La professionnalisation : un aiguillon
pour l’auteur de ressources pédagogiques.
Le cas des compétences communicationnelles
dans l’offre de livres destinés aux BUT
Olivia Guillon
Maîtresse de conférences en économie
Université Sorbonne Paris Nord
olivia.guillon@gmail.com
58 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
Résumé
En se concentrant sur l’exigence de professionnalisation en BUT et la place qu’y
occupent les compétences communicationnelles, cet article interroge les éventuels
repositionnements de modèles économiques de l’ore de ressources. Il vise plus
spéciquement à appréhender le travail des auteurs et sa valorisation comme des
révélateurs des tensions dans les stratégies des oreurs de ressources en IUT. D’un
point de vue empirique, cette analyse socio-économique s’appuie sur une pluralité
de données collectées entre 2019 et 2021 : entretiens auprès d’enseignants de BUT,
d’auteurs de manuels et de responsables éditoriaux, newsletters et sites web des
éditeurs et de certains auteurs, sites compagnons des manuels. Elle aboutit à plusieurs
résultats. Premièrement, les modèles économiques de l’édition de ressources reètent
un isomorphisme institutionnel : les structures organisationnelles et les jeux des acteurs
sont plus inuencés par le champ institutionnel et la recherche de légitimation que par
la quête d’un fonctionnement ecient. Ensuite les auteurs semblent avoir un rapport
ambivalent avec l’exigence de professionnalisation, que le circuit éditorial et le rôle
traditionnel de l’auteur rendent dicile à satisfaire. Enn, la place du numérique dans
l’ore est un marqueur important de l’évolution (ou de la non-évolution) des modèles
économiques.
Mots-clés : IUT, ressources, numériques, modèles économiques, compétences
communicationnelles.
Abstract
By focusing on the requirement of professionalization in IUT and the place
occupied by communication skills, this article questions the possible repositioning of
economic models of the resources oer. More specically, it aims to understand the
authors’ work and its valorization as revealing tensions in the strategies of resource
providers in IUT. This socio-economic analysis is empirically based on a variety of
data collected between 2019 and 2021: interviews with teachers at BUT, textbook
authors, editorial managers, newsletters and websites of publishers and some authors,
companion sites. It leads to several results. Firstly, the economic models of resource
publishing reect an institutional isomorphism: the organizational structures and the
games of the actors are more inuenced by the institutional eld and the search for
legitimacy than by the quest for an ecient functioning. Authors also seem to have
an ambivalent relationship with the demand for professionalism, which the publishing
circuit and the traditional role of the author make dicult to satisfy. Finally, the place
of digital in the oer is an important marker of the evolution (or non-evolution) of
economic models.
Keywords: IUT, resources, digital, business models, communication skills.
La professionnalisation : un aiguillon pour l’auteur de ressources pédagogiques 59
Introduction
La visée professionnalisante, qui s’inscrit dans l’évolution de long terme des rapports
entre monde économique et enseignement supérieur (Chambard et Le Cozanet, 2015),
représente une exigence croissante, bien que contestée, vis-à-vis de l’enseignement
supérieur en France (Crespy et Lemistre, 2017). Cette tendance exerce une inuence
sur l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur. Parmi eux, les oreurs de
ressources pédagogiques, et plus spéciquement leurs auteurs, sont particulièrement
exposés à ces transformations. À travers le cas de l’édition de livres destinés aux
Bachelors Universitaires de Technologie (BUT) et la place qu’y occupent les
compétences communicationnelles, nous évaluons la mesure dans laquelle la valeur
conférée à la professionnalisation inuence les modèles économiques soutenant
l’ore de ressources et se reète dans le travail des auteurs.
Parce qu’ils sont cités en exemple de réussite en matière de réussite des étudiants
et d’insertion professionnelle (OCDE, 2019), les DUT (Diplômes Universitaires de
Technologie), devenus aujourd’hui BUT, forment un terrain d’observation intéressant
de la place de la professionnalisation dans le comportement économique des acteurs,
aussi bien du côté de l’ore de formation et des ressources associées que de la demande
émanant des apprenants. Le passage du DUT au BUT, ociellement annoncé dès
20191 et mis en œuvre depuis l’année universitaire 2021-2022, a pour pivot la
revendication de l’approche par compétences, qui rend explicite dans les programmes
une certaine conception de la professionnalisation. Cette réforme s’accompagne
de guides détaillés et de recommandations sur l’organisation et la présentation
des nouveaux référentiels (Poumay et al., 2017 ; Georges et Poumay, 2020). Or la
dénition de la compétence retenue dans le cadre cette réforme adopte un point de
vue que l’on peut relier à l’idée d’ecacité productive au sens micro-économique : en
citant Tardif (2006), selon qui une compétence est un « savoir-agir complexe, prenant
appui sur la mobilisation et la combinaison ecaces d’une variété de ressources à
l’intérieur d’une famille de situations », et en précisant que « les ressources désignent
ici les savoirs, savoir-faire et savoir-être dont dispose un individu et qui lui permettent
de mettre en œuvre la compétence » (programme 2021 du BUT GEA2), les nouveaux
Programmes Pédagogiques Nationaux (PPN) présentent la compétence comme un
moyen de transformer un input (les ressources) en output (le savoir-agir) sous des
contraintes (les familles de situations), comme le ferait une fonction de production en
micro-économie. Le fait que la notion d’ecacité soit placée au cœur de la dénition
des compétences est révélateur des vertus économiques qui leur sont prêtées.
