Professionnalisation des dircoms :
un modèle qui passe par l’atypie
Élise Le Moing-Maas, Professeure,
Institut des Hautes Études
de Communications Sociales
Elise.maas@galilee.be
Jean-Claude Domenget
Maître de conférence HDR
Université de Franche-Com
Jean-claude.domenget@univ-fcomte.fr
126 Trajectoires professionnelles en communication
Résumé
Le contexte des organisations est marqué par la défiance par rapport aux modèles
économiques qui les gouvernent d’une part et l’immédiateté dans la circulation de
l’information d’autre part. Ainsi le directeur de la communication, encadrant la
circulation des « informations » sur les organisations aussi bien à lintérieur quà
l’extérieur, joue un le stratégique dans la pérennité des dites organisations. Pour
mieux comprendre ce rôle, nous questionnons la construction de la professionna-
lisation de cette fonction au regard de l’atypie des parcours de ces directeurs, qui se
considèrent parfois eux-mêmes comme atypiques par rapport aux autres. Pour cette
recherche, basée sur l’analyse de dix-sept entretiens semi-directifs, nous nous sommes
intéressés aux récits de vie de directeurs de la communication de grands groupes en
France et en Belgique. Nous étudions ainsi leur formation et la reconnaissance de la
fonction à un niveau managérial. Les résultats font apparaître un « modèle » qui
repose sur quatre piliers. Le premier pilier, celui de la construction identitaire, l’ethos
de dircom, a pour fondation la relation au management et notamment au directeur
général. C’est de cette relation qu’émerge le deuxième pilier basé sur une forme de
reconnaissance préalable à la professionnalisation de la fonction. Troisième pilier : le
dircom est un professionnel engagé et responsable s’appuyant sur des qualités
humaines plus que techniques. Quatrième pilier : les pratiques propres à la fonction
peuvent être rapprochées de celles que Champy caractérise comme étant prudentielles.
Mots Clés : Directeur de la communication, formation, professionnalisation,
pratiques professionnelles, reconnaissance.
Abstract
In a context of immediacy, framing the flow of "information" on organizations both
inside and outside and distrust of the economic models that govern the majority of
large organizations, the director of communication plays a strategic role in the
sustainability of the organization. To better understand this role, we question the
CCO’s (chief communications officer) professionalization focusing on the originality,
the atypicity of their work history. This research is based on the analysis of seventeen
semi-structured interviews of CCOs from big companies in France and Belgium. We
were interested in their professional courses and how they talk about it. Two axis have
caught our attention: the training of the COOs and the recognition of the function at a
managerial level. Beyond a diversity of profiles, even atypical paths, it emerges a
“common model” of CCO based on four pillars.
The first pillar of identity building, the ethos of CCO is based on the relationship
with management and in particular with the Chief Executive Officer. It is from this
relationship that the second pillar emerges, based on a form of recognition prior to the
Professionnalisation des dircoms 127
professionalization of the function. Third pillar: the CCO is a committed and
responsible professional based on human rather than technical qualities... Fourth
pillar: the practices specific to the function can be compared to those that Champy
characterizes as prudential.
Key words: chief communications officer (CCO), training, professionalization,
professional practices and recognition.
128 Trajectoires professionnelles en communication
Dans un contexte marqué à la fois par l’immédiateté dans la circulation des
« informations » sur les organisations aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur et par
une crise de l’entreprise et de son mode de gouvernance (Mintzberg, 2004), les
fondements du management sont mis à mal dans la définition des missions classiques
du manager. Les compétences communicationnelles sont aujourd’hui de plus en plus
valorisées pour les managers. De même, le directeur de la communication joue un rôle
stratégique dans la pérennité de l’organisation. Avec le développement d’une commu-
nication dite « managériale » et de l’impératif éthique autour de la responsabilité
sociétale des entreprises, l’analyse du rôle des directeurs de la communication au sein
de l’organisation devient essentielle. En effet, ces évolutions interpellent les dirigeants
mais aussi assurément les directeurs de la communication en tant qu’acteurs clés
façonnant intelligemment et stratégiquement le discours organisationnel désormais
jugé par des parties prenantes plus avisées. Le rôle de plus en plus stratégique que
jouent les directeurs de la communication rend nécessaire le besoin de mieux
comprendre ces acteurs organisationnels et leur parcours de professionnalisation.
Dans ce but, nous questionnons la construction de la professionnalisation de cette
fonction au regard de l’atypie des parcours, en lien avec la formation initiale de ces
directeurs, lesquels se considèrent parfois eux-mêmes comme atypiques par rapport
aux autres membres des comités de direction.
L’actualité de cette question vient également du constat que, depuis les travaux
pionniers des années 1990, la professionnalisation des directeurs de la communi-
cation, autrement appelés « dircoms »
1
, ne fait plus partie des objets de recherche
étudiés dans ce domaine en France ou en Belgique
2
. Ceux-ci avaient pourtant souligné
la disparité des profils, des statuts, des rôles, etc. conduisant les chercheurs comme
les praticiens à s’interroger sur les contours « flous » de la profession et la dimension
inachevée de sa professionnalisation (Guérin, 1990 ; Tixier, 1992 ; Missika, 1995 ;
Walter, 1995).
Partant de ce constat, deux enquêtes à visée statistique ont été lancées dernièrement :
« l’enquête sur les pratiques professionnelles en communication au Canada »
3
et
« l’enquête sur les pratiques professionnelles en communication en France et en
Belgique »
4
au sein desquelles le rôle des dircoms et leur professionnalisation sont
abordés. L’enquête française et belge vise à déterminer l’évolution des pratiques des
1
La dénomination « dircoms » est une marque déposée en 1987 par le magazine « L’expression
d’Entreprise » (Missika, 1995). Pour Adari, dans Les 100 premiers jours d’un Dircom (Adary et
Salomon, 2014), c’est à partir de l’ouvrage de Missika, que l’acronyme s’est répandu.
2
Au Canada, Bernard Motulsky et Marc David questionnent cet objet.
