simplement indiquées et proposées aux
étudiants, et parfois analysées avec eux.
Le cas des logiciels de veille qui sont considérés comme une ressource pédagogique
à part entière dans le cadre des challenges de la Veille est particulièrement intéressant
à étudier. En eet, les éditeurs sont invités à présenter leur produit en amont du
challenge dans le cadre des cours sur la veille et à participer au jury des challenges.
Comme l’explique l’une des organisatrices du challenge de la Veille 2020 « Pour
chaque challenge, il y a trois types d’acteurs : les universitaires, l’entreprise
commanditaire et les éditeurs de logiciels de veille. [...] Les éditeurs de veille, ils sont
toujours intéressés à ce que les étudiants utilisent leurs logiciels. Chaque année, je les
fais venir à l’IUT [...] Les étudiants avaient besoin d’outils pointus mais c’est souvent
trop cher. Le logiciel est une ressource à part entière. » Le logiciel de veille est l’outil
avec lequel les étudiants vont mener leur travail de veille, son choix relève également
104 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
d’une dimension stratégique forte qui montre une autre forme de relation entre monde
universitaire et économique : prendre place dans la formation des étudiants est pour
les éditeurs de logiciels un enjeu stratégique pour qu’ils continuent à les utiliser
lorsqu’ils seront dans la vie professionnelle.
L’analyse des ressources produites et/ou mobilisées dans les challenges montre
bien « la vie triviale » (Jeanneret, 2008) des ressources qui se caractérise par leur
polychrésie : un même objet comme les livrables des étudiants est ainsi d’abord
une production évaluée, un don au commanditaire considéré comme ayant une
utilité directe puis une ressource donnée en exemple pour les étudiants des années
suivantes. Si les ressources sont des supports qui permettent le cadrage, la mise en
œuvre, l’accompagnement pédagogique des challenges, ce sont aussi (et ceci explique
qu’elles soient en grande partie mises en ligne et accessibles au grand public) des
moyens de valoriser les challenges et plus largement les IUT qui y participent.
3.2. Le challenge comme dispositif valorisé et valorisant
Les ressources que nous avons collectées pour mener ce travail de recherche ont
toutes pour caractéristiques d’être accessibles (en totalité ou en partie) en ligne au
grand public16. On peut dès lors se demander pourquoi elles sont accessibles en dehors
des communautés universitaires et professionnelles qui participent aux challenges.
Les challenges en tant que concours entre équipes d’étudiants et, de fait, entre
les IUT qui y participent, sont des occasions de faire se rencontrer et de fédérer les
étudiants et enseignants d’une même lière au niveau national et des professionnels.
Comme l’indique le document de présentation du challenge de la Veille 2020 : « le
challenge est à la fois une compétition et un événement fédérateur entre étudiants,
enseignants et professionnels ». En tant que dispositifs, les challenges sont « un
ensemble résolument hétérogène » (Foucault, 1977, p. 64) inscrits dans une visée
stratégique ; ils portent un enjeu stratégique de valorisation des IUT qui y participent.
Il s’agit de congurations qui se manifestent dans des formes matérielles diverses
(en l’occurrence les ressources que nous examinons) et des pratiques sociales (en
l’occurrence l’orchestration des challenges et l’accompagnement pédagogique mis en
place) et qui visent des enjeux de valorisation.
Dispositifs valorisants au sein de la communauté des IUT y prenant part, les
challenges sont également des dispositifs valorisés à l’extérieur en ce qu’ils permettent
une mise en visibilité plus large des IUT. D’une manière générale, il est intéressant
de constater que les ressources liées à ces challenges sont d’une part relativement
accessibles en ligne et d’autre part qu’elles sont pour chaque édition assez nombreuses
16 Il faut néanmoins distinguer ici le brief du livrable ; si le brief est facilement accessible, le livrable
en tant que tel puisqu’il devient la propriété du commanditaire n’est pas diusé sur les sites
et réseaux sociaux des challenges ; on en trouve cependant des éléments épars dans les vidéos de
présentations des équipes et des challenges et dans les extraits d’infographies.