Entretien : pour une intégration des
datadéontologues dans les équipes
communication
Assaël Adary, Président / ceo,
Occurence
assael.adary@occurence.fr
Jean-Claude Domenget, Maître de conférences HDR,
Université Bourgogne Franche-Com
jean-claude.domenget@univ-fcomte.fr
153 P rof essio nnalisa tio n de la c omm uni catio n : a pp roc hes sectoriel le s
1. Bonjour Assaël Adary, pouvez-vous vous présentez en quelques mots et préciser
votre parcours professionnel et notamment votre expérience dans le domaine de
la communication ?
J'ai suivi une formation en philosophie, puis en communication au CELSA, à la
Sorbonne. En 1995, j'ai créé ma structure, qui s'appelle Occurrence, un cabinet
d'études et de conseil en communication. Aujourd’hui Occurrence, c'est 25
collaborateurs. Notre métier n'est pas celui d'une agence mais celui d'évaluateur. Il
s'agit de diagnostiquer la performance des actions de communication. Nous avons
donc un regard qui porte tout de suite sur le sujet de l'éthique : le fait de n'être pas juge
et parties, c'est-à-dire que lorsqu'on est diagnostiqueur, on ne peut pas le matin
diagnostiquer et l'après-midi vendre nos services au même client. Ce que je décris
ne va pas de soi car aujourd'hui la plupart des grands instituts d'études appartiennent
à des grands groupes. L'institut CSA appartient à Bolloré donc à Havas, TNS-Sofres
Kantar à WPP, etc. Il y a des vrais sujets d'éthique dans le tier du diagnostic.
Afin de préciser vos propos, en quoi consiste un diagnostic de mesure de
performance ?
Nous ne mesurons pas des outils mais leurs effets. Cela sous-entend de définir en
amont les objectifs poursuivis. Cela peut paraître très basique. C'est ce qu'apprennent
les étudiants de communication, en L3, définir les objectifs et les publics mais dans
les faits, par l'intermédiaire de l’évaluation, notre travail revient à requestionner les
fondamentaux. Cela commence souvent par une interrogation du type : que vouliez-
vous faire ? Quels effets souhaitiez-vous produire avec votre opération digitale, vos
événementiels, etc. ? Ensuite, on définit les indicateurs, on collecte les données, via
des études quali/quanti, les data issus du digital, puis il y a le traitement, l’analyse,
les recommandations. Côté recommandations, on va très loin, on se permet une liberté
de ton. On ne privilégie aucune technique, comme le digital par exemple. Notre
travail, c'est vraiment de renforcer cette boucle vertueuse : planification des actions,
conduite des actions, mesure et ajustement du plan de communication de l'année
d'après.
2. Vous l'évoquiez, l'éthique semble être centrale dans votre approche de la
communication, en quoi consiste pour vous l'éthique en communication ?
Comment l'intégrez-vous dans votre pratique professionnelle au quotidien ?
Pour moi, il y a deux niveaux. Un premier niveau la déontologie professionnelle qui
renvoie une démarche sectorielle d'auto-régulation : le respect de chartes, des codes,
etc. On oublie un peu trop souvent que nous disposons d’un certain nombre de
référentiels auxquels on peut se référer ou de règlements comme le RGPD (Règlement
154 P rof essio nna lis atio n d e la communi catio n : a pp roc hes sect oriel le s
Général sur la Protection des Données personnelles). Justement, ces normes ne sont
pas assez apprises dans les écoles et universités, probablement du fait de leur aspect
rébarbatif. Occurrence, par exemple, est certifié ISO 9001 et s’engage dans le respect
de la norme ISO 26000 (RSE). Il est pour moi déjà très important de tenir compte de
ces référentiels métiers.