3
Une première version de cette enquête a été réalisée en 2010 et une seconde est en cours de
réalisation.
4
Cette enquête, en cours, est portée par Fabien Bonnet, Bruno Chaudet, Jean-Claude Domenget
Valérie Lépine, Élise Maas, en partenariat avec la SFSIC (Société Française des Sciences de
l’Information et de la Communication).
Professionnalisation des dircoms 129
communicateurs dans l’organisation et à évaluer la reconnaissance du métier de
communicateur tous niveaux). Douze questions sont consacrées à la fonction de
dircom et en particulier à ses modalités de relation avec le directeur général (DG). Ces
questions incluent la notion de reconnaissance et de pratiques prudentielles de manière
implicite. Les résultats de cette étude quantitative pourront compléter notre compré-
hension des liens au sein de ce binôme et le rôle de la reconnaissance dans la
professionnalisation du dircom.
Dans cet article, la réflexion développée est basée sur une étude qualitative auprès
des dircoms de grands groupes en France et en Belgique, dont tout ou une partie du
parcours a été identifié comme atypique. Cette dimension atypique des dircoms
concerne des professionnels qui n’ont pas de formation initiale en communication
(journalisme, marketing, sociologie, droit, armée...) et ceux qui ont exercé auparavant
un autre métier : journaliste, secrétaire de direction, ingénieur en sécurité, militaire,
etc. Notre étude aborde également le processus de professionnalisation des dircoms
sous l’angle de la reconnaissance de la fonction, en partant de l’idée que la reconnais-
sance participe au développement des compétences professionnelles (Jorro et
Wittorski, 2013). Ainsi, l’atypie dans les modalités d’acquisition des connaissances et
des compétences utiles dans le cadre du métier de dircom (formation initiale, continue,
sur le tas...) participe-t-elle à la professionnalisation de la fonction ? Deme, laspi-
ration à la reconnaissance influe-t-elle sur les pratiques et lethos des dircoms ?
Les résultats font apparaître un « modèle » dynamique et évolutif en fonction du
« travail de professionnalisation » qui s’appuie sur la relation du dircom avec son
directeur général, avec son environnement et sur son niveau de posture managériale
(Bonnet et Bonnet, 2008). Ainsi, une fois la méthodologie de l’étude présentée, nous
analyserons les différentes dynamiques, qui forment quatre piliers d’un modèle de
professionnalisation du dircom. Le premier pilier constituant lethos du dircom repose
sur la relation au directeur général, laquelle est mise en forme dans leur récit de vie.
Le second relève de la reconnaissance de la fonction, qui permet la réalisation de
missions stratégiques au niveau de l’organisation, en lien avec la direction générale et
participe ainsi de la professionnalisation des dircoms. Le troisième pilier est construit
par les compétences des dircoms, en soulignant que ses missions font appel à des
qualités plus humaines que techniques, avec une certaine impertinence, compétence
que l’on peut considérer comme atypique pour un manager. Enfin, les missions dans
leurs dimensions stratégiques, associées à ces compétences humaines voire « huma-
nistes » peuvent être mises en parallèle avec les pratiques prudentielles de Champy
(Champy, 2011). Il s’agit là, via la dimension d’engagement propre à la fonction, du
quatrième pilier de ce modèle de construction de la professionnalisation des directeurs
de la communication.
130 Trajectoires professionnelles en communication
Une approche méthodologique compréhensive
de recueil de récits
L’analyse des pratiques professionnelles en communication (Brulois et Charpentier,
2013 ; Morillon, 2015) ainsi que celle de la professionnalisation des communicateurs
(de la Broise, 2006 ; Lépine, 2016) constituent un champ de recherche important en
communication des organisations. Ces recherches participent de la légitimité de la
profession de communicateur et de sa reconnaissance. D’un point de vue épisté-
mologique, deux axes et quatre « régions » peuvent être distingués (Lépine, 2016,
p. 19). Les approches fonctionnalistes et les approches critiques, les deux premières
régions, s’opposent selon un premier axe à travers, entres autres, les dimensions
politiques de la professionnalisation et le caractère situé de ce type de recherches. Un
deuxième axe prend en compte les aspects méthodologiques des recherches sur la
professionnalisation des communicateurs. Sur cet axe, sont distingués d’un les
travaux en lien avec l’analyse de la production de discours sur la communication, des
écrits de l’organisation dans une perspective sémio-linguistique et de l’autre, les
approches compréhensives ou ethnographiques visant à donner du sens aux discours
des acteurs. C’est dans cette région, qui rejoint le cadre épistémologique de l’inter-
actionnisme symbolique et de la sociologie des professions, que se situe notre travail
de recherche. Il s’agit en effet d’observer la dynamique de professionnalisation des
dircoms en s’intéressant à la construction de leur ethos, mise en perspective avec
l’acquisition des compétences nécessaires à la pratique de leur profession. Nous
entendrons ici le mot « profession » dans le sens de fonction, soit une position et des
compétences reconnues (Dubar et al., 2015). Dans une perspective interactionniste,
nous analyserons cette « fonction » et le processus de professionnalisation des
dircoms en observant leurs relations avec leur entourage, directeur général, autres
membres de la direction, collaborateurs et écosystème propre à leur organisation.
Nous nous intéresserons particulièrement à la trajectoire de ces dircoms en consi-
dérant leur activité professionnelle comme « un processus biographique et identi-
taire » (Dubar et al., 2015, p. 99), révélateur des dynamiques de la fonction, voire d’un
groupe professionnel de dircoms.
Nous avons donc souhaité nous baser sur les récits de vie et étudier les significations
associées (Kaufmann, 2016) afin de questionner la construction de leur ethos de
communicateur et le rôle joué par la reconnaissance de leur fonction dans la
construction de leur professionnalisation. Nous avons ainsi demandé aux dircoms
interviewés de nous « raconter » leurs parcours professionnels, en partant de leurs
études, en nous expliquant dans un premier temps comment et pourquoi ils sont
devenus des « communicateurs » et s’ils se considèrent comme tels. Puis, nous avons
avancé jusqu’au moment où ils sont devenus « directeur de la communication » : ont-
ils le titre ? Sont-ils membres du comité de direction de leur organisation, comment
Professionnalisation des dircoms 131
travaillent-ils avec leur directeur général ? Se sentent-ils « directeur » au même titre
que les autres membres du comité de direction ?
