Vers une professionnalisation de la
communication numérique en politique ?
Analyse longitudinale de lévolution des trajectoires
des professionnels de la communication politique
numérique de 2007 à 2017 en France
Anaïs Theviot, Maitresse de conférences,
Université Catholique de l’Ouest, ARENES (UMR 6051)
atheviot@uco.fr
77 Vers une pr ofe ss ion nal is ation de la com m uni catio n n um éri que
Résumé
Les big data sont à la mode. Dans les médias, le terme est brandi comme étendard
de l’innovation. Cet enthousiasme s’accompagne de la mise en avant de nouvelles
expertises qui vendent leur savoir-faire auprès des institutions : les travailleurs de la
donnée affirment pouvoir « prédire » les comportements des électeurs grâce aux big
data et ainsi agir « scientifiquement » sur les résultats d’une élection. Cet article vise
à étudier les modalités de constitution de ce groupe professionnel en proposant une
analyse longitudinale de l’intégration du numérique en campagne électorale. L’idée
est d’analyser les trajectoires de ceux qui vivent de la web politique en contexte
français, depuis la campagne pour l’élection présidentielle française de 2007 jusqu’à
celle de 2017, et ce, afin de repérer les continuités, les ruptures et les reconfigurations
de ce nouvel espace professionnel, rythmé par les échéances électorales.
Mots-clés : campagne électorale ; big data ; numérique ; professionnalisation ; parti
politique
Abstract
In the media as in a public sphere, the frenzy over big data has been met with equally
high levels of enthusiasm. This enthusiasm comes along with the emphasis of new
expertise: the workers of the data assert they can “predict” the behavior of the voters
thanks to big data and so to act “scientifically” on the results of an election. This article
aims at studying the modalities of constitution of a professional group by proposing a
socio-historic analysis. The idea is to analyze the trajectories of digital campaigners
since the campaign for the French presidential election of 2007 to underline the
continuities, the breaks and the reconfigurations of this new professional space.
Keywords: election campaign; big data; digital technology; professionalization;
political party.
78 Tr aject oire s profe ssi onnell es en comm uni ca tio n
La communication politique ne peut désormais plus se penser sans le recours à
Internet. Cet impératif numérique s’accompagne de l’apparition et du développement
de « nouveaux métiers » du politique directement liés à la communication politique
en ligne, troublant ainsi « le tableau bien ordonné » (Deloye et Ihl, 2008, p. 460) de la
spécialisation de l’activité électorale.
Par métier, il faut entendre ici ce que la sociologie interactionniste nommerait une
“catégorie de la pratique quotidienne”, à savoir l’ensemble des pratiques concrètes
que recouvre l’exercice d’une activité professionnalisée, ainsi que les
représentations spontanées que les professionnels en produisent. (Briquet, 1994,
p. 18.)
Cette approche amène alors à interroger les processus et les lieux d’acquisition et
d’inculcation de dispositions et de savoirs spécifiques les compétences, les savoir-
faire et les savoir-être qui permettent de faire carrière dans la gestion des données
en politique. L’idée est d’analyser les ressorts de la construction d’un « nouveau »
groupe professionnel, c’est-à-dire
Des ensembles de travailleurs exerçant une activité ayant le même nom, et par
conséquent dotés d’une visibilité sociale, bénéficiant d’une identification et d’une
reconnaissance, occupant une place différenciée dans la division sociale du travail,
et caractérisés par une légitimité symbolique (Demazière et Gadéa, 2009, p. 20).
L’ambition de cet article est donc de saisir ces « nouveaux » métiers de
communication politique par ceux qui les incarnent, en étudiant leurs trajectoires
professionnelles. L’objectif est de remettre l’analyse en contexte (Demazière et
Samuel, 2010), en tentant de dégager des trajectoires singulières, inscrivant l’intérêt
porté au numérique et aux données dans le parcours de vie des enquêtés. Comment
devient-on communicant politique numérique ? Qu’en est-il des processus de
construction et d’apprentissage de ces métiers en émergence ? Quels sont les réseaux
de socialisation politique ou plus précisément de socialisation au métier politique
(Bargel, 2008) de ces professionnels politiques du numérique (Darmon, 2006 ;
Dubar, 2004) ?
Depuis les travaux de Blumler et Kavanagh (1999), la sollicitation de spécialistes
de la communication politique qualifiés de « nouvelles élites de la politique »
(p. 213) par les instances partisanes a été soulignée, et ce, d’autant plus que des
compétences techniques sont désormais requises (Aldrin, 2007 ; Schneier, 1987 ;
Villalba, 2005). En effet, l’introduction du web au sein des partis politiques,
notamment en période de campagne électorale (Stromer-Galley, 2014), demande la
maîtrise d’un vocable spécifique et d’outils numériques. L’analyse des groupes
professionnels des communicants politiques (Aldrin et al., 2014 ; Legavre, 1993)
les spin doctors reste en France très limitée, celle concernant les conseillers en
communication intégrés aux équipes de campagne et l’externalisation de cette
79 Vers une pr ofe ss ion nal is ation de la com m uni catio n n um éri qu e
fonction dans des agences de communication. Ce manque dans la littérature
s’accentue davantage lorsqu’il s’agit de porter le regard sur les « nouveaux » métiers
de la communication politique spécialisés dans le secteur du numérique. La
communication numérique se spécialise pourtant de plus en plus et de nouvelles
compétences sont requises avec, notamment, le développement des bases de données
pour cibler la communication.
Dès l’élection présidentielle de 2007, le numérique a joué un rôle important dans la
communication politique avec, notamment, la mise en place de la plateforme
participative Désirs d’Avenir portée par la candidate Ségolène Royal. Cet
enthousiasme pour les dispositifs en ligne a amené à recruter, dans la précipitation, de
jeunes communicants politiques se prévalant d’une expertise dans le numérique. Lors
de la campagne présidentielle suivante, en 2012, le besoin d’expertises dans le
domaine de la communication numérique n’a fait que s’accentuer avec la montée en
puissance des réseaux sociaux, tels que Facebook et Twitter. Cette campagne s’est
aussi fortement appuyée sur des bases de données d’électeurs.
Pourtant, cette nouvelle technique n’a pas été mise en avant par les équipes de
campagne, que ce soit à l’Union pour un Mouvement populaire (UMP) ou au Parti
socialiste (PS) (Theviot, 2016). La communication s’est portée sur des dispositifs plus
« sexy
1
»
médiatiquement, tels que les ripostes-parties
2
ou le porte-à-porte. Au-delà
de la difficulté d’une mise en scène médiatique, cette faible communication autour de
l’usage des bases de données s’explique aussi par une méfiance des équipes de
campagne, ne souhaitant pas se voir reprocher l’usage de données personnelles
(Solove, 2008). Cette volonté des équipes de campagne de ne pas mentionner, dans
leurs discours, le travail effectué sur les bases de données explique aussi, en partie, le
manque de travaux académiques sur les professionnels de la communication
spécialisés dans la gestion des data, autrement dit « les travailleurs de la donnée ».