Un second niveau est de l'ordre de l'éthique qui renvoie à l'individu. Il s'agit de la
manière d'appréhender presque chaque geste professionnel que l'on effectue. Cela
devient une routine, une « hygiène professionnelle », quelque chose auquel on ne
pense plus à partir d'un certain moment. Mais néanmoins, avant que cela atteigne ce
stade, il y a besoin de s'arrêter assez fréquemment sur ce qu'on fait et de se poser de
vraies questions qui sont de l'ordre de l'intime. Prenons un exemple, les Réseaux
Sociaux qui génèrent de nombreuses questions éthiques. Derrière de jolis mots,
comme celui d'activation digitale ou « engagement des communautés », il y a du fake.
Derrière l’activation digitale, il peut y avoir des choses très propres ou très sales, c'est-
à-dire qu'on peut, sans même s'en rendre compte, engraisser une mafia ou faire
travailler des enfants au Bangladesh. En plus, le digital a apporté la rapidité,
l’immédiateté, ce qui court-circuite parfois le temps de l'éthique. En 10 secondes, je
peux acheter 1000 faux followers sur Twitter, je peux me réfugier derrière le fait que
c'est tellement rapide, tellement facile, tellement peu cher, que cela peut anesthésier
mon esprit critique.
3. Justement, pourquoi ce questionnement éthique est-il si souvent évoqué
aujourd'hui ? Quelles évolutions du domaine de la communication peuvent
expliquer ce questionnement éthique ?
Le digital a conduit à rendre les choses très immatérielles. Avant, avec la publicité,
il pouvait y avoir des questions sur le circuit financier, etc. La première loi Sapin, en
1993, légiférait contre les ententes entre les agences conseillères d'achat d'espaces et
les médias. Il y avait une opacité, une non-transparence des marchés. Nous attendons
maintenant les effets de Sapin 2 qui traite du digital. Aujourd'hui, cette préoccupation
revient d'autant plus qu'il y a beaucoup d'immatérialité, plus d'instantanéité. Il y a
beaucoup plus d'opacité, de boîtes noires dans notre système. La publicité
programmatique par exemple, c'est une énorme machine à fabriquer de l'opacité. Plus
il y a d'opacité, plus il y a de risques éthiques.
Quand un marché démontre qu'il n'arrive pas à s'auto-réguler, la loi intervient mais
je pense que la loi est moins bonne que la prise de conscience individuelle. La loi, il
y a toujours des plus malins pour la contourner. Alors que sa propre conscience, c'est
plus difficile d'y échapper.
Existe-t-il également un niveau intermédiaire entre la loi et l'individu ?
155 E ntr eti en : p our un e int ég ratio n d es dat ad éonto log ues
Tout à fait, exactement. Je parlais tout à l'heure d'auto-régulation et de régulation.
Pour moi, il y a trois niveaux, la régulation absolue, comme la loi Sapin, le RGPD,
etc. Il y a l'auto-régulation avec des structures comme l'ARPP (Autorité de Régulation
Professionnelle de la Publicité) qui est l'ancien BVP (Bureau de Vérification de la
Publicité). Enfin il y aussi tout le travail qui est fait pas-à-pas par les associations, les
syndicats professionnels. Je m'engage beaucoup dans l'une d'elles qui s'appelle COM-
ENT (Communication & Entreprise). Par exemple, nous nous sommes emparés du
sujet de l'égalité femme-homme qu'on a appréhendé sous l'angle de la communication
non-sexiste, en disant que la communication publicitaire est un des leviers
d'apprentissage de la vie et influence la manière dont nous représentons les relations
entre les femmes et les hommes. Aujourd'hui COM-ENT est reconnue par la
Secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes Marlène
Schiappa, avant elle par la Ministre Laurence Rossignol. On a sorti par exemple une
check-list et un kit de la communication non-sexiste qui permettent aux annonceurs et
aux agences, avant de lancer une campagne, d’évaluer de manière autonome la
conformité avec les principes de communication non-sexiste. Là, on est en plein dans
l'auto-régulation.
Dans le domaine éthique, COM-ENT avait conduit des réflexions sur la
communication responsable…
Tout à fait, chez COM-ENT, on a engagé cette réflexion sur la communication
responsable et nous avons produit un guide mais ce dernier n’est pas assez utilisé. Je
le regrette car c'est un outil très utile et rare. Quand je parlais de la démarche ISO
26000... Quand elle a écréée, tout de suite nous nous sommes dit, c'est très global,
il faudrait que chaque métier s'en empare pour créer son ISO 26000 « métier ». Le
premier métier qui s'en est emparé, c'est la communication ! Aujourd'hui, il y a donc
un référentiel sur l'ISO 26000 dédié à la communication. C'était un très gros travail.