1 Arrêté du 6 décembre 2019 portant réforme de la licence pro fes sionnelle : https://www.
legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000039481561?init=true&page=1&query=bachelor+
universitaire&searchField=ALL&tab_selection=all
2 https://www.but-gea.fr/le-programme-but-gea
60 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
Les compétences communicationnelles sont particulièrement représentatives de
cette approche. En eet, leur omniprésence dans les discours sur l’employabilité
se reète dans les programmes de DUT et de BUT dans toutes les lières. Il y a
par exemple en lière GEA des références aux compétences communicationnelles
dans chaque UE et groupe de compétences. Qu’elles aient trait à la mise en avant
de soi, à l’identité numérique, à la capacité à communiquer avec ses collaborateurs
et collaboratrices ou encore à la créativité, ces compétences sont présentées comme
essentielles à l’insertion des étudiants dans leur monde professionnel.
Du fait de leur dimension normative et prescriptive, l’exigence de professionnalisa-
tion en BUT et la place qu’y occupent les compétences communicationnelles devraient
susciter un repositionnement des modèles économiques de l’ore de ressources
pédagogiques. Cependant, cette force rencontre des contrepoids, qui peuvent, selon
les points de vue, être qualiés de réactions stratégiques, arrangements, résistances
ou encore rigidités de la part des acteurs et des organisations. Quelle est la nature de
ces tensions ? En recourant à une analyse néo-institutionnelle, nous montrons que
l’isomorphisme organisationnel exerce un eet puissant sur les modèles économiques
de l’édition universitaire et sur la conguration des ressources pédagogiques elles-
mêmes.
1. Cadre théorique
Notre analyse socio-économique s’inscrit dans une perspective néo-institutionnelle.
Nous nous appuyons sur le cadre théorique de l’isomorphisme institutionnel (Di
Maggio et Powell, 1983) qui lie les stratégies des acteurs et les formes des organisations
à leur recherche de légitimation et à l’inuence de leur champ institutionnel.
Le champ institutionnel est déni par Di Maggio et Powell (1983) comme
« l’ensemble des organisations qui, prises ensemble, constituent une aire reconnue
de la vie institutionnelle : oreurs, consommateurs, agences de régulation et autres
organisations produisant des biens et services similaires ». Au sein d’un même champ
institutionnel, diérentes forces poussent les organisations à devenir plus similaires
les unes aux autres sans que ces changements organisationnels soient nécessairement
dus à la recherche d’ecacité. En eet, à l’isomorphisme concurrentiel, mis en
évidence par Hannan et Freeman (1977) sous l’angle de l’écologie des organisations,
s’ajoute l’isomorphisme institutionnel : « les organisations ne se font pas concurrence
uniquement pour les ressources et les consommateurs, mais aussi pour le pouvoir
politique et la légitimité institutionnelle » (Di Maggio et Powell, 1983).
Trois grands mécanismes régissent le changement organisationnel au sein d’un
champ institutionnel : « 1) l’isomorphisme coercitif, fruit des jeux politiques et de la
recherche de légitimité ; 2) l’isomorphisme mimétique, qui résulte du comportement
des acteurs en réponse à des situations d’incertitude ; 3) l’isomorphisme normatif,
associé à la culture professionnelle des acteurs » (Di Maggio et Powell, 1983).
La professionnalisation : un aiguillon pour l’auteur de ressources pédagogiques 61
L’ensemble aboutit à une homogénéisation des organisations en termes de structure,
de culture et de produit.
Le secteur de l’édition universitaire est déjà reconnu de longue date comme propice
à l’isomorphisme (Coser, Kadushin et Powell, 1982). Il est donc intéressant d’évaluer
la mesure dans laquelle les acteurs et organisations qui le composent s’adaptent ou
résistent aux transformations récentes de l’enseignement supérieur.
En France, dans la période qui s’étend des années 1980 à nos jours, un thème
devient central dans l’évolution de l’enseignement supérieur : celui de l’insertion
professionnelle (Chambard et Le Cozanet, 2015). La « professionnalisation des
étudiants » – aussi débattues que soient cette notion d’une part et la réalité des attentes
des étudiants d’autre part – occupe une place croissante dans les objectifs politiques et
concurrentiels des acteurs : enseignants, gouvernances d’établissements, producteurs
de ressources pour la formation. Cet engouement pour la professionnalisation s’incarne
tout particulièrement dans les compétences communicationnelles. En eet, le rôle de
« frontière » qu’on leur prête sur le marché du travail (Saint-Germes, 2021) les place
au cœur des discours sur l’employabilité, tout particulièrement pour les diplômés de
l’enseignement supérieur (Berthaud, 2021).
Elles sont régulièrement présentées comme déterminantes dans la vision de la
« réussite étudiante » dominante depuis le processus de Bologne (Chauvigné et Coulet,
2010). Dans le contexte plus spécique des IUT, l’omniprésence des compétences
communicationnelles dans les programmes ociels, renforcée depuis la réforme du
BUT, matérialise cette centralité.
Les producteurs de ressources pédagogiques, notamment les auteurs, sont donc
stratégiquement incités à se positionner sur ce segment présenté comme porteur, étant
en concurrence les uns avec les autres sur le marché du livre. On pourrait s’attendre à ce
que l’ore évolue sous l’eet de l’injonction à la professionnalisation, notamment au
prisme des compétences communicationnelles. Cependant, les acteurs sont également
à la recherche d’autres formes de légitimité, qui peuvent contrecarrer cette pression
à l’ecacité concurrentielle. Pour évaluer les poids de ces forces contradictoires,
nous examinons les manifestations de la visée professionnalisante dans les modèles
économiques de l’ore de ressources destinées aux IUT.