Notre enquête s’appuie sur une cinquantaine d’entretiens réalisés avec les
professionnels de la communication numérique des équipes de campagne du PS et de
l’UMP en 2007, 2012 et 2017, ainsi que sur une dizaine d’entretiens effectués avec
les professionnels de la communication numérique (dont des travailleurs de la donnée)
de la campagne de la primaire de la droite et du centre en 2016. Autrement dit, nous
avons effectué des entretiens semi-directifs lors des trois précédentes élections
présidentielles françaises. En effet, ces campagnes électorales nationales, temps
1
Nous reprenons ici le terme employé par V. Motta, directeur du web à Solférino (se reporter à
l’extrait d’entretien qui suit).
2
La bataille des tweets est devenue un enjeu pour les partis français pendant cette campagne. Elle
permet de mettre en scène une attention accrue à leur candidat et est relayée par les médias
traditionnels. (Theviot, 2014)
80 Tr aject oire s profe ssi onnell es en comm uni ca tio n
extraordinaires de la vie politique française, sont arrivées à soulever des budgets
suffisamment importants pour investir dans le numérique et employer des personnes
spécifiquement chargées de ce volet. C’est en partie pour cela que les innovations
numériques en politique sont rythmées par les campagnes nationales
3
.
Dans le cadre de notre travail doctoral (Theviot, 2018), nous avons effectué une
observation participante au sein de la Direction du web du PS, ce qui a grandement
facilité la prise de contact avec les experts du web pour les entretiens, que ce soit à
gauche ou à droite, car il s’agit d’un microcosme tous les experts se connaissent.
Par effet boule de neige, la rencontre avec le directeur du web au PS a entraîné celle
avec le directeur du web de l’UMP, etc. Nous avons ainsi gardé des liens avec les
travailleurs du numérique de 2012 et avons construit une expertise dans ce domaine
au fur et à mesure de nos recherches, ce qui nous a permis, aujourd’hui, d’être
considérée comme gitime (aux yeux des enquêtés) pour interroger les nouveaux
experts de l’élection présidentielle française de 2017.
Le profil des travailleurs du web est varié : cela va des directeurs de la
communication aux « petites mains » et militants névoles qui ne figurent pas dans
l’organigramme de campagne, mais qui étaient bien présents quotidiennement au QG.
Pour les quatre campagnes étudiées, les entretiens se sont déroulés, chaque fois,
pendant la campagne officielle, mais aussi après la campagne. Les responsables de la
communication numérique disposaient en effet de peu de temps à consacrer à cette
enquête durant l’activité intense du temps électoral et il a souvent été possible de les
rencontrer qu’à une seule reprise. Les entretiens effectués ont duré entre 58 minutes
(pour le plus court) à 4 h 12 (pour le plus long). Concernant l’anonymat, nous avons
demandé à tous les enquêtés si leur nom pouvait être cité dans les publications
scientifiques à venir : personne n’a souhaité être désigné par un pseudonyme. Même
si le consentement constitue dans ce cadre une donnée importante, il n’est pas
totalement suffisant, car les enquêtés n’ont souvent pas conscience de la façon dont
vont être analysés leurs propos. Comme il n’est pas nécessaire pour la bonne
compréhension de l’enquête d’indiquer systématiquement leur identité, nous avons
choisi de ne pas mentionner leurs noms, excepté pour les responsables tels que le
directeur et l’adjoint de la direction du web facilement identifiables médiatiquement
par leur statut –, mais d’indiquer uniquement leur fonction ou, pour des soucis
d’écriture, de les désigner par un pseudonyme (les prénoms utilisés ont été modifiés).
Cette enquête propose ainsi une mise en perspective longitudinale en analysant les
trajectoires de professionnels de la communication numérique ayant participé aux
campagnes pour l’élection présidentielle française de 2007, 2012 et à celle de la
primaire de la droite et du centre en 2016. Cette approche processuelle permet
3
Si, en 2012 en France, l’attention s’est portée sur deux réseaux sociaux – Facebook et Twitter , en
2017, YouTube et les plateformes de collecte des données ont été fortement mis en avant.
81 Vers une pr ofe ss ion nal is ation de la com m uni catio n n um éri qu e
d’étudier la professionnalisation de la communication politique numérique et la
constitution de leadership dans ce domaine d’expertise. Nous l’avons souligné, la
professionnalisation de la data-politique en France est en effet rythmée par les
différentes échéances électorales nationales, l’élection présidentielle étant pensée
comme un temps extraordinaire de la vie politique qui voit se développer des
innovations et permet de consacrer un budget conséquent à leur développement. Les
résultats font ressortir que, d’un manque d’expertise en 2007 (1), on passe à un
manque de soutien politique en 2012 et à la prégnance forte de jeux de courants (2),
pour finalement en arriver, en 2016-2017, à une structuration des professionnels de la
donnée en politique, mais avec toujours un manque en matière d’investissement
financier dans ce domaine (3).
1. La construction d’une expertise numérique en 2007
En amont de l’élection présidentielle française de 2007, les partis politiques nont
pas encore repéré les experts du web politique. Le besoin de compétences et d’idées
d’avant-garde dans le domaine numérique justifie alors l’introduction d’un nouveau
type de conseiller politique :
On est venu me chercher. Pour être exact non. En fait, j’ai commencé à essayer de
les contacter, puis je n’ai pas réussi… Parce que je trouvais qu’elle [S. Royal] avait
un discours qui était plutôt innovant et en plus dans lequel Internet semblait avoir
un rôle assez fort. Et puis un jour, son directeur de campagne m’a appelé en me
disant : « au PS, on m’a dit que vous faisiez partie des quelques personnes qu’il
fallait voir quand on voulait parler d’Internet et de politique ». Et donc, j’ai pris un
café avec lui, puis il m’a demandé des conseils et puis voilà. En politique, en
France, c’est un domaine dans lequel il y a très, très peu de moyens et en particulier
quand on n’est pas en phase électorale. Et donc du coup, c’est des bonnes volontés
que l’on essaie de faire venir. En fait, on vous demande si vous êtes d’accord pour
donner un premier coup de main, puis un deuxième coup de main, puis un troisième
et à la fin vous bossez tous les soirs et les week-ends. Et c’est ce qui s’est passé
4
.
Les têtes pensantes politisées du web sont à l’époque peu nombreuses et c’est par le
bouche-à-oreille, par effet de réseautage, que les responsables numériques du web ont
été recrutés. Deux logiques se sont distinguées : au PS, le recrutement s’est appuyé
sur un noyau dur de proches soutiens de S. Royal (et du réseau personnel de
4
Benoît Thieulin, directeur de l’agence web Netscouade et directeur de la campagne numérique de
S. Royal pour l’élection présidentielle de 2007. Entretien du 29 février 2012.
82 Tr aject oire s profe ssi onnell es en comm uni ca tio n
B. Thieulin
5
), tandis qu’à l’UMP, il s’est fondé sur une sélection de volontaires
identifiés, souvent non-adhérents au parti, mais touchés par la personnalité de
N. Sarkozy et travaillant déjà dans le domaine numérique. D’un côté, on retrouve donc
la mobilisation d’un réseau partisan (et innovant sur le web) proche de la candidate
et, de l’autre, le recours à des « gourous » du web (tels que L. Le Meur
6
) ou, pour les
subalternes, à des sollicitations d’« inconnus » dont le CV ou l’expérience américaine
fait foi de leurs compétences.