On a pris tous les métiers de la communication, on a trouvé des référentiels.
Aujourd'hui, un communicant qui se pose la question de son éthique professionnelle
a sous la main une somme colossale de référentiels, de règles qui peuvent l'aider ou
simplement lui permettre de se poser les bonnes questions au bon moment et sur tous
les plans. Comme on a pris la base de l'ISO 26000, ce n'est pas que l'écologie, la
réduction du CO2 qui est un peu la facilité. Par exemple, un communicant décide
d’imprimer en PEFC, de recycler, de faire son stand en carton, etc. et va oublier que
dans nos métiers, il y a des indépendants et des free lance qui sont dans la précarité la
plus totale et qu'il va payer à 120 jours fin de mois. Ce qui n'est pas responsable. Or
l'avantage de l'ISO 26000, c'est qu'il y a une prise en compte de l’ensemble des aspects
de la responsabilité qui permet a priori de ne pas passer à côté d'une des composantes.
Et en effet, la manière de traiter le bas de la chaîne de la valeur, c'est un sujet de
responsabilité et c'est un sujet profond d'éthique.
156 P rof essio nna lis atio n d e la communi catio n : a pp roc hes sect oriel le s
Pour finir sur ce point, vous indiquiez que c'est un peu passé sous silence…
Oui, après un travail colossal, il y avait beaucoup d’associations impliquées, COM-
ENT, l'AACC, l'UDA, etc. Ce document n'a pas eu la visibilité et l'usage souhaités.
Par exemple, je ne vois aucun acheteur des grandes entreprises et des grands donneurs
d'ordre valoriser dans un appel d'offres, réellement cette marche. A la fin, je reviens
toujours à l'individu. On ne le fait pas pour gagner des marchés, on le fait pour quelque
chose qui est de l'ordre de l'intime, de sa conscience professionnelle. Aujourd'hui, je
pense que la fonction communication dispose de l'ensemble des référentiels métiers
pour travailler dans une éthique stricte mais non liberticide.
Tous ces contenus, ne me semblent peu ou pas assez enseignés. On s'y réfère très
peu dans les formations. Je me souviens quand j'étais étudiant, lorsque la loi Sapin 1
est arrivée, tous les intervenants professionnels portaient le deuil. En gros, c'était
castrateur. Ce n'était pas du tout perçu comme quelque chose de positif pour la
profession. Quand on ne montre pas que l'autorégulation peut être efficace, on se
fait réguler par le législateur.
4. Evoquons votre expérience de formateur, comment former les étudiants à
l'éthique en communication ? Quelles sont les opportunités mais aussi les
faiblesses d'une telle formation ?
Je pense qu'il y a vraiment quelque chose à faire. J'ai l'impression que la génération
actuelle est prête. En tout cas, j’ai pu observer les modèles qu'ils veulent suivre, les
envies, leur fameuse « quête de sens », etc. Et j'ai l'impression que c'est un terreau
fertile pour qu'ils entendent et valorisent les démarches éthiques. Les modèles
valorisés à mon époque n'étaient pas exactement les mêmes. Nous avons une
opportunité avec cette génération qui est en attente de ce type de contenu. Elle est en
attente de sens, de savoir pourquoi elle fait ce job, de travailler sur et pour le « bien
commun ». Comment le communicant peut définir son rôle en ayant un impact positif
sur le bien commun ? Cette génération semble être en attente de revaloriser de son
métier. J'ai l'impression que cela ne relève pas simplement du fait d'être jeune, d'avoir
un idéal, etc. Il me semble y avoir une vraie préoccupation éthique qui ne demande
qu'à éclore.
Au cours de la formation, peut-on réussir à aborder les questions éthiques ?