2. Étude empirique
Pour recueillir des données sur l’ore éditoriale, nous avons répertorié à partir
de 2019 (année de l’annonce du passage au BUT et à l’approche par compétences)
l’ensemble des livres destinés aux étudiants d’IUT français, toutes lières et disciplines
confondues, par une veille sur le marché et par l’exploitation du catalogue Sudoc.
Ont été retenus 43 ouvrages mentionnant les IUT, DUT et/ou BUT comme cibles
principales (pas nécessairement exclusives) soit dans le titre, soit dans la quatrième
de couverture. La liste complète gure en annexe. Tous les domaines de DUT/BUT
sont représentés.
62 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
Notre corpus comprend les manuels, leurs sites compagnons, les newsletters ainsi que
les sites web des éditeurs et auteurs. Les manuels et sites compagnons ont été examinés
pour déterminer quel traitement était réservé aux compétences communicationnelles
(cf infra encadré 1). Les newsletters et les sites web des éditeurs et auteurs ont
été observés en tant que vitrines des modèles économiques et des transformations
numériques (cf infra encadré 2), à la fois à travers leurs congurations (par exemple,
vente en ligne, extensions aux manuels payantes ou non…) et par les discours qu’ils
véhiculent, notamment sur les thèmes de l’innovation pédagogique et de l’approche
par compétences.
De plus 8 entretiens semi-directifs ont été menés entre 2019 et 2021 auprès
d’enseignants de BUT, d’auteurs de manuels identiés par l’abréviation AUT
dans les citations infra et de personnes occupant diérentes responsabilités
dans les maisons d’édition (éditeur·rices d’acquisition, responsables marketing/
communication, responsables de promotion) identiés par l’abréviation ED dans
les citations infra.
Il ressort de notre analyse que la professionnalisation joue le rôle d’aiguillon pour les
auteurs de ressources, avec toute la polysémie de ce mot : à la fois facteur d’attraction
et épine dans le pied. Leur travail reète la tension entre la valeur « ociellement »
et la valeur « réellement » attribuées à la professionnalisation et aux compétences
informationnelles. Du point de vue de la conguration des ressources elles-mêmes, un
des marqueurs de l’isomorphisme est le fait qu’elles intègrent peu de transformations
numériques.
3. Les manifestations de l’isomorphisme institutionnel
dans le modèle économique de l’édition de
ressources
Conformément aux analyses de Di Maggio et Powell (1983), les modèles
économiques de l’édition de ressources reètent un isomorphisme institutionnel : les
structures organisationnelles et les jeux des acteurs sont plus inuencés par le champ
institutionnel et la recherche de légitimation que par la quête d’un fonctionnement
ecient. On entend par « modèle économique » la combinaison d’un mode de création
de la valeur (ce qui fait qu’une ressource est présentée comme utile), d’un mode
d’extraction de la valeur (c’est-à-dire la contrepartie monétaire ou non monétaire de
l’accès à la ressource et son utilisation) et d’un mode de répartition de la valeur (la
rétribution monétaire ou non monétaire des diérents intermédiaires qui concourent à
la conception et à la diusion de la ressource).
Le champ institutionnel pertinent est celui de l’enseignement supérieur et scolaire
(et non uniquement universitaire). L’appartenance des acteurs à ce champ se
manifeste de diérentes manières. D’abord, dans les ouvrages eux-mêmes, les sites
compagnons et les newsletters, la légitimité des auteurs s’appuie sur la référence à
La professionnalisation : un aiguillon pour l’auteur de ressources pédagogiques 63
leurs responsabilités dans les formations de l’enseignement scolaire (notamment dans
les classes préparatoires aux grandes écoles) aussi bien que supérieur. Ensuite, l’ore
est inuencée par le discours sur le continuum lycée-université. Les compétences
communicationnelles occupent d’ailleurs un rôle de pivot dans l’interprétation de
cette exigence et sa traduction dans la forme des manuels. Une responsable de maison
d’édition déclare par exemple : « on s’est dit que les étudiants en L1 ou en IUT,
deux mois avant d’être en L1 étaient en terminale, qu’ils avaient des ouvrages tout en
couleur très illustrés. Du coup, on a fait une collection qui est [...] sur le modèle du
scolaire avec une maquette en couleur mais qui permet quand même d’arriver vers un
formalisme universitaire. » (ED1)
On peut véritablement parler de « champ institutionnel » du fait de l’encastrement
social (Granovetter, 1985), très présent dans les propos tenus lors des entretiens.
Plusieurs des personnes rencontrées ont spontanément mentionné leur propre parcours
d’une maison d’édition à l’autre, ou celui de collègues :
« [Mme P.], avec laquelle ça s’était super bien passé, avec laquelle j’ai vendu ça,
l’année qui a suivi l’édition de ce livre, elle est partie aux Éditions [A] » (AUT1) ;
« J’ai travaillé un petit peu chez [Éditeur B] ensuite quelques années chez
[Éditeur C] » (ED1) ;
Comme c’est le cas dans d’autres segments du secteur de l’édition, les professionnels
du livre universitaire appartiennent à un même vivier et passent assez aisément d’une
organisation à l’autre au cours de leur carrière, après avoir suivi des formations
similaires, ce dont nous retrouverons l’inuence dans l’analyse de l’isomorphisme
professionnel (cf infra).