À l’UMP, un besoin de compétence dans ce domaine s’est fait sentir au moment de
la préparation de la campagne
7
. Quelques blogueurs influents de droite ont alors été
repérés. T. Solère, pilier politique de la campagne numérique de N. Sarkozy en 2007,
a ainsi fait appel à L. Le Meur, « un copain », afin de créer une coalition de blogueurs
de droite autour de cette personnalité connue sur la Toile :
D’abord, moi, j’étais assez copain avec Loïc Le Meur, à l’époque, qui était un
blogueur… Vous connaissez Loïc Le Meur, vous voyez qui c’est ? Bon, c’est un
copain en fait, je le connais depuis longtemps donc… Lui, il a essayé, il a
vachement réussi d’ailleurs. Il avait une boîte à l’époque qui s’est développée
autour du phénomène du bloguing en France, voilà. Et donc une campagne
présidentielle, c’était vachement bien de la faire. Comme en plus, il était… Il
soutenait Nicolas Sarkozy. Ben voilà, je l’ai gentiment amené -dedans. Et puis
après, vous savez, naturellement, en campagne présidentielle, quand vous avez un
vrai candidat, mais à gauche comme à droite, c’est pas… Les gens viennent à vous,
enfin vous voyez. Le nombre de gens qui vous sollicite pour vous dire « moi, voilà
ce que je fais ». Donc plein de gens dans le monde du web sont venus proposer
leurs services. Donc on a fait une réunion, on a repéré ceux qui vraiment voulaient
s’impliquer et puis on a pris des compétences diverses et variées et on a créé ça,
quoi
8
.
Le manque d’expertise politique numérique à droite a permis à des jeunes
technophiles, sans réseau politique fort, d’être recrutés au sein de l’équipe de
campagne UMP. C’est le cas par exemple de N. Princen, futur directeur de campagne
web de N. Sarkozy en 2012, encore étudiant en 2006, qui a été intégré à l’équipe web
en 2007 en tant que rédacteur en chef du site Internet de campagne du candidat UMP.
Non-adhérent, il cherche pourtant à faire bénéficier l’UMP de son expertise : il fournit
des notes de veille sur l’usage du web par les partis politiques lors des campagnes
5
Il s’agit du directeur de campagne numérique de S. Royal en 2007.
6
Diplômé de HEC en 1996, il est pendant plusieurs années (jusqu’à début 2007) directeur général
pour l’Europe de Six Apart, une plateforme de blogues. Il en est désormais président honoraire. Selon
un dossier d’octobre 2005 du Figaro Magazine, il ferait partie des « 50 trentenaires les plus influents
en France ».
7
Le PS peut compter sur des réseaux plus développés de technophiles que l’UMP.
8
Thierry Solère, directeur de la campagne numérique de N. Sarkozy en 2007. Entretien du 16 juin
2011.
83 Vers une pr ofe ss ion nal is ation de la com m uni catio n n um éri qu e
américaines (il effectue alors un stage de fin d’études aux États-Unis). À la surprise
même de l’intéressé, son étude a interpellé l’équipe de N. Sarkozy qui demande à le
rencontrer :
En 2006, j’étais étudiant. Pendant la campagne, je suis parti faire un stage dans une
agence de communication à New York, surtout pour être à New York. J’étais dans
l’agence de New York d’Euro RSCG. […] J’ai proposé, en interne, à l’agence
parce qu’on ne foutait pas grand-chose, de faire une étude sur MySpace. […] Moi,
j’étais très attiré par Sarkozy. J’étais pas militant, j’étais pas adhérent, j’avais
jamais eu de carte de parti, j’étais de droite, mais j’étais extrêmement… J’étais très
attiré par Sarkozy. J’étais très attiré intellectuellement. […] Donc je me suis dit :
« Vraiment, je veux voir cette campagne électorale ». Enfin non : « Je veux
participer ». Et comme j’étais expatrié et que j’avais quelques amis dans le coin
qui étaient plutôt eux, militants, on s’était dit : « On va créer un groupe de réflexion
et ce qu’on va faire, c’est qu’on va écrire des notes sur ce qui se passe aux États-
Unis, ce qui est intéressant, qui pourrait servir à la France et qu’on enverra à
l’équipe de campagne de Sarkozy ». Sachant que niveau de connexion : zéro. Mais
bon. Et en fait, moi, j’ai écrit entre autres une note sur ce qui se passait sur Internet.
J’ai étudié les campagnes américaines, la campagne de 2004. En gros, tout ce qui
s’était passé sur Internet pendant la dernière campagne électorale américaine. C’est
quand même qu’il s’est passé beaucoup de choses et j’ai expliqué les
potentialités d’Internet pour une campagne électorale : la vidéo… Vous voyez la
note, c’est ridicule ! « YouTube, Dailymotion, voilà ce que c’est, ça permet de
faire de la vidéo en direct ». Et cette note a circulé et je saurais jamais exactement
trop comment, mais toujours est-il que quand je suis rentré à Paris tout début
janvier pour travailler en stage, on m’a appelé un jour, on me dit : « Voilà, c’est le
QG de campagne de Nicolas Sarkozy » donc bon, je tombe de ma chaise « est
ce que vous pouvez passer nous voir ? ». Donc je passe les voir, j’arrive au QG. Il
se trouve que Nicolas Sarkozy était là en train de motiver son équipe. Son équipe,
c’était que des personnalités politiques de premier plan. Donc si vous voulez d’un
seul coup, j’étais face à plein de gens connus, ministres ou autre. Et j’ai discuté
avec l’équipe. Et deux heures plus tard, en fait, en discutant, j’avais créé le job
dont ils avaient besoin, en disant : « Voilà ce que vous devriez faire, ça, ça, ça ».
En fait, ils n’avaient pas conscience de ce besoin, ils avaient conscience qu’il fallait
faire quelque chose, qu’il y avait une opportunité. Mais ils ne savaient pas quoi,
comment, avec qui, exactement. Et moi, j’arrivais avec ces idées. Donc dans ces
cas-là, ça va vite, et ils m’ont proposé de rejoindre l’équipe. Le surlendemain, j’ai
démissionné de mon stage et je suis arrivé dans cet univers totalement… qui
m’était totalement inconnu. Ça a été assez incroyable. J’ai eu beaucoup de chance
9
.
L’usage du web en campagne n’est plus, en 2012, une nouveauté. Même si les outils
évoluent rapidement, le PS comme l’UMP bénéficient désormais d’un réseau
d’experts politisés du web. La concurrence s’avère bien plus accrue qu’en 2007, où il
était possible d’accéder à des postes importants sans bénéficier de réseaux partisans,
9
Nicolas Princen, directeur de la webcampagne de N. Sarkozy. Entretien du 15 septembre 2012.
84 Tr aject oire s profe ssi onnell es en comm uni ca tio n
comme l’illustre le cas de N. Princen. Conscients de cette concurrence exponentielle
sur le marché du web politique, les membres des équipes de la campagne numérique
de 2007 ont cherché à conserver leur position dans ce domaine en se
professionnalisant. Les « perdants » tentent de monter ou d’intégrer une start-up
spécialisée dans le web ou de conserver des appuis politiques forts en travaillant
auprès d’un élu, tandis que les « gagnants » tentent d’incorporer l’équipe web de
l’Élysée ou son cabinet.
2. Des jeux de courants et un manque d’appui
politique en 2012
Les nouveaux experts du numérique repérés en 2007 ne se retrouvent pas forcément
dans les équipes de campagne numérique en 2012. Les jeux de courants sont plus forts
que les compétences acquises dans le domaine du numérique.
