Lengouement du marketing pour la
confiance : quelle place pour léthique ?
Sophie Bonnaud-Le Roux, doctorante,
GRIPIC, CELSA Sorbonne-Paris IV
bonnaudleroux.sophie@gmail.com
79 L e n g o u e m e n t d u m a r k e t i n g p our la c onfiance
Résumé
On observe depuis quelques années un engouement pour la notion de confiance
parmi les discours marketing, qui est emblématique d’un déplacement des catégories
réflexives d’un marketing dit transactionnel vers un marketing dit relationnel. Une
analyse socio-sémiotique d’un corpus de sources professionnelles montre que la
confiance des consommateurs vis-à-vis des marques y est pensée comme la résultante
de comportements stratégiques empreints d’un savoir-être relationnel. Celui-ci se
coache et se construit suivant un système de codes, supposément empruntés à la sphère
interpersonnelle. Le projet de cet article ne vise pas à préjuger de la qualité éthique
des démarches professionnelles, mais à questionner l’approche fonctionnaliste et
technicisante de la confiance marque-consommateurs, en interrogeant le lien entre
d’une part les démarches communicationnelles préconisées et mises en place au sein
de la fonction marketing et d’autre part les aspects éthiques de la confiance.
Mots-clés : confiance, éthique, marketing, médiation marchande, relation client.
Abstract
Marketing shifted from a transactional to a mainly relational approach over the last
few years. This article displays the results of a socio-semiotic analysis based on book
chapters and articles written by professionals, all of them mentioning trust between
brands and customers. This analysis shows that brand-customer trust is thought of as
the result of a relational know-how using the codes of human relationships. This
article questions this technicizing and functionalist representation of trust as well as
both strategic and ethical dimensions of “customer relationship” in marketing
representations.
Key words : trust, ethic, marketing, communication, customer relationship.
80 P r ofe ssi on nali sa tio n de l a comm unica ti on : ap pro che s sec tor ielles
Aujourd’hui, les consommateurs sont tout à fait conscients d’être la cible de
stratégies marchandes exploitant des méthodes de séduction marketing. Il est devenu
presque naturel de préjuger d’emblée de la non-éthicité des discours et dispositifs de
communication commerciale. Ce faisant, on s’inscrit toutefois dans le sillage d’une
pensée critique, remontant en particulier à l’économiste Packard (1979), lequel a mis
au jour les procédés manipulatoires d’un marketing cupide qui continue aujourd’hui
d’alimenter les représentations ordinaires et la suspicion sociale généralisée à l’égard
des techniques de vente.
Dans le domaine de la recherche, le risque à considérer le marketing comme une
activité nécessairement non éthique est d’enfermer la pensée dans une projection
schématique opposant, d’une part un archétype d’entreprise tournée prioritairement
vers son intérêt lucratif et de l’autre, un public ou une clientèle aux préoccupations
plus noblement éthiques. Le philosophe Freeman donne un sens à cette projection
archétypique, qui relève de la croyance, dans sa thèse de la séparation (1994). Selon
lui, la nette différenciation entre d’une part le langage des pratiques de l’économie
marchande et de l’autre le discours éthique, alimente l’attitude sceptique consistant à
croire que les règles de fonctionnement de la sphère économique sont de qualité
moindre par rapport aux normes morales qui régissent le monde ordinaire (celui des
relations non-marchandes).
Cet article prend pour point de départ la pensée de Freeman pour questionner le rôle
et l’importance de la confiance dans la médiation marchande, à travers les discours
portés sur la notion de confiance dans la sphère marketing. Il prend appui sur une
réflexion menée dans le cadre d’une thèse sous convention CIFRE à EDF
1
, dont le
sujet repose sur une question initiale de la fonction marketing du groupe : comment
l’entreprise peut-elle, par ses actions de communication, contribuer à nourrir une
relation de confiance avec ses clients particuliers ?
Dans un premier temps de cet article, nous proposons des éléments de définition de
la confiance et une analyse de cette demande initiale qui nous est faite, en faisant
émerger la dimension éthique sous-jacente, occultée par une formulation « droit-au-
but », à visée opérationnelle. L’enjeu de la réflexion mise en place est de ne pas
préjuger d’une démarche de manipulation sous prétexte que la communication a un
but appliqué, sans toutefois faire l’économie d’un détour par une réflexion critique.
Nous nous appuyons sur les résultats d’une première étude empirique, à savoir une
analyse socio-sémiotique (de type benchmarking) de la communication commerciale
1
Thèse menée sous convention CIFRE à la Direction Recherche & Développement du groupe EDF
en partenariat avec le laboratoire GRIPIC (CELSA - Sorbonne Paris IV).
81 L e n g o u e m e n t d u m a r k e t i n g p our la c onfiance
sur Internet de grandes entreprises de service réalisée à la demande de la fonction
marketing dans le cadre de la thèse CIFRE.
Puis, dans un second temps, nous discutons l’approche fonctionnaliste de la
confiance portée par un discours marketing récurrent, identifié au détour d’une étude
documentaire à partir de sources professionnelles
2
. Cette étude documentaire nous a
permis de relever l’existence d’un méta-discours marketing qui a pour spécificité de
projeter sur la confiance un regard gestionnaire plus qu’éthique.
L’objectif de cet article est d’exposer la complexité du positionnement du
marketing, qui a pour but de vendre dans les meilleures conditions de profit, par
rapport à l’éthique qui, elle, édicte les principes de l’action et de la conduite morales
3
.
En effet, aussi éthique que puisse paraître la démarche, susciter et honorer la confiance
du consommateur répond chez les marques à des logiques stratégiques (faire en sorte
de susciter la confiance d’autrui peut toujours confiner à la manipulation), faisant
aussi écho à certaines attentes dans un environnement sociétal qui accorde une
importance croissante aux valeurs du partage (Autant, 2010) et de la confiance. Le
propos de cet article se fonde sur notre travail de thèse CIFRE mené à EDF, entreprise
entretenant une relation bien particulière au public français et qui, à l’heure de la
concurrence, est bien consciente des enjeux de la confiance. Ce travail sous
convention CIFRE aborde la problématique marketing de la confiance marque-
consommateur sous l’angle disciplinaire des SIC, en recourant à la démarche socio-
sémiotique pour décrypter ce qui se joue derrière l’actuelle appétence des marques et
des praticiens du marketing pour la notion de confiance.