La structuration du champ institutionnel est renforcée par la pratique récurrente de
la cooptation parmi les auteurs :
« Les éditions [A] ne marchent que par cooptation. Moi, au début, quand j’avais
envoyé un projet de manuel, je n’ai jamais eu de réponse. En fait, ils ne vont jamais
embaucher un auteur comme ça ». (AUT1)
« Quand on a des auteurs avec qui ça a bien fonctionné, qui savent bien, je m’ap-
puie sur eux pour essayer d’en recruter d’autres parmi leurs connaissances. » (ED1)
Cet encastrement est utilisé à des ns économiques :
« On a un contact avec les professeurs qui nous connaissent depuis longtemps. Ça,
c’est irremplaçable à mon avis. [...] Il y a une stabilité qui paie, je pense. » (ED3)
« On a vraiment besoin de faire des ouvrages avec des auteurs qui soient à un
moment donné, devant le public qu’on veut toucher et qui puissent recommander
l’ouvrage, le prescrire. » (ED1)
64 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
En conséquence, les relations économiques entre maisons d’éditions ne sont pas
celles d’un marché strictement concurrentiel. Elles se connaissent bien les unes les
autres, s’observent voire se partagent certains segments du marché :
« On [ne] va pas [sur les plates-bandes des autres maisons]. Ce n’est pas qu’on n’a
pas intérêt, c’est qu’on n’y va pas » (ED2).
Cela favorise la diusion parmi elles d’un modèle économique collectivement
dominant plutôt qu’une stricte compétition pour l’ecacité productive.
Par comparaison avec d’autres types de ressources pédagogiques que les livres
(centrales de cas, sites web institutionnels comme Iut-en-ligne…), les modes de
coordination entre acteurs s’inscrivent peu dans le registre de l’industrialisation.
À l’opposé d’une organisation pilotée par la maximisation des volumes vendus, le
contrôle des coûts de production, la standardisation des procédés et/ou des produits
ou encore une stricte division du travail, auteurs et éditeurs de manuels privilégient
souvent l’ajustement interpersonnel et la préservation du caractère artisanal de leur
travail. Par exemple, interrogés sur la composition précise des coûts de production des
livres, plusieurs responsables de maisons d’édition déclarent ne pas en avoir une vue
claire. Pour l’une d’eux, la question de la rentabilité par titre est même « une colle »
(ED1). Il n’est bien sûr pas étonnant en soi que certains acteurs aient une information
limitée sur la comptabilité analytique de leur organisation ou même de leurs propres
activités, et cela ne reète pas forcément le point de vue de leur hiérarchie, mais il est
révélateur que l’ecacité productive soit si peu centrale dans leurs discours.
4. Les mécanismes de l’isomorphisme
Les trois formes d’isomorphisme décrites par Di Maggio et Powell (1983) sont
à l’œuvre dans l’édition de livres destinés aux IUT. Le caractère à la fois attirant
et insaisissable de la professionnalisation se manifeste dans chacun d’entre eux :
bien que la plupart des auteurs voient la professionnalisation comme une de leurs
missions, elle s’eace dans l’organisation globale de la chaîne éditoriale et dans les
livres nalement édités.
4.1 Isomorphisme coercitif
L’isomorphisme coercitif est fortement lié à l’existence des PPN. Ceux-ci constituent
certes une opportunité d’un point de vue commercial parce qu’ils homogénéisent
les formations et les attentes des apprenants, mais aussi un frein à la production
de contenus « réellement » professionnalisants parce qu’ils enferment les produits
éditoriaux dans une forme « scolaire » que les acteurs opposent tort ou à raison)
à la professionnalisation. Paradoxalement, alors que les PPN de toutes les lières
mettent en avant la prétention des IUT à la professionnalisation, notamment à travers
La professionnalisation : un aiguillon pour l’auteur de ressources pédagogiques 65
les compétences communicationnelles, ils représentent en même temps un cadre rigide
plaçant comme exigence première la conformité à des thèmes plutôt qu’à des pratiques
professionnelles – aussi discutable que soit la dénition de ces dernières.
« Au tout début, c’est moi qui ai fait le plan et là, [les éditeurs] ont pris les matières
du PPN, et ils ont structurer par matière du PPN pour que l’étudiant puisse s’y
retrouver. » (AUT1)
« Tant que le PPN ne change pas, ils n’ont pas intérêt à rééditer. » (AUT4)
Au contraire, pour les licences professionnelles, qui ne font pas partie des DUT
jusqu’à la réforme du BUT et qui ne suivent pas un programme national, le manuel
n’est pas un format jugé pertinent :
« Chaque licence professionnelle a son propre programme. Ça ne sert à rien de faire
des manuels parce qu’il n’y a aucun marché ». (AUT2)
4.2 Isomorphisme mimétique
L’isomorphisme mimétique joue lui aussi un rôle important dans la structuration
de l’ore et les modes de coordination entre les acteurs. Conformément à la théorie
néo-institutionnelle, il résulte de la forte incertitude éprouvée par les acteurs. En
eet, l’édition universitaire est aectée par une « crise » profonde, durable et multi-
factorielle (Assié, 2007) qui rend la demande plus rare et plus imprédictible qu’il y
a quelques décennies. La plupart des personnes rencontrées évoquent spontanément
leurs dicultés à connaître précisément la composition de leur lectorat et a fortiori ses
attentes réelles en termes de contenus, de formats d’ouvrages ou de prix d’achat. Par
exemple :
« On ne sait pas qui achète nos ouvrages. [...] On a [...] essayé de faire pour les
IUT [...] des collections avec des petits ouvrages pas chers en se disant » C’est pour
l’étudiant cafétéria qui va réviser à la cafet’ » et en fait, on n’en a pas vendu plus.
Donc ce n’est vraiment pas une question de prix ». (ED1)
En conséquence, faute d’une stratégie strictement « rationnelle », les acteurs
tâtonnent et, compte tenu de leur proximité à l’intérieur du champ institutionnel,
nissent souvent par s’imiter les uns les autres.
