De l’apprentissage comme processus et
format d’une professionnalisation prescrite
Patrice de La Broise
Professeur en Sciences de l’Information
et de la Communication
Laboratoire GERiiCO
Université de Lille
patrice.de-la-broise@univ-lille.fr
Erika Léonard
Doctorante et ATER en Sciences de l’Éducation
Laboratoire CIREL
Université de Lille
erika.leonard@univ-lille.fr
De l’apprentissage comme processus et format d’une professionnalisation prescrite 37
Résumé
Cette proposition vise ici à questionner les enjeux, modalités et ressources d’une
professionnalisation par alternance. Ce faisant, elle interrogera : (1) l’apprentissage
dans le rapport métonymique entre le processus et le format pédagogique ; (2) la
partition ou le transfert de responsabilité entre l’instance académique de formation et
la sphère professionnelle ; (3) les ressources mobilisables à des ns d’équipement et
d’accompagnement ; (4) la compétence disputée entre projet pédagogique et projet
professionnel.
Mots-clés : professionnalisation, ressources, apprentissage, alternance,
communication.
Abstract
This proposal aims here to question the issues, methods and resources of vocational
training through work-study programs. In doing so, it will question: (1) learning in
the metonymic relationship between the process and the pedagogical format; (2) the
division or transfer of responsibility between the academic training body and the
professional sphere; (3) competence negotiated between educational project and
professional project; (4) the place of academic research in higher education.
Keywords: professionalization, resources, apprenticeship, work-study,
communication.
38 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
Sur les encouragements répétés du législateur et des établissements de l’Enseigne-
ment Supérieur, l’alternance se déploie massivement à l’université ; au point que
l’année 2021 a enregistré une hausse historique de plus de 40 %, portant à 495.000 le
nombre d’apprentis1. Dopée par les aides, cette montée en puissance de l’apprentissage
doit beaucoup à la loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018 et au plan « un
jeune, une solution » lancé à l’été 2020. On peut, certes, discuter le caractère articiel
d’un tel engouement. Mais il est indéniable que l’apprentissage « s’installe » à
l’université et qu’il y a là une trans-formation majeure à laquelle nous prenons part
depuis une vingtaine d’années.
Or cette « alternance prescrite » n’est pas neutre : elle s’écrit non seulement dans
les maquettes et les agendas, mais inscrit surtout la professionnalisation dans un
processus de « recrutement » et de « mise au travail » précoce où le statut de salarié le
dispute à celui d’étudiant. De fait, une formation académique est mise à l’épreuve de
terrains et missions multiples dont la formation initiale et, plus largement, l’éducation
formelle ne sont pas coutumières.
Comme un écho à une précédente contribution à la revue Communication &
Professionnalisation (de La Broise et al., 2020) 2, notre proposition vise à questionner
les enjeux, modalités et ressources d’une professionnalisation par alternance. Ce
faisant, elle interroge : (1) l’apprentissage dans le rapport métonymique entre le
processus et le format pédagogique, (2) la partition ou le transfert de responsabilité
entre l’instance académique de formation et la sphère professionnelle, (3) les
ressources techniques et humaines d’un apprentissage, (4) la compétence disputée
entre projet pédagogique et projet professionnel.
L’alternance, déjà à l’œuvre dans la généralisation de stages « lés » ou
hebdomadaires, comme aussi sous contrat de professionnalisation3, n’apparaît plus
seulement compatible avec la formation universitaire ; elle est désormais prescriptrice
d’une ingénierie de formation, sinon d’une ingénierie pédagogique. Comprenons
que la professionnalisation n’est plus l’apanage de disciplines « à métiers » (hors
enseignement et/ou recherche) ; elle fait aujourd’hui argument dans les projets et
1 22 % des contrats d’apprentissage concernent la préparation d’un diplôme ou un titre de niveau
ba+2 (101.000 contrats) ; 17,5 %, un diplôme ou un titre de niveau bac+3/4 (82.000 contrats) ;
18 %, un diplôme ou un titre de niveau bac+5 et plus (84.000 contrats). Soit une majorité absolue de
contrats préparant un diplôme du supérieur (Source : DARES). Entre 2015 et 2019, selon le ministère
de l’Enseignement supérieur, le nombre d’apprentis en Master a d’ailleurs augmenté de 615, passant
de 3.000 à 21.500 apprentis.
2 Sur la base d’une étude conduite en collaboration avec le CFA Formasup en région Hauts-de-
France, il s’agissait d’apprécier les formes et la valeur ajoutée de la recherche dans les dispositifs de
formation à la communication par voie d’apprentissage. Nous ne reviendrons pas ici sur le protocole
d’enquête déjà exposé dans l’article paru en 2020.
3 En France, les « contrats de professionnalisation » coexistent encore avec les « contrats
d’apprentissage ». Les premiers relèvent de la formation « continue », tandis que les seconds relèvent
de la formation « initiale ».
De l’apprentissage comme processus et format d’une professionnalisation prescrite 39
bilans des formations du supérieur. Performative, l’écriture des référentiels montre
combien la compétence a pris le pas sur la connaissance et comment la « mise en
blocs » d’un projet pédagogique s’inspire autant du référentiel « métier » que du
référentiel de « formation ».
Ici réside le premier axe de notre analyse instruite par l’expérience de l’alternance
à l’université et par une enquête conduite, voici deux ans, en région Hauts-de-
France4. À la faveur de supports multiples – entretiens menés avec les responsables
de parcours, questionnaire à destination des apprentis en n de cursus et documents
pédagogiques divers, tant prescriptifs qu’évaluatifs, il ressort notamment un hiatus
entre le processus cognitif d’apprentissage et l’hétéronomie des dispositions légales
et réglementaires de son déploiement. Le modèle d’une alternance dispositive
(Patroucheva et Triby, 2013) aux prises, paradoxalement, avec un dispositif qui la
normalise et, ce faisant, la contrôle. C’est là ce dont nous voulons rendre compte,
notamment, dans la généralisation de l’alternance, l’écriture de la compétence et les
écueils observables d’une « mise au travail » académique.