Oui, il y a tout d’abord un apprentissage un peu scolaire qui consiste à leur donner
la boîte à outils car ça va les aider au quotidien dans leur premier stage ou leur
première expérience professionnelle. Si ces jeunes arrivent à 23 ans dans une agence
en disant qu'il faut être éthique… pas certain qu’ils soient écoutés. En revanche, s'ils
157 E ntr eti en : p our un e int ég ratio n d es dat ad éonto log ues
sortent la charte ou le code UDA, COM-ENT, s’ils connaissent la loi Sapin 1 et 2, le
RGPD, la norme ISO 26000… il y a de vraies chances qu’ils puissent faire changer
les choses. Il faut les armer avec une bonne connaissance de l’ensemble de l’arsenal
législatif et les référentiels issus des associations professionnelles, etc.
Après, ce que je fais dans mes cours, c'est de faire vivre l'éthique par les exemples
et les exercices, c'est-à-dire que je leur donne à voir des pratiques non éthiques ou des
case studies et je leur demande : face à cette situation, vous feriez quoi ? Et le débat
s’instaure, les arguments sont échangés et chacun imagine les conséquences de ses
actes. Concernant mon sujet « les études, les sondages » et leur communication
notamment dans les médias, je les oblige à lire des méthodologies. Je les oblige à lire
les private policy de Facebook pour voir ce qui se passe. Tout de suite, ça leur parle.
Le principe c’est de les placer dans des situations très opérationnelles car l'éthique se
vit au quotidien.
Notre éthique, à nous professionnels de la communication, est beaucoup plus terre
à terre et sournoise que des cas de pots de vin par exemple. C'est vraiment leur faire
toucher du doigt cette diversité des cas. Ce n'est pas nécessairement d'énormes sujets
qui feront la Une du journal de 20h mais derrière des actes qui semblent mineurs
comme acheter des faux followers pour nourrir le fil twitter d’une entreprise, on va
nourrir des mafias et faire travailler des enfants dans des pays lointains. Je les oblige
à regarder en face ce qu’est le vrai, le faux, le gris. On est dans l'entre-deux. On
travaille aussi le sujet sur les mots. On essaie de classer les mots entre sincérité,
authenticité, transparence, vérité, etc. Y a-t-il une hiérarchie -dedans ? Les
entreprises peuvent-elles être transparentes ? Transparence veut-elle dire sincérité ?
On a également les cas Elise Lucet. Je les confronte à ça. Vous êtes communicants.
Elise Lucet vous demande d'interviewer votre patron, que faites-vous ? Comment
faites-vous ? Et l'intérêt, c'est de débattre. Je leur prédis que dans les trois premières
années de leur carrière, ils vont être confrontés à des cas où leur éthique sera
questionnée. On parle aussi des objets connectés qui entrent dans nos univers,
l'intelligence artificielle, les algorithmes, la neutralité du web, etc. Ils vont travailler
sur tous ces sujets.
5. Dans votre dernier ouvrage « Big ou bug data ? Manuel à l'usage des
datadéontologues »
1
, vous abordez la question des data dans leur dimension
éthique et défendez une déontologie du traitement des données, pouvez-vous nous
présenter votre démarche ?
1
Adary, A. (2017). Big ou Bug Data ? Manuel à l'usage des datadéontologues. Paris :
Edition du Palio.
158 P rof essio nna lis atio n d e la communi catio n : a pp roc hes sect oriel le s
Tout le débat sur les big data à leur apparition, on parlait même d'évangélisation
s'est cristallisé sur les 4 V : la vitesse, la variété, le volume et la valeur. Au début,
pendant des années, il n'y avait pas le 5ème V qui est celui de la vérité. L'idée de la
démarche est de dire que les 4 premiers V, notamment celui de la valeur, ne valent
rien s'il n'y a pas de véracité. Dans véracité, il y a la notion de juste propriété, la juste
collecte (éthique de la collecte, de son analyse), etc. La France fait partie des meilleurs
en matière de formation des data analyst, data scientist, etc. On devrait être capable
de produire aussi des datadéontologues qui viendraient proposer, encapsuler
l'ensemble des pratiques de data analyst pour leur donner un fondement d'éthique et
de véracité. En fait, ce que je constate dans la pratique, c'est un peu comme des
apprentis sorciers. On laisse les data analyst cruncher la data, collecter, etc. sans
jamais s'interroger sur pourquoi on le fait. Est-ce qu'on a bien le droit de le faire ?
