148 Atypies, hybridités et temporalités
Une anecdote de terrain résume parfaitement le phénomène interrogé dans le cadre
de ce numéro : depuis maintenant plus de quinze ans d’entretiens auprès de communi-
cateur·rices, l’expression de loin la plus récurrente est sans conteste « oh, mais tu sais,
moi, j’ai un parcours/profil atypique ». Bien que depuis de nombreuses années, nous
ayons assisté à des tentatives de standardisation dans les établissements d’enseigne-
ment et dans les associations professionnelles (Baillargeon et al., 2013 ; Lépine et
David, 2014), souvent autant sous le coup d’une recherche de positionnement que
d’un seul désir de rendre professionnelle la communication, les parcours profession-
nels des communicateur·rices demeurent hétérogènes. L’atypie serait-elle la typicité
des métiers de la communication ? Qu’est-ce que cet apparent paradoxe nous indique
sur cette profession ?
De nombreuses sources statistiques témoignent effectivement de la variété des
postes et des provenances des praticien·nes des métiers de la communication. Ainsi,
le classement des professions effectué lors du dernier recensement au Québec classe
ces métiers au sein du groupe hétéroclite des « professions du domaine culturel et des
communications », où se côtoient notamment relationnistes, acteurs et actrices,
photographes et journalistes (Langlois, 2016). Malgré une évidente progression des
formations spécialisées en communication (Jeffrey, Burton, 2012), les provenances
des praticien·nes peuvent encore beaucoup varier, entre communication, gestion,
sciences politiques, sociologie, psychologie, arts ou lettres (Coutant, 2009 ; David et
Motulsky, 2010). L’atypie répondrait alors certainement à cette expertise de la
« contorsion » (Dupouy, Fenot et Fukhura, 2015) qui semble, au premier abord, le
seul élément réellement partagé par les communicateur·rices.
Cette atypie s’illustre aussi dans la diversité des titres, appellations et noms de
métiers plus ou moins pérennes, employés pour qualifier la fonction des communi-
cateur·rices. La grande enquête sur les métiers de la communication au Québec
dressait déjà ce constat (David et Motulsky, 2010)
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, que le développement de
nouveaux supports de communication n’a fait que renforcer (Coutant et Domenget,
2015).
En matière de trajectoire interne à la profession, il existe aussi une très forte mobilité
entre les métiers, au cours d’une carrière ou entre la formation et la carrière (journa-
listes, relations publiques, publicité, etc.), le tout étant dû autant à des choix qu’à des
contraintes face à certains secteurs bouchés ou à des défauts de reconnaissance des
diplômes obtenus (Touati et Badulescu, 2014 ; Brizard-Kim, 2016). Les journalistes
deviennent relationnistes ou producteur·rices de contenus (Baillargeon et al., 2016 ;
Bernier et al., 2005) ; les mathmen deviennent les nouveaux et nouvelles commu-
nicateur·rices à l’aune du big data (Couldry et Turow, 2014 ; Messinger, 2014) ; les
responsables des RH endossent la fonction de communicateur·rice interne (Talal,
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Elle n’identifiait pas moins de 123 titres différents au sein des 679 répondant·es.