111 Lib ert é et pré carit é com m e no uvelle s val eu rs ?
définit alors une forme d’instabilité dans la durée et dans les modalités d’emploi, c’est-
à-dire qu’elle désigne « all forms of insecure, contingent, flexible work – from
illegalized, casualized and temporary employment, to homeworking, piecework and
freelancing » (Gill et Pratt, 2008, p. 3). Qu’elle se manifeste dans les statuts d’emploi
ou sous d’autres formes, la précarité peut ainsi être une manifestation tant d’un
ensemble de valeurs partagées par les travailleurs et travailleuses de la
communication, qu’une réponse aux impératifs des entreprises et employeurs : un
travailleur pigiste établi, dont le carnet de relations et de commandes n’est plus à faire,
témoignerait plus volontiers de la liberté que le seul fait de pouvoir sélectionner ses
contrats lui donne. Il rejoint ici l’idée d’une liberté de choix qui s’offre à donneur
d’ordres, qu’il soit responsable d’une agence de publicité ou rédacteur en chef, qui
peut choisir parmi plusieurs propositions d’articles de pigiste.
Dans cette dynamique structurelle, qui s’aligne avec les formes grandissantes
d’organisation et de gestion étudiées et théorisées par Boltanski et Chiapello (1999),
le principal enjeu pour la main-d’œuvre est de démontrer continuellement son
employabilité et une capacité à produire et à transférer, au profit des organisations qui
les emploient, une valeur saisissable. Autrement dit, les entreprises mesurent en partie
l’intérêt d’avoir recours à un travailleur donné (sous différentes formes d’emploi) à
l’aune de sa capacité estimée à permettre la captation d’externalités positives, qui
pourront faire l’objet d’une valorisation économique supérieure aux coûts
d’acquisition (rémunération permanente, contractuelle, échange de ressources, etc.).
Dans le contexte du Web social, toutes les sphères d’activité du domaine des
communications semblent en effet se trouver dans une dynamique de rentabilisation
accrue, où les professionnels doivent notamment adopter de nouvelles stratégies pour
attirer l’attention des publics visés, en journalisme comme en relations publiques. La
capacité des gestionnaires de communauté, des « influenceurs », des journalistes ou
des relationnistes à attirer l’attention des internautes par les clics et les réponses aux
publications (commentaires, « j’aime », etc.) peut se voir transformée en valeur
saisissable par les entreprises du numérique et les industries médiatiques. Ainsi, tous
ces rôles se trouvent aux premières loges de cette production de valeur immatérielle
par l’ensemble des parties prenantes de la chaîne industrielle. Productions,
informations ou simples réactions des internautes consultant les pages des entreprises
de presse sur les médias sociaux deviennent autant de marchandises (Arcy, 2016) au
cœur d’une économie de l’attention et de la contribution dans laquelle une partie de
la création de valeur est intégrée à même les dispositifs des plateformes numériques,
qu’il s’agisse d’essais localisés d’entreprises de communications ou des réseaux
sociaux et des plateformes transnationales (Demers, 2012 ; Jouët, 2003 ; Stone, 2014 ;
Welbers et al., 2016). Dans le même esprit, la capacité de maîtriser non seulement des
outils de communication en constante évolution, mais aussi de maintenir une présence
et d’entretenir un réseau de relations démontre une valeur sur le marché – compétitif
– du travail en communication (Domenget, 2014 ; Hanusch et Bruns, 2017 ; Jouët et