Le transfert de responsabilité ou, tout du moins, la partition entre l’organisation
(productive) et l’institution (éducative) constituera notre deuxième point de
développement. La relation, assurément complémentaire, n’en est pas moins
asymétrique entre l’instance de formation et la structure d’accueil, comme aussi entre
le tuteur pédagogique et le maître d’apprentissage. Or c’est bien davantage dans la
coproduction que dans le transfert ou le partage de la charge que devrait être posée la
question de l’alternance, qui plus est dans l’enseignement supérieur. Il nous importe
moins ici de discuter ce que la formation fait à la pratique (et réciproquement)5 que
ce que les cadres de l’expérience, professionnel et académique, peuvent apporter
conjointement à la professionnalisation des apprentis.
La compétence, dans l’impératif réputé probatoire d’une mise en situation, constitue
le mot d’ordre d’une professionnalisation où le verbe (d’action) se dée du substantif
et où le savoir se mue en savoir-faire. À la manière des verbes irréguliers, le Bureau
d’Aide à l’Insertion Professionnelle (BAIP) de l’université de Lille propose ainsi un
référencement non exhaustif de compétences propres à inspirer les étudiants et, le cas
échéant, les ingénieurs de formation dans l’écriture de leurs propres référentiels.
4 Recherche conduite par le Groupe d’Études et de Recherche Interdisciplinaire en Information et
Communication (GERiiCO, Université de Lille) en partenariat avec le CFA Formasup Nord Pas-de-
Calais, avec l’aimable contribution de chercheur·es des laboratoires CIREL (Université de Lille),
GRIPIC (Sorbonne Université) et LabSic (Université Paris 13).
5 « Inuences croisées entre pratiques et recherches en communication des organisations »,
Laurent Morillon, Marie-Ève Carignan et Sylvie Parrini-Alemanno (éd.), Communication &
Professionnalisation, 10, 2020.
40 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
Tableau 1 : Tableau des verbes d’action (source : BAIP Université de Lille)
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Gérer Enquêter Écouter Diagnostiquer Évaluer Construire Déterminer
Inventorie
r
Étudier Exprimer Éclairer Examiner Découvrir Éliminer
Ranger Examiner Informer Écouter Expérimenter Élaborer Fixer
Recenser Expérimenter Interviewer Guide
Inciter
Mesurer Imaginer Juger
Régir Observer Négocier Orienter Prouver Innover Opter
Répertorier Prospecter Partager Préconiser Superviser Inventer Régler
Rechercher Rédiger Proposer Tester
Valider
Renouveler Résoudre
Sonder Renseigner Recommander Vérier Transformer Trancher
Transmettre
Trouver
DÉVELOPPER
DIRIGER
FORMER
GÉRER
NÉGOCIER ORGANISER
PRODUIRE
Accroître Animer Animer Acquérir Acheter Aménager Appliquer
Améliorer Commander Apprendre Amortir Arbitrer Anticiper Eectuer
Augmenter Conduire Conduir
e
Budgéter Argumenter Arranger Exécuter
Commercia-
liser
Coner Développer Assainir Conclure Coordonner Faire
Élargir Dénir Éduquer Comptabiliser Consulter Distribuer Réaliser
Étendre Déléguer Entraîner Consolider Convaincre Établir
Déclencher Gouverner Éveiller Économiser Démontrer Planier
Implanter Guider Instruire Enrichir Discuter Prévoir (+ autres
Lancer Impulser Sensibiliser Exploiter Inuencer Programmer activités à
Progresser Inspirer Transformer Gagner Persuader Répartir caractère
Promouvoir Instituer Investir Placer Structurer répétitif à base
Manager Optimiser Proposer d’une techni-
cité)
Piloter
Présider
Rentabiliser
Sélectionner
De l’apprentissage comme processus et format d’une professionnalisation prescrite 41
De là une quête d’opérationnalité, de pratique, dont les apprentis sont eux-mêmes
demandeurs en ce que leurs « missions » leur assigne, même en qualité d’apprenant,
un rôle de praticien. C’est pourquoi la « recherche » académique et la critique qui
lui est consubstantielle sont souvent mal vécues par des étudiants praticiens appelés
à observer et comprendre avant de pouvoir agir, là où leurs maîtres d’apprentissage
leur demandent, en premier lieu et rapidement, de produire et, ce faisant, d’agir,
avant même d’avoir une vue d’ensemble de l’environnement. Ce « malentendu bien
compris » de l’intervention, entre un problème à résoudre et la problématisation d’un
questionnement, trace une ligne de crête dans l’accès au terrain : l’action située et
la réexivité du praticien ne garantissent pas la teneur épistémologique, la rigueur
méthodologique et la portée heuristique d’une professionnalisation à l’université.
1. De l’analogie entre processus et format
pédagogique
Forts d’une expérience déjà longue en ingénierie de l’alternance éprouvée dans le
portage d’une formation en communication des organisations par voie d’apprentissage,
nous nous risquons ici à un travail réexif critique sur la prétention performative
d’une professionnalisation bousculant les normes académiques de la formation
initiale. Là où, naguère, l’université revendiquait plus volontiers ses fonctions de
transmission de savoirs et de production de la recherche, l’insertion professionnelle
s’impose aujourd’hui comme principal indicateur de pertinence et, ce faisant, de
qualité des formations. La loi du 10 août 2007, relative aux libertés et responsabilités
des universités (LRU), inscrit l’orientation et l’insertion professionnelle parmi
les missions de service public de l’enseignement supérieur (art. L 123-3 du Code
de l’Éducation)6. Et même l’acronyme de la Direction Générale de l’Enseignement
Supérieur (DGES) se trouve augmenté de deux nouvelles initiales : « I.P. » pour
« Insertion Professionnelle ». Cet ajout n’est pas anodin. Il dit aussi l’obligation pour
les établissements de produire des indicateurs d’insertion dont l’incidence sur leur
dotation budgétaire s’avère déterminante.