Quinze dircoms de grosses entreprises marchandes ou institutions publiques
globalement de plus de 1000 personnes et jusqu’à plus de 50 000 en France et en
Belgique ont été interviewés : Coface, Servair, Groupe Delhaize, Police Fédérale…
Tous rapportent aujourd’hui, ou dans leur dernière mission, directement au directeur
général. Nous nous sommes également entretenus avec deux chasseurs de têtes,
spécialisés dans le recrutement en communication, de la société VMA Group
5
. La
méthode de recrutement par connaissances et via plusieurs personnes ressources a été
adoptée afin d’atteindre une diversité suffisante et une saturation dans les profils. En
effet, au bout de 17 entretiens, les réponses des interviewés étaient majoritairement
redondantes, en particulier sur les aspects des thématiques qui nous intéressent :
périodes professionnelles charnières, la relation au DG, l’engagement dans la
fonction… Les entretiens ont été majoritairement effectués en face à face, sur le lieu
de travail ou à proximité. Les autres ont été réalisés à distance par téléphone ou par
skype. La durée moyenne des entretiens a été d’un peu plus d’une heure. Nous avons
initialement construit notre population d’étude en considérant que l’âge pouvait être
un critère différenciant et nous avons interrogé des directeurs de la communication
qui ont majoritairement entre 40 et 60 ans. L’idée était de nous placer dans une
perspective diachronique, afin de mettre en parallèle l’atypie des types de formations
et des origines professionnelles, hors de la communication, des directeurs de la
communication qui ont commencé à exercer leur fonction dans les années 1980,
période de jeunesse de la fonction, proposant peu de formations dédiées à la commu-
nication, avec celle des « jeunes » (la quarantaine) directeurs de la communication
d’aujourd’hui qui ont pu accéder aux formations en communication et profiter du
travail de reconnaissance initié par leurs aînés. Les premiers sultats nont pas révélé
de changements en relation avec l’âge et ce critère a été laissé de côté. Un tableau en
annexe reprend les profils des directeurs de la communication interviewés mettant en
avant ce que nous avons considéré comme atypique dans leur parcours.
Notre travail s’appuie donc sur une démarche inductive qui s’appuie également sur
la dimension réflexive de l’un des auteurs, à partir de son retour d’expérience en tant
qu’ancienne directrice de la communication. Bien que n’occupant plus de fonction
opérationnelle depuis environ 5 ans, cette expérience a été mobilisée pour la
construction de l’échantillon d’interviewés et pour l’élaboration du questionnaire.
Notre objet et nos hypothèses émanent du terrain et se sont construits au fil des
rencontres avec les directeurs de la communication. Nous nous référons ici à la
« Grounded theory » de Strauss (1992). Ainsi, c’est à partir d’une analyse thématique
5
Nous souhaitons à nouveau remercier ces professionnels et ces sociétés pour leur contribution à
cette étude.
132 Trajectoires professionnelles en communication
des récits recueillis basée sur leur posture de dircom (titre, positionnement…), de la
description de leur mission au travers de leurs compétences, en insistant
essentiellement sur les savoir-être, de leur manière de raconter leur relation avec le
directeur général en lien avec leur positionnement managérial et de leur appréhension
des responsabilités inhérentes à leur fonction que nous avons pu déduire le modèle
développé dans cet article.
Un modèle dynamique construit autour de quatre
piliers interconnectés
Le modèle proposé ici s’appuie sur quatre piliers interconnectés les uns aux autres.
Ces piliers apparaissent comme structurants dans la professionnalisation du dircom,
aussi bien au niveau de l’acquisition de ses compétences, de la reconnaissance de sa
fonction que de la construction de son identité de dircom.
Tout dabord, il nous semble que lethos et la manière dont s’est construit le dircom
s’entend certes dans la structuration du récit de son parcours professionnel, mais en
particulier dans la vision de sa relation au (x) directeur (s) général (aux) avec lesquels
il a travaillé au fil de sa carrière. En effet, l’ethos passe à la fois par la mise en récit
de son expérience racontée sous l’angle de sa relation avec le directeur général
– changements, réussites, échecs (Hughes, 1996) – et par sa compétence communica-
tionnelle, l’art de raconter des histoires, inhérente à la fonction (d’Almeida, 2012).
Cette mise en scène à double entrée participe de la construction d’une figure du dircom
que l’on retrouve dans une grande majorité des entretiens.
Cette relation dircom/directeur néral s’appuie sur la confiance et la reconnais-
sance du dircom par le directeur général, participant ainsi de sa professionnalisation.
À l’issue de notre analyse, il apparaît que des savoir-faire mais aussi surtout des
savoir-être spécifiques, propres à ce type de professionnel, ont pu se développer à
partir de la reconnaissance de la fonction par le DG. À ce niveau, il nous semble que
l’atypie peut être inhérente à certains de ces savoir-être, en particulier une certaine
« impertinence » ainsi que le cite une majorité de dircoms.
Aussi, de ces récits se dégagent, plus que des compétences techniques peu évoquées,
un ethos basé sur les qualités de savoir-être que l’on retrouve dans une grande majorité
des interviews : pédagogie, responsabilité, goût pour l’humain... Ces caractéristiques,
que nous pourrions définir comme des « softs skills », associées à la reconnaissance
de la fonction, permettent le développement de la dimension stratégique de la fonc-
tion, chaque situation traitée demande une réponse singulière. En effet, elles
induisent des pratiques qui engagent la responsabilité du dircom dans le résultat de
ses actions, aussi bien à un niveau économique pour son organisation que sociétale.
Enfin, ces pratiques se rapprochent de celles que Champy caractérise comme étant
prudentielles. Le dernier item de ce modèle consiste en une mise en parallèle du
Professionnalisation des dircoms 133
concept de pratiques prudentielles développé par Champy (2011) et repris, en lien
avec la professionnalisation des communicateurs, par de la Broise (2013).