1. Recherche appliquée en SIC sur la confiance :
enjeux de positionnement
1.1. Quelques éléments de définition préliminaires
D’après le Trésor de la Langue Française, la confiance est, dans le cas d’une relation
personnelle, « la croyance spontanée ou acquise en la valeur morale, affective,
professionnelle… d’une autre personne, qui fait que l’on est incapable d’imaginer de
sa part tromperie, trahison ou incompétence ». Dans le cas d’une relation au monde,
2
Corpus constitué, comme nous allons le voir plus en détail, d’ouvrages de marketing et d’articles
issus de la presse professionnelle en ligne, mais également de contenus issus de sources moins
institutionnelles comme des sites Internet d’agences-conseil et des blogs tenus par des professionnels
indépendants. Les articles en ligne ont en commun de délivrer de l’information concernant les
attitudes et les comportements à privilégier par les entreprises pour construire une relation de
confiance avec leurs clients.
3
Trésor de la langue française.
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aux choses, la confiance est un « sentiment de sécurité, d’harmonie ». Dans le
contexte marchand, qui est le cas qui nous intéresse plus particulièrement dans ce
travail, le type de confiance en jeu croise ces deux définitions et renvoie à la relation
harmonieuse entre d’une part le consommateur et de l’autre le personnel de
l’entreprise, l’organisation, la marque ou encore la société de consommation par
exemple.
En termes juridiques, la confiance est par ailleurs l’échange de consentements ; elle
suppose l’égalité des deux parties et le libre exercice de la volonté de chacune d’elles.
C’est pourquoi si le consommateur n’a pas contracté en connaissance de causes, on
estime généralement qu’il n’y a pas confiance totale. Pour autant, l’ignorance ne nuit
pas à la confiance ni ne l’invalide forcément ; elle peut au contraire la susciter. Aussi,
Simmel (1991) explique que dans notre société moderne caractérisée par sa
complexité et par un grand anonymat, la confiance est un état intermédiaire entre le
savoir et le non-savoir : on ne peut pas tout maîtriser ni synthétiser tous les savoirs et
il devient nécessaire de faire confiance à l’inconnu. La confiance autorise alors le
choix et permet le passage à l’action. Luhmann (2006) l’exprime ainsi : la confiance
permet de s’orienter parmi le grand nombre de possibilités, ce qui nécessite de se
situer dans un abandon relatif.
1.2. Le maintien d’une relation de confiance dans un
contexte concurrentiel
La question de la confiance, telle qu’elle est posée à EDF par une fonction marketing
soucieuse de développer une relation durable avec les clients particuliers, se pose tout
particulièrement dans le contexte actuel.
En effet, depuis quelques années plusieurs baromètres de suivi de l’opinion publique
révèlent une crise de confiance des Français dans les institutions et une fragilisation
des figures d’autorité
4
. Par ailleurs, cette question est d’autant plus prégnante pour les
entreprises électriques et gazières anciennement de service public, dont l’activité s’est
inscrite pendant des décennies dans un contexte strictement régulé et qui se sont
ouvertes de manière relativement récente à la concurrence, complexifiant d’autant le
repérage des consommateurs parmi les offres du marché.
Certes, l’ouverture du marché résidentiel n’a pas été suivi en France d’un
changement de comportement rapide et massif des Français et la plupart, d’après le
4
Baromètres CEVIPOF et le baromètre IPSOS de la confiance politique et des fractures françaises
notamment. Source URL : www.ipsos.fr/decrypter-societe/2016-04-27-fractures-francaises-2016-
repli-et-defiance-au-plus-haut. Consultée le 4 mai 2016.
83 L e n g o u e m e n t d u m a r k e t i n g p our la c onfiance
Médiateur national de l’énergie, institution publique indépendante, sont restés chez
l’opérateur historique : seulement 13% de ménages ont changé de fournisseur
d’énergie en 2015 d’après le 9
ème
baromètre de notoriété de l’ouverture des marchés
5
.
Mais, l’exemple des autres pays européens montre que le rôle et le comportement des
consommateurs évoluent peu à peu, pouvant conduire à un rôle plus actif et à une
certaine volatilité. De plus, les évolutions en matière de technologie de l’information,
de comptage intelligent et de tarification dynamique donnent à penser que les clients
auront à l’avenir un rôle de plus en plus important en matière de pilotage de la
demande et de maîtrise de leur facture (Defeuilley, 2011). La question de la confiance
et de la fidélisation devient donc d’autant plus pertinente pour les fonctions marketing
de ces entreprises, en particulier pour les entreprises historiques confrontées à la
menace concurrentielle d’acteurs à la pointe de la technologie et particulièrement
aptes à développer des offres de services numériques.
1.3. L’entrée du secteur des services énergétiques dans « la
logique de marque »
EDF est désormais une marque commercialisant de l’énergie parmi d’autres, quand
bien même il s’agit d’une marque bien spécifique du fait de son ancienneté et de son
historique mission de service public. Avec l’ouverture du marché à la concurrence, le
groupe a découvert la médiation marchande en ce sens que sa stratégie de
communication ne nécessitait pas, auparavant, d’être autant pensée en termes de
séduction marchande du fait de sa situation monopolistique sur le marché.
Le souci de la confiance prend son sens dans ce nouvel environnement
concurrentiel avec une intention qui revient, pour chacun des acteurs de marché, à
suggérer la confiance en sa marque, la marque s’inscrivant, par définition, dans une «
logique de différenciation de l’offre » (Kapferer, 2007, 37).