2.1. Les « fidèles » de Hollande : noyau dur de son équipe de
campagne
Au PS, à la suite de l’éviction des candidatures de certaines motions lors des
primaires de 2011, plusieurs têtes d’affiche du web politique socialiste n’ont pu
prétendre à des postes majeurs lors de la campagne pour l’élection présidentielle de
2012. Ces derniers, identifiés comme appartenant à un autre courant que celui des
« Hollandais »
10
, n’étaient pas bienvenus. C’est le cas de B. Thieulin
11
, directeur de la
campagne web de S. Royal en 2007, affilié de fait à cette motion par le poste qu’il a
occupé :
J’ai un rôle très faible dans la campagne de François Hollande. Très, très faible.
[…] Non, ce n’est pas particulièrement un choix. Je leur ai donné quelques
conseils. De toute façon, je ne peux pas avoir le même rôle que celui que j’avais
eu il y a cinq ans puisque j’ai un boulot dans une entreprise depuis. Mais bon, je
leur donne quelques conseils quand ils m’en demandent et puis je travaille pas
mal sur les infographies
12
.
10
On peut trouver aussi le terme « Hollandistes » pour désigner les partisans du courant de
F. Hollande.
11
Au-delà de son affiliation à la candidate précédente, B. Thieulin, en tant que directeur de campagne
numérique de 2007, porte malgré lui l’image de l’échec, puisque l’élection présidentielle précédente
s’est soldée par la victoire du concurrent. Pour reprendre les termes de M. Weber (1995 [1921]), « si
le succès lui reste durablement refusé […], alors son autorité charismatique risque de disparaître »
(p. 321).
12
Benoît Thieulin, directeur de l’agence web Netscouade et directeur de la campagne numérique de
S. Royal pour l’élection présidentielle de 2007. Entretien du 29 février 2012.
85 Vers une pr ofe ss ion nal is ation de la com m uni catio n n um éri qu e
Le noyau dur de l’équipe socialiste de F. Hollande s’est constitué en amont des
primaires (autour de mai 2011 et de l’Université d’été du PS de cette même année).
Une dizaine de bénévoles collabore alors de façon variable, devant souvent jongler
avec leur emploi. L’équipe numérique n’a que peu de salariés, faute de moyens. Les
bénévoles sont essentiellement des proches de F. Hollande qui avaient déjà travail
auprès de lui ou qui ont su se positionner en faveur de sa candidature en amont des
primaires. Par exemple, Aline [anonymisé], une des premières à avoir intégré l’équipe
web de F. Hollande, a travaillé à Solferino lorsqu’il était secrétaire général du PS
(notamment en 2007) et a toujours soutenu son courant :
Et du coup, moi, j’ai toujours bossé pour Hollande depuis qu’il était parti. Depuis
Reims, j’avais toujours travaillé pour lui. En juin 2011, on a commencé à avoir
plus de sous pour la primaire et tout ça. Ils ont commencé à pouvoir salarier
13
En 2008, à la fin de son mandat en tant que premier secrétaire du PS, l’influence de
F. Hollande sur les directives du parti s’est considérablement réduite et les partisans
de son courant se sont progressivement amoindris. De 2008 à 2012, il exerce les
fonctions de député de la première circonscription de la Corrèze et préside son conseil
général, mais il reste dans l’ombre de l’actualité politique nationale. Peu de socialistes
avaient parié sur sa victoire aux primaires en 2011, avec le spectre de la candidature
plébiscitée de D. Strauss-Khan. F. Hollande se trouvait donc assez isolé, même sur la
Toile.
Les gens qui étaient pour François Hollande, il n’y en avait pas beaucoup sur
Twitter. Donc on a vite commencé à se connaître. Il y avait beaucoup d’aubryistes
parce que c’est le PS. Il y avait beaucoup de strauss-kahnniens. Il ne faut pas
oublier qu’à l’époque il bouffait tout. Et pour Hollande, on devait être dix à vingt.
Donc, on était repérés tout de suite. On est vraiment partis de cette base-là en
juillet. Ça a commencé en juillet 2011. On est sortis de la fosse. On m’a contacté
et on m’a dit : « Est-ce que tu veux faire partie du groupe militant ? » On s’est mis
en groupe. Et on s’est rencontrés pour des réunions
14
.
En amont des primaires, le réseau de partisans en ligne pour la candidature de
F. Hollande s’avère très resserré : la Toile socialiste tend davantage vers les
« ségolénistes » ou les « aubryistes ». En effet, le veloppement de la plateforme
Désirs d’Avenir pendant la campagne présidentielle précédente, accompagnée d’une
mobilisation en ligne des partisans de cette motion et la volonté de la candidate de
donner à sa campagne un volet participatif sur le web, a formé les « golénistes » au
13
Aline, responsable du compte Twitter de F. Hollande pendant la campagne 2012. Entretien du
11 octobre 2012.
14
Rachid, équipe web de F. Hollande, pôle « Influence ». Entretien du 2 mars 2012.
86 Tr aject oire s profe ssi onnell es en comm uni ca tio n
militantisme en ligne. Ils sont ainsi habitués à se servir du numérique pour défendre
leur courant.
Les partisans de la motion de Ségolène Royal qui, souvent, étaient aussi sur Désirs
d’avenir, étaient déjà extrêmement organisés sur Internet de par la campagne de
2007 : assez habiles, actifs sur les réseaux sociaux, sur Internet de manière
générale
15
.
Cette tendance le peu de cybermilitants pro-Hollande constitue une occasion
pour certains cybermilitants.
Les blogueurs favorables à F. Hollande ont proportionnellement davantage de
chances de se faire repérer par les leaders des équipes numériques de cette motion et
de l’intégrer par la suite (alors qu’ils n’avaient pas participé à la campagne pour
l’élection présidentielle de 2007). Rachid, responsable adjoint du pôle « Influence »
de l’équipe numérique de F. Hollande, explique la stratégie de visibilité qu’il a
adoptée en amont des primaires socialistes pour se faire repérer comme blogueur. Se
créer une « identité numérique » est son objectif. Deux éléments s’avèrent
indispensables : le choix d’un pseudonyme facilement mémorisable et une image de
profil fixe afin que ses opinions politiques soient durablement identifiables. Une fois
cette identité numérique créée, le blogueur publie de nombreux articles partisans afin
de souligner son attachement à une motion et se faire connaître des cybermilitants
(dans ce cas pro-Hollande) par des partages de liens sur Facebook. Il s’agit en fait de
se créer un réseau, d’intégrer une communauté en ligne de « Hollandais » et de
prouver son dynamisme et son influence en ligne afin d’être repéré par l’équipe de
campagne ou par ses relais de recrutement :
Je me suis fixé les objectifs. Je me suis dit : « la campagne va commencer bientôt,
on n’est pas beaucoup pour Hollande sur le net. Pourquoi pas maintenant tenter… »
Ça m’a toujours intéressé de faire de la politique, mais je n’ai pas le cursus pour.