De fait, la loi ouvre sur des dispositifs ostensibles d’accompagnement des diplômés
dans l’accès à l’emploi. Le rapport Uhaldeborde et Chaudron (juin 2008), titré
« Contribution à la mise en œuvre de bureaux d’aide à l’insertion professionnelle dans
6 Article L123-3 (modié par Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 - art. 1 JORF 11 août 2007)
Les missions du service public de l’enseignement supérieur sont :
1° La formation initiale et continue ;
2° La recherche scientique et technologique, la diusion et la valorisation de ses résultats ;
L’orientation et l’insertion professionnelle ;
4° La diusion de la culture et l’information scientique et technique ;
5° La participation à la construction de l’Espace européen de l’enseignement supérieur et de la
recherche ;
6° La coopération internationale.
42 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
les universités », précisait déjà que « le dispositif d’aide à l’insertion professionnelle
[devait] assurer deux types de missions qui constituent le dénominateur commun
minimal d’engagement pour toute université : d’une part, une mission de diusion
des ores de stages et d’emplois et d’assistance à leur recherche, d’autre part, une
mission de conseil et d’accompagnement à l’insertion professionnelle ». Ce faisant,
des schémas directeurs et autres dispositifs d’Aide à l’Insertion Professionnelle ont
été conçus et déployés dans tous les établissements.
Nous avons nous-mêmes recours à cette « Aide à l’Insertion Professionnelle » en
l’inscrivant dans la maquette de formation d’apprentis inscrits en Master Information
Communication par voie d’apprentissage7. Conçus sous la forme d’ateliers d’analyse
de l’activité, le retour d’expérience s’inscrit ici dans la progression d’un parcours
où, successivement, l’apprenti s’emploie à réaliser son bilan personnel, à rédiger
son projet professionnel, à « cibler son marché [de l’emploi] », à « confronter cette
analyse avec ses compétences et ses valeurs » puis à élaborer son portfolio jusqu’à se
préparer aux entretiens de recrutement.
Tableau 2 : Organisation du module « analyse de l’activité » Master 1 – Master 2 (source :
BAIP Université de Lille)
Les ressources sont ici multiples : portefeuille d’expériences et compétences
(PEC), tests psychométriques (Perf ECHO), analyse d’activité, méthodes et outils de
recrutement, développement des réseaux professionnels, étude de « marché » et suivi
7 Nous adressons nos sincères remerciements à Carine Dubois, responsable du BAIP sur le Campus
Pont-de-Bois de l’Université de Lille, laquelle déploie et coordonne des modules d’Aide à l’Insertion
Professionnelle dans de multiples cursus lillois et, notamment, dans le Master Communication des
Organisations par voie d’apprentissage. La critique d’une professionnalisation aux prises avec
le paradigme de la compétence et les techniques qui lui sont associées ne pouvait opérer sans le
matériau ici (re)constitué partiellement en corpus d’analyse.
De l’apprentissage comme processus et format d’une professionnalisation prescrite 43
des ores d’emplois, simulations d’entretiens (Visiotalent)… Les apprentis trouvent
dans ces techniques un cadre d’expression subjective de leur parcours de formation,
de formalisation de leur projet professionnel et de préparation à leur insertion. Un tel
dispositif procède, certes, d’un accompagnement distinct, jusque dans son évaluation,
de l’acquisition de savoirs académiques et des modalités de leur contrôle (MCC), mais
il indique aussi une nouvelle « direction d’ajustement » entre les mots et le monde
(Anscombe, 2002 [1957] ; Searle, 1982) par laquelle des ressources empruntant
volontiers à la GRH et aux techniques de recrutement ré/dé/trans–forment et, ce faisant,
performent la professionnalisation à l’université. Et l’on n’évitera pas, ici, la trivialité
(Jeanneret, 2014) d’une « préparation » où les « compétences », les « motivations » et
les « valeurs » s’énoncent à partir de consignes et de grilles constitutives de véritables
« mallettes pédagogiques » : la pyramide de Maslow croise une axiologie ordinaire, la
méthode « S.T.A.R. » de l’entretien par recrutement prolonge la « roue de Deming »
d’une introspection et le marketing appliqué à la présentation de soi encourage à
« se mieux vendre ». Au demeurant, ces outils d’analyse n’aectent pas seulement
des parcours de formation réputés « professionnels » ou « professionnalisés »,
mais s’appliquent aujourd’hui à un ensemble vaste, protéiforme et concurrentiel :
l’Enseignement Supérieur.
Comprenons que la rhétorique de la professionnalisation (de La Broise, 2008) tend
à neutraliser les anciennes dialectiques (ex. : théorie versus pratique, savoir versus
savoir-faire) en leur substituant d’autres vocables ou paradigmes (et notamment celui
des compétences). Une neutralisation parfaitement repérable dans une « grammaire »
de la professionnalisation mise en mots et en actes : et l’on pourrait multiplier à l’envi
les catégories sémantiques dont les diérences sont articiellement gommées. Mais
c’est ici l’apprentissage dont nous discutons la dialectique, entendu que l’alternance,
comme condition réputée nécessaire d’immersion dans la sphère professionnelle,
se double d’une contractualisation par laquelle l’étudiant se fait « professionnel en
formation ». L’apprenant – pour reprendre le lexique des sciences de l’éducation –
devient ainsi l’acteur d’une « hybridation », sinon d’une « inversion », par laquelle
la mise à l’épreuve du terrain précède l’acquisition de savoirs ou, du moins, lui est
concomitante.