1.4. Apports d’une étude de type benchmarking
Dans le cadre de la recherche CIFRE, différentes études ont été conduites pour
apporter, sur le court terme, des éléments de réponse aux interrogations concernant,
en interne, les mécanismes de la confiance dans la relation client en général. Ont été
menées en particulier des études de type benchmarking. Outil au service de la
construction d’un positionnement de marque, le benchmark « consiste à observer ce
que font des concurrents, des homologues ou d'autres acteurs, et à comparer les
différentes productions obtenues avec la propre communication de l'entreprise », de
5
Source URL : www.energie-
mediateur.fr/marches_de_lenergie/barometre_ouverture_marches.html. Consultée le 4 mai 2016
84 P r ofe ssi on nali sa tio n de l a comm unica ti on : ap pro che s sec tor ielles
façon à mettre en évidence les logiques de communication et éventuellement leurs
codes récurrents (Legris-Desportes, 2014, 15).
Une étude comparative a été en particulier menée auprès d’un corpus regroupant
une vingtaine de sites Internet de grandes entreprises françaises de service, avec
l’appui éclairant de l’analyse, par D’Almeida, des médiations de la confiance
institutionnelle dans ses formes instituées et instituantes, qui composent le « processus
de mise en confiance » élaboré par les communications organisationnelles
(D’Almeida, 2001, 237).
L’étude s’est intéressée à des acteurs de l’énergie, de la banque, des assurances, des
transports et de la téléphonie, présentant des similitudes avec EDF, de par leur
envergure, leur notoriété ou les problématiques qu’elles rencontrent actuellement.
L’objectif a consisté à observer comment ces entreprises – parmi lesquelles des
entreprises historiques
6
et des nouveaux entrants
7
valorisent leurs offres de service
8
et à identifier parmi leurs pratiques de communication commerciale, celles
susceptibles de favoriser la confiance du consommateur internaute. L’intérêt d’étudier
des sites Internet d’entreprises réside précisément dans le fait que ce sont « des lieux
de consignation d’informations mais aussi et surtout des espaces de confrontation
entre des discours de l’entreprise et des expériences concrètes des individus » (Legris-
Desportes, 2011, 131).
Notre analyse de discours a emprunté aux méthodes de la socio-sémiotique. Cette
pratique de la sémiotique a le projet de « reconstruire une énonciation » non pas
abstraite, comme le déplore Rastier concernant la sémiotique du « texte seul »
(Rastier, 1987, 218), mais qui au contraire tient compte de manière pragmatique de la
situation de communication, des postures énonciatives adoptées dans cette situation
et, au-delà du contexte socio-historique. Cette sémiotique est pensée en interrelations
avec les autres disciplines des SHS. C’est d’ailleurs sans doute l’ancrage sociologique
de cette sémiotique qui l’inscrit dans le champ des études qualitatives appliquées aux
organisations et la rend appréciable pour l’entreprise
9
.
6
BNP Paribas, AXA, SNCF, Orange…
7
Hello Bank, Boursorama, Blablacar, Uber…
8
Dans cette optique, les pages Internet qui ont été analysées en priorité sont celles consacrées aux
offres de service sur les sites dédiés aux clients particuliers.
9
Les agences d’études et conseil en marketing mobilisent notamment la « sémio » en qualité de
compétence et d’outil au service de la stratégie de leur commanditaire et dans une perspective
prioritairement gestionnaire. Or « le fait d’identifier la sémiotique comme l’une des méthodes
qualitatives” du marketing a renforcé les représentations qu’on pouvait en avoir comme d’un
adjuvant technique du savoir » (Jeanneret, 2007), vision bien entendue limitative de ce qu’est la
sémiotique. Précisons à ce sujet que si la finalité des études menées par les chercheurs-sémiologues
en entreprise (intégrés à un département Recherche & Développement par exemple) n’est pas
85 L e n g o u e m e n t d u m a r k e t i n g p our la c onfiance
Ainsi, notre approche socio-sémiotique des pratiques discursives de marques de
service nous a permis de situer la communication d’EDF, le « commanditaire » de
l’étude, par rapport aux transformations qui touchent actuellement la communication
marchande dans le secteur des services. Cette analyse a ouvert sur un certain nombre
de réflexions conclusives, d’ordres variés. Tout d’abord elle a montré que la création
d’un lien de confiance est bien une dynamique partagée par des postures de marques
très différenciées, positionnées sur un axe allant de la marque paternaliste ou
maternante manifestant la promesse d’une prise en charge du client
10
à la marque
qui s’efface derrière son service et œuvre à l’autonomisation du client
11
. Suivant l’axe
retenu par la marque, la sémiotisation de la confiance tantôt exploite le registre de
l’empathie, dans une logique de proximité, tantôt mise sur le sérieux de la marque et
l’utilide son service. En revanche, un trait commun aux communications étudiées
est l’absence de langage sectoriel. Dans l’ensemble des secteurs étudiés, les marques
emploient le même langage au caractère profane : pas de terminologie experte mais
une phraséologie de l’ordinaire, manifestant un souci de pédagogie et de proximité
culturelle avec le destinataire du message.
Le langage des marques étudiées accorde en outre une grande importance à la
relation énonciative, relation symbolique créée par les modalités du discours entre
l’émetteur et le destinataire. Du reste un certain nombre d’auteurs (Berthelot-Guiet,
2011 ; Semprini 2007) ont montré que les transformations de la communication
marchande consistent principalement en un glissement de la relation depuis un registre
institutionnel et transactionnel vers un registre relationnel et existentiel, l’accent étant
désormais mis sur une vision hédoniste et expérientielle de la consommation (Carù &
Cova, 2006). La confiance reste sous-jacente à cette vision expérientielle du service,
avec l’idée que l’expérience est collective, partagée, générée de concert par la marque
sensiblement différente puisqu’elle vient en support de la fonction marketing et vise in fine elles aussi
l’optimisation des actions de communication de la marque (Legris-Desportes & al., 2014), en
revanche la formation académique et théorique de ces chercheurs et praticiens des sciences humaines
et sociales les préviennent du risque consistant à réduire la sémiotique au statut de « boîte à outils »
(Berthelot-Guiet, 2004). Il n’en reste pas moins que l’approche sémiotique a ceci de spécifique
qu’elle a fondamentalement vocation à être opératoire, du fait de sa « capacité à outiller la réflexion
sur des objets concrets » (Berthelot-Guiet & Boutaud, 2014, 12).