Donc je suis rentré en tant que simple militant dans le dix-septième
[arrondissement de Paris]. J’ai eu cette chance que quand ils avaient besoin, j’étais
là. Et j’ai su répondre aux demandes. J’ai tout de suite compris que j’avais une
petite chance. Début juillet, je me suis dit pour que ça marche, il faut se créer une
identité numérique. J’ai pris mon compte Facebook qui était un compte privé et je
l’ai ouvert, c’est-à-dire que j’ai enlevé tout ce qui était privé. Je l’ai rendu
professionnel, carré. J’ai ouvert à tous les gens de gauche. Tous les gens de gauche
qui demandaient à être mes amis, je les ajoutais. C’est devenu plus un agrégateur
de personnes pour avoir le maximum de contacts sur le web qu’un compte perso.
Sur Twitter, j’ai commencé sur Twitter fin mai. J’ai tout de suite eu les techniques.
Je n’y avais jamais é avant. Mai 2011, c’était ma première connexion et
aujourd’hui ça va... [Rires]
16
15
Matthieu, responsable des communautés web au PS. Entretien du 10 février 2011.
16
Rachid, équipe web de F. Hollande, pôle « Influence ». Entretien du 2 mars 2012.
87 Vers une pr ofe ss ion nal is ation de la com m uni catio n n um éri qu e
Rachid a pu adopter cette stratégie, car il avait des facilités sur le web, mais aussi
parce qu’il connaissait les enjeux de courants au PS pour y avoir adhéré en 2007 (puis
il a quitté le parti à la suite du Congrès de Reims pour enfin y revenir en 2011 dans la
perspective de l’élection présidentielle). Il faisait alors partie des « adhérents à vingt
euros
17
» et a été confronté aux enjeux de motions lors de sa première réunion en
section. Le climat conflictuel qui y régnait l’a surpris, mais cette première expérience
partisane lui a permis de saisir l’importance du jeu des courants pour participer aux
dynamiques du parti. Sans ce capital militant, il n’aurait peut-être pas affiché sur son
blogue son affiliation à une motion de façon saillante. Or c’est bien cette ligne
éditoriale orientée qui lui a permis d’intégrer un réseau de blogueurs « hollandais » et
de participer à la campagne électorale au sein de l’équipe web de F. Hollande.
Le capital militant, défini comme un « ensemble de savoirs et de savoir-faire
mobilisables lors des actions collectives, des luttes inter ou intra-partisanes » (Matonti
et Poupeau, 2004, p. 8), est donc une condition majeure pour intégrer l’équipe de
campagne socialiste : « l’apprentissage partisan est très souvent un préalable aux
fonctions de leadership » (Fretel, 2009, p. 469). La priorité a été donnée aux profils
politiques et non techniques. Il s’agit en fait de proches de F. Hollande qui ont un goût
pour les TIC, voire pour la communication dans son ensemble. Les conditions d’accès
à cette équipe numérique restreinte au moment des primaires résident bien dans
l’ancrage militant et de façon plus précise, dans l’adhésion au courant de F. Hollande.
J’étais l’assistant parlementaire de François Hollande. Et après François m’a dit :
“vérifie que l’on ne raconte pas trop de bêtises en ligne” [rires]. Il m’a présenté un
peu les choses comme ça et je suis arrivé au pôle « Contenu » de l’équipe web. Et
avec Vincent on s’entend très, très, très bien. Donc ça c’est fait naturellement
18
.
La fidélité pour la personne de F. Hollande se voit récompensée.
2.2. Une rupture assumée à droite
À la suite de la victoire de N. Sarkozy à l’élection présidentielle de 2007, l’objectif
des experts web reste le même, que ce soit pour les « gagnants » ou pour les
« perdants » : conserver son leadership et faire valoir son expertise acquise lors de la
campagne précédente. Gaxie (2005) pose l’hypothèse que faire preuve d’ambition
17
En amont de l’élection présidentielle française de 2007 et dans la perspective de la primaire interne
au PS de 2006, il a été proposé aux internautes d’adhérer à vingt euros au PS via Internet. Cette
modalité d’adhésion virtuelle a été critiquée, car elle n’avait pas une force symbolique assez
importante, au sens où s’inscrire en un clic, à faible coût, ne rend pas compte d’un acte fort dans la
démarche d’adhésion. Les adhérents ont alors émal perçus et mal accueillis en section, dans la
crainte d’un bouleversement des jeux de courants locaux.
18
Jules, intégré au pôle « Contenu » de l’équipe web de F. Hollande. Entretien du 2 mars 2012.
88 Tr aject oire s profe ssi onnell es en comm uni ca tio n
politique, loin d’être stigmatisé à droite, serait au contraire encouragé. Ainsi,
N. Princen, simple étudiant non-adhérent avant la campagne de 2007, devenu en 2007
rédacteur en chef du site de campagne de N. Sarkozy, est poussé à prendre des
responsabilités auprès du nouveau président de la République. Suivant la victoire de
son camp, des occasions s’offrent à lui au sein de l’équipe de l’Élysée, ce qui lui
permet d’entrer dans le cercle fermé des proches stratèges du cabinet du président et
de grimper les échelons hiérarchiques. Dans un premier temps chargé de mission
auprès du porte-parole D. Martinon, il est nommé en 2008 rapporteur des États
généraux de la Presse dans la commission « la presse face au choc d’Internet »
présidée par B. Patino. Puis la même année, il accède au poste de responsable de la
veille sur Internet au sein du service de communication de l’Élysée. Sa nomination lui
vaut le surnom de « l’œil de Sarkozy
19
» auprès des blogueurs. En 2009, N. Princen
devient responsable du site web de l’Élysée et crée le pôle « Internet » au sein du
service de communication de l’Élysée. En 2011, il est nommé conseiller technique
responsable des « Nouveaux Médias et de l’Économie numérique ».
En fait, à quinze jours de la fin de la campagne, quand on me demandait « Qu’est-
ce que tu vas faire ? ». Je disais : « Ben, c’est parfait, je vais finir mes études ».
J’étais à HEC et on m’a dit : « Mais t’es con ou quoi, tu sais qu’il y a des grandes
chances qu’on gagne… Ouais et alors ? Ben alors on peut peut-être avoir
besoin de toi dans un endroit intéressant, etc. » Le rapport entre une campagne
électorale et le pouvoir pour moi était totalement obscur, c’est-à-dire que jamais je
n’aurais imaginé que Rachida Dati que je côtoyais ou d’autres allaient accéder à
des fonctions si éminentes parce que ces gens-là je les ai connus dans un contexte
beaucoup plus familier, de combat, les uns sur les autres. Donc j’avais pas du tout
imaginé ça jusqu’à ce qu’un futur ministre me fasse comprendre qu’il fallait que
je me réveille. C’était assez rigolo. Et ensuite quand on a gagné, et bien c’est David
Martinon qui était le chef de campagne, le directeur c’était Claude Guéant pour
Nicolas Sarkozy, c’est David Martinon avec qui j’avais bien sympathisé qui avait
apprécié mon travail qui m’a propode le rejoindre comme chargé de mission
auprès du porte-parole, poste qui avait été créé pour lui. [] Puis ensuite David
malheureusement s’est fait… Enfin il est parti au mois de mars ou avril 2008. Donc
ce job n’a pas duré très longtemps. En fait, quand David Martinon est parti, moi je
pensais que j’allais partir parce que je faisais mes études en même temps. Ça
devenait assez dur. Voir mon patron se faire lyncher en place publique, c’est pas
évident. Et puis, je pensais que j’allais partir parce que j’étais rattaché à lui. Donc
une fois qu’une tête est coupée entre guillemets, ben voilà… Et puis c’est Frank
Louvrier qui m’a rattrapé par le col. Frank Louvrier qui visiblement avait été mis
un peu sur le côté quand David est monté. Louvrier reprenant de plain-pied son job
de conseiller communication, lui il connaissait très bien les enjeux, enfin
l’importance, même si c’est pas un expert, des questions numériques. Et quand il
a repris, il m’a dit : « Écoute j’aimerais que tu restes avec moi, que tu sois dans
mon équipe et que tu prennes la responsabilité d’Internet. » Moi : « Super, il y a
19
François Vignal, « Nicolas Princen, “l’œil de Sarkozy sur le web” », Libération, 18 mars 2008.