« [Dans l’édition universitaire] on n’est pas très nombreux [...]. Comment se
positionne-t-on par rapport à [nos concurrents] ? En fait, on regarde ce qu’ils font,
on passe notre temps à se copier. [...] C’est le jeu, je veux dire que ça a toujours été
comme ça dans l’édition. On se copie tous et donc s’il y a un titre qui nous semble
ne pas être encore trop existant chez les autres, on ne se jette pas dessus. Parce
qu’en général, s’il n’y a pas de concurrents c’est quand même mauvais signe ».
(ED3)
66 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
4.3 Isomorphisme normatif
L’isomorphisme normatif résulte de la force homogénéisante de la culture
professionnelle. Il est décelable à travers les parcours professionnels des personnes
rencontrées : elles évoluent dans des cercles étroits (milieux de l’édition scolaire et
universitaire d’une part, et de l’enseignement scolaire et universitaire d’autre part),
au sein desquels elles peuvent valoriser leur production éditoriale d’autres manières
que par le succès commercial, celui-ci pouvant alors devenir un objectif seulement
secondaire.
Les auteurs en particuliers peuvent retirer d’autres gratications de leurs publications
que le nombre d’exemplaires vendus. La faiblesse des montants de droits d’auteur
généralement perçus par les auteurs est d’ailleurs admise et reconnue aussi bien par
eux-mêmes que par les éditeurs, sans que cela soit perçu comme un véritable obstacle
à leur implication :
« Ça ne leur rapporte rien. On verse des droits d’auteur, mais globalement si l’ou-
vrage fonctionne bien et qu’ils l’ont écrit à cinq, ils vont peut-être pouvoir s’ache-
ter un nouveau vélo, ou faire un bon restaurant, mais c’est tout. » (ED1)
Les motivations des auteurs reposent plutôt sur une certaine passion pour la
pédagogie, ainsi que sur une stratégie de carrière globale dont la publication de manuels
n’est qu’un des maillons : charges ou missions administratives liées à la pédagogie
universitaire, avancement de grade dans le corps d’enseignant ou d’enseignant-
chercheur, valorisation d’autres activités éditoriales, recherches en sciences de
l’édu cation, etc. La majorité des auteurs rencontrés publient des manuels depuis de
nombreuses années et veillent à ce que chaque nouvelle édition ou nouvel ouvrage
soit l’occasion d’intégrer aux contenus les dernières réformes des programmes et
mises à jour de leur discipline.
Dans cette logique professionnelle, l’impératif d’employabilité et l’importance
attachée aux compétences communicationnelles sont présents dans les discours :
« L’objectif [de cette UE] est que les étudiants aient conscience des questions
qu’ils vont avoir à se poser quand ils vont être en relation avec le responsable du
système d’information [en entreprise]. [...] C’est une matière où on leur demande
d’avoir un certain nombre de connaissances et notamment du vocabulaire qu’ils
vont utiliser en entreprise. » (AUT5)
« [Les compétences d’information et communication sont] dans tous les DUT,
même dans les DUT les plus techniques. [...] Nous avons voulu montrer ce que
c’est, ce que ça veut dire, pour les étudiants, pour les professionnels, pour les
enseignants » (AUT4).
Pourtant cela se matérialise assez peu dans la conception de livres, qui mettent
nalement rarement en avant les « compétences » en question (cf. encadré 1).
La professionnalisation : un aiguillon pour l’auteur de ressources pédagogiques 67
L’attention se porte plus sur la conformité des contenus aux contours académiques
et/ou scolaires des disciplines enseignées. Cela s’explique par le fait que souvent,
pour l’auteur, le livre n’est qu’une pièce parmi d’autres dans une œuvre plus globale
en faveur de la formation des étudiants. Du fait de son caractère traditionnel, ancien
(les premières formes de manuels datant des débuts de l’imprimerie), et du rôle prêté
à l’éditeur, le manuel inspire une conance et une légitimité diérentes des autres
supports de transmission des connaissances :
« On voulait [...] un éditeur universitaire ou scolaire. On voulait qu’il y ait une
inscription, une sorte de caution. » (AUT4)
Mais cela cantonne le manuel à un certain classicisme qui conduit les acteurs à
réserver les contenus plus « professionnalisants » plus ou moins consciemment
associés à une forme de « modernité » à d’autres supports et modèles éditoriaux, par
exemple les centrales de cas.
Encadré 1. Le traitement des compétences communicationnelles
dans les manuels destinés aux BUT/ DUT
Faisant partie du programme du BUT dans toutes les lières, les compétences
communicationnelles peuvent être traitées dans une ressource pédagogique à
quatre degrés diérents, du plus allusif au plus concret :
Ignorées
Mentionnées comme étant un(des) point(s) du PPN (pas nécessairement de
manière distincte des autres compétences)
Exposées à travers des éléments de théorie et/ou des exemples inspirés de
situations dites « professionnelles »
Visées comme objectif ou consigne dans les exercices et études de cas
proposés au lecteur
L’observation de notre corpus révèle que la plupart des manuels ignorent les
compétences communicationnelles. Quelques manuels, principalement parmi
les plus récents (et de manière plus explicite dans les lières tertiaires que dans
les domaines industriels et expérimentaux), les mentionnent comme points du
programme. Seuls deux manuels exposent les compétences communicationnelles
sous forme de théories et d’exemples : il s’agit d’ouvrages consacrés aux « sciences
de l’information et de la communication en DUT » et aux « soft skills en BUT ».
Seul ce dernier traite des compétences communicationnelles comme un acquis
d’apprentissage avec visée professionnalisante (exercices et propositions de mises
en situation).