10
A titre d’exemple, cette promesse de prise en charge est manifeste dans le discours tenu par SNCF
sur son site à propos du service « Domicile-train » : « pour les personnes ayant besoin d’une aide
particulière pour se déplacer de leur domicile jusqu’en gare et inversement, le service d’aide à la
personne Domicile-train s’occupe de tout ». Source URL : www.voyages-
sncf.com/services/accompagnement. Consultée le 15 mars 2017.
11
Le service de transport Uber donne les moyens à l’usager d’être autonome en le rendant maître de
sa mobilité via un outillage numérique facilitateur de démarches : « Uber, un service qui vous permet
de vous déplacer en ville à l’aide d’un seul bouton ». Source URL : www.uber.com. Consultée le 15
mars 2017.
86 P r ofe ssi on nali sa tio n de l a comm unica ti on : ap pro che s sec tor ielles
et le client : on retrouve le primat de l’horizontalité au cœur des mutations de la
communication marchande.
En effet, en regard du corpus de communications analysé, l’expérience du client
apparaît comme le produit de deux réalités : la consommation vue au prisme de la
« recherche du bien-être que celle-ci devrait assurer » et l’affirmation de la
communication, via notamment la manifestation de la présence de la marque sur les
réseaux sociaux, comme « trait définitoire et intrinsèque du tissu social et des relations
entre individus et groupes sociaux » (Semprini, 2007, 318).
1.5. Limites du benchmark à renseigner sur la confiance
L’étude a permis de mettre au jour un certain nombre de marques linguistiques et
sémiotiques, présentes dans les discours et qui font sens dans une stratégie de mise en
confiance. Est-on pour autant en droit de conclure que ces signes pourraient avoir une
efficacité reproductible à des fins stratégiques ? La question se pose dans la mesure
où la démarche appliquée de la sémiologie pratiquée en entreprise consiste à apporter
une meilleure intelligibilité des communications à des fins d’optimisation : « c’est en
connaissant mieux les signes potentiellement émis que l’on s’oriente en connaissance
de cause vers des choix stratégiques » (Legris-Desportes, 2004, 9).
La demande formulée par la fonction marketing à l’origine du travail de thèse
CIFRE peut évoquer dans une certaine mesure une conception behavioriste de la
communication, sur le principe pavlovien « à stimulus connu, réponse prévue, et à
réponse connue, stimulus diagnostiqué » (Jouve, 2000).
Or, le sociologue Quéré souligne la dimension morale de la confiance, qui implique
que celle-ci ne peut être « obtenue ou produite par une manipulation stratégique, ou
même qu’elle soit réglée par une institution sociale – les institutions en général
distribuent des obligations et des droits car on ne peut pas obliger quelqu’un à
accorder sa confiance, ni revendiquer un droit à la confiance corrélatif d’un devoir de
confiance » (Quéré, 2011, 135). La labilité de la confiance se loge précisément dans
cet irréductible pouvoir des individus sur la confiance qu’ils décident ou non,
consciemment ou non, d’accorder ou d’honorer ce qui laisse présager du risque et
de la fragilité inhérents à la confiance.
Lorsqu’elles s’adressent aux consommateurs, les marques émettrices mettent en
place des pratiques de communication susceptibles de susciter ou de favoriser la
confiance chez le destinataire du message, qui néanmoins n’en demeure pas moins
libre d’y adhérer ou non. À partir du moment où l’on reconnaît cette liberté d’adhésion
chez le récepteur, ces signes produits par la marque ne peuvent être considérés comme
étant des « ressorts » ou des « ingrédients » constitutifs de la confiance, à moins de se
situer dans une perspective behavioriste. Le récepteur a toujours la liberde ne pas
87 L e n g o u e m e n t d u m a r k e t i n g p our la c onfiance
se laisser influencer et d’ailleurs, en matière de confiance décidée
12
, la variabilité est
plus forte que la prédictibilité (Seligman, 2001) : ce type de confiance déborde
nécessairement les règles et scénarios préétablis pour se réactualiser sans cesse en
situation. Ainsi, on ne peut raisonnablement que renoncer, au nom du bon sens autant
que de l’éthique, à l’illusion de la contenir dans un modèle définitoire et prescriptif,
aussi élaboré soit-il.
La marche socio-sémiotique, et son terrain d’analyse circonscrit présentement à
un corpus de sites Internet, est donc avant tout en mesure de renseigner sur les
pratiques de communication et d’illustrer un certain nombre de tendances actuelles
dans le domaine du service ; elle ne prétend pas contribuer à l’élaboration d’une
quelconque mécanique de la confiance.
1.6. Ambiguïtés intrinsèques à la communication marchande
Si l’on considère qu’une entreprise déploie des actions de communication exploitant
séduction et ambiguïté dans le but ultime de servir ses intérêts mercantiles, il s’ensuit
qu’« indépendamment du contenu du message qu'elle produit, la publicité, dans sa
nature même, pose (…) une question morale » (Teyssier, 2004).
Ainsi se pose doublement la question de savoir sous quelles conditions morales ou
éthiques la fonction marketing d’une entreprise peut prétendre à la mise en place d’une
relation de confiance en mobilisant des stratégies communicationnelles. Tout d’abord,
la définition de l’entreprise et sa finalité influencent l’orientation de la réponse. De
fait, si l’on réduit l’organisation à la recherche de profit, alors même toute
manifestation éthique, telle que « le souci d’autrui, est jugée (…) de manière
entièrement instrumentalisée, en se demandant dans quelle mesure (il permet)
indirectement de réaliser du profit » (Anquetil, 2011, 63).
Le degré d’instrumentalisation de valeurs telles que la confiance dépend en outre de
l’importance accordée à celle-ci dans le monde économique. Or Keynes (1969) avait
soulevé l’importance du subjectif dans les comportements de consommation avec
notamment le rôle de la confiance (state of confidence), et actuellement l’économiste
Peters soutient que « la coopération et la confiance sont les ingrédients vitaux de la
réussite de l’environnement économique » (Ibid., 284). En regard de la valeur
économique attribuée à la confiance, tout questionnement à son sujet dans un cadre
marchand est susceptible d’être envisagé sous un angle utilitaire, au service de la
12
A.B. Seligman différencie la confiance décidée, qui s’exprime individuellement en l’absence de
savoir permettant de prédire un comportement ou une conséquence (et qui justement est un palliatif
à l’incertitude due à l’absence de savoir), de la confiance assurée, confortée à l’échelle du collectif
par un système d’obligations et de sanctions dont la fonction sociale est d’encadrer le risque dans les
relations humaines (2001).