89 Vers une pr ofe ss ion nal is ation de la com m uni catio n n um éri qu e
plein de choses à faire ». Donc moi, mon job, dans un premier temps, c’était
vraiment d’éduquer, d’évangéliser le président de la République sur ces questions-
là. Donc ça voulait dire lui faire une revue de presse à peu près quotidienne des
articles qui étaient sur Internet, des actualités qui étaient sur Internet. [] Alors
j’ai fait ça pendant quelques mois et puis il y a eu des tensions. Frank Louvrier
voulait reprendre la gestion de la communication digitale de l’Élysée et du
président. Donc reprendre la responsabilité de François de la Brosse qui était mon
patron pendant la campagne mais qui avait fait son truc et bon qui n’avait pas
vraiment innové. Enfin, on pouvait faire beaucoup plus que ce qui était fait. Et
donc c’est que le président m’a confié la responsabilité de chef de la cellule
Internet : « Tu t’occupes d’Elysée.fr et de tout ce qui va avec »
20
.
Ce long extrait d’entretien souligne le caractère fortement concurrentiel du marché
politique, à travers l’éviction de certaines personnes influentes à l’Élysée, remplacées
par d’autres. Conserver son leadership pendant près de cinq ans le temps d’un
mandat relève de l’exploit. N. Princen a su se poser en médiateur entre des groupes
rivaux pour singer la position de leader. Cette dynamique ascendante lui permet de
briguer le poste de directeur de la campagne web de 2012, comme une suite logique
à sa fonction de directeur de la cellule web de l’Élysée. Il n’a pas souhaité faire appel
aux membres évincés de l’équipe de campagne de 2007 et a préféré s’appuyer sur
l’équipe web de l’Élysée qu’il avait formée personnellement
21
et sur laquelle il avait
déjà éprouvé son leadership.
À l’UMP, il y a donc peu de continuité entre les membres des équipes de campagne
de 2007 et de 2012. Cette rupture est souhaitée par N. Princen : en position de
subordonné en 2007, il aurait été plus difficile de « manager » des personnes qui ont
autrefois été ses supérieurs. Ainsi, la dizaine de personnes qui composent le service
web de l’Élysée s’est retrouvée au QG au moment de la campagne.
Pendant la campagne de 2012, N. Princen est arrivé à incarner la double casquette
de directeur du web de l’équipe de campagne de N. Sarkozy et de responsable du
projet numérique du candidat. Au PS, cette double fonction est donnée à deux
personnes différentes, alors qu’à l’UMP il y a une centralisation des questions
numériques que ce soit stratégique ou programmatique sur la personne de
20
Nicolas Princen, directeur de la webcampagne de N. Sarkozy. Entretien du 15 septembre 2012.
21
C’est le cas par exemple d’Axel, responsable des réseaux sociaux au QG de N. Sarkozy et membre
de l’équipe de l’Élysée en 2012 (devenu, en 2016, directeur de l’équipe numérique de N. Sarkozy
lors de la campagne de la primaire de la droite et du centre) : « Nicolas, ç’a été mon boss à l’Élysée
pendant trois ans puisque Nico dirige à la fois la cellule web de l’Élysée et est conseiller en recherche
numérique au sein du cabinet. Et moi, je bossais sur les deux tableaux avec lui. À la fois sur les sujets
de fonds qui touchaient aux politiques publiques, au numérique, et à la fois sur le pilotage de l’équipe
web, la petite start-up du palais qui comptait une petite dizaine de personnes et qui avait pour vocation
de communiquer à la fois sur la présidence et sur l’activité du président sur tous les réseaux sur
Internet. » (Axel, responsable des réseaux sociaux au sein de l’équipe numérique de N. Sarkozy.
Entretien du 28 décembre 2012.)
90 Tr aject oire s profe ssi onnell es en comm uni ca tio n
N. Princen. Il est arrivé à imposer son leadership sur cette thématique : de simple
étudiant en 2007, il est devenu, en cinq ans, le pilier des questions numériques auprès
de N. Sarkozy.
Que ce soit au PS ou à l’UMP, l’apprentissage partisan joue un rôle prégnant dans
la compréhension de la culture militante et dans l’optimisation des tactiques mises en
place par les acteurs pour accroître leur visibilité en ligne et maintenir leur leadership
au sein des structures partisanes. On retrouve tout de même des trajectoires
professionnelles différentes : celle du partisan d’abord, puis celle du « techno » qui se
crée ou met en valeur une image de partisan.
3. Une professionnalisation accrue, couplée à une
prise de conscience du poids stratégique des
données par les cadres partisans en 2017
En 2012, les équipes de campagne numérique étaient encore dévalorisées et
dénigrées en interne bien que leurs outils bénéficiaient d’une couverture médiatique
massive dans une logique de monstration de la modernité. Au dernier étage du QG
22
,
les locaux de travail de l’équipe web de F. Hollande étaient perçus comme « la
chambre des enfants de la campagne », au sens où les « jeunes » de cette équipe
passaient leur temps à s’amuser et à tester de nouveaux jouets en ligne :
La campagne web, la meilleure définition que l’on puisse en donner, c’était la
chambre des enfants de la campagne de François Hollande. On était en haut, tout
en haut. Trente à la fin, dans deux pièces, les uns sur les autres. Moi j’y étais. On
était genre vingt dans une pièce de 45 ou 50 m
2
. C’était vraiment la chambre des
enfants. C’est-à-dire que l’on était tous les jours. On jouait avec nos trucs, on
buvait parfois du coca, on mangeait des chips, un peu d’alcool le soir, de la bière...
Et les grands, les parents, venaient de temps en temps, nous dire bonjour... Manuel
Valls, Le Foll… François Hollande est venu aussi... C’est la chambre des enfants...
Et c’est significatif. C’est-à-dire que ce n’est pas comprendre qu’Internet n’est pas
qu’un outil, c’est l’expression d’une culture différente. Une organisation du
pouvoir différente. Et c’est pas du tout perçu comme ça. Donc les énarques qui
sont des nobles de notre République ne sont pas prêts à ce genre d’exercice parce
qu’ils ne souhaitent pas du tout partager ce qui fait le privilège d’une aristocratie
23
.
La mauvaise intégration du numérique aux plans de communication globaux ne
permet pas de créer une réelle dynamique collective d’ensemble au sein de l’équipe
22
À l’inverse, lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, le volet numérique occupait
alors le plus grand bureau du « 282 », appartement utilisé comme siège de campagne par S. Royal.
23
Lionel, rédacteur en chef du site françoishollande.fr/webradio et responsable du pôle « Contenu »
au sein de l’équipe numérique de F. Hollande. Entretien du 2 janvier 2013.