Pour quelle finalité ? A la fin, ça produit des monstres. Et même si l'intention est
bonne, l'usage des données peut donner lieu à des effets indésirables, des effets
secondaires comme pour certains médicaments.
Si je me projette un peu dans le futur, si je regarde la masse de données qu'on va
continuer à collecter notamment avec les objets connectés et si on tend vers des usages
de plus en plus sérieux des data, de moins en moins récréatifs ou ludiques, il va falloir
mettre une couche, une membrane de déontologie entre la production et l'analyse des
données.
C'est-à-dire qu’un datadéontologue doit être « bilingue », capable de comprendre
comment les données sont produites, la structure des algorithmes, leurs dimensions
juridiques, avoir des connaissances sur le traitement, etc. et aussi être capable de parler
avec les utilisateurs de la data, c’est-à-dire presque toutes les fonctions de l’entreprise
(RH, DG, RSE, Commercial, etc.) : comprendre leur besoins, leurs usages. Dans cette
relation, le datadéontologue doit être en capacité de faire converser l’ensemble des
acteurs de la chaîne de valeur de la data.
Là, il y a un enjeu très fort et pas seulement juridique. Est-ce la loi, dans son
acception terre à terre, pure et dure ou est-ce l'esprit des lois ? L'éthique est plutôt du
côté de l'esprit des lois. C'est comme l'optimisation fiscale. Ce n'est pas illégal mais
ce n’est pas moral. C'est un peu le même sujet avec mon datadéontologue, on pourrait
imaginer des situations qui respectent scrupuleusement des textes de loi mais ce qu'on
est en train de faire n'est pas éthique.
6. Justement, quels sont les enjeux et les risques liés au big data aujourd'hui ? Quels
types de réponse envisager ? Concernant la judiciarisation de la question avec
notamment le RGPD 2018 ?
Ce que je vous disais au début, je trouve que les communicants ne se sont pas assez
emparés de la communication responsable, de l'ISO 26000, etc. Là, je vois arriver le
159 E ntr eti en : p our un e int ég ratio n d es dat ad éonto log ues
même problème avec le RGPD
2
. Il y a plein de directeurs de la communication qui
vont me dire, ça c'est le sujet de la direction de la conformité, c'est le juridique, c'est
le DSI qui s'en occupent et je leur dis non, non. Si on lit le texte du RGPD, on parle
d'information, de transparence, d'obtenir le consentement des utilisateurs. Partout,
partout, en filigrane, on parle de la communication et du communicant.
Le communicant est engagé dans ce sujet car, premièrement, sa fonction fabrique
de plus en plus de data et de fichiers. Dans le RGPD, on parle de fichiers plus que de
data. Le communicant est de plus en plus producteur de données. Deuxièmement, il
va devoir gérer les risques réputationnels liés au RGPD. Je n'arrête pas de dire que le
communicant doit avoir deux jambes : le verbe et le chiffre. Aujourd’hui, il faut
absolument qu'il muscle sa compétence en chiffres. Il ne peut pas fuir dès qu'il y a un
tableau excel.
Dans le RGPD, il y a le DPO, en français ils ont traduit par le Délégué à la Protection
des Données, en anglais, data protection officer, il a un petit super héros, qui n'est
pas très loin si je puis dire de mon datadéontologue mais qui est encore un peu trop
du côté des juristes. C'est une vision assez stricte de la loi.