Quand les dircoms se racontent… :
un ethos construit dans la relation au DG
L’habitude des directeurs de la communication de pratiquer le storytelling dans leur
quotidien nous amène à penser qu’ils le pratiquent de manière plus construite et
consciente que d’autres types de professionnels, dans le récit de leur parcours, qui plus
est dans un but communicationnel de mise en scène de la fonction de dircom.
Rappelons que pour Reindert Dhondt et Beatrijs Vanacker (2013), « l’ethos renvoie à
l’image de crédibilité que donne l’orateur de lui-même auprès de son public afin de
susciter la confiance ». Dans chacun de nos entretiens, les dircoms ont volontiers
raconté leurs parcours professionnels. Ils ont évoqué les difficultés inhérentes à une
profession relativement jeune, en constante remise en cause et pas toujours reconnue
dans ses compétences. Pour les dircoms rencontrés, l’ethos de la fonction relève d’un
processus de co-construction avec un acteur essentiel, le directeur général, auprès
duquel le directeur de la communication assume, lorsqu’il peut pleinement exercer
ses fonctions, un rôle privilégié. C’est en creusant la relation au DG que l’on arrive à
trouver les failles de ces récits de vie idéalisés mais aussi, malgré ou grâce à des
formations ou parcours atypiques, les justifications des éléments biographiques qui
ont mené les interviewés à exercer les fonctions de dircoms.
En effet, dans les discours, les parcours apparaissent comme linéaires, les bifurca-
tions sont évoquées comme résultant de choix (Denave, 2015) : DC2, directrice de la
communication dans la grande distribution à l’époque du fait relaté, nous explique
que c’est un changement de rattachement, du directeur général au directeur de
ressources humaines, qui la pousse à quitter son poste après plus d’une dizaine
d’années. De même DC4, directrice de la communication au sein d’une fédération
européenne raconte : « dans un poste précédent, le directeur néral ne s’intéressait
pas à la communication, la fonction n’était pas stratégique. C’était intéressant pour la
pratique mais il manquait le rôle de conseil ». Les changements de postes sont
rationalisés par l’ennui dans la fonction, considérée comme n’étant pas suffisamment
stratégique, ou dus à une relation « distante » avec la direction générale. Les deux
raisons apparaissent souvent comme corrélées. Baillargeon et al. évoquent en ce sens
une « aspiration à une professionnalisation déontique et stratégique pas toujours
réalisée » (2013, p. 12). Ce qui ressort des discours biographiques des dircoms, même
en période de tension, de rupture, est que la relation avec le directeur général est
fondamentale aussi bien au niveau de l’ethos du dircom que pour sa profession-
nalisation, au travers de ses pratiques. DC14 nous raconte comment il a petit à petit
accédé à des fonctions de communicateur à responsabilité, puis à la direction de la
communication : « un jour, un des grands patrons m’a demandé de l’aider pour mettre
134 Trajectoires professionnelles en communication
à jour une présentation pour un cours sur le milieu énergétique. Puis, finalement j’ai
assisté à toutes les présentations au plus haut niveau. J’ai observé les patrons, la
manière dont ils s’expriment… en fait, j’ai été un peu coaché par ce monsieur ». Pour
lui, quel que soit son titre, le communicant doit toujours être à côté de celui qui prend
la décision. L’accession à la fonction de directeur de la communication n’est souvent
liée ni à un changement de mission, ni à une augmentation des compétences qui
donnerait accès à un titre, mais à la perception de la mission de la communication par
le directeur général. En effet, la relation principale qui permet au dircom de construire
son ethos, en lien avec ses pratiques et ainsi de se professionnaliser, est celle qu’il
tisse avec le directeur général. Pour cela, il s’agit pour le dircom de réussir à construire
une relation basée sur la proximité, la confiance, qualités que l’on retrouve citées par
ces professionnels et qui viennent renforcer son ethos. « Il a fallu du temps pour nous
apprivoiser », nous dit un dircom en parlant de son PDG. Nous avions un « fonction-
nement très semblable ». L’accès à l’agenda du directeur général, la participation aux
comités de direction en sont des marqueurs forts, souvent évoqués lors des entretiens.
Dans son récit, DC8 nous dit que c’est grâce à son précédent directeur général qu’il a
obtenu son poste à l’issue d’études de droit public et sans avoir exercé de fonction de
communicateur au préalable. Pour DC1, qui a fait une formation en marketing et était
acheteuse avant d’évoluer vers des postes de communicatrice, « c’est avec l’arrivée
d’un dirigeant qui avait une grande appétence pour la communication que je suis
devenue dircom puis porte-parole ». Les exemples de ce type sont récurrents au fil de
nos entretiens. Les chasseurs de têtes spécialisés sur le marché de la communication
que nous avons interviewés confirment que de nombreux dircoms recrutés n’ont pas
forcément de formation en communication, même si la majorité a une antériorité dans
la communication. Certains, comme ici DC8, arrivent à la direction de la commu-
nication avec une expérience professionnelle dans d’autres secteurs, même si le
journalisme est majoritaire. Par rapport à d’autres directeurs, situés au niveau du
comité de direction, cet état de fait est particulièrement atypique. Nous le mettons en
relation, comme nous le développerons plus avant, avec la primauté du savoir-être par
rapport au savoir-faire dans la fonction de dircom.
C’est par l’appétence à la communication du directeur général que le dircom peut
construire son identité et faire évoluer ses missions. DC13, dircom d’un grand groupe
dans le domaine des services aux entreprises, nous raconte qu’il va mettre trois ans
« avec le président » à construire la communication du groupe dans lequel il est. Il
évoque dans son récit son expérience et ses changements de responsabilités en
fonction des changements de président : « à ce stade, le directeur des ressources
humaines me pique la communication interne mais je récupère le marketing » surtout,
il évoque « la chance d’avoir eu des grands patrons visionnaires ».