2. Partition et transfert de responsabilité
La loi « Avenir professionnel » (5/09/2018) marque un tournant dans l’histoire de
l’apprentissage. Elle signe l’émergence de nouveaux acteurs en vue d’harmoniser
les pratiques et les coûts. L’apprentissage, comme dispositif de formation, articule
traditionnellement trois acteurs principaux que sont le centre de formation (CFA),
l’apprenti et l’organisation d’accueil ; son fonctionnement est en réalité plus
complexe. Gouvernance et nancement manquaient jusqu’alors singulièrement de
transparence et favorisaient des inégalités majeures à l’échelle nationale. De multiples
acteurs intervenaient en eet à l’instar des Régions (depuis la loi du 7/01/1983). En
44 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
charge de la gestion de l’apprentissage sur leurs territoires, les instances régionales
autorisaient et nançaient les CFA via la taxe d’apprentissage collectée alors par les
OPCA (Organismes paritaires collecteurs agréés). Les chambres consulaires (CMA-
Chambres des métiers et de l’artisanat et CCI – Chambres de Commerce et d’Industrie)
étaient parties prenantes du processus de contractualisation.
2.1. Une nouvelle cartographie des acteurs de l’alternance
Arguant d’une simplication du système, et d’une plus grande équité, la loi « Avenir
professionnel » a délesté les Régions de ses prérogatives en matière d’apprentissage,
au prot d’un établissement public : France compétences. Véritable pivot de la
gouvernance nationale en matière d’apprentissage, et plus largement de la formation
professionnelle, cette institution centralise les fonds collectés qu’elle redistribue
pour partie aux OPCO (Opérateurs de compétences). On estime que 55 à 83 % du
solde dont dispose France compétences, après dotation destinée à la formation des
demandeurs d’emploi, sont dirigés vers l’alternance (Delabarre, 2021). Depuis le
1er janvier 2022, ces dotations à destination des OF (organismes de formation) sont
soumises à l’obtention, par ces derniers, d’une certication dite « Qualiopi8 » (Teboul
et Ledogar, 2020). Les branches professionnelles deviennent, en outre, les acteurs
majeurs du nouveau système de gouvernance : elles se voient coner le pilotage des
formations ; aux côtés des OPCO9, elles xent le « coût-contrat » des formations
et dénissent les besoins de leurs secteurs. Elles contribuent, enn, à construire
avec leurs partenaires les certications professionnelles et les cahiers des charges y
aérant. Cette redistribution des rôles n’est pas sans conséquences sur les formations
en communication.
2.2. Quelques dispositions et incidences d’une loi
En premier lieu, cette nouvelle conguration impose de rattacher les formations
à une branche professionnelle, elle-même aliée à un OPCO. Or ces formations,
souvent de nature transversale, peinent à s’appuyer sur une branche spécique : les
apprentis d’un master en sciences de l’information et de la communication peuvent
intégrer des organisations relevant de branches multiples. Le master information et
communication, mention « conseil en communication », de Besançon propose ainsi de
8 Initialement prévue au 1er janvier 2021, elle a été repoussée d’un an en vertu de l’Ordonnance
n° 2020-387 du 1er avril 2020. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000041776899/
9 La réforme a contraint les quelque 330 branches professionnelles à s’organiser autour d’onze
OPCO contre vingt auparavant. Dès 2014, l’État, ayant recensé plus de 700 conventions collectives,
a imposé une restructuration progressive des branches. L’objectif de 200 branches xé en 2016 a
fait l’objet de négociations. Le Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion recensait en 2021
« près de 329 branches ». https://travail-emploi.gouv.fr/ministere/acteurs/partenaires/opco
De l’apprentissage comme processus et format d’une professionnalisation prescrite 45
former à quelque sept métiers et treize codes ROME identiés. L’harmonisation des
attentes relève, dans ces conditions, d’une vraie gageure. Par ailleurs, le rôle octroyé
aux organisations, dans la dénition des compétences professionnelles, a tendance à
reléguer la sphère académique au second plan : dans des logiques d’optimisation des
formations et plus largement de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences
(GPEC), elles dictent à cette dernière ce qui, jusqu’alors, relevait de ses prérogatives.
Alors que la sphère académique avait coutume d’articuler les savoirs académiques aux
« compétences métiers », elle se voit désormais contrainte de repenser lesdits savoirs
en fonction de critères exogènes, nanciers et/ou professionnels. En d’autres termes,
la conception des maquettes de formation est largement tributaire de prescriptions
professionnelles qui conditionnent le référencement au Registre National de
Certication Professionnelle (RNCP), condition impérieuse d’éligibilité à une prise
en charge des formations pour les actifs en reprise d’étude.
Il ne s’agit pas ici de porter un regard nostalgique sur un passé, encore récent, où
la sphère académique et la sphère professionnelle campaient sur leurs positions. Mais
la mainmise, invisible ou indirecte, des branches professionnelles sur les contenus de
formation peut être porteuse de menaces.
La première d’entre elles consiste à faire des apports spéciques, sur les plans
théoriques notamment, de la sphère académique. La seconde est de voir cette dernière
instrumentalisée, au nom de la professionnalisation et de l’insertion des jeunes, par
des organisations préoccupées de servir des besoins à court terme. Rappelons en eet
que le référentiel de compétences proposé à l’issue d’une concertation interne par les
branches professionnelles n’a qu’une validité limitée10. Enn, le risque majeur tient à
l’émergence de formations « dédiées » et, en l’espèce, de masters « échés » vers telle
ou telle branche professionnelle, voire une organisation-cible. Cette menace ne pèse
pas seulement sur une éthique universitaire de la professionnalisation, mais ouvre la
voie à une multiplication d’organismes de formation au sein même des entreprises,
en contradiction avec les perspectives de mobilité externe encouragées par la loi
« Avenir professionnel ».