91 Vers une pr ofe ss ion nal is ation de la com m uni catio n n um éri qu e
de campagne. Le numérique, marginalisé, est exclu d’une dynamique de cohésion
partisane :
Ça peut créer une cohésion, ça peut créer un magnifique socle pour une aventure
collective. Mais si derrière ce n’est pas repris et complètement intégré dans une
campagne... Chez Obama, c’est intégré. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de rupture.
[] Le numérique là-dessus, ce sont des outils de cohésion, de mobilisation, mais
c’est pour cela que c’est la chambre des enfants... Ils ont fait de cet outil un outil
simplement d’image. Ils n’ont pas forcément vu l’organisation, ce qui avait été
inventé et trouvé pendant la campagne. Pour tout arrêter après. C’est caricatural.
Facebook est fermé. Le site de campagne disparaît. Plus aucun mail envoyé. Plus
rien
24
!
Ces stratégies de dénigrement s’inscrivent dans une lutte entre concurrents qui
cherchent à défendre, voire à étendre, leur « territoire » (Abbott, 1988) et comme un
processus de fermeture du marché. Il y a en effet des rivalités et des batailles de
positionnement entre les équipes de campagne de la communication dite
« traditionnelle » (télévision, presse) et celles du numérique. En 2012, il existait ainsi
une coupure entre la conception du web portée par l’équipe numérique plus
participative, en rapport avec une organisation plus horizontale du pouvoir et celle
mise en avant par M. Valls, directeur de la communication de la campagne de
F. Hollande une communication descendante s’appuyant sur les médias
traditionnels :
Il [Manuel Valls] gardait tout pour lui. Il s’en foutait d’Internet. Moi je me suis
battu. [] Ils [les piliers du service communication de la campagne de
F. Hollande] nous faisaient la guerre. Ils jouaient aux cartes avec du cigare et du
cognac, et nous dans la chambre on avait Risk
25
avec des dés et des petits chevaux
que l’on déplaçait sur les cartes. C’est-à-dire que comme Manuel Valls n’avait pas
la main sur le numérique, il contrôle ce qu’il contrôle. Ce qu’il ne contrôle pas, ça
ne l’intéresse pas. [] Il y a d’un côté la com’ qui a beaucoup plus de puissance.
La com’ des chaînes d’info et de la presse, ça c’est Manuel. Il connaît parfaitement
le truc. Et puis il y avait l’équipe web
26
.
La campagne pour l’élection présidentielle française de 2017 marque une rupture
dans ce dénigrement avec une réelle prise de conscience de l’enjeu stratégique, et non
simplement communicationnel, joué par le numérique et plus particulièrement le
travail sur les data.
24
Lionel, rédacteur en chef du site françoishollande.fr/webradio et responsable du pôle « Contenu »
au sein de l’équipe numérique de F. Hollande. Entretien du 2 janvier 2013.
25
Jeu de société pour enfants, fondé sur la stratégie.
26
Lionel, rédacteur en chef du site françoishollande.fr/webradio et responsable du pôle « Contenu »
au sein de l’équipe numérique de F. Hollande. Entretien du 2 janvier 2013.
92 Tr aject oire s profe ssi onnell es en comm uni ca tio n
La victoire de F. Hollande en 2012, corrélé au succès de son opération de
mobilisation des abstentionnistes de gauche par un porte-à-porte ciblé et rationalisé à
renfort de données, a convaincu les cadres partisans français d’investir dans le travail
sur les bases de données. Ce nouvel intérêt stratégique porté au numérique résulte
également du travail de légitimation des experts des data qui ont réussi à faire
apparaître leurs compétences comme un obligatoire de campagne. Depuis 2012, de
multiples agences spécialisées en collecte, en gestion et en analyse des données ont
vu le jour. Elles s’inspirent de l’exemple américain, caractérisé par un foisonnement
d’agences de communication (Blue State Digital, Echoditto, etc.) qui vendent leurs
expertises aux candidats ou à des associations spécialisées dans l’advocacy. En
France, l’agence de communication LiegeyMullerPons
27
, qui a porté la pré-campagne
d’E. Macron en 2016 en coordonnant « la Grande Marche », affiche sur son site
Internet une « expertise en matière de recherche et d’analyse de données au service
des partis politiques progressistes en France et en Europe
28
». Ce conseil externalisé
en communication politique, dans son versant numérique, auprès des hommes
politiques ou des partis, est en effet en train de se structurer en France : on peut citer
la Netscouade (crée à la suite de la campagne de S. Royal en 2007), Spintank, Parteja
ou Emakina (responsable en externe de la campagne numérique de N. Sarkozy pour
l’élection présidentielle en 2012).
Pour les fondateurs de l’agence LiegeyMullerPons, il s’agit non seulement de créer
et de suivre des outils numériques, mais aussi d’accompagner le candidat dans sa
stratégie numérique, en travaillant notamment sur sa base de données : « Progrès de
la recherche en sciences politiques, Open Data, Big Data, nouvelles technologies :
nous proposons aux candidats et aux élus des outils qui révolutionnent leur manière
de faire campagne et d’interagir avec les citoyens
29
. » Les fondateurs de cette agence
ont élaboré leur expertise avec leur participation à l’équipe de campagne numérique
de F. Hollande en 2012 : ils étaient en effet responsables de l’opération porte-à-porte.
Faute d’être recrutés en ministère à la suite de la victoire de leur favori, ils ont créé
leur propre agence de conseil en stratégie électorale. L’expérience acquise lors de
campagne précédente devient un argument pour faire valoir son expertise dans ce
secteur encore émergent en France.
Au-delà de la création d’agences spécialisées dans le travail des data, certains
membres des équipes sont aussi recrutés en interne pour leur savoir-faire dans ce
27
Selon leur propre présentation sur leur site internet, LiegeyMullerPons est « une startup en stratégie
électorale fondée par Guillaume Liegey, Arthur Muller et Vincent Pons, trois passionnés de politique
et de nouvelles technologies qui se sont rencontrés pendant la campagne de Barack Obama en 2008 ».
Ces dirigeants ont pris en charge l’opération porte-à-porte du PS pendant l’élection présidentielle
française de 2012 et ont ensuite fondé leur agence.
28
Extrait du site internet de leur agence : http://www.liegeymullerpons.fr/ (consulté le 12 mars
2013).
29
Ibid.
93 Vers une pr ofe ss ion nal is ation de la com m uni catio n n um éri qu e
domaine, souvent formés outre-Atlantique. L’expérience aux États-Unis s’avère
fortement valorisée, notamment dans la mise en scène médiatique de la campagne.
Les experts sont en effet recrutés autant pour leur talent en développement que pour
l’apport symbolique de leur profil à la mise en scène de la campagne et leur réseau à
l’international :
Le numérique, c’est arrivé un peu par hasard. Plus je parle aux gens qui sont dans
le même domaine que moi et on est très peu plus je vois que tout le monde est
un peu tombé dedans au hasard parce que il n’y a pas de cursus, il n’y a pas de
formation d’État. En fait personne n’a fait des études en stratégie digitale pour une
campagne, ça n’existe pas. Bah déjà, j’étais militante dans la campagne d’Obama
en 2012 donc ça c’était sur le terrain. Mais je voyais déjà les méthodes, les moyens
de récolter des données… Donc j’ai baigné dans les campagnes à ce moment-là et
j’en ai fait d’autres après. Mais la première fois que j’ai utilisé Nation Builder,
c’était parce que une des filles avec qui j’avais fait campagne pour Obama m’en
avait parlé au détour d’une conversation et je l’avais déployé pour les élections
consulaires en Amérique du Nord pendant que je travaillais avec euh... pour
Frédéric Lefebvre qui est député des Français du Canada et des États-Unis et donc
y avait 13 élections locales, donc 13 listes. J’ai formé à distance les équipes en me
formant moi-même, donc c’était assez rudimentaire au début hein mais c’est
comme ça que je me suis lancée peut-être par le feu
30
.