Au-delà de la construction discursive et à travers la « mise en scène » (Goffman,
1973) d’un ethos propre qui se dessine au fil des entretiens, ces professionnels tendent
à façonner une figure de dircom qui n’est ni évidente, ni logique, ni parfois légitime
Professionnalisation des dircoms 135
au regard de leurs études et de leur parcours professionnel. Cette identité et sa
légitimité se construisent dans les interactions entre le dircom, la fonction et le DG, à
partir de la reconnaissance du directeur général pour la fonction et pour l’individu qui
l’occupe.
La reconnaissance de la fonction comme condition
d’une dimension stratégique de la mission et de la
professionnalisation du dircom
L’aspiration à la reconnaissance de la fonction est un préalable à la profes-
sionnalisation et à l’engagement du dircom. DC13 a fait des études de droit puis de
journalisme. Bien qu’ayant découvert les métiers de la communication et leur intérêt
lors de son service militaire, il a toujours voulu être journaliste, fonction qu’il a peu
exercée au regard de sa carrière de communicateur. Pendant longtemps, tout en étant
communicateur, il se présentait comme journaliste. C’est la reconnaissance de la
direction générale et sa relation avec le DG qui va faire qu’il est aujourd’hui un
directeur de la communication assumé, fier de sa profession, avec de grosses
responsabilités auprès des associations professionnelles. « Tout le monde peut faire
de la communication ». Cette assertion est un poncif pour les communicateurs qui en
connaissent parfaitement les limites. Cependant, nous considérons que cette
appréhension du métier de communicateur renforce le besoin de légitimation et de
reconnaissance de la fonction du dircom par le directeur général, aussi bien pour sa
professionnalisation que pour son ethos. DC7, diplômé en secrétariat de direction,
métier qu’il a exercé une grande partie de sa carrière, s’occupe de la communication.
Petit à petit, il s’est professionnalisé par des formations mais surtout, nous dit-il, « par
sa proximité avec le directeur néral ». Pour cet ancien responsable de la
communication dans le secteur de l’énergie, qui n’a jamais eu le titre de dircom mais
en a exercé les fonctions, la reconnaissance vient justement de sa participation effec-
tive au codir (et non en tant que secrétaire du codir comme il l’avait été précédem-
ment). La reconnaissance de la fonction participe de la reconnaissance du dircom et
de la construction de son ethos. En effet, pour Jorro et Wittorski « la reconnaissance
professionnelle ajoute à l’acte évaluatif la dimension de considération, voire
d’estime, qui conforte l’acteur dans son for intérieur et consolide sa place dans
l’espace social » (2013, p. 13). Au-delà du titre et de la reconnaissance de l’individu
en tant que professionnel, la présence du dircom aux instances de direction est un
véritable enjeu car, comme nous le dit DC11, qui a été dircom dans plusieurs groupes
de secteurs différents, membre du codir ou non : « c’est à ce niveau que l’information
peut être recueillie, les orientations stratégiques discutées et où le dircom peut
intervenir en amont, pour prévenir des impacts des décisions en termes de commu-
nication ». Tout comme pour DC4, dircom dans une fédération professionnelle
européenne, qui considère que le manque de reconnaissance de la fonction empêche
136 Trajectoires professionnelles en communication
le travail d’être stratégique, nous dit : « ce n’est pas forcément la reconnaissance
d’être dans le board en elle-même mais l’influence sur le travail et le réseau que ce
positionnement apporte qui est indispensable à la fonction de dircom ». Ainsi, la
présence du dircom dans une instance de direction ne relève pas uniquement de la
reconnaissance individuelle mais de la capacité à exercer sa fonction au mieux et ainsi
de se professionnaliser. À titre d’illustration, le 8
e
Baromètre UDA Entreprise et
Média réalisé par Harris Interactive en 2017 indique que, sur les 150 directeurs de la
communication français ayant répondu à l’enquête, 65 % appartiennent au comité de
direction ou au comité exécutif de leur entreprise et 81 % rendent compte directement
au directeur général. La reconnaissance de la fonction par le directeur général tout
comme sa relation avec le dircom a un impact sur son positionnement et sa légitimité
vis-à-vis des autres directeurs et participent de sa reconnaissance en tant que directeur
et en tant que professionnel. Dans l’ensemble des entretiens, il ressort que le dircom
peut se définir comme tel, même s’il n’en a pas le titre, à partir du moment le
directeur général s’intéresse au sujet de la communication, en comprend les enjeux
stratégiques, sollicite son avis sur de nombreux sujets, bien au-delà de la seule image
de lorganisation. Les chasseurs de têtes ont tous les deux constaté que la demande
des directeurs généraux avait évolué vers des profils plus stratégiques et que plus les
enjeux des organisations étaient complexes plus la fonction de directeur de la
communication était reconnue et considérée comme stratégique. L’une d’elle ajoute
« qu’aujourd’hui, le dircom doit être un manager capable d’avoir une compréhension
globale du marché, une vision économique et financière ». Toutes les deux constatent
que les demandes sont de moins en moins liées à des expertises techniques mais de
plus en plus à des capacités « à velopper des relations avec des parties prenantes et
à montrer qu’on a une connaissance et une compréhension du business fine et ce même
pour des profils juniors ».
Un accès à la fonction et une professionnalisation
qui s’appuient sur des « soft-skills » parfois
atypiques
Derrière les atypies des formations initiales et la diversité des premiers postes, à
partir d’un certain niveau de carrière, des similarités se font jour dans les parcours des
dircoms, marquées par une homogénéisation d’un ethos propre à la fonction de
dircom. En effet, ces derniers se sentent légitimes dans leur fonction car ils en
maîtrisent les codes. Ainsi, DC7, lorsqu’il évoque ses compétences, nous dit : « j’ai
du savoir-faire et du savoir-être à communiquer ». Ces savoir-faire, implicitement
maîtrisés, ne sont pratiquement pas évoqués lors des entretiens. En effet, quel que soit
leur parcours initial, les dircoms interviewés abordent très peu le sujet des compé-
tences techniques propres aux tiers de la communication (édition, organisations
d’événements... ni même l’évolution de ces compétences en lien avec la digitalisation
Professionnalisation des dircoms 137
des missions). Certains nous disent même s’être formés « sur le tas », par « l’échange
de bonnes pratiques » tel que le souligne DC3, elle-même très impliquée dans les
associations professionnelles, « en regardant faire les autres ». La plupart disent avoir
suivi des formations sur des outils. Celles liées au média-training sont les plus souvent
évoquées mais dans aucun des entretiens le sujet des compétences techniques n’a été
plus qu’effleuré lors du récit de vie.