La réforme de l’apprentissage s’inscrit ainsi dans la perspective d’une optimisation
des formations et d’une plus grande adéquation entre les attentes des entreprises et
le contenu formatif dispensé aux futurs salariés. Articulée autour des compétences-
métier, cette adéquation vise une insertion plus « ecace », mais aussi plus pérenne,
des jeunes diplômés. En mettant au cœur du dispositif de formation, les organisations
elles-mêmes, elle assure en outre une meilleure GEPC et entend pallier les décits
sur les métiers en tension comme sur les métiers d’avenir. Pourtant, s’agissant des
formations en communication, on peut s’étonner que des compétences transversales
ne fassent pas davantage l’objet d’une co-construction. L’acquisition et la mobilisation
de telles compétences, qu’elles relèvent de la réexivité, de la dimension critique, des
capacités rédactionnelles ou encore de la maîtrise des outils numériques, exigeraient
10 Référentiel reconductible tous les deux ans.
46 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
une plus grande concertation de tous les acteurs sur les prérogatives et les apports
réels de chacune des deux sphères. Si une partition hermétique des domaines de
compétences entre l’univers académique et les organisations ne saurait aboutir à
une insertion pertinente des futurs salariés, un transfert massif vers l’organisation
nuirait aux intérêts des premiers intéressés. Formés aux seules compétences attendues
par des organisations, en réponse à des situations circonstanciées, les apprentis
passeraient à côté de compétences transversales, voire de méta-compétences11,
pourtant indispensables à la poursuite de leur carrière. Une telle conguration semble
brouiller l’économie – au sens étymologique du terme, comme « art de gérer » – du
savoir. Comment, à la lumière de ces éléments, articuler projet pédagogique et projet
professionnel ? Les ressources en présence sont nombreuses. Leur ecience – voire
leur survie – dépendra du maintien d’un tissu réticulaire.
3. De l’équipement à l’accompagnement : quelles
ressources pour l’apprentissage ?
Nous qualions ici de « ressources » les moyens humains, techniques, pédagogiques
ou pécuniaires favorisant la mise en œuvre du dispositif. Elles s’articulent autour de
lieux, de compétences et d’acteurs singuliers.
3.1. Les ressources mobilisables
Véritable moteur de l’alternance dans le supérieur, le Centre de Formation des
Apprentis (CFA) constitue l’interface entre la sphère académique et la sphère
professionnelle. Il œuvre à déployer l’alternance dans les organisations partenaires et
constitue un interlocuteur de choix des universités et grandes écoles dans le montage
des formations et leur ingénierie. Il gère les aspects contractuels, propose un suivi des
apprentis et assure même des formations à destination des maîtres d’apprentissage.
L’interface numérique Mysup mise à la disposition des trois signataires du contrat
uidie leurs relations et permet aux diérents acteurs d’apprécier la progression et,
partant, la professionnalisation des apprentis : tous sont ainsi partie prenante de la
formation. « L’objectif de la plateforme est de mettre en relation l’apprenti, son maître
d’apprentissage et son tuteur académique. Chaque type d’acteur a un accès spécique
qui lui permet des actions de lecture / écriture diérenciées. Les diérentes actions
à réaliser sont identiées dans des tableaux de bord et l’organisation des diérents
formulaires à remplir se fait sous forme de ligne de temps » (Seurrat, 2020 rapport). Le
livret électronique d’apprentissage de mysup.fr est personnalisable par les responsables
de formation. Ainsi, en fonction de leurs attentes et ambitions pédagogiques, ces
11 Comme capacité auto-évaluative du niveau de développement de telle ou telle compétence. Cette
dimension n’est pas sans lien avec la réexivité.
De l’apprentissage comme processus et format d’une professionnalisation prescrite 47
derniers peuvent construire autant de formulaires qu’ils le souhaitent, à classer dans
des catégories librement dénies. Au demeurant, la coexistence des plateformes
numériques dédiées à l’apprentissage (livret de l’apprenti) et de celles déployées
pour l’ensemble des cursus de formation (ex : Moodle) pose la question de leur
interopérabilité.
Tableau 3. : Captures d’écran du Livret Électronique de l’Apprenti (LEA) et de la plateforme
Moodle (sources : CFA Hauts-de-France et Université de Lille)
48 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
Le CFA du supérieur n’assure en revanche pas d’enseignements théoriques comme
cela peut être le cas dans les niveaux inférieurs ou dans les CFA de métiers. La
ressource pédagogique est donc, à ce titre, singulière : l’ingénierie de formation ne
vise pas tant les apprentis que leurs maîtres d’apprentissage, soucieux d’honorer les
missions qui leur incombent. Des modules sont ainsi proposés aux structures qui
le souhaitent pour sensibiliser les futurs maîtres d’apprentissage relativement aux
attentes de l’alternance. Hors les murs, les CFA du supérieur disposent d’antennes
académiques opératrices des formations. Les enseignements sont donc assurés par les
universités ou les écoles.
Au sein de la sphère académique, la conguration est plus complexe. De nombreux
acteurs interagissent dans des rôles spéciques, parfois avec des niveaux d’appréciation
diérents. Les porteurs de projet de formation en alternance : le plus souvent
enseignants-chercheurs (EC), ils sont convaincus qu’une expérience professionnelle
signicative articulée aux apports théoriques dispensés dans le supérieur constitue
une valeur ajoutée dans les parcours de formation. Mais la mise en œuvre d’un tel
projet trouve aussi ses détracteurs, notamment parmi les enseignants et enseignants-
chercheurs. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur l’absence réelle de formation des
universitaires aux particularismes de l’alternance. Enseigner dans ce format, devenir
soi-même tuteur pédagogique et accompagner les apprentis dans l’acquisition de
leurs compétences impliquent une connaissance du monde professionnel et de ses
attentes mais aussi une posture singulière. La contribution de professionnels intégrés
aux équipes pédagogiques en qualité de professeurs associés (PAST) est, à cet égard,
d’un apport précieux. Sortes de marginaux-sécants, ils partagent avec les apprentis la
« double vie » de praticiens universitaires et peuvent, par cette posture hybride, en être
les interlocuteurs privilégiés.