68 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
5. L’auteur, ltre d’un jugement sur la qualité
Le caractère artisanal du travail de l’auteur – par contraste avec une certaine
prétention à l’industrialisation des secteurs de l’enseignement supérieur et de l’édition
– est présenté comme un facteur de succès et de qualité. Par exemple, les auteurs eux-
mêmes apprécient fortement que la coordination avec l’éditeur se fasse sur le mode de
l’ajustement mutuel dans la terminologie Mintzberg (1979) :
« À partir du moment où on a commencé à travailler ensemble [avec l’éditeur], il y
a eu des échanges réguliers. [...] Moi ça m’intéressait de faire un manuel mais pas
un truc que je ferais toute seule et qui serait édité comme ça. » (AUT3)
« Et pour moi, c’était vraiment très intéressant au niveau de l’éditeur, de la per-
sonne qui nous accompagnait. Pour nous, c’était très pertinent dans les remarques
et il y avait au moins 3 ou 4 allers-retours avec elle, systématiquement. » (AUT2)
Par contraste, selon certains auteurs, d’autres modes de publications de ressources
pédagogiques que l’édition de manuels valorisent plutôt une certaine standardisation
des résultats. Cela vaut notamment pour les centrales de cas qui « ont des feuilles de
style, des critères qui déterminent la forme du cas qu’on dépose chez eux. À partir du
moment où on répond aux normes, ils le prennent. » (AUT3)
Le modèle économique de la production de ressources pédagogiques, notamment
dans le partage du travail, est donc un facteur explicatif du rapport des acteurs à la
« qualité » des contenus produits. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la structure
capitalistique a son importance dans l’organisation du processus de production.
Un membre du personnel d’une maison d’édition appartenant à un grand groupe
déclare par exemple : « nous, quand même, au-dessus, on a le [groupe éditorial X].
[...] On a des directives, des comptes à rendre. Forcément, c’est diérent chez
[éditeur indépendant Y]. C’est quand même une maison encore un peu familiale et
indépendante. » (ED1)
Du fait de sa position au sein de la chaîne de valeur du livre, c’est l’auteur qui
est chargé de traduire dans les contenus le faisceau de critères de qualité que sont
le respect du PPN, la abilité par rapport à l’évolution de la (des) discipline(s), le
caractère didactique, etc. Or du point de vue de l’auteur (qui est non seulement, en
général, enseignant, mais aussi assez souvent chercheur dans la même discipline
que celle à laquelle est rattaché son manuel), ces critères ne sont pas toujours
naturellement compatibles entre eux. En particulier, compte tenu du public visé en
IUT, la place ociellement réservée à la professionnalisation peut provoquer un
« deuil de contenus » (Bizier, 2012) ou en tout cas entrer en tension avec le critère
d’excellence académique car l’excès de contenu théorique est vu comme un facteur
de découragement des étudiants ou de trop grand décalage par rapport aux « pratiques
professionnelles » :
La professionnalisation : un aiguillon pour l’auteur de ressources pédagogiques 69
« Si on [fait] quelque chose [...] de trop écrit, de trop en lien à la recherche, [...] ça
ne va pas du tout servir le public étudiant. [...] Un ouvrage scientique ne va pas
du tout être digeste. » (AUT3)
Si bien que les auteurs doivent parfois se résoudre à ce que le manuel serve
« simplement [à] savoir de quoi on parle, c’est plutôt de la sensibilisation » (AUT4).
Ce qui peut être vécu sur le mode du regret : « ce que je regrette et là, je me réfère à ce
qui va se passer dans les prochains programmes, c’est que nalement, on fait en sorte
que l’étudiant soit capable de maîtriser un outil [...] et pas de se poser la question de
ce qu’il y a derrière » (AUT4).
La réconciliation d’une exigence académique avec le caractère professionnalisant des
IUT peut même devenir une revendication de la part des auteurs (sans nécessairement
que cela se matérialise lors du processus éditorial réel) : « il fallait qu’on [...] montre
que la recherche peut aussi être articulée à de la pédagogie et avec les IUT. On voulait
trouver une articulation. » (AUT3).
Conjugué à l’isomorphisme du champ institutionnel, cette tension entre valeurs
pédagogiques aboutit plus souvent à une renonciation au caractère professionnalisant
qu’à un compromis sur la rigueur scolaire et académique « classique » des contenus.
Cela se matérialise également dans les choix relatifs aux formats des ressources.
6. La place des transformations numériques,
révélatrice du rapport à la professionnalisation
Le fait d’intégrer plus ou moins de transformations numériques dans l’ore de
ressources est un marqueur important de l’évolution des modèles économiques ou au
contraire de leur stabilité. D’après Massou (2021), le numérique peut être associé à
diérentes modalités dans les processus de médiatisation : « l’éclatement des ressources
numérisées (de sources diverses) ; la pluralité des formes (textes, images xes ou
animées, extraits sonores) ; leur réagencement plus ou moins élaboré et structuré
dans des espaces partagés en ligne ; l’ajout ponctuel de paratextes en périphérie des
documents (textes introductifs ou explicatifs, commentaires de l’enseignant) : l’ajout
de fonctionnalités interactives (liens internes de navigation dans les documents par
exemple). » La mesure dans laquelle chaque ressource incorpore des fonctionnalités
liées aux transformations numériques peut donc être lue comme un témoin des eorts
entrepris par les acteurs pour faire évoluer l’ore, notamment du point de vue des
modalités de conception, de diusion et de mobilisation des maillons de la lière
(usager compris).