En revanche, dans l’ensemble des entretiens, les dircoms évoquent des savoirtre,
soft-skills sociaux, qui semblent constitutifs de leur fonction. S’appuyant ici sur la
notion de figure telle que la définissent Jolivet et Vasquez (2011, p. 130) et reprise
par Baillargeon et al. (2013, p. 13) comme « forme d’agentivité présentée – ou
représentée dans le discours », la figure du dircom se fonde sur des compétences
sociales qui transcendent les pratiques professionnelles : curiosité, humanisme,
engagement, pédagogie, etc. voire une certaine impertinence, caractéristique plutôt
atypique pour un manager expert (Bonnet et Bonnet, 2008). DC4 cite « l’ouverture
d’esprit, la ténacité et la diplomatie » et, comme la majorité des dircoms interviewés,
insiste également sur le rôle de conseiller qui donne son avis et ose contredire le
directeur général. Elle nous dit : « je ne suis pas là pour flatter mais plutôt pour avoir
un rôle de poil à gratter, de fou du roi ». Cette expression de fou du roi sera souvent
reprise lors des entretiens et s’ils ne la reprennent pas, de nombreux dircoms adhèrent
à l’idée et à la terminologie. DC5, quant à elle, explique que dans le contexte actuel
marqué par un besoin de transparence dans les discours de communication, la
dimension pédagogique est indispensable. Elle insiste sur le fait que le dircom « doit
oser » dire les choses au directeur général et approuve l’expression de fou du roi. Dans
une étude de VMA Group, Sebastian Mikosz, CEO de eSkipl indiquait ainsi : « le
directeur de la communication doit dire au PDG tout ce qu’il n’aime pas entendre »
6
.
De même, Axel Steiger-Bagel, CEO de Bayer Benelux, indiquait : « je veux que mon
directeur de la communication me challenge ; pour m’apprendre aussi et m’aider sur
mes points faibles »
7
. Plus que la capacité à résoudre des situations de communication
complexes ou son positionnement par rapport aux autres membres de l’organisation,
et en particulier du management, la professionnalisation du dircom passe par cette
relation, parfois de « connivence », a-t-on entendu, avec un directeur qui a une appé-
tence pour la fonction « communication » ou a minima qui a confiance en lui. Le
dircom peut alors être considéré comme l’oreille du DG. Pour pouvoir se
professionnaliser, il doit être écouté par le DG. Tenant un rôle de « fou du roi », le
6
Notre traduction : « The communication director has to tell the CEO everything he does not like to
hear ». D’après une étude de VMA GROUP réalisée en 2016, à partir d’entretiens avec 40 CEO de
grands groupes en Europe et en Grande-Bretagne « Beyond communications : A CEO perspective of
reputation leadership ».
7
Notre traduction : « I want my director of comms to challenge me ; to teach me as well and help
with my blind spots », d’après la même étude de VMA GROUP.
138 Trajectoires professionnelles en communication
dircom doit jouer de l’impertinence, de la contradiction, ce qui lui confère une position
particulière dans l’organisation, participant de la reconnaissance de la fonction et de
sa professionnalisation.
La figure du dircom intègre également l’idée de curiosité, d’un goût pour les autres
et d’un certain humanisme. En effet, les dircoms rencontrés ont tous une excellente
maîtrise de leur organisation et de l’écosystème de leur domaine professionnel, qu’ils
soient « fils natifs », étant dans l’entreprise depuis plusieurs années, comme les
appelle Missika ou qu’ils soient arrivés en tant que dircom, sans connaissance de
l’entreprise avant leur prise de poste. L’importance de cette connaissance renvoie à
un résultat de l’étude « Communication Management Competencies for European
Practitioners »
8
où, à la question sur les connaissances les plus importantes pour la
fonction, les deux premières réponses sont la connaissance de l’organisation et la
compréhension des tendances du secteur en lien avec la stratégie commerciale. Citées
dans la majorité des entretiens comme compétences indispensables à la fonction, ces
compétences douces leur permettent d’être des hommes et des femmes de réseau,
dimension indispensable à la fonction de dircom. DC2 insiste sur la nécessité de « bien
connaître l’entreprise et les collaborateurs à tous les niveaux pour avoir de la
crédibilité ». Cette qualité repose sur des valeurs de simplicité, de capacité péda-
gogique, de relationnel etc. Comme le dit l’un des professionnels interviewés, « c’est
la personnalité qui compte dans notre fonction ». Ils se disent aussi passionnés. DC9,
alors « jeune » dircom d’un grand groupe médiatique après une carrière de journaliste,
raconte : « dans un climat passionnel, nous avons réussi à nous deux (avec le directeur
général) à organiser la communication, à fixer les règles et à gérer l’image ». En effet,
une certaine passion pour leur métier conduit nombre d’entre eux à s’investir dans des
associations professionnelles et à enseigner comme vacataires ou professeurs associés
à l’université. Le dircom est un professionnel engagé et responsable. Pour DC6, « la
mission du dircom est aux antipodes de ce que l’on pourrait qualifier de « spin
doctor », au contraire, une des principales qualités c’est l’honnêteté et l’ouverture à la
discussion » nous dit-il. La notion d’engagement, de responsabilité, les questionne-
ments quant à la déontologie de la profession relayés par les associations profes-
sionnelles (de la Broise, 2013), via des chartes, illustrent bien la préoccupation des
dircoms et participe de la professionnalisation. DC13 s’est beaucoup investi à lUJJEF
(Union des journaux et journalistes d’entreprise) devenue aujourd’hui « COM-ENT ».