Les nouveaux spécialistes du numérique recrutés pendant la primaire se distinguent
à la fois par une spécialisation technique, mais également par leur capital militant et
politique. La directrice du pôle « Digital » d’A. Juppé le résume bien : « on ne plus
dire qu’il y a les informaticiens d’un côté et les politiques de l’autre. Je me considère
comme stratège politique
31
». Ce changement de qualification professionnelle traduit
une réorganisation du travail militant des équipes de campagne où la mobilisation en
ligne, mais également hors ligne, est pensée en lien direct avec les pôles. Le
numérique n’est plus une extension du secteur communication. Il devient une porte
d’entrée centrale pour susciter des votes en faveur de leur candidat.
Malgré cet intérêt des cadres partisans, le travail sur les données reste encore très
artisanal comparativement à ce qui est proposé aux États-Unis. Cela est notamment
à un trop faible investissement financier (mais aussi dans la durée mettre en place
une base de données ne se limite pas à la temporalité d’une campagne électorale) des
30
Eve, directrice du pôle « Digital » de la campagne d’A. Juppé pour les primaires de 2016. Entretien
du 3 mars 2016.
31
Eve, directrice du pôle « Digital » de la campagne d’A. Juppé pour les primaires de 2016. Entretien
du 3 mars 2016.
94 Tr aject oire s profe ssi onnell es en comm uni ca tio n
candidats dans le secteur de la donnée. L’équipe numérique reste très limitée et le
travail sur les data se résume à une ou à deux personnes :
Sur la data, j’ai une ou deux personnes qui travaillent 50 %, vous voyez cette
histoire de grandeur. L’équipe de Clinton là, il était des dizaines a travaillé la
donnée. Ils savent que vous êtes bouclée, que vous avez un T-shirt noir, tout ça
quoi.... Nous, on connaît votre nom, prénom, date de naissance, on connaît
éventuellement plus de chose si vous avez accepté de remplir un questionnaire que
l’on vous a envoyé… aucune obligation, voilà, ils connaissent aussi aux États-Unis
vos orientations politiques, ils connaissent beaucoup beaucoup de choses
32
.
L’usage des données en politique reste très dépendant des budgets et du nombre de
personnes réellement capables de pouvoir mettre en œuvre sa valorisation technique.
Même si le budget destiné au numérique et, plus récemment, au recours au data
augmente à chaque campagne nationale en France, il reste encore bien inférieur à celui
alloué aux États-Unis. Selon l’ONG Center for Responsive Politics (CRP), spécialisée
sur la transparence des financements politiques, la campagne électorale américaine de
2016 aura coûté, présidentielle et Congrès compris, près de 7 milliards de dollars US
(6,6 précisément, soit 6 milliards d’euros). Celle de 2012, déjà sans précédent, avait
coûté 86,5 millions de dollars US de moins. D. Trump n’a pourtant pas dépensé
beaucoup pour la gestion des données : un peu plus de 400 000 dollars, ce qui n’est
presque rien par rapport à son budget publicité web et TV de plus de 2 millions par
semaine le dernier mois de campagne (et en proportion par rapport à son budget total
de campagne de 600 millions de dollars). Mais cela reste bien plus que ce que peuvent
se permettre les partis politiques français, étant donné que les dépenses électorales
sont plafonnées à environ 16 000 000 euros et à 22 000 000 euros pour chacun des
candidats présents au second tour de l’élection présidentielle (Lambert, 2012).
Comme le souligne la directrice du pôle « Digital » de A. Juppé : « on ne m’a jamais
donné 400 millions d’euros pour jouer avec
33
! ». Le responsable de l’équipe
numérique de N. Sarkozy pour la campagne de la primaire de la droite et du centre en
2016, ajoute : « la vérité, c’est qu’on est à 1 % de ce qu’on va faire les prochains mois
encore. Le potentiel est énorme. On apprend tous les jours
34
».
32
Axel, directeur du pôle « Digital » de N. Sarkozy lors de la primaire de 2016. Entretien du
17 novembre 2016.
33
Eve, directrice du pôle « Digital » de la campagne d’A. Juppé pour les primaires de 2016. Entretien
du 3 mars 2016.
34
Axel, directeur du pôle « Digital » de N. Sarkozy lors de la primaire de 2016. Entretien du
17 novembre 2016.
95 Vers une pr ofe ss ion nal is ation de la com m uni catio n n um éri qu e
4. Conclusion : typologie des experts politiques du
numérique
Entre 2007 et 2017, en l’espace de dix ans, la communication numérique en
politique s’est largement structurée et professionnalisée. En 2017, il était difficile,
pour un cadre politique, de pouvoir citer quelques noms d’experts et l’amateurisme
primait. En 2012, les équipes de campagne se sont consolidées malgré un manque
d’appui politique et une primauté accordée aux jeux de courants et au capital militant
devant le savoir-faire technique. Entre 2012 et 2017, plusieurs experts politiques du
web qui étaient intégrés aux équipes de campagne de 2012 ont monté leur propre
agence en communication numérique et ont participé à la construction de la légitimité
du numérique en politique. En effet, pour vendre leur expertise, ils devaient
convaincre les cadres politiques de l’intérêt d’investir dans ce volet.
Cette analyse longitudinale souligne l’hétérogénéité des trajectoires
professionnelles, tout en dégageant certains archétypes : les partisans qui s’appuient
d’abord sur leur capital militant pour obtenir une position au sein de l’équipe de
campagne ; les technophiles qui mettent en avant leurs compétences techniques ; les
internationaux qui revendiquent leur expérience à l’étranger, et notamment aux États-
Unis, pour légitimer leur compétence ; les prestataires externes qui ont construit une
offre sur le numérique et la vendent aux partis politiques. Les frontières entre ces
profils typiques sont minces. On l’a bien vu avec Rachid, qui est d’abord un
technophile, mais a su saisir l’importance de mettre en avant son engagement dans le
courant de F. Hollande pour se faire repérer dans le marasme des blogueurs politiques.
Parmi les prestataires, certains bénéficient aussi d’un capital militant qu’ils savent
utiliser comme ressource auprès de leur client politique. Le capital militant apparaît
en effet comme un atout qui permet de compléter un profil technique lorsqu’il s’agit
de briguer des postes à responsabilité et stratégique.
À l’heure de l’affaire Cambridge Analytica, de la course à la revente des données
personnelles et de la montée en puissance des plateformes du type NationBuilder en
France, il est certain que ces métiers autour de la donnée en politique vont encore
largement évoluer, notamment en proposant des réflexions sur l’aspect éthique. Pour
les travailleurs de la donnée, il est nécessaire de redonner confiance aux citoyens et
au politique pour que le marché du numérique en politique continue de fructifier.
96 Tr aject oire s profe ssi onnell es en comm uni ca tio n
Bibliographie
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