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« réalisation de profits et la récompense commerciale » (Ibid., 63). Néanmoins une
telle vision réduirait à portion congrue toute motivation éthique.
Enfin, la question morale n’est pas forcément abordée en tant que telle, elle peut
être aussi contournée par des professionnels qui fondamentalement sont formés à la
stratégie et notamment à la « stratégie d’écart » (Baghdadi & Zghal, 2008). Ainsi, face
à une réception sociale sceptique voire réfractaire à la publicité, certaines marques
font le choix de « renoncer aux communications commerciales de type ouvertement
publicitaire ou, plus fréquemment, de faire cohabiter la prise de parole publicitaire
classique avec d'autres formes » (Berthelot-Guiet, 2011, 79). L’ambiguïté contenue
dans tout message publicitaire elle tient à son caractère double, potentiellement
duplice
13
se voit d’autant plus renforcée au travers de ce que Berthelot-Guiet appelle
les « nouvelles voix des marques » (Ibid.).
Les marques à l’heure actuelle ont, selon l’auteur, « pour dénominateur commun de
prendre la parole sous des modalités apparentes autres que celle de la publicité
traditionnelle », « plus valorisées socialement », comme le magazine de marque, la
série web ou le jeu-concours. (Ibid., 80). De fait, « les marques, tout en conservant la
publicitarité de leurs discours c'est un discours destiné à produire une adhésion ,
cherchent à éviter la suspicion par le masquage et proposent une redéfinition des
limites de l'information et de la communication. Le propos émis est communicationnel
tout en se situant en dehors de la notion d'influence » (Ibid., 81).
Or précisément l’existence de solutions de contournement et de dissimulation par
les marques invite d’autant plus à penser la place de l’éthique et les modalités selon
lesquelles on peut construire le positionnement d’une recherche centrée sur la notion
de confiance dans la communication marchande.
1.7. Entre recherche appliquée et recherche instrumentée :
la construction du positionnement
À mi-chemin entre actions de recherche appliquée, réalisées pour l’entreprise
hébergeante et recherche académique sous l’égide d’un laboratoire, une thèse CIFRE
implique d’autant plus l’« effort d’élaboration réflexive d’un questionnement à la fois
sensible à la complexité et opératoire » qui caractérise la construction d’un objet de
recherche (Le Marec & Molinier, 2014, 3).
13
Le message publicitaire informe l’information contenue dans le message « est consciemment
enregistrée et peut faire l'objet d'une délibération rationnelle » en même temps qu’il suggère la
dimension suggestion est « constituée de représentations et symboles latents » (Cathelat, 1992, 138).
L’information est « le message qui s'en tient aux faits, nettoyés de rhétorique autant que de
convenances, de prévenances ou de connivences » et c’est précisément cette information qui «
déchoit dans la communication » (Bougnoux, 1995, 37).
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Signalons qu’en matière de prescription stratégique, vers laquelle tend la demande
initiale de la thèse, les sciences de gestion ont déjà mené de nombreux travaux sur la
confiance, la démarche prédominante consistant à analyser les causes et variables de
la confiance chez le consommateur (Gatfaoui, 2007 ; Morgan & Hunt, 1994 ; Sireix
& Dubois, 1998) pour élaborer des « modèles prédictifs de comportement »
permettant de reproduire des résultats expérimentaux (Courbet, 2001).
Néanmoins à la différence des sciences de gestion qui « cherche(nt)
l’opérationnabilité et l’utilité des modèles pour les organisations » (Ibid., 2001),
l’intérêt des SIC pour l’entreprise réside dans une posture de recherche plus
circonstanciée et prudente vis-à-vis des implications managériales (Meyer, 2006). Du
fait de cette posture, l’inscription en entreprise d’une recherche SIC requiert d’autant
plus un effort de traduction en termes opérationnels et de vulgarisation des théories
mobilisées, lorsqu’il s’agit de valoriser les résultats de la recherche auprès des
demandeurs. D’ailleurs, de manière plus générale, cette posture de médiateur fait
partie intégrante du travail des chercheurs en sciences humaines et sociales dans
l’entreprise (Meynaud, 1996).
En somme, le positionnement adopté dans cet article comme dans la thèse consiste
à ne pas en rester aux approches technicisantes des praticiens du marketing et de la
communication, mais pour autant à ne pas dédaigner les modalités de recherche dans
la pratique professionnelle marketing sous prétexte que celle-ci simplifie le réel,
puisque sa raison d’être est précisément opératoire. Notre approche se veut
compréhensive des représentations professionnelles sous-jacentes aux propositions
communicationnelles des marques, qui véhiculent l’image de marques animées par
des valeurs humanistes (d’empathie par exemple), abordant la relation avec le
consommateur en mettant l’accent sur sa dimension « relationnelle ».
2. Fonction de l’archétype dans la pensée marketing
Comment les acteurs de la communauté marketing se représentent-t-ils la
confiance ? L’immersion dans l’entreprise en qualité de doctorant CIFRE en donne
un aperçu par bribes. Une étude de textes issus de divers lieux de publication
professionnelle a permis de le formaliser et d’approcher un discours collectif de la
fonction marketing.
90 P r ofe ssi on nali sa tio n de l a comm unica ti on : ap pro che s sec tor ielles
2.1. Une approche de la littérature en marketing : corpus et
méthodologie
Un travail de recueil de corpus a été réalisé, rassemblant des ouvrages de
professionnels
14
, des articles de magazines marketing en ligne
15
, des sites d’agences
de conseil (la cible est en général les PME et les entrepreneurs), des sites d’expression
professionnelle et des blogs de consultants indépendants, traitant tous de la thématique
de la confiance et situés en tête du référencement Google
16
.