Le maître d’apprentissage (MA) incarne, quant à lui, l’organisation d’accueil.
Parfois même dirigeant – à l’exemple des créateurs de startups dont l’intégration
par un apprenti est souvent problématique en l’absence de service dédié à la
communication –, la responsabilité de MA est généralement endossée par un cadre
dans les organisations industrielles ou tertiaires. Son appellation connote un rapport
singulier à l’apprenti, conjuguant volontiers les gures de mentor ou de parrain.
Au demeurant, si cette appellation cède progressivement le pas à celle de « tuteur
entreprise12 » (Moreau, 2016), le maître d’apprentissage, dispensateur et prescripteur
de savoirs professionnels, demeure l’interlocuteur privilégié de l’apprenti. Il contribue
à sa professionnalisation en même temps qu’il assure, sciemment ou non, la GPEC
de son organisation. La relation d’apprentissage dans laquelle le MA est engagé
constitue un investissement à de multiples égards : nancier, d’abord, mais aussi
intra- et interpersonnel.
12 Appellation consacrée dans le cadre du contrat de professionnalisation, après avoir été instaurée
pour le contrat de qualication.
De l’apprentissage comme processus et format d’une professionnalisation prescrite 49
Comprenons que l’organisation, impliquée dans une transaction, attend un retour
sur investissement qui pèse sur l’apprenti mais aussi indirectement sur la sphère
académique. Les griefs des praticiens à l’égard de l’instance de formation sont
historiques. Ils ont nourri une approche par compétences dont les référentiels de
formation sont aujourd’hui la traduction. Plus encore, la quête d’opérationnalité, visée
au départ par l’organisation, semble désormais au cœur de la demande que formulent
les apprentis à l’égard de l’instance de formation. Ce transfert, rendu possible par une
incorporation par l’apprenti des attentes de l’organisation, confronte plus que jamais
ce dernier à des « conits inter-rôles » (Alves et al., 2010, p. 37) et met l’université
en porte-à-faux.
Au cœur de ce réseau institutionalisé de formation, l’apprenti doit pouvoir
bénécier de ressources diverses pour construire son parcours, envisager plus ou
moins sereinement son insertion, avec le sentiment d’être armé intellectuellement
autant que pratiquement pour faire face aux situations qu’il va rencontrer. Aussi
l’accompagnement s’impose-t-il comme une ressource indispensable.
3.2. L’accompagnement comme ressource humaine
Pour faire face aux attendus académiques, l’apprenti dispose d’un cadre formel
posant les consignes et les attentes mais aussi d’outils théoriques, méthodologiques
ou rédactionnels lui assurant la maîtrise de l’exercice. Le cadre, dans les missions
professionnelles ou dans la réalisation des écrits longs de la recherche, donne sens
au travail à accomplir, comme direction et signication. Mais ce dernier n’est pas
constructif hors d’un espace d’écoute. L’écoute caractérise, sur les deux terrains,
un accompagnement ecient ; elle est d’autant plus protable à l’apprenti qu’elle
constitue l’amorce d’une communication saine et constructive. L’apprenti doit
pouvoir compter sur le soutien conjoint de ses deux principaux référents (Alves et al.,
2010). Mais ce ne sont pas les seuls.
L’accompagnement par les pairs (Bourgeois, 2018) contribue, pour sa part, à une
mutualisation des connaissances et une consolidation des compétences. Les travaux
de groupe, menés autour de thématiques transversales, se nourrissent des apports de
chacun et, parfois, subsument les singularités professionnelles.
Mais si « accompagner », c’est guider, suivre, conseiller voire simplement informer,
c’est aussi viser, pour l’autre, l’arrêt de cet accompagnement. La prise d’autonomie
monte en puissance au cours de la formation en alternance. Attendue sur le terrain
professionnel, a fortiori dans les plus hauts niveaux, elle devient déroutante quand
la demande émane de la sphère académique. Un responsable de formation en
« Communication des Organisations » rapporte ainsi l’étonnement des apprentis face
à des innovations qu’ils attendent plus volontiers de l’entreprise que de l’université.
Accompagner, c’est parfois bousculer. D’autant que les apprentis n’arrivent pas en
formation vierges de tout savoir ; ni de toute expérience : des savoirs à construire
et à déconstruire. L’accompagnement en formation (Le Bouëdec et al., 2001) n’est
50 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
pas un faire avec, ni même un faire pour. Ce sont les points de vue, les échanges, les
controverses sur des théories, méthodes ou résultats qui permettent à l’apprenti de
construire son parcours. Cet espace de confrontation émerge à la jonction de deux
sphères et se déploie dans un mouvement pendulaire, à condition que les deux mondes
ne s’ignorent pas.
3.3. De ressources en architextes :
une évaluation « assistée » ?
Si l’analyse des grilles d’évaluation nous renseignait déjà sur certains choix opérés
par les responsables de formation (Seurrat, 2020), l’homogénéisation des pratiques
d’évaluation est néanmoins relative. L’industrialisation de la formation (Moeglin,
2016) n’y opère pas encore de manière massive, même si des architextes (Jeanneret
et Souchier, 1999) assistent les tuteurs pédagogiques et, le cas échéant, les maîtres
d’apprentissage dans leur suivi et leur travail d’évaluation. Au demeurant, ces
derniers sont surtout sollicités dans la validation ches de suivi de missions et autres
comptes rendus de visites, plus qu’ils ne participent à l’évaluation des écrits longs de
la recherche (mémoire) et de l’apprentissage (rapport). Pour autant, la tendance est
à la « certication qualité » de l’alternance autant qu’à la certication des apprentis.
De sorte que la traçabilité des échanges et la rationalité de l’ingénierie pédagogique
s’y développe de manière visible. Il n’est pas sûr qu’elles opèrent comme véritables
ressources, mais leur agentivité textuelle est d’ores et déjà avérée.