La force d'un règlement européen est qu'il est opposable. Il n'y a pas que les
instances de régulation, type CNIL qui vont s'y intéresser, le citoyen, les ONG, les
associations vont pouvoir se saisir de ce droit pour attaquer juridiquement. Les avocats
disent que le risque d'amende, qui est très élevé, est très faible concernant les
organismes de régulation. En revanche, les préjudices demandés par les citoyens et
les consommateurs peuvent être très violents. Mais au-delà des amendes et des
préjudices juridiques, le vrai risque est réputationnel. C'est pour cela que ça fait partie
de l'éthique. Il n'est pas du du régulateur, qui va dire une ou deux fois, ce n'est
pas bien… Ce sont les citoyens, les associations qui vont attaquer. Par exemple, si
Uber annonce 1 mois après l’incident que 57 millions de comptes utilisateurs ont été
piratés… je pense que dans le cadre du RGPD, ils peuvent avoir une class action de
57 millions de personnes.
Le dernier élément qui place le RGPD dans le giron de la communication, est un
sujet de communication interne. Je pense qu'aujourd'hui, comme on a pu le faire pour
les réseaux sociaux, il faut conduire de grandes démarches pour sensibiliser les
collaborateurs, pour savoir ce qu'est un fichier, une donnée personnelle. Dans toutes
les grandes entreprises, il y a une charte de bonnes pratiques concernant les réseaux
sociaux, ce qu'on a le droit de dire ou pas, la confidentialité, etc. Il y a tout un pan de
communication interne à mettre en place car aujourd'hui dans une entreprise de 5 000
collaborateurs, cela ne m'étonnerait pas qu'il y a 5 000 fichiers avec des données
personnelles qui se promènent. Chacun refait son petit fichier. C'est comme ça qu'on
voit sortir des fichiers avec une liste de collaborateurs et des commentaires
2
https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees
160 P rof essio nna lis atio n d e la communi catio n : a pp roc hes sect oriel le s
désobligeants associés. Le communicant ne pourra pas empêcher ces cas d'éthique
personnelle mais il pourra sensibiliser à ce qu'est un fichier, que l’on ne peut pas créer
de fichiers n'importe comment, que les risques de diffusion existent.
7. Dernière question, la revue Communication et professionnalisation s'intéresse
particulièrement au processus de professionnalisation des communicateurs,
comment voyez-vous se construire cette fonction que vous nommez
« datadéontologue », quelles sont leurs responsabilités, les pratiques à
développer ?
J'ai été approché un moment donné par une institution de formation en me disant
pourquoi on ne créerait pas une chaire de datadéontologie dans une école ? Pourquoi
pas ! Et d'ailleurs, il faudrait qu'on enseigne quoi ? En effet, si on devait imaginer une
formation et intégrer la datadéontologie dans les équipes communication, cela
signifierait de professionnaliser les communicants sur le sujet des data, comprendre
les data, leur fabrication, ne pas en avoir peur, les mythifier aussi, comprendre
comment fonctionne un algorithme. Je ne dis pas avoir la compétence de le faire mais
osons rentrer dans ces sujets. Pour moi, on ferait déjà un très gros saut de
professionnalisation.
Ensuite, il y a tout ce que je décrivais pour les étudiants dans la professionnalisation
de la fonction. Avoir pleinement conscience de tous les référentiels métiers sur
l'éthique. Comprendre que ce sont nos amis et pas des empêcheurs de tourner en rond,
pouvoir s'en servir, s'appuyer dessus. Donc, professionnaliser sur la base des
référentiels. Après, je propose d’instaurer tous les semestres dans les équipes une
« revue éthique » des pratiques comme ça se passe, je pense, dans le monde de la santé
en hôpital. Être suffisamment en confiance pour dire voilà, j'ai fait ça, qu'en pensez-
vous ? Est-ce bien ou pas bien ? Parce que je pense vraiment que cela passe par la
pratique, pour arriver à éradiquer les micro-pratiques non éthiques qui peuvent
conduire à la fin à faire des choses monstrueuses.
Dire que la datatdéontologie est pleinement dans l’espace de la fonction
communication, cela revient à résoudre deux difficultés : c'est dire que la data, c'est
dans la communication et la déontologie, c'est dans la communication. Donc, cela
génère un double bénéfice pour la fonction communication mais aussi deux axes de
professionnalisation.