La constitution d’un corpus issu de sources professionnelles s’est inspirée du travail
de Labelle (2007) sur les usages du média papier dans les pratiques marketing, qui
montre bien que les prises de parole des professionnels constituent un terrain
d’investigation susceptible de nous renseigner sur les imaginaires professionnels.
Ceux-ci « escortent » les tendances marketing et communicationnelles et produisent
« un propos d'ordre idéologique sur les propositions communicationnelles des
marques » (Berthelot-Guiet, 2011, 80). Au plan de la démarche réflexive, nous nous
situons dans le sillage de Méadel et Hennion (1997) : l’enjeu n’est pas de développer
une philosophie de la confiance, partant du présuppo qu’il existerait une bonne
conception de la confiance et que celle-ci échapperait aux professionnels qui
s’expriment à son sujet. La démarche en sens inverse est privilégiée, qui consiste
plutôt à emprunter les propos du marketing sur la confiance comme « accès
expérimental » (Ibid., 595) à sa compréhension, dans une communauté de pratiques
donnée qui est celle de la fonction marketing de l’entreprise.
Ce travail d’analyse interprétative est en partie linguistique : nous avons notamment
procédé à la prise en compte des phénomènes d’isotopie présents dans les textes
étudiés. Puis l’analyse a porté sur le contexte énonciatif, dans une perspective
sémiotique qui prend en compte la dimension situationnelle tout en intégrant le
14
Le choix des ouvrages consultés (cf. bibliographie) s’est opéré en fonction des sélections proposées
en rayons spécialisés marketing, de la renommée de leurs auteurs et de la date de parution.
15
Les sites-magazines retenus sont répertoriés dans la base de données Europresse et bénéficient du
meilleur référencement Google sur le thème de la confiance. Citons à titre d’exemple les sites LSA
Le magazine de la grande consommation en France »), RelationClientmag, ActionCo Action
commerciale, le site des managers commerciaux »).
16
Sites de consultants, en agence ou indépendants : markentive.fr (agence marketing), post.ch
(Groupe La Poste en Suisse : conseil en marketing direct aux clients professionnels), abime-
concept.com (agence web), netpme.fr (portail d’information aux PME), enviedentreprendre.com
(blog collaboratif sur la création d’entreprise avec retours d’expériences d’experts en marketing),
gautier-girard.com (portail de création d’entreprise).
Blogs : Le blog du manager commercial, Blog du communicant 2.0, Blog marketing, Le marketeur
français, Le blog du consultant.
91 L e n g o u e m e n t d u m a r k e t i n g p our la c onfiance
linguistique, c’est-à-dire sans l’écarter à l’inverse de certaines dérives interprétatives
qui ont été reprochées entre autres à Greimas (Rastier, 1987, 103). Et enfin, notre
analyse de discours a tenu compte du contexte socio-historique de sa production, de
sa réception, de sa circulation. Notre travail s’appuie donc sur un type de sémiotique
(socio-sémiotique) qui procède à l’interprétation textuelle en tenant compte du
contexte.
2.2. Mobilisation fonctionnaliste de l’archétype en marketing
Dans les dispositifs définitoires que sont en partie les ouvrages de professionnels du
marketing, la confiance n’est pas un concept disciplinaire à proprement parler. On ne
trouve pas de définition marketing de la confiance en tant que telle, que ce soit dans
Le Mercator (Lendrevie & Lévy, 2014), dans le dictionnaire (Badot, 1998) ou les
ouvrages de référence
17
même si la notion de confiance peut être présente en index.
C’est à partir du moment où il est question de marketing « relationnel » que la
confiance est nommée et revendiquée, étant globalement perçue comme un critère de
qualité dans la relation client puisqu’elle l’inscrit dans une perspective de durabilité.
Aussi tout l’enjeu du marketing est de caractériser les moyens de communication à
mettre en œuvre pour servir une relation durable avec le client (Lovelock, 2008). La
confiance appartient donc à la catégorie de moyen pour œuvrer à la construction d’une
relation durable avec les clients, mais représente en même temps la finalité de la
stratégie envisagée. Elle est donnée à voir avant tout comme la thématique phare d’une
approche « relationnelle » du marketing. De fait, la terminologie marketing révèle une
approche gestionnaire héritée des sciences de gestion, qui est une approche
catégorielle et dans laquelle la confiance, concept polysémique et complexe, ne peut
entrer qu’en qualité de thématique.
Sur le modèle de l’expression relation client, le lexique marketing regorge de
syntagmes figés qui encapsulent la complexité du réel dans une lecture à la
maille macrosociale (Jeanneret, 2008, 113), qui pourtant prétend ne pas l’être
18
. En
effet, la notion générique d’expérience client y désigne « le vécu propre à chaque
client, sa perception rationnelle et émotionnelle, construite progressivement tout au
long de sa relation avec la marque » (Deslandres, 2015, 15). De même, la catégorie
parcours client correspond à « la description, étape par étape, de ce que vit le client,
17
Dayan (2003), Deslandres (2015), Fasse & Schapiro-Niel (2011), Lindon & Jallat (2010),
Lovelock, Wirtz, Laper & Munos (2008).
18
L’expression relation client gomme la dimension marchande d’une médiation pourtant bien
spécifique entre une entreprise, à savoir une entité morale agissant suivant des logiques
organisationnelles et commerciales, et un client individu.
92 P r ofe ssi on nali sa tio n de l a comm unica ti on : ap pro che s sec tor ielles
de l'ensemble de ses interactions avec la marque sur les points de contact mis à sa
disposition par celle-ci » (Ibid., 15). Il apparaît que la personnalisation du parcours
reste toute relative, puisqu'encapsulée dans une vision schématisée et normative.