Or, comme le notent Benghozi et Salvador (2016) à propos des stratégies d’inves-
tissements digitaux dans l’édition, « imitation rather than emulation process takes
place among publishers », ce qui est cohérent avec les tendances à l’isomorphisme
évoquées supra. Pourtant, les acteurs du champ de l’enseignement scolaire et
supérieur sont régulièrement invités à accroître le recours aux outils numériques : la
70 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
complémentarité de ces outils avec « l’innovation pédagogique » est promue à la fois
par le discours politique dominant et par l’institutionnalisation du secteur de l’Edtech.
Qu’en est-il dans le cas des livres destinés aux IUT ?
Tout comme le thème de la professionnalisation, les transformations numériques
représentent à la fois un facteur d’attraction et un projet dicile à mettre en œuvre
pour les oreurs de ressources éditoriales.
D’un côté, les sites web et newsletters pédagogiques des maisons d’édition,
notamment Hachette, Foucher et Dunod, présentent généralement le recours au
numé rique comme une plus-value pour les lecteurs : depuis la consultation du
catalogue jusqu’à la lecture (feuilletage ou téléchargement) incluant des contenus
complémentaires aux livres, accessibles par QR-codes ou sites compagnons, le
consommateur est invité à bénécier d’une expérience « enrichie » par rapport au livre
papier acheté en point de vente physique. Et de nombreux acteurs éprouvent un intérêt
personnel fort pour les liens entre formats des ressources et ecacité pédagogique :
« Je regarde tout ce qui est innovation pédagogique, car ça m’intéresse énormé-
ment [...]. C’est à nous d’innover aussi. On est obligés d’innover, de faire des
choses adaptées. » (ED2)
D’un autre côté, l’examen des manuels destinés aux IUT et des contenus complé-
mentaires proposés par les éditeurs révèle qu’ils prennent tous une forme strictement
« homothétique » (cf. encadré 2), c’est-à-dire qu’ils sont la transposition exacte en
format numérique (PDF, Epub ou équivalent) des contenus papier, sans exploitation
des gisements de création de valeur (Guillon, 2013) permis par les transformations
numériques. Qu’il s’agisse d’une cause ou d’une conséquence, « les ventes des
ouvrages numériques restent très anecdotiques » (ED1).
La professionnalisation : un aiguillon pour l’auteur de ressources pédagogiques 71
Encadré 2. Fonctionnalités numériques des manuels
Les fonctionnalités potentiellement liées à un manuel numérique se rapportent
aux catégories suivantes (Université du Québec, 2013 ; Roussel et al., 2017) :
l’accessibilité (synthèse vocale, vidéodescription, sous-titrage…)
l’intégration de contenus multimédia (menus contextuels, vidéos, jeux,
quiz, animations...)
l’annotation et la personnalisation (surlignement, partitionnabilité, contenu
dynamique...)
la navigation, la recherche et le repérage (table des matières, métadonnées,
signets, intra- et hyperliens…)
la collaboration (partage de commentaires ou de chiers, forums…)
Toutes ces fonctionnalités ne sont que potentielles ; cela ne préjuge en rien de
leur plus-value réelle aux yeux des enseignants ou des étudiants.
Ces fonctionnalités ont pour propriété de mobiliser les compétences commu-
nicationnelles de l’apprenant, beaucoup plus signicativement qu’un manuel
papier « classique ». L’édition numérique est en cela représentative du fait
que « l’outil produit les pratiques et produit aussi le sens de ces pratiques »
(Vitali-Rosati, 2014). Par conséquent, ces fonctionnalités semblent se prêter
particulièrement bien à l’approche pédagogique préconisée par les PPN : mise
en situations « professionnelles », accent porté sur la capacité à exploiter des
ressources (et pas « seulement » à en connaître le contenu) pour agir et interagir
dans des situations données.
Lorsqu’elles sont mises en œuvre, ces fonctionnalités ne transforment pas que
les manuels mais entraînent aussi un changement global de modèle économique
chez les oreurs, depuis les processus de production, de création de valeur
et de commercialisation des produits jusqu’aux modalités de nancement de
l’innovation, comme l’illustre par exemple la surreprésentation des start-up dans
l’Edtech (Capdigital, 2019).
Or l’observation des manuels de notre corpus révèle qu’aucun d’entre eux n’est
oert sous une autre forme numérique que l’homothétie du livre papier. Quelques
sites d’éditeurs ou d’auteurs proposent en compléments des contenus additionnels
mais ceux-ci sont de type exclusivement textuel (il s’agit en général de corrigés
d’exercices).
Les acteurs eux-mêmes le reconnaissent, jugeant que par contraste avec des cibles
plus « professionnelles », le lectorat universitaire est dicile à appréhender et l’ore
numérique dicile à mettre en œuvre :
« On part du format papier d’abord. [...] On ne pense pas tout de suite le projet en
numérique, on le pense comme un complément qui vient après. [...] Quand ils ont
le choix, les étudiants vont vers du papier. [...] On a pensé à une application, on a
72 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
creusé plein de choses au niveau du numérique, mais au niveau universitaire c’est
très compliqué. Ça ne fonctionne que sur les marchés professionnels, sur les mar-
chés de la petite enfance, pour ceux que l’on développe, parce que c’est monéti-
sable [...]. Il y a trois, quatre ans, comme dans plein d’entreprises, on s’est dit qu’il
allait falloir aborder la transformation digitale de [notre maison d’édition]. [...] On
a rééchi à mettre en place des applications, des Moocs. [...] Je ne sais plus si c’est
chez De Boeck, ils avaient développé l’ore NOTO qu’on a aussi regardée de près.
On n’a pas été entièrement convaincus et les enseignants qu’on a interrogés ne
nous ont pas dit que c’était génial, qu’il fallait aller par là » (ED1).