Tableau 4. Formulaire d’évaluation des mémoires proposé sur Mysup
(source : Formasup Hauts-de-France)
De l’apprentissage comme processus et format d’une professionnalisation prescrite 51
MySup, basé sur une technologie numérique, prescrit ainsi toute une gamme
d’usages en proposant des formulaires d’évaluation qui tendent à lisser les pratiques
(Seurrat, 2020 rapport).
4. La compétence disputée entre projet pédagogique
et projet professionnel
La compétence comme « paradigme » n’est assurément pas neutre dans l’ingénierie
de formation et les modalités de sa mise en œuvre. Les partisans de l’Approche Par
Compétence (APC) le savent bien qui se défendent de porter atteinte aux savoirs
disciplinaires mais, au contraire, visent à les rendre plus « ecaces » et « opérationnels »
en vue de leur mobilisation (Prégent et al. 2009, Poumay, Georges et Tardif, 2017,
Georges et Poumay, 2020). En bref, l’APC introduirait une dynamique d’acquisition,
au gré des savoirs dont l’étudiant aurait besoin (Prégent et al., 2009, p. 39). Mieux,
l’APC permettrait au monde de l’enseignement de s’aranchir des déterminismes
politiques ou économiques par la « construction de programmes ambitieux, nés de
décisions prises librement par les acteurs en connaissance de leur terrain » (Poumay,
Tardif et Georges, 2017, p. 11). Pourtant, cette approche ne fait pas l’unanimité. Selon
Crahay (2006), on est passé d’une dénition de la compétence comme « réseau de
connaissances mobilisables en contexte » à celle de « capacité à les mobiliser » en
situation. La compétence ne serait donc pas observable hors de situations inédites
où l’individu est amené à agir en recongurant les savoirs, savoir-faire et savoir-être
comme autant de « procédures prédéterminées et pré-existantes » à actualiser (Georges
et Poumay, 2020, p. 2). Désormais, l’individu au travail développerait une compétence
en mobilisant des ressources internes et externes. « Une ressource est dite interne
dans la mesure où il s’agit de ce qu’une personne maîtrise déjà, tant sur le plan de la
cognition que sur celui des attitudes et des conduites, alors qu’une ressource externe a
trait à tout ce que la personne consulte, examine et analyse dans son environnement »
(Tardif, 2019, p. 51). Or cette rhétorique, pour le moins absconse, trouve sa traduction
dans l’écriture prescrite des référentiels de formation qui, à l’exemple du Bachelor
Universitaire de Technologie, consacrent la « situation » professionnelle d’expression
de la compétence. L’apprentissage de la communication est, d’ores et déjà, mis en
module dans le BUT en information-communication. Qu’en sera-t-il en master ?
Il faut, selon nous, et comme le suggérait déjà Pentecouteau en 2012, envisager
« une approche alternative où recherche, pratique, et formation s’articuleraient dans
un aller-retour dialectique permanent, au service de la formation professionnelle
universitaire » (p. 3). Bien loin d’une alternance juxtapositive, vide de sens,
voire générant des « savoirs [théoriques] morts » (Meirieu, 2019), une alternance
interactive13 (Ibid.). Plus encore, il ne s’agirait pas seulement d’intégrer les savoirs
13 Geay et Sallaberry (1999) et Pentecouteau (2012) parlent d’une alternance « intégrative » (p. 13),
Combes (1984) évoque une alternance « liée ».
52 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
théoriques en situation professionnelle, mais aussi de construire du savoir théorique
à partir du contexte professionnel (Pentecouteau, 2012) ou du moins s’en nourrir.
Les études de cas, ou encore les approches par problème (APP), sont à cet égard
intéressantes. Soumises à l’ensemble des apprentis d’une section, elles font l’objet
d’une réexion collective, instruites par les savoirs savants de l’enseignant et nourrie
de leur propre pratique. Souvent mises en œuvre dans les écoles d’ingénieurs,
elles ont même supplanté les cours dits « magistraux », transformant le rôle des
enseignants et la nature de leurs interactions avec les apprentis. L’université se montre
aujourd’hui plus sensible à ses modalités pédagogiques : des commandes, émanant
d’organisations, sont ainsi adressées à des groupes d’apprentis en communication qui
s’en emparent, analysent la situation, élaborent un problème, dessinent des pistes et
proposent in ne des solutions. Un regroupement récent entre des promotions belge et
française a ainsi donné lieu à un travail collaboratif et interculturel qui, au titre d’une
mobilité transfrontalière nancée par le CFA, ouvre la focale de l’intervention et
déborde opportunément le cadre circonscrit des missions dont s’acquitte d’ordinaire
l’apprenti. Ce faisant, les apprentis se prêtent à une casuistique qui, par la résolution
collective de problèmes posés par des commanditaires, ouvre sur des compétences
valorisables en entreprise. Ce type d’expérience collective atteste que l’organisation
n’est pas seulement consommatrice de savoirs qui lui préexistent mais qu’elle peut
aussi contribuer à en créer de nouveaux : à ce titre, « [elle peut] être considérée comme
un contexte d’innovation et d’émulation de la réexion théorique » (Pentecouteau,
2012, p. 3).
Ces initiatives se heurtent cependant à deux écueils diamétralement opposés.