Ces points d’exemples permettent d’avancer l’hypothèse selon laquelle l’archétype
a une fonction stratégique : simplifier l’ordre des possibles et permettre le passage à
l’action. Parmi les outils pensés pour la mise en place et la gestion de l'expérience
client, les persona illustrent du reste bien la dimension outillée de la gestion en
marketing. Un persona est un portrait de client type, caractérisé par un certain nombre
de données signalétiques, des goûts, des pratiques de consommation : il « est un
archétype, construit à partir des caractéristiques de personnes réelles qui ont des
habitudes, des valeurs et des comportements similaires » mais aussi « qui réagissent
de la même façon aux stimuli d'une expérience client donnée » (Ibid., 16). C'est aussi
« un outil de communication très efficace en interne, qui permet de diffuser la
connaissance client à l'ensemble des employés » (Ibid.).
Aujourd’hui, la fonction marketing ambitionne précisément, avec le développement
du big data, de quitter l'artefact de l’archétype comme outil de représentation, pour
aller vers une connaissance réelle, plus immédiate du client. Se dessine ici un
imaginaire professionnel de l’accès à la connaissance les nouvelles technologies
permettraient l’omniscience – et de la relation disposer d’informations personnelles,
c’est pouvoir assurer par la suite le développement d’une relation.
La thématique de la confiance est enfin mobilisée dans une mouvance marketing
dont les catégories réflexives se sont déplacées d’un marketing transactionnel à un
marketing relationnel, envisagé non pas dans le sens d’une révolution éthique du
monde marchand mais dans une optique d’optimisation de la personnalisation de
l’offre : « il existe un modèle dominant d'une relation client réussie, fondée sur un
cercle vertueux : tracer les clients dans toutes leurs interactions, développer une vision
à 360°, personnaliser son offre, etc. » (Deslandres, 2015, 59).
2.3. Mobilisation de la notion de confiance dans l’expertise
professionnelle : la place de la croyance
Si les ouvrages de professionnels édités s’expriment sur la confiance dans un
langage spécifique, balisé par les catégories du métier, les sites web et les blogs de
consultants partagent quant à eux plus librement des opinions sur le rôle et
l’importance de la confiance dans la médiation marchande. Leur vision est moins
stratégique, davantage axée sur la pratique et les techniques de communication. Ces
textes, qui composent le second volet de notre corpus, s’adressent plutôt à des PME
ou à des entrepreneurs indépendants, potentiellement à des profils non marketing, et
se rend d’emblée plus perméable aux représentations collectives et stéréotypées
circulant dans la vie ordinaire.
93 L e n g o u e m e n t d u m a r k e t i n g p our la c onfiance
Ce corpus de sites professionnels et de blogs individuels de consultants donne à voir
deux types de discours sur la thématique de la confiance : des recommandations qui
s’appuient sur ce que Grivel appelle « les connaissances professionnelles » et des
énoncés théoriques sur la relation de confiance, relevant de ce que l’auteur appelle
« un savoir social » (Grivel, 1978).
Tout d’abord, la relation de confiance entre l’entreprise et ses clients est envisagée
sur le même registre qu’une relation interpersonnelle. Ici comme ailleurs, « le cas
paradigmatique de la confiance est celui d’une relation entre deux personnes » (Quéré,
2001, 131). La confiance est présentée comme la résultante d’un savoir-être
relationnel qui se coache et se construit suivant un système de codes empruntés à la
sphère interpersonnelle, et à son paroxysme archétypique, la relation amoureuse : « La
relation client rêvée c’est (…) un peu comme dans une relation amoureuse, l’on
doit entretenir sa relation avec des mots gentils, de petites attentions
19
».
Le discours donne à voir un imaginaire de la relation, qui est celui de notre époque,
et repose sur des croyances partagées qui ont l’apparence de poncifs (Corroy &
Gonnet, 2008, 329). Cette approche évoque une forme de « prêt-à-penser » de la
confiance, susceptible de rencontrer la sensibilité du plus grand nombre de récepteurs,
et du reste suffisamment vague pour supporter les contradictions puisque la confiance
est envisagée soit comme une précondition : « La confiance est le fluidifiant de la
relation, le petit quelque chose imperceptible qui fait gagner du temps car il est inutile
de chercher les preuves. Il permet d’avancer les yeux fermés
20
», soit comme une post-
condition : « Il faut prouver à vos clients (…) qu’ils peuvent réellement compter sur
vous
21
».
D’où vient le savoir des marketeurs sur la question de la confiance ? Ce n’est pas le
lieu ici d’éprouver la validité de ce qui est avancé, d’autant qu’épistémologiquement
parlant la production du savoir par les praticiens ne suit pas les mêmes voies que le
savoir universitaire. Abordons plutôt le problème par l’auctorialité, car l’on remarque
précisément que les marques d’auctorialité disparaissent dans ce type de discours,
pour donner à voir des vérités d’ordre général, énoncées sur le mode de la maxime.
Tout ce qui prend l’allure d’une maxime de par son haut degré de généralité est
manifestement énoncé depuis une posture qui est en quelque sorte celle du censeur,
de celui qui juge que certaines choses ne sont pas négociables : « Par définition fragile,
19
Source URL : www.marketing-professionnel.fr/parole-expert/grc-crm-relation-client-futur-
confiance-lien-201503.html. Consultée le 7 mai 2016.
20
Source URL : www.enviedentreprendre.com/2008/04/la-confiance-so.html. Consultée le 7 mai
2016.
21
Source URL : www.post.ch/-/.../post/.../12-tipps-fuer-vertrauensbildende.pdf. Consultée le 7 mai
2016.
94 P r ofe ssi on nali sa tio n de l a comm unica ti on : ap pro che s sec tor ielles
cette confiance ne tolère pas la déception et la trahison. La confiance autorise la
permission mais pas n’importe laquelle
22
». Cet énoncé dessine les contours (flous)
d’une définition de la confiance par l’éthique, ce qui nous amène à nous interroger sur
la démarche même de définition de la confiance : et si produire une définition de la
confiance, c’était en édicter les lois ? Il semble en tous les cas que communiquer sur
la confiance, c’est y croire et c’est croire qu’elle aura le dernier mot, comme le titre
l’un des articles du corpus : « Relation client du futur : relation de confiance
23
».