D’après lui, travailler à la professionnalisation des communicateurs a participé au
développement de son ethos de dircom. C’est à ce niveau, et justement en jouant le
rôle de fou du roi évoqué précédemment, que les dircoms interrogés se disent
« engagés » dans leur fonction et plus largement au niveau de la société, même si le
8
Étude réalisée en 2013 dans le cadre de l’ECOPSI « European Communication Professionnals Skills
and Innovation Programme ».
Professionnalisation des dircoms 139
mot éthique n’a jamais été évoqué. De plus en plus, les organisations sont scrutées et
les enjeux en termes d’image des organisations ont un impact, tant sur les pratiques
que sur la responsabilité du directeur de la communication. Tous usent, sans les
nommer, de ce que Champy nomme les « pratiques prudentielles ».
Une fonction qui s’appuie et se professionnalise
sur des pratiques prudentielles
Le quatrième et dernier pilier de notre modèle mobilise la notion de pratiques
prudentielles comme inhérentes aux responsabilités stratégiques du dircom et à son
engagement. En effet, nos entretiens, ainsi que les différentes études professionnelles
sur les directeurs de la communication citées dans cet article, mettent en avant la
complexité croissante d’une fonction majoritairement reconnue comme stratégique
dans un environnement communicationnel instable. « Aujourd’hui, tout est communi-
cation, quand tout fonctionne, c’est normal et quand ça ne va pas, c’est de la faute de
la communication » nous dit DC10, jusqu’à peu directeur de la communication d’un
grand groupe du secteur industriel. Dans ce contexte, les dircoms ne peuvent pas avoir
des réponses mécanistes aux situations qu’ils sont appelés à gérer. DC13 se souvient
qu’il a dû faire preuve de pédagogie avec son directeur général pour lui faire
comprendre que la communication n’était pas une « boîte à outils ». Ils usent de
pratiques prudentielles, soit des pratiques qui demandent une réflexion complexe, qui
nécessitent de faire des choix et intègrent la notion d’engagement comme nous l’avons
vu plus haut. Pour Champy (2011), toutes les professions ne peuvent être étudiées
selon un cadre identique, comme le faisaient les fonctionnalistes et les interaction-
nistes. Il propose ainsi pour un certain type de professions, auquel nous proposons
d’associer les directeurs de la communication, de reprendre le concept de prudence
dans une approche aristotélicienne. Pour lui, la spécificité des professions à pratiques
prudentielles est la confrontation des professionnels à des situations complexes et
singulières qui nécessitent de faire preuve de prudence et pour lesquelles il n’y a pas
de réponse mécanique. Cette caractérisation des activités des dircoms comme
pratiques prudentielles est d’autant plus intéressante qu’ils doivent faire des choix,
sans forcément pouvoir mesurer toutes leurs implications, ni les conséquences qu’ils
auront sur l’entreprise, dépassant largement les questions de communication et
d’image. Pour DC12, il s’agit d’un « poste à haut risque, un jour ça va, un jour ça ne
va pas ». Tous évoquent la dimension politique de leur fonction. La prise de risque, le
fait « d’avoir du nez », nous dit DC14 à propos de la gestion d’une crise médiatique,
sont souvent évoqués dans les entretiens.
De même, cette idée de pratiques prudentielles renvoie à la notion d’engagement
très présente dans les récits de vie des dircoms. Ceux-ci se sentent engagés vis-à-vis
de leur organisation voire de la société, par leurs pratiques, les conseils qu’ils donnent,
les discours qu’ils écrivent et cherchent à mesurer, avant d’agir, les risques et les
140 Trajectoires professionnelles en communication
conséquences de ce qu’ils font. DC6, ancien professeur en économie à l’université et
aujourd’hui directeur de la communication d’une direction de la commission
européenne nous raconte la motivation idéologique, le souhait de s’investir pour une
cause qui l’ont poussé à se tourner vers la communication. Il évoque la nécessité
d’investir énormément dans le contenu des messages. Il considère ainsi « une bonne
communication comme une conversation à la fois rationnelle et émotionnelle qui
laisse une trace ». Certaines activités « se prêtent particulièrement à la politisation,
c’est-à-dire à des débats publics » (Tasser, 2010), ce que l’on retrouve dans les
témoignages des dircoms interrogés. En effet, ces derniers revendiquent cette
responsabilité dans le choix des pratiques de communication en leur nom et en celui
de leur directeur général, qu’ils mettent en garde contre les effets de telle ou telle
décision. On retrouve ici le rôle de « poil à gratter » et la relation particulière, que
nous considérons et qu’ils considèrent également comme atypique, propre à la
fonction de dircom. Ils disent assumer les conséquences de leur choix. DC1 évoque
l’importance « de ne pas subir les événements et de dire les choses à sa direction ».
C’est également en s’appuyant sur la dimension prudentielle de leurs pratiques, même
s’ils ne les qualifient pas ainsi, que la participation aux instances de direction est si
importante pour eux et qu’ils se revendiquent membre de droit d’un comité de
direction.
Il nous semble que l’évolution de la fonction de directeur de la communication, plus
reconnue, plus stratégique et le modèle de construction d’un ethos de dircom engagé,
responsable voire impertinent permettent non seulement l’usage de pratiques pouvant
être qualifiées de prudentielles mais également rendent cet usage indispensable dans
le contexte actuel de défiance des publics face à l’organisation.
Conclusion
Même si la professionnalisation des directeurs de la communication ne nous paraît
pas achevée, cette première phase de l’étude met en évidence une reconnaissance de
la fonction et de ses particularités au plus haut niveau de l’organisation. Bien que
l’atypie de formation et de parcours soit constitutive de la lection des dircoms
interviewés, il nous semble qu’il est possible de considérer cette atypie comme en
partie inhérente à la fonction de dircom. Nous étions partis de l’idée de l’existence de
profils atypiques mais n’est-ce pas la fonction même de directeur de la commu-
nication, par sa complexité, sa responsabilité dans la perception de l’organisation par
ses parties-prenantes et la confrontation régulière, de plus en plus fréquente, avec le
grand public qui est atypique par rapport aux autres managers ? L’atypie ne se dessine
ni dans la formation ni par les savoir-faire techniques, qui pourraient faire références
aux petits métiers, tels que les évoque Champy (2011), mais dans chacun des quatre
piliers et de leurs liens sur lesquels nous avons basé le modèle proposé dans cet article.