Le premier est imputable aux réticences – voire aux résistances – d’enseignants-
chercheurs imprégnés d’une « culture de l’institution universitaire […] éloignée de
cette idée qui consisterait à pouvoir former non seulement à l’intérieur mais également
à l’extérieur de l’université, en collaborant avec d’autres partenaires qui ne seraient pas
universitaires » (Ibid.) Enrôlés dans des cursus en alternance, ils laissent à l’apprenti le
soin d’accommoder deux visions d’un même objet. Or les compétences transversales
auxquelles prétend former un dispositif de qualité s’acquièrent à la faveur d’une co-
construction14 des acteurs engagés autour d’un référentiel de compétences. Le second
écueil tient précisément à l’élaboration de ce référentiel : on n’enseigne plus tant des
savoirs pour permettre au jeune de s’insérer professionnellement qu’on ne le forme
à l’insertion et par elle. Si les savoirs sont à penser en articulation avec une pratique
en train de se construire et à partir d’elle, ils risquent, dans cette conguration, de ne
constituer qu’une réponse à un questionnement circonstancié. Ne faut-il pas défendre
une discipline à même d’orir aux apprentis des outils d’analyse voire de critique
leur permettant de se saisir de sujets plus transversaux ? La proactivité attendue
aujourd’hui des apprentis se construit en réponse aux besoins des organisations. Ces
14 Celle-là même qui préside à « l’alternance intégrative », née des travaux de Malglaive sur la
formation des formateurs dans les années 90 (Labruyère et Simon, 2014).
De l’apprentissage comme processus et format d’une professionnalisation prescrite 53
derniers sont donc premiers. Or, construire les savoirs théoriques à la seule lumière
des besoins et des attentes des organisations fait encourir le risque d’appauvrir les
connaissances générales et met en péril les capacités d’adaptation du jeune.
Réciproquement, le projet professionnel doit pouvoir s’inspirer des apports
académiques. Pour cela, l’organisation ne doit-elle pas se saisir des compétences
spéciques acquises par l’apprenti à l’université pour nourrir sa réexion, voire
améliorer ses pratiques ? Lorsque la sphère académique ore d’observer, d’interroger
et de comprendre, le maître d’apprentissage exige, lui, que l’apprenti produise. En
situation schizophrénogène vécue par l’apprenti, cette dichotomie le conduit à remiser
les savoirs académiques. Est attendue de l’instance de formation qu’elle prépare
l’apprenti à être opérationnel. Développer chez celui-ci des capacités réexives
apparaît même contre-productif alors que l’adaptabilité, la résolution de problèmes,
les capacités d’analyse et de synthèse sont autant de compétences la réexivité
sert la réalisation pertinente des missions. Au demeurant, les maîtres d’apprentissage
s’associent bien souvent à la conception et à l’évaluation de mémoires de n
d’année. Travail rédigé, éminemment réexif, le mémoire problématise une situation
professionnelle interrogée sous le prisme critique de l’apprenti, à la faveur de
concepts théoriques et des acquis méthodologiques. L’organisation tout entière tire
souvent prot des résultats de cet apprentissage de/par la recherche, laquelle opère par
distanciation d’avec la che de poste et ses missions associées.
Les questionnements seront-ils formulés dans les mêmes termes au sein des deux
espaces formatifs ? Rien n’est moins sûr. Et nous avons déjà relevé ce hiatus entre
deux conceptions de la recherche : sphère professionnelle et sphère académique n’en
n’ont ni la même écriture, ni la même lecture. De fait, les apprentis peinent à inscrire
la recherche académique dans leur apprentissage en organisation et la secondarisent,
trop souvent, dans leur projet et leur agenda de formation.
L’université est l’une des institutions qui a connu le plus de transformations récentes :
contrainte de s’adapter à de nouveaux publics, elle n’est plus tant prescriptrice de
savoirs que récipiendaire d’une commande professionnelle, quand bien même elle la
reformule. Or l’instance de formation est porteuse d’un projet pédagogique qui doit
d’abord servir les intérêts des apprentis. Sans doute les temporalités ne sont-elles
pas les mêmes. Peut-être est-ce là que peut être (re)pensée une articulation des deux
projets, dans la coexistence négociée de deux temporalités. Si le projet professionnel
mérite d’être incarné au sein de la sphère académique, à travers des compétences
assurant une ecience des apprentis au sein des organisations, l’université peut faire
valoir ses prérogatives et faire reconnaître ses apports aux organisations. L’inscription
de la formation dans un temps long, dans un parcours réexif, en dialogue avec
les contraintes de l’organisation, et non en réponse à ces dernières, conférerait à
l’apprenti le ressort nécessaire à la construction de son cheminement. Mais c’est à
l’intersection de ces sphères, au contact de tous les acteurs de l’apprentissage que
la ressource principale peut être mobilisée : l’accompagnement (cf. infra) ; d’autant
qu’il en constitue une particularité contractuelle.
54 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
5. La critique comme ressource d’une
professionnalisation à l’université
Au terme de cette analyse critique et réexive d’une professionnalisation en
communication par voie d’apprentissage dans l’université française, il nous semble
nécessaire de dégager quelques enseignements et perspectives de développement d’un
apprentissage non réductible à son contrat éponyme. Comprenons que le déploiement
de l’alternance et, en l’espèce, des contrats d’apprentissage dans les formations en
communication ne doit être envisagé ni comme une panacée, ni comme une menace
pour la professionnalisation académique à la communication, à ses fonctions et
métiers.
Nos réserves sur la prétention praxéologique d’une « mise-au-travail » ne visent
certainement pas à jeter l’anathème sur un dispositif dont nous connaissons susam-
ment les vertus pour le promouvoir. Cela étant, nous défendons aussi son déploiement
raisonné en prévenant l’écueil d’une « industrialisation de l’apprentissage », alors
même que la formation des apprentis requiert une individualisation, et ce faisant un
accompagnement au plus proche de l’apprenant. Sans parler d’une « massication » de
l’apprentissage dans le supérieur, le recrutement commode et largement subventionné
des apprentis en entreprises et l’ouverture concomitante à la concurrence de multiples
cursus ralliés à l’alternance – sans instance réelle de régulation à l’échelle d’un
territoire ou d’un bassin d’emploi – composent un nouveau paysage académique où le
« moins disant » intellectuel peut s’imposer à la faveur d’une « compétence » réputée
opérationnelle.
Et s’il faut parler de ressources, celles-ci ne sont assurément pas réductibles à des
plateformes numériques ou à des techniques dont l’utilité, sans être contestable, butte
encore sur leur utilisation prescrite ou enjointe.
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