« À un moment on s’est posé la question de faire quelque chose en ligne complè-
tement [...]. Ça pouvait aussi être intéressant, mais c’est un autre engagement, un
autre investissement puisqu’il faut animer [...] » (AUT3).
« Nous, on n’a pas le modèle économique pour faire ça. [...] Il y a aussi des
formations e-learning qui commencent à émerger. [...] Mais c’est pareil, c’est très
compliqué à faire rentrer dans l’université. On a aussi pensé aux soft skills qui au-
raient pu, quand même, intéresser les écoles de commerce, les écoles d’ingénieur,
mais pour l’instant ce n’est pas encore ça. » (ED2).
Dans cette dernière citation, il est intéressant de relever que l’exemple spontanément
choisi par l’interviewée pour illustrer à la fois l’intérêt et les dicultés à intégrer
des transformations numériques dans les livres universitaires est celui des soft skills,
qui recouvrent la plupart des compétences communicationnelles mobilisées dans les
discours normatifs sur la professionnalisation.
Conclusion
La façon dont les compétences communicationnelles sont traitées dans les contenus
édités ore une lecture révélatrice de l’isomorphisme institutionnel qui caractérise
l’édition de livres destinés aux premiers cycles professionnalisants que sont les DUT/
BUT.
Dans une perspective de long terme, on peut également voir apparaître à travers
cette étude de cas les transformations du champ institutionnel lui-même, notamment
l’évolution de son périmètre. En eet, comme le notent Powell et al. (2017), les
mutations profondes des structures économiques depuis les années 1980, en particulier
la digitalisation d’un grand nombre d’activités, invitent à considérer une plus grande
variété d’acteurs qu’auparavant au sein d’un même champ institutionnel. Cette
analyse s’applique bien au cas des ressources pédagogiques destinées aux premiers
cycles « professionnalisants » et à la place que les compétences communicationnelles
y occupent : l’inuence croissante des acteurs de l’Edtech sur les préoccupations et
pratiques (y compris sous la forme de résistances) des producteurs, consommateurs
et institutions « traditionnels » est une manifestation du fait qu’ils appartiennent
désormais à ce même champ.
La professionnalisation : un aiguillon pour l’auteur de ressources pédagogiques 73
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et M.E. Sinatra (dir.), Pratiques de l’édition numérique. Montréal : Presses de
l’Université de Montréal. URL : http://www.parcoursnumeriques-pum.ca/1-
pratiques/chapitre4.html
Annexe : Manuels publiés depuis l’annonce du
passage du DUT au BUT (2019)
Réussir mon BUT : Bachelor universitaire de technologie – Comptabilité, Foucher
Réussir mon BUT : Bachelor universitaire de technologie – Économie, Foucher
Réussir mon BUT : Bachelor universitaire de technologie – Droit, Foucher
Motorisation – Approche mécanique élémentaire illustrée – BTS et IUT, Ellipses
Les Sciences de l’information et de la communication (SIC) en IUT 35 ches,
Ellipses
La physique avec son téléphone portable Expériences de physique avec le téléphone
portable comme instrument de mesure, Ellipses
Réussir son BUT en 10 minutes par jour – Comment développer ses soft skills en 80
exercices, Ellipses
Transferts thermiques Exercices et problèmes corrigés BTS, BUT et licence,
Ellipses
Les mathématiques de l’IUT – Rappels de cours et travaux dirigés corrigés, Première
année – 2e édition, Ellipses
L’économie de la construction en maîtrise d’œuvre et gestion nancière, Ellipses
Oxydoréduction – Électrochimie, thermodynamique et cinétique, Ellipses
Mécanique des uides Applications : vérins, pompes, turbines, CTA, éoliennes,
Ellipses
Modélisation des signaux et circuits pour l’électronique, Ellipses
Fiches de marketing, Ellipses
Informatique Découverte du Machine Learning Les outils de l’apprentissage
automatique, Ellipses
Le livre de Java Premier langage, Eyrolles
Aide-mémoire Injection des matières plastiques – 5e édition, Dunod
Biologie végétale : Croissance et développement – 4e édition, Dunod
76 Ressources pédagogiques et professionnalisation dans les formations à la communication
Mathématiques pour l’informatique – 3e édition, Dunod
Mécanique : fondements et applications – 7e édition, Dunod
Droit du travail 2022 en 28 ches – 4e édition, Dunod
Manuel pratique de la gestion des risques, Dunod
Matériaux, Dunod
Électromagnétisme, Dunod
Électricité – 2e édition, Dunod
Biologie végétale : Nutrition et métabolisme – 3e édition, Dunod
Résistance mécanique des matériaux et des structures – 2e édition, Dunod
Chimie L1 – Je me trompe donc j’apprends !, Dunod
Python 3 – 2e édition, Dunod
Électronique – Le cours – 2e édition, Dunod
Tourisme – Fondamentaux et techniques, Dunod
Conception d’applications en Java/JEE – 2e édition, Dunod
Électricité – Licence, IUT, Dunod
Mathématiques IUT 1re année – 3e édition, Dunod
Électrotechnique IUT – 2e édition, Dunod
Biotechnologies – Licence 1/2/IUT/CPGE, Dunod
Mathématiques IUT 2e année – 2e édition, Dunod
Mini Manuel de Génétique – 6e édition, Dunod
Mécanique – Exercices et méthodes, Dunod
Guide de mécanique, Nathan
Gestion des Entreprises et des Administrations – S4 – Option GMO, Nathan
Gestion des entreprises et des Administrations – S2 – Toutes les matières, Nathan
Techniques de Commercialisation – S1 – Toutes les matières, Nathan