Les éléments de récits récurrents mettent l’accent sur une professionnalisation qui
Professionnalisation des dircoms 141
passe par la relation au DG et la reconnaissance de la fonction. Cette relation de
proximité est ici une condition indispensable non seulement pour la construction de
l’ethos du dircom mais également pour qu’il puisse exercer une fonction dont la
dimension stratégique est constitutive. Cette relation se construit plus sur des
compétences sociales, des savoir-être que sur des savoir-faire. Curieux, humain et
pédagogue, c’est un homme ou une femme de réseau qui connaît parfaitement son
organisation et joue un rôle de courroie de transmission entre les salariés et la direction
générale. Engagé et impertinent, il tient un rôle qui est régulièrement qualifié par les
dircoms interviewés de « fou du roi ». C’est par ce le qu’il va jouer auprès du
directeur général que le dircom va se différencier des autres membres de la direction
de l’organisation. Il est celui qui donne un regard extérieur en interne. Au sein des
comités de direction, l’ensemble des fonctions a une dimension stratégique et engage
l’organisation : quant à son positionnement sur son marché pour le directeur
commercial, quant à son positionnement social pour le directeur des ressources
humaines… Cependant le dircom, par sa responsabilité dans la structuration et la
circulation de l’information en interne comme en externe, est celui qui est le plus
visible et le plus jugé en dehors de la sphère de l’organisation et dans l’espace public.
Le dircom s’engage et engage l’organisation via des pratiques que l’on peut qualifier
de prudentielles. Au-delà du storytelling, brandcontent et autres outils manipulatoires
mobilisés à outrance lors de campagnes de communication (Maas, 2016) qui ne
convainquent plus les publics, il nous semble que c’est justement en développant ces
pratiques prudentielles que les dircoms pourront participer de la professionnalisation
et de la reconnaissance de leur profession dans ses aspects politiques et sociaux
(Dubar et al, 2015).
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144 Trajectoires professionnelles en communication
Tableau récapitulatif des entretiens :
Nom Pays Fonction
Atypie de formation Atypie de carrière Atypie de la fonction
de dircom
DC1 Belgique
Poste précédent : directeur de
la communication – grande
distribution
Graduat en marketing 1
e
r
poste : acheteuse puis tra-
vaille au sein du service in-
formatique dans la grande
distribution
Évoque une connivence avec
le DG, le besoin d’oser lui
dire les choses et la nécessité
d’une grande proximité avec
le terrain
DC2 Belgique
Poste précédent : directeur de
la communication – grande
distribution
Études de journalisme et
d’histoire de l’art
1
ère
partie de carrière en tant
que journaliste
DC3 Belgique
Directeur de la communica-
tion – services publics
Études de sociologie
DC4 Belgique
Directeur de la communica-
tion – Fédération européenne
/ lobbying
Études de langues et de
diplomatie
Elle cite l’ouverture d’esprit,
la ténacité et la diplomatie.
« Nous ne sommes pas là
pour flatter le DG. Nous
avons un rôle poil à gratter,
de fou du roi »
DC5 Belgique
Directeur de la communica-
tion – secteur de l’énergie
Études d’ingénieur civil 1
e
r
poste en tant qu’ingénieur
sécurité
DC6 Belgique
Directeur de la communica-
tion – Commission euro-
péenne
Docteur en économie Carrière précédente dans l’en-
seignement supérieur
Pour lui, la mission du dircom
est aux antipodes de ce que
l’on pourrait qualifier de
Professionnalisation des dircoms 145
« spin docto ». Au contraire,
une des principales qualités
est l’honnêteté et l’ouverture
à la discussion. « Pour moi,
c’est un métier de passion »
DC7 Belgique
Poste précédent : responsable
de la communication – sec-
teur de l’énergie
Diplôme en secrétariat de
direction
Carrière principale en tant
que secrétaire de direction
Il est considéré et se consi-
dère comme le « fou du roi ».
Pour lui, l’humilité permet
d’avoir un réseau et des relais
à tous les niveaux de l’organi-
sation. Il insiste sur l’impor-
tance de la dimension « hu-
maine » de la fonction. Il
évoque son métier comme
une passion et parle de pas-
sion pour les « gens »
DC8 Belgique
Directeur de la communica-
tion – services publics
Études de droit public 1
e
r
poste : porte-parole Pour lui, dans ce métier,
« c’est la personnalité qui
compte »
DC9 Belgique
Directeur de la communica-
tion – grand groupe de médias
puis de services
Formation de journalisme
et première partie de car-
rière en tant que journaliste
DC10 France
Poste précédent : directeur de
la communication secteur de
l’énergie
Formation de journalisme Première partie de carrière en
tant que journaliste
146 Trajectoires professionnelles en communication
DC11 France
Directeur de la communica-
tion – groupes industriels puis
services publics
Profil typique : études en
SIC puis postes dans la
communication
DC12 France
Directeur de la communica-
tion – groupe dans le service
aux entreprises
Études d’histoire médiévale
DC13 France
Directeur de la communica-
tion – groupe dans le service
aux entreprises
Études de droit, de sciences
politiques et de journalisme
Pendant longtemps en occu-
pant des postes de communi-
cants, il se présente comme
journaliste. Puis lors de ses
postes de dircoms, il évoque
la relation de confiance indis-
pensable mais également le
rôle de fou du roi lié à l’im-
pertinence dans la relation
président / dircom
DC14 Belgique
Directeur de la communica-
tion – secteur de l’énergie
Études de sociologie
Chasseur
de tête 1
Belgique
Groupe spécialisé dans les re-
crutements en communication
Chasseur
de tête 2
France
Groupe spécialisé dans les re-
crutements en communication