La confiance dont il est question renvoie à une catégorie aussi vague et imprécise
que « la vie », exemple similaire de concept « fourre-tout » qui se prête très bien à la
circulation de banalités et de lieux communs attrayants
24
. Leur paternité est supposée
partageable par tous, au nom d’une morale commune. Du fait qu’ils délivrent un
savoir évasif, a-contextuel, sur un ton affirmatif, les énoncés à prétention théorique
rejoignent en fait le registre énonciatif de la croyance. La croyance étant, selon
Jacques Derrida, un acte de langage autant qu’un acte mental (Derrida, 2000).
Or précisément, selon Quéré, envisager la confiance comme une croyance
représente une alternative salutaire à une focalisation excessive et réductrice sur sa
dimension cognitive (Quéré, 2001, 133). Cela permet en outre, selon nous,
d’envisager également la confiance, non plus uniquement à la maille individuelle,
introspective (D’Almeida, 2001, 225) ou même intersubjective, mais à la maille
collective en tant que croyance circulante et partagée. Très manifestement, la
conscience collective a intégré un certain nombre de croyances relatives à la
confiance, qui continuent de circuler au travers d’une morale de tradition orale dont
est imprégné notre savoir social sur la confiance : « la confiance se mérite »,
« promesse faite promesse tenue », etc.
C’est pourquoi, parmi les éclairages théoriques pour penser l’impendu « prêt-à-
penser » de la confiance, on propose le concept de doxa qui, hérité de la philosophie
aristotélicienne, renvoie à l’ensemble des valeurs, opinions, préjugés qui circulent
dans la société. Une doxa de la confiance justifierait du reste que la définition de la
confiance soit un point aveugle dans la littérature la littérature en SHS donne un
aperçu exhaustif des manifestations de la confiance mais fait la plupart du temps
l’économie d’une définition qui précisément semble aller de soi.
22
Source URL : www.marketing-professionnel.fr/parole-expert/grc-crm-relation-client-futur-
confiance-lien-201503.html. Consultée le 19 mars 2017.
23
Source URL : www.marketing-professionnel.fr/parole-expert/grc-crm-relation-client-futur-
confiance-lien-201503.html. Consultée le 19 mars 2017.
24
Le numéro de juin 2015 de la revue Sciences Humaines enfonçait une porte ouverte en proposant
pour titre de son dossier « La confiance, un lien essentiel ».
95 L e n g o u e m e n t d u m a r k e t i n g p our la c onfiance
2.4. La normativité de la confiance : de la croyance à la
forme discursive
La confiance de type institutionnel entre un individu et une institution au sens
large se caractérise par une interconnaissance personnelle très limitée entre ces
acteurs, élément pourtant fondamental à la construction d’une relation de confiance.
Quéré estime que, si l’individu n’a pas accès, ou de manière très contrainte, aux
acteurs d’une institution ou d’une organisation, il a en revanche accès à l’« idée
normative » de l’institution (Quéré, 2001, 145), qui va déterminer s’il lui fait ou non
confiance. Cette « idée normative » est hiculée par la publicité au sens large de
tout ce qui est communiqué dans l’espace public via différents canaux. Elle est
formalisée d’une part au travers de la loi et du contrat qui conforte le fait qu’on puisse
justement attendre de l’institution qu’elle se conforme à son « idée normative ». Mais
elle est aussi « un esprit, (…) un ethos, (…) une théorie morale implicite » (Ibid., 146),
enracinée dans un contexte culturel avec des attentes en partie déterminées sur la
façon dont une entreprise éthique doit se comporter.
Le « marketing de la confiance », cet engouement pour la notion de confiance dans
les réflexions méta-discursives des professionnels du marketing et dans les
productions communicationnelles des entreprises, qu’elles soient explicites – par
exemple dans les communications axées sur la notion de confiance de La Poste, de
BNP Paribas ou de La Caisse d’Epargne ou implicites
25
(D’Almeida, 2001), laisse
penser qu’on a affaire à une « forme discursive » au sens où l’entend Semprini de «
configuration que prend à un moment précis et dans une société donnée un ensemble
déterminé de pratiques sociales, de systèmes d’intérêts, de groupes sociaux, de
conventions éthiques et d’orientations culturelles » (Semprini, 2007, 318).
En outre on émet l’hypothèse que les conventions éthiques qui pèsent sur
l’organisation et ses modes d’interaction avec le public dépendent en partie de ce que
le sociologue Angenot appelle le « discours social » : selon lui, chaque époque a son
« discours social », constitué de grands thèmes récurrents, ou hégémonies de topiques.
Ces topiques recourent à des lieux communs qui finalement « s’agglomèrent en vision
du monde » pour donner à voir un « vraisemblable social », autrement dit les
évidences, ce qui va de soi pour un groupe donné à un moment donné (Angenot,
1988).
En fin de compte, cette analyse a permis de relever, au plan discursif, une
harmonisation de la face visible des discours marchand et profane, concernant
notamment l’importance accordée à l’expérience partagée (Autant, 2013). Nous
25
Via par exemple la valorisation d’une démarche RSE, et plus largement la mise en récit de l’histoire
de l’entreprise, de ses valeurs et de ses engagements. Ces éléments de communication exploitant le
champ lexical de la confiance sans la nommer elle-même expressément, contribuent pourtant à la
création d’un climat de confiance.
96 P r ofe ssi on nali sa tio n de l a comm unica ti on : ap pro che s sec tor ielles
suggérons à partir de ces résultats, que la teneur éthique du souci consensuel de la
confiance et du partage tient, du côté des entreprises, autant à une sensibilisation aux
topiques sociaux du moment, qu’à une démarche réflexive de responsabilisation
éthique. En matière de communication des entreprises, motivation éthique et stratégie
marchande sont du reste étroitement liées par nécessité économique. La configuration
des alliances entre éthique et stratégie marchande est très plausiblement soumise en
partie aux évolutions conjoncturelles, évoluant en fonction des événements et des
discours sociaux et économiques. Nous constatons pour le moins que la valorisation
par les marques d’une intention éthique et humaniste est actuellement un élément
récurrent parmi les prises de parole à destination du grand public, et que la
mobilisation de valeurs éthiques par les marques prend place dans le cadre d’une
démarche de communication stratégique.
97 L e n g o u e m e n t d u m a r k e t i n g p our la c